1. Smooth criminal
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- Trouvez-moi son point faible, dit la voix dans le téléphone.
- Vous plaisantez ? fit l'homme à l'autre bout, en haussant les épaules. Tout le monde sait que Nicky Larson ne peut pas résister aux femmes. N'importe laquelle fera l'affaire…
- Non, il y en a forcément une qui occupe une place spéciale pour lui. Trouvez-la.
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- NICKYYYYYYYY !
Gloups. Quand la voix de Laura dépassait les 110 décibels, l'intéressé savait qu'il valait mieux s'éclipser par la fenêtre et revenir une heure plus tard avec une gueule bien innocente, et si possible, les courses qu'il ne faisait jamais.
Il n'avait pas tourné la poignée de la fenêtre qu'un pied s'abattait déjà sur son épaule.
- Dans. Tes. Rêves. Tu peux m'expliquer ça ?
Il regarda le panier de linge que Laura lui mettait sous le nez. Tout était rose.
Il repéra quelques sous-vêtements féminins qui manquaient à sa collection, mais se rappela immédiatement après que rien de ce qui appartenait à Laura ne pouvait constituer un objet suffisamment sexy pour atterrir dans son Armoire de l'Amour (aussi connue sous le nom d'« Armoire de l'Infâmie » dans le vocabulaire de Laura).
- Heu… J'ai mis des vêtements à laver ?
Le deal était que Laura faisait le plus gros des lessives, mais qu'elle ne touchait ni à ses draps ni à ses caleçons (ou alors, avec des gants et une de ces combinaisons utilisées sur les terrains radioactifs).
- Mais encore ?
Il haussa les épaules de cette façon gamine qu'il avait de signifier à son interlocuteur qu'il se fichait de ce qu'il/elle disait (surtout quand ledit interlocuteur se trouvait être une Laura avec une batte de baseball à la main).
- Ça a l'air… propre ?
- Et tu te prétends détective ?
Nicky fit mine de réfléchir (pour la forme) et bondit bientôt sur son siège, sûr d'avoir compris.
- Tu ne portes jamais de rose ! J'ai bon ?
- Con-clu-sion ? maugréa Laura entre ses dents.
Il reporta son attention sur la panière à linge, un grand sourire aux lèvres.
- Tu as décidé d'être plus féminine ?
Il n'évita la masse de 100 tonnes que d'un cheveu, et réprima l'envie de lui tirer la langue en voyant son expression meurtrière.
- C'était une machine de blanc !
Le parquet vola en éclat là où il s'était trouvé deux secondes plus tôt.
C'est qu'elle commençait à devenir rapide...
- Toi et tes pu**** de T-Shirts rouges !
Nicky haussa à nouveau les épaules (et évita un nouvel assaut lauraesque).
- J'aime le rouge.
Les cheveux grenat de Laura étaient ébouriffés comme la crête d'un coq en colère.
- Tu. Fais. Chier.
- C'est en parlant comme un charretier que tu comptes te trouver un mec ?
- Raaaaaaaaaaah ! vint le cri de guerre.
Le maillet de 1000 s'écrasa avec un BAM qui fit sursauter tout l'immeuble.
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Nicky (qui l'avait bien cherché) et la porte coulissante (qui, elle, n'avait rien demandé) avaient pris cher, et se regardaient comme deux âmes infortunées logées à la même enseigne. Le règne de Laura Marconi était sanglant et tyrannique. Mais il n'avait ni l'intelligence, ni l'envie de s'y soustraire. Il était vraiment maso…
Profitons de l'absence de la reine pour paresser.
Il aperçut le courrier sur la table basse du salon. Bonne pêche, pensa-t-il.
Une enveloppe en papier kraft, trois factures et – yeeees ! - le dernier numéro du magazine de charme auquel il était abonné. Laura avait visiblement fait une entorse à son règlement. Elle refusait normalement de les sortir de leur boîte à lettres commune depuis qu'elle avait choqué la petite vieille du 4ème, une fois où elle n'avait pas fait attention à cacher la une de Boobs Academy.
Il laissa les factures sur le bureau de Laura et ouvrit l'enveloppe kraft à son nom. Il en lâcha son XXXHolicMag.
