Chapitre 1
On m'a toujours dit que je n'étais qu'une bonne rien, une gamine stupide qui ne pourrait jamais rien faire de sa misérable vie, comme l'avait fait ma mère. Ces paroles lancées, parfois en l'air, ont fini par m'atteindre bien plus tard, lorsque mon très cher père prit la décision de me donner en cadeau au souverain de mon pays. Cet euphémisme stupide ne cachait pas le fait que j'étais vendue comme esclave à un homme qui avait le triple de mon âge. On m'a fait quitter les bas quartiers de la capitale pour me rendre dans cette immense demeure, où les hommes assujettis pullulent et tournent autour de ce « maître » comme des mouches afin d'assouvir ses désirs. Cet homme à la peau basanée, aux yeux d'un bleu froid que seul la torture infligée à ses esclaves et la luxure semblaient animer d'un quelconque sentiment.
La place qu'on m'avait attribuée fut celle-ci : j'étais la putain du roi et ce devait être mon rôle jusqu'à ce que l'âge me fasse moins attirante aux yeux de tous. Le temps fut bien long pour moi qui venais tout juste d'avoir douze ans et, avec les mois qui défilaient lentement, mon nom semblait fuir la mémoire de tous. On me désignait de la tête, me hélait et sifflait de loin, certains claquaient des doigts en me faisant signe d'avancer. J'obéissais, le visage tourné vers le bas, sans jamais croiser le regard de ceux qui habitaient dans ce palais hostile.
Six mois après mon arrivé, de nouveaux esclaves débarquèrent. Ceux-là avaient la peau pâle, les cheveux et les yeux du rouge le plus étonnant que je n'aie encore jamais vu. Le groupe était composé uniquement d'un garçon d'à peu près mon âge, d'un autre un peu plus jeune ressemblant comme deux gouttes d'eau à la fille qui était à ses côtés et qui le tenait désespérément par les vêtements. Tous furent placés dans la garde rapproché du roi, chacun reçu de nouveaux vêtements après avoir soigneusement été lavés par des femmes vêtues de tuniques blanches qui dissimulaient leurs pieds.
Pendant des semaines je ne les ai pas vus. Ils ont refait surface bien plus tard, semblant sortir tout droit d'un rêve grandement désagréable qu'ils avaient fait un nombre incalculable de fois. Des cernes noirs ornaient leurs yeux que leur visage plus pâle que jamais à cause de la fatigue ne faisait qu'accentuer. Ils avaient été menés à l'écart et l'un d'eux s'était vu privé de repas pour avoir tenté de tenir tête à leur maître. Il fut enfermé dans ce que nous appelions alors le "trou", une prison en tôle creusée à même le sol dans un coin reculé de la cour extérieure. Personne n'avait le droit de s'y rendre sans la permission du souverain et, afin de vérifier que les consignes étaient respectées, des gardes faisaient des rondes régulièrement. Mais si on savait attendre et qu'on connaissait parfaitement les heures où la surveillance était effectuée, alors on pouvait se glisser entre les mailles du filet.
Ainsi, à la nuit tombée, les deux poches emplies de morceaux de pain pris sur mon plateau, je me faufilais jusqu'à lui, veillant à ne pas me faire remarquer par quiconque malgré les vêtements excentriques que le roi choisissait pour moi chaque jour et le maquillage trop osé que les esclaves tartinaient sur mon visage d'enfant.
Je me glissais dans l'ombre d'un palmier, jetais un coup d'œil à droite et à gauche et m'élançais à nouveau vers la lugubre prison dont même les chiens n'osaient pas s'approcher. Le "couvercle" du trou n'était rien d'autre qu'une simple grille reliée aux extrémités de la cage par des verrous en acier toutefois, l'espace entre chaque carré de grillage était assez grand pour qu'on puisse y glisser un bras. J'y mis le miens, tenant fermement dans ma main le morceau de pain que j'avais gardé précieusement.
Le garçon n'avait pas semblé comprendre mes intentions pour autant. Sa main s'était saisie avec force de mon poignet, attirant mon visage contre la grille.
« Qu'est-ce que tu me veux ? » m'avait-il interrogé.
« Lâche-moi » m'étais-je plains « tu me fais mal ! »
Il avait desserré sa prise en même temps que j'avais laissé tomber sur le sol de l'étrange prison les provisions que j'avais apportées avec moi. Je me redressai immédiatement en entendant un garde s'approcher, vidai mes poches et m'enfuis en courant par peur d'être découverte. Je n'entendis rien, pas un seul merci de sa part. Le lendemain j'hésitais a retourné le voir. À quoi bon prendre des risques pour quelqu'un si ce dernier ne prend pas la peine de vous remercier correctement ? Pourtant, lorsque je reçus mon repas dans ma chambre comme tous les soirs, je ne pus m'empêcher de glisser les deux morceaux de pain dans les poches de mon vêtement avant de les dissimuler dans une jarre en terre cuite. Je ne pouvais pas sortir dans la cour avant trois bonnes heures, mon "travail" m'attendant sagement dans une chambre luxueuse et immense, reliée par une porte à celles des maîtresses du roi.
