Mycroft Holmes n'était pas n'importe qui.
Son air imperturbable et ses costumes hors de prix reflétaient ce qu'il était : un diplomate et un homme de la haute société. Une personne importante en somme !
Politicien en toutes circonstances, il restait toujours poli et correct, et son impassibilité semblait à l'épreuve des balles.
La seule chose capable de lui faire perdre sa contenance, étaient ses disputes avec son frère cadet. Dans ces moments là, il pouvait arriver que Sherlock le mette même assez en colère, pour qu'il se montre grossier, ce que John attribuait à un véritable exploit. D'un autre côté, le caractère imbuvable de son colocataire y était probablement pour beaucoup, et rares étaient ceux qui parvenait à garder leur calme en sa présence.
Le docteur était depuis longtemps habitué aux querelles continuelles des frères Holmes et il ne fut donc pas étonné de trouver Mycroft assit dans leur salon, en rentrant des courses. Voyant qu'aucun des deux n'avait pris la peine de se lever pour l'aider à monter les sacs, il lança ironiquement :
-Merci beaucoup de votre sollicitude !
-De rien ! répondit Sherlock le plus sérieusement du monde. On peut avoir du thé ?
-S'il vous plaît John, ajouta l'aîné dans un élan de politesse.
Le blond soupira et leva les yeux au ciel. Le respect devait décidément faire partie des choses que le détective avait décidé d'oublier en même temps que le nom du premier ministre et le système solaire.
Il prépara tout de même trois tasses de thé et les amena dans le salon. Les deux frères se regardaient fixement en silence. John posa les tasses sur la table basse et s'assit pour boire la sienne. Personne n'échangea le moindre mot pendant plusieurs minutes, si bien que le médecin fini par faire les gros yeux à Sherlock en articulant silencieusement :
-Qu'est ce que tu as encore fait ?
-Mais rien du tout ! Se défendit le brun lui aussi en silence.
Le blond haussa un sourcils septique et son vis à vis leva les mains en signe d'innocence.
-Dites, vous savez que je vous vois ? demanda Mycroft en les toisant du regard.
-Bien entendu.
-C'est bien ce que je pensais...
John se plongea dans la contemplation de sa tasse, préférant les laisser régler leurs histoires entre eux. Ils passèrent deux bonnes minutes à se fusiller du regard avant que Mycroft ne finisse par céder.
-Rend la moi ! réclama t-il en tendant la main.
-Non. Je l'ai trouvée, je la garde !
-Ce que tu peux être puéril !
-Qu'est ce que tu as encore volé ? soupira le docteur. Pas une bombe nucléaire ou un secret d'état j'espère !
-Comme s'il en était capable ! Railla l'aîné.
-Tu veux qu'on fasse le test pour voir ?
-Oh mais vas y, je t'en prie !
-Stop arrêtez tout les deux ! Les interrompit le blond, avant ça ne tourne au carnage. Maintenant Sherlock, dis moi ce que tu as encore fait !
L'intéressé reposa sa tasse sur la table et regarda son colocataire avec un grand sourire. Celui que les enfants ont le jour de Noël en découvrant leurs cadeaux sous le sapin. Sauf que Sherlock n'était pas un enfant et qu'on était pas le jour de Noël.
De plus en plus inquiet, John insista.
-Sherlock, s'il te plaît !
Le détective le fit encore patienter quelques secondes, mais il finit par plonger une main dans la poche de sa robe de chambre, pour en ressortir un petit bout de papier de la taille d'une photo. En le voyant Mycroft fronça les sourcils dans une expression effrayante et ouvrit la bouche pour menacer son cadet, mais celui-ci le prit de vitesse.
-Ne protestes pas, je la lui montrerai à un moment ou un autre de toute façon !
L'homme politique poussa un grognement de mécontentement et se laissa retomber au fond de son siège.
-Qu'est ce que c'est ? Demanda le médecin de plus en plus intrigué par tout ce cirque.
-Avant de te répondre il faut que je te raconte l'histoire du début, sinon tu vas encore dire que tu ne comprends rien parce que je t'explique mal ! Soupira le détective.
-Ça c'est parce que tu passes la moitié de l'histoire ! Lui signala t-il.
-Non, je coupe juste les éléments qui ne sont pas importants ! Protesta le brun.
Son ami leva les yeux au ciel et se retint de lui faire remarquer que ce qui lui paraissait dérisoire à préciser dans ses explications, l'était souvent nettement moins pour les autres.