C'étaient cinq photos agrandies de Laura.
Avec une cible rouge tracée sur sa tête.
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Hélène Lamberti avait passé une bien étrange matinée.
Laura Marconi était venue la trouver à la première heure, dans son bureau, avec des photos de Nicky sur laquelle étaient dessinées des cibles. Elle lui avait demandé de relever les caméras de surveillance de l'immeuble en face du leur, dans l'espoir que le coursier qui avait déposé l'enveloppe ait un logo sur sa veste ou sa casquette, ou un autre signe distinctif, qui lui permette de remonter à la société de coursier et à l'émetteur de la lettre.
Et à 11h30, c'était Nicky qui l'avait appelée pour qu'elle jette un œil au même type de photos (mais avec la tête de Laura) sur sa pause déjeuner. Les enveloppes et le papier photo étaient différents, elle l'aurait juré, mais les flics apprenaient à ne pas croire aux coïncidences. Faire une exception l'aurait grandement agacée.
Hélène savait que ce n'était pas la première fois qu'on menaçait Laura pour forcer Nicky à sortir d'une cachette ou à commettre une erreur. Des photos comme celles-là, il lui en avait amené déjà cinq ou six fois, et avait réglé l'affaire seul, sans que Laura n'en sache jamais rien. Mais maintenant, la pègre semblait s'être passé le mot sur le point faible de Nicky.
Sauf que cette fois-ci, il semblait plus inquiet que d'habitude. Il n'avait aucune piste sur l'émetteur, et plus assez d'ennemis pour que la rancune vienne de leur côté.
Hélène savait qu'à présent, ces deux-là allaient tenter de se protéger l'un l'autre. Un étrange cadeau de St-Valentin, en somme ?
Mouais… se dit Hélène, en voyant Nicky regarder sous la jupe d'une troisième serveuse. Même Cupidon n'était pas si tordu.
- Tu m'aideras ?
- Bien sûr.
Nicky savait qu'elle acceptait plus par égard pour la mémoire de Toni que pour lui, mais ça le satisfaisait. Laura et sa sécurité étaient la priorité.
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Nicky tendit l'oreille. Deux paires de pas résonnaient dans le couloir dehors. Ceux de Laura, et ceux d'un inconnu suffisamment familier pour qu'elle lui fasse la conversation. La clé tourna dans la serrure.
Laura fit entrer un homme qui puait le flic en civil à dix bornes. Il avait une trace de chaussure incrustée sur la joie droite.
Désolé, vieux, pensa Nicky, plutôt content de ne pas être le punching-ball exclusif de sa colocataire.
- C'est lui le responsable… s'exclama Laura en le voyant. Tu m'as fait suivre ?
Il adorait quand elle s'énervait.
- Oui.
Enfin, il avait demandé à Hélène de lui trouver un garde du corps d'appoint pour elle, donc il supposait que c'était lui.
La franchise de Nicky arrêta Laura tout net.
- Pourquoi ?
- Parce que tu es en danger.
- Développe, s'il te plaît.
Quand il lui eut parlé des photos, elle redescendit d'un cran.
Nicky appela un taxi pour l'homme qu'Hélène avait mis en filature sur Laura, et fit du café.
- Et tu n'as vraiment aucune idée de qui est derrière tout ça ?
Nicky secoua la tête. Il n'aimait pas n'avoir aucune piste. Et aucun indice.
Laura pensa aux photos qu'elle avait reçues et se mordit la lettre. Hélène ne l'avait pas encouragée à en parler à Nicky.
- Il manque des choses ? dit-il en désignant le frigo comme si rien dans leur dernière conversation ne pouvait altérer leur quotidien.
- Du coton et des yaourts.
Nicky hocha la tête et se leva du canapé en soupirant. Il attrapa un sac de course et la liste sur le frigo.
- Fais attention à toi, d'accord ?
Il lui ébouriffa les cheveux en passant, mais elle lui trouva un air trop pensif et inquiet pour s'en offusquer.
- Toi aussi.
Il hocha vaguement la tête et sortit.
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C'était indéniable. Le talon d'Achille, c'est elle. Celle qu'on avait pensé la plus insignifiante, la moins à même de faire tomber Nicky Larson.