Moi, j'étais un "cas spécial" selon notre maître. J'avais mes appartements en face des siens, des esclaves qui me suivaient en permanence et qui devaient certainement me surveiller pour lui : il ne fallait pas que son précieux cadeau se volatilise dans la nature. Ainsi, chaque jour, je suivais la même routine : levée aux aurores, je prenais mon petit-déjeuner avant tout le monde puis gagnais les bains avant d'être habillée et maquillée par les esclaves, ensuite je devais "divertir" mon maître avant qu'il n'entame sa longue et épuisante journée. Les heures qui suivaient, je les passais souvent à l'extérieur, observer les palmiers et les volatiles qui volaient au-dessus de ma tête me distrayais un peu. Revenait alors le temps de prendre un bain, celui-ci étant fait de lait de chèvre, mon repas et mon devoir de putain du roi. Quand je regagnais mes appartements, il était souvent minuit passé. C'était à ce moment-là que je filais en douce voir les prisonniers du trou.
Je descendais par la fenêtre, utilisant une petite corniche à moins d'un mètre en dessous comme point de départ pour dévaler la façade du palais, je n'étais pas une experte en escalade, mais mes capacités me suffisaient à l'époque pour les quelques escapades que je m'autorisais.
Les nuits étaient fraîches à cette période de l'année et je me souviens que ce soir-là je n'étais vêtue que de morceaux de tissus aux couleurs chatoyantes et bien trop courts pour être appelé vêtement, que les bijoux qui ornaient mon cou et mes poignets faisaient des cliquetis agaçant.
Ombre dans le noir absolu de la cour où les sentinelles postées à chaque extrémité somnolent à cause de l'alcool avalé comme si c'était de l'eau, je me faufilais entre les arbres en grelottant, les pains serrés contre ma poitrine. Le garçon était toujours blotti contre le mur de terre qui dégageait une humidité renforçant cette désagréable sensation d'oppression qui s'échappait du trou. Il leva les yeux dans ma direction, ouvrit la bouche pour me faire part de ses ignobles paroles sans aucun doute, mais je ne lui en laissai pas le temps. Je fis tomber les provisions dans la prison et me redressai aussitôt. Je ne resterais pas une minute de plus à l'extérieur avec un froid pareil alors qu'il ne me remercierait sans doute pas. Pourtant, sa voix s'était élevée dans mon dos, me demandant de rester encore un peu. Elle était enrouée et chaque mot qu'il prononçait semblait lui arracher un morceau de ses cordes vocales malmenées.
Lentement, je retournai m'asseoir près de la grille, serrant mes jambes contre ma poitrine encore imaginaire et enlaçant mes genoux de mes bras. On parla longtemps, lui me racontant les raisons de son emprisonnement et déclarant avec fierté qu'un jour ou l'autre, il retrouverait sa liberté, moi écoutant parfois plus que ce que je parlais. Il ne sut pas mon nom, ici je n'en avais de toute manière et je ne voulais pas confier un souvenir aussi précieux que l'identité que m'avait autrefois donné ma chère mère. Et chaque jour pendant une semaine entière je revins le voir, un lien incroyable se tissa entre nous au fil des années. Lui était rêveur et exécrait la vie que le destin lui avait donnée, il défiait son seigneur pratiquement tous les jours et malgré ce que je craignais, le roi l'avait acheté à un prix si élevé qu'il n'osait pas s'en débarrasser. Il avait renoncé à lui mettre des fers aux pieds et aux mains, préférant de loin le laisser pourrir au trou où il croyait sans doute qu'il pouvait le "dresser". Il me semblait que c'était absurde, ce garçon ne pouvait pas être retenu contre sa volonté. C'était une force de la nature après tout. Un soir, alors que j'étais assise près de la prison extérieure, je n'y tins plus.
"Qu'attends-tu pour quitter cet endroit ?" m'enquis-je.
Il avait levé son regard vermeil vers moi et j'avais senti mon cœur tressaillir. J'avais quinze ans à l'époque et je craignais le jour où le souverain se rendrait compte que mon cœur ne battait pas pour lui.
"J'attends que ce soit le bon moment. Partir comme ça n'aurait pas de sens pour moi, je veux d'abord venger ma sœur qu'il a laissée mourir de la fièvre et mon ami qu'il a tué à la tâche. Et puis, je ne veux pas partir sans toi…"
Un sourire las étira mes lèvres tandis que je passais une main dans mes cheveux à la couleur des plumes des corbeaux.
"Je ne peux pas partir. Où que j'aille, il me retrouvera. Ça fait bien trop longtemps que je suis ici, que je suis la "putain du roi", j'en viens même à oublier qui je suis réellement. Et maintenant, je suis certaine d'une chose : il ne laissera pas sa future femme lui filer entre les doigts."
Je l'avais entendu se lever dans l'étroit espace qui l'emprisonner.
"C'est quoi cette histoire ?"
"Rien d'important, oublie ça…"
Je me levais en frissonnant, rabattant sur mes épaules dénudées le châle qu'on m'avait donné pour me préserver de l'humidité omniprésente dans l'air. Ce soir-là, j'étais partie parce que je refusais de parler de cette "joyeuse nouvelle", comme l'avait appelé le roi quelques heures plus tôt. Je peinais à croire que mon cauchemar s'éternisait, se développant comme une toile d'araignée qui m'emprisonnait à chaque seconde écoulée. Il me semblait que l'enfer dans lequel je vivais depuis des années ne s'adoucissait que pour revenir plus ardent que jamais.
Hey Hey Hey !
Voici donc le premier chapitre de cette fanfiction !
J'ai pas grand chose à dire à part... vive les pingouins !
Fran