-J'imagine que même toi, tu te souviens du livre que mon frère a eu l'extrême obligeance de me prêter, il y a quelques temps !
-Ce dont je me souviens principalement c'est que tu as hésité une bonne heure entre le jeter au feu et faire une expérience avec, et que finalement le pauvre bouquin a fini en cale pied de l'armoire.
Mycroft haussa un sourcil en entendant l'anecdote mais ne pris pas la peine de relever.
-Tu connais également bien les velléités insupportables de rangement dont Mme Hudson fait souvent preuve, poursuivit Sherlock.
Son ami hocha la tête. À chaque fois que leur logeuse se mettait en tête de ranger l'appartement, ça finissait en désastre et le bouclé râlait pendant des jours parce qu'il ne retrouvait plus ses affaires et qu'elle avait mis ses expériences à la poubelle.
-Aujourd'hui encore elle a été soudainement prise par cette lubie stupide et a, pour une raison mystérieuse, délogé cette infâme torchon de là où il était !
-C'est un excellent livre Sherlock ! Protesta son aîné. Et tu le saurais si tu avais pris la peine de le lire.
-Informations inutiles ! Je préfère laisser de la place à ce qui est vraiment important.
Le blond soupira et leva les yeux au ciel. Parfois, -souvent même- cet homme était parfaitement imbuvable !
-Et tout ça pour en venir où exactement ? Voulu t-il savoir, septique.
-Il se trouve qu'en jetant cette chose pour l'éloigner de moi, expliqua t-il en désignant le livre en question sur la table basse, j'ai découvert que mon frère y avait oublié quelque chose. Que, vu son état et sa forme, je suppose être son marque page, mais inutile de s'étendre là dessus pour l'instant.
-Pour l'amour du ciel, vas tu enfin me dire ce que c'est ?! S'écria John brûlant de curiosité.
Le détective soupira en marmonnant un truc sur son manque évident de patience et lui tendit le papier. Il s'agissait effectivement d'une photo, assez ancienne et plutôt usée. Mais ce qui attira immédiatement le regard du médecin fut les personnes sur le cliché. Il s'agissait Mycroft et Sherlock enfants. Ils avaient approximativement dix et trois ans. Le jeune Sherlock était assis sur les genoux de son frère le sourire jusqu'aux oreilles. Son aîné tenait un livre devant eux et était visiblement en train de le lui lire.
Devant une telle scène John ne put s'empêcher de sourire. Ainsi le chef du MI6 versait dans le sentimentalisme ? Bon à savoir ça !
-Je peux la récupérer maintenant ? Demanda Mycroft, son impatience de plus en plus perceptible dans la voix.
-Allons ne faites pas cette tête ! A vous voir on croirait que c'est une photo de vous en situation compromettante avec une femme.
-Une femme, une femme, ça reste à voir... marmonna le détective, septique.
Son frère pinça les lèvres et lui jeta un regard qui aurait donné à n'importe qui d'autre envie de disparaître sous terre. Il fit seulement rire Sherlock.
-Un mot de plus... ! Le menaça son aîné.
-Euh vous m'expliquez, ou je dois encore jouer aux devinettes ? Intervint le médecin, complètement perdu.
-Oubliez ça ! Grinça Mycroft en se levant soudainement. Maintenant donnez moi cette photo ! J'ai déjà perdu assez de temps comme ça.
Le blond haussa les épaules. Si ça concernait quelque chose qui pouvait énerver son frère, Sherlock le lui dirait de toute façon avec plaisir. Autant attendre que Mycroft soit parti, au moins il n'aurait pas à dépenser son énergie ne vain.
L'aîné des Holmes semblant à bout de nerf et restant planté devant lui sans bouger, il se décida enfin à lui remettre la photo.
-Je ne vois vraiment pas de raison d'avoir honte, ajouta t-il tandis que l'homme rangeait le précieux cliché dans sa veste. Vous êtes tout les deux très mignons là dessus !
Mycroft fit la moue et John cru voir de la gêne passer dans son regard.
-La dernière chose dont j'ai besoin est probablement qu'on me trouve mignon, John ! Lui fit il remarquer avec un regard noir.
-Vous les Holmes... soupira le médecin.
L'homme ne releva pas sa remarque et tourna les talons. Son cadet le gratifia d'un joyeux "Au revoir très cher frère !" auquel seul le claquement de la porte répondit.