Le ripou décrocha son talkie-walkie.
- La fille Marconi m'a repéré, mais j'ai la confirmation que Larson était inquiet.
Il pouvait presqu'entendre le sourire satisfait à l'autre bout de la ligne.
- Suivez Larson.
- Bien reçu.
Il attrapa ses jumelles et fixa la porte de l'immeuble où habitaient Larson et Marconi Junior. Celle-ci s'ouvrit bientôt sur la stature en triangle inversé du tireur d'élite le plus détesté de la pègre.
Il est temps de payer, Larson… pensa le policier avec un sourire.
Nicky Larson laissait des gardes du corps de l'autre camp assommés partout où il passait, mais il ne cherchait jamais à savoir ce qu'ils faisaient en se réveillant. Et certains montaient en grade. Et grimper la hiérarchie des mafias de Tokyo ne leur faisait pas oublier qui avait fait tomber le Parrain précédent…
L'homme fouilla dans sa boîte à gants pour trouver des bonbons.
Bam.
Tout l'habitacle de la voiture fut secoué.
Une main s'était abattue sur le toit de la voiture.
Une figure aux sourcils froncés le fixait, un sac de course dont dépassaient des poireaux sous le bras. C'était toujours moins dangereux qu'un holster.
Le ripou fit instinctivement un geste vers le pistolet rangé dans sa portière.
- Je ne ferais pas ça si j'étais vous.
Nicky Larson attrapa sa cravate à travers la vitre ouverte et tira jusqu'à ce que leurs visages se touchent presque.
- Pour qui tu travailles ?
- Personne.
Nicky serra le nœud de cravate.
- Je répète : pour qui tu travailles ?
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- Allo ? Oh, salut Myriam…
- Tu as une petite voix…
Si Laura disait qu'elle était inquiète pour Nicky, Myriam se moquerait d'elle. Autant parler de ce qu'elle exprimait le plus quand il s'agissait de lui…
- J'en ai maaaaarre.
- Qu'est-ce qu'il a encore fait ?
- Teint ma garde-robe en rose. Un pur sabotage… soupira Laura. Il est irrécupérable…
- Si tu le pensais vraiment, tu arrêterais de t'intéresser à son cas…
Elle avait raison, bien sûr.
- Je sais très bien ce que tu sous-entends, et non c'est non !
Comment les gens pouvaient-ils autant se méprendre sur sa relation avec Nicky ?
- On se retrouve en fin d'après-midi au centre commercial ?
- Deal.
Quand elle eut raccroché, Laura jeta un coup d'œil inquiet à la pendule. Ça faisait une heure que Nicky était parti. Il avait pu décider de draguer une caissière, mais elle avait tendance à penser à pire depuis qu'elle avait reçu les photos.
Au moment où elle envisageait sérieusement de partir à sa recherche, elle entendit ses pas dans l'escalier. Il avait un œil au beurre noir et les poireaux dans son sac avaient pris cher, mais il était debout.
- Tu aurais dû voir l'autre, commenta-t-il laconiquement avant de ranger les courses dans le frigo.
Il prit un sachet de petits pois surgelés et le plaqua sur sa pommette.
- Je vais dans le centre voir Myriam, cet après-midi.
- Tu verras gaffe, ok ?
Elle hocha la tête, un peu étonnée qu'il n'insiste pas plus.
Nicky nota mentalement de placer un pisteur dans son sac avant qu'elle ne s'en aille.
- Tu as aussi rendez-vous dans un quart d'heure avec une nouvelle cliente.
- Ah ?
La mine réjouie de Nicky la fit soupirer. C'était tout juste s'il ne se frottait pas les mains. Ou autre chose.
- Elle est jolie ?
- J'ai pas demandé.
- Mais c'est importaaaant ! Rappelle-moi pourquoi c'est toi qui t'occupes des relations clients ? bougonna-t-il.
Nicky marchait à la carotte et au bâton… La photo de la cliente pour carotte, et Laura pour bâton.
- Mis à part le fait que tu as l'intention de sauter tout ce qui bouge, le tact n'est pas vraiment ton fort.
- N'importe quoi. Je peux être très délicat quand je veux.
Laura leva un sourcil.
- Tu m'as annoncé la mort de mon frère en trois mots, avec un flingue et une mallette de cash dans chaque main, et même pas un bout de gâteau d'anniversaire pour faire passer la pilule.
- Circonstances spéciales.
- Preuve irréfutable que tu ne devrais pas t'occuper des relations-clients.
- Okay. Elle s'appelle comment cette nouvelle cliente ?
- Véronique...
Les yeux de Nicky se mirent à briller comme si on lui avait annoncé une mission au Crazy Horse. Il devait vraiment être en manque… pensa Laura.
- Véroniiiiiique ? Comme dans « Véronique, niq… »
BAF.
- … Aïeuh.
- Je disais donc : Véronique Pasquier. Elle dirige une association de soutien aux femmes agressées. Elle m'a signalé une recrudescence d'attaques dans le secteur de Shinjuku, et elle veut t'engager pour repérer qui prend des femmes pour cibles. Et en prime, tu devras servir de garde-corps à deux membres de l'association jusqu'au procès où elles témoigneront, dimanche prochain.
- Tu me livres trois femmes sur un plateau d'argent ? Où est le piège ?
- Un pas de travers et elles te colleront un procès pour harcèlement amplement mérité…
- M'enfin. Je suis l'innocence incarnée…
Laura n'en aurait pas dit autant, mais de fait, Nicky pouvait être lourd, mais il était frontal, et Laura savait qu'il méprisait les hommes qui profitent des femmes malhonnêtement ou contre leur volonté.
- « Innocent » ? Ben voyons… tu sais le nombre de coups de fil que je reçois des habitantes de l'immeuble d'en face parce qu'elles sont persuadées qu'un homme les observe avec des jumelles ? Et je ne parle pas de toutes les fois où Hélène m'appelle parce qu'on lui a signalé un satyre dans les bains publics dont la description correspond – comme par hasard – à la tienne...
- Y a beaucoup d'autres beaux bruns baraqués dans le quartier…
Le glouglou de la cafetière lui évita de devoir répondre.
On frappa à la porte au même moment.
Laura regarda Nicky retrousser ses manches pour exposer ses biceps, et se passer une main dans les cheveux. Quel poseur, celui-là…
- Bonjour ! fit une voix de femme. Je suis bien chez City Hunter ?
- Agent Larson pour vous servir…
- Et Agent Marconi, se présenta Laura en le poussant du passage. C'est avec moi que vous avez échangé des messages.
- Oh ! fit Véronique d'un air ravi. Vous êtes comme Batman et Robin !
Elle avait à l'évidence été trompée par les cheveux courts de Laura.
Nicky éclata de rire.
- Sauf qu'elle, c'est une fille – enfin, il paraît, dit-il en désignant sa partenaire du doigt.
BAF.
- Parce que tu crois que tu ressembles à Batman ? Lui, il sort pas avec une Mini rouge pour filer incognito les méchants…
- Gnagnagna…
Véronique sembla comprendre quelque chose.
- Vous êtes ensemble depuis longtemps ? demanda-t-elle aimablement.
Deux grimaces écœurées parfaitement synchrones lui répondirent.
- On peut en revenir à la question du paiement ? 200€ par jour jusqu'à avoir démasqué le coupable me paraît bien.
Véronique sortit son chéquier sans même broncher. Une personne moins honnête que Laura aurait sans doute prétexté des services supplémentaires pour ajouter quelques zéros de plus.
- En quoi consistent vos prérogatives ? demanda-t-elle à Laura.
- C'est ma chèèèère secrétaire ! fit Nicky.
- Je suis pas ta secrétaire, je suis ta partenaire ! grommela-t-elle entre ses dents.
- Regardons les choses en face, dit-il sur le même ton. Tu fais la paperasse, tu t'occupes des relations-client et c'est moi qui tire les coups de feu… donc tu es mon assistante personnelle !
Laura planta son regard dans les yeux de Véronique :
- Je suis la garde-du-corps de vos deux collègues.
Véronique sembla comparer d'un regard les carrures des deux agents de City Hunter.
- Je croyais que…
- Disons que Nicky et moi n'avons pas la même définition de garde du corps. Je protège vos collègues de lui, et lui, il les protège de tous les autres. Vous allez vite comprendre que c'est un travail à plein temps.
- Heu… d'accord.
- Donc, on récapitule. Nous enquêtons dès aujourd'hui sur ces attaques, et nous faisons un deuxième contrat de garde du corps pour vendredi, samedi et dimanche, c'est exact ?
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- Ça va être du gâteau, conclut Nicky quand Véronique Pasquier fut partie.
Intérieurement, il s'en réjouissait. Ça lui laissait plus de temps pour enquêter sur la personne qui ciblait Laura.
- Bien. Parce que je te rappelle que sans cet argent, tu ne pourras pas renouveler ton abonnement aux chaînes câblées…
Nicky sembla tout affolé.
- Tout mais pas ça !
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Myriam l'attendait dans un café de Roppongi Hills.
- Vous travaillez sur quoi en ce moment ?
- Une protection de témoin et la recherche d'agresseurs dans une zone qu'on connait. C'est l'affaire de deux-trois jours. La routine.
Laura supposait que retrouver un groupe de pervers serait facile pour le Pervers-en-chef qui lui tenait lieu de colocataire.
- Tu sais que la Saint-Valentin approche ?
- Et ?
Myriam sourit.
- Comment ça « et » ?
- Qu'est-ce que t'attends pour dire à Nicky que tu l'apprécies ?
- Que ce soit vrai, répliqua-t-elle du tac au tac.
- A d'autres…
- Myriam, les seuls mots qui peuvent décrire notre relation, c'est friendzone ou coloc'zone, ou même « bon sens », parce que chez les tireurs d'élite, les policiers et tous les métiers où l'espérance de vie est basse, les gens ne se mettent pas en couple.
Myriam soupira. Elle abandonnait – pour cette fois.
- Et il n'y a vraiment aucun autre garçon… ?
Pour une fois, Laura ne dit pas immédiatement non. Ça mit la puce à l'oreille de Myriam.
- Il y a un un agent de la gare de Shinjuku… Il m'appelle quand il y a un nouveau message sur le tableau pour m'éviter de me déplacer. Il est jeune, gentil et il s'appelle Fred.
- Et ?
- Et j'ai rendez-vous avec lui lundi soir.
Myriam poussa un de ces cris suraigus qui ne donnait vraiment pas envie à Laura de devenir une de ces filles qu'affectionnaient Nicky.
- Alors je t'offre un relooking !
Laura grogna pendant une demi-heure, mais on n'échappait pas longtemps à une idée fixe de son amie. Ne restait qu'à négocier les conditions de sa prise d'otage.
- On ne peut pas tout changer, question pratique ! J'ai besoin de pantalons et de bonnes chaussures pour courir.
- On pourrait juste féminiser un peu ton style ?
Laura ressortit de la cabine habillée en treillis coloré, et avec des rangers à fleurs.
- Non, tu as raison, ça ne marche pas vraiment. Voyons voir…
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- Admire ! Finie la coupe mulet !
Le « pas trop tôt » qu'il brûlait de dire une seconde plus tôt se coinça quelque part dans sa gorge quand il vit la coupe à la garçonne de Laura. Nicky redécouvrait l'obsession typiquement japonaise pour les nuques.
- Ça te va bien, commenta-t-il sobrement avant de revenir à son bol de Chocapic (car oui, tant pis pour la légende, Nicky Larson prenait des goûters dignes d'un enfant de 8 ans).
Une seconde passa… toujours pas de sarcasme. Laura en resta comme deux ronds de flanc.
- C'était un compliment ?
- T'y habitues pas…
Elle sourit tout de même… jusqu'à atteindre la porte de sa chambre.
- NICKY.
- Mmmmh ?
Laura se pinça l'arête du nez.
- Pourquoi il y a des trous dans ma fenêtre ?
- Sniper installé en face, dit-il entre deux bouchées de céréales. Je l'ai fait « partir ».
- Je reformule ma question : qu'est-ce que tu foutais dans ma chambre pour y attirer les tirs d'un sniper ?
Nicky mâchonna une nouvelle bouchée de céréales pour se laisser le temps de répondre. Laura n'avait pas à savoir que c'était elle qui était visée.
- Tu savais qu'une coloc de filles vient de s'installer en face ? Troisième étage.
Laura nota mentalement de leur faire passer le mot que les rideaux bien fermés dans la salle de bain, c'était pas mal.
Quand elle ne connaissait encore Nicky que par ce qu'en disait son frère, elle avait cru qu'il exagérait pour éloigner sa petite sœur d'un homme plus âgé. Mais non. Nicky était bel et bien le plus gros pervers de sa génération.
- Obsédé.
- Tomboy.
- Pervers.
- Casse-bonbons.
- T'as pas mieux ?
- Le reste ne serait pas très élégant.
- T'as une réputation à conserver ?
- Auprès de la gente féminine, oui.
Laura grmmmmgrrrrra et claqua la porte de sa chambre derrière elle.
Les impacts sur la fenêtre laissaient passer des courants d'air, mais c'était surtout les trous faits dans la porte de son armoire qui l'inquiétaient.
- Tu me dois une nouvelle robe de soirée !
- Je croyais qu'il y avait que les femmes qui en portaient ?
Laura attrapa sa masse de 1000.
Le bol de Chocapic fut malheureusement un dommage collatéral.
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Nicky ouvrit la porte. Et découvrit un homme à l'air timide, environ vingt-cinq ans, et sur son trente-et-un.
- Bonjour ?
- Heu… J'ai rendez-vous.
- Ah non, y a erreur, ici on ne prend que des clientes. Jeunes et jolies de préférence.
- Heu… Mais j'ai rendez-vous avec Laura Marconi… C'est peut-être la mauvaise adresse…
- Vous voulez dire avec elle ? fit-il avec une grimace dégoûtée, en désignant sa colocataire du doigt.
- Les vrais hommes, eux, savent m'apprécier, répliqua Laura en lui filant un coup de coude pour pouvoir accéder au seuil de la porte. Salut Fred !
- Qu'est-ce que tu sous-entends ?
- Que tu mets un point d'honneur à dire que je suis un laideron, mais que ce n'est pas le cas de tout le monde.
Fred eut l'air de confirmer, mais vu le regard glacial que lui lançait le tas de muscles avec qui vivait son rencard du soir, il s'abstint.
- Permission de minuit, d'accord ? grogna Nicky en roulant des mécaniques.
Toni lui avait demandé de veiller sur sa sœur, et il comptait bien interpréter cette promesse de la façon la plus agaçante qui soit pour Laura.
Celle-ci leva un sourcil méprisant.
- Tu m'as pris pour ta petite-sœur, ou quoi ?
Nicky l'ignora et planta son regard noir dans celui de Fred.
- Compris ! dit ce dernier d'un air un peu paniqué. Elle sera de retour à minuit moins cinq !
Laura, clairement écœurée par leur petit manège, attrapa Fred par la manche.
- Ne nous attends pas… cria-t-elle par-dessus son épaule.
A minuit moins cinq, Fred la déposa en bas de l'immeuble, pour le grand déplaisir de Laura. Elle savait qu'il ne rappellerait pas.
Elle mit donc un point d'honneur à dépasser le couvre-feu imposé par Nicky, et s'assit sur les marches de l'immeuble pour réfléchir à la vie de célibataire endurcie à laquelle le préparait Nicky, à force de ficher la frousse à ses rares prétendants.
Elle monta à minuit trente en faisant un maximum de bruit. Elle claqua la porte d'entrée, alluma la lumière et se retint uniquement de mettre de la musique par égard pour les voisins.
- T'es fier de toi ? dit-elle à la porte de chambre de Nicky.
Elle l'entendit rigoler et attrapa un magazine qu'il n'avait pas encore déballé avant de le lancer sur sa porte.
- Laura ou la douceur incarnée… vint la réponse de l'autre côté de la porte. Il le sait, ton jules, que tu as la grâce d'un éléphant ?
- Je te déteeeeeeste !
Dans sa chambre, Nicky souriait, satisfait. Bien sûr qu'elle ne le détestait pas.
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Véronique Pasquier avait rappelé. Une nouvelle femme de son association avait été attaquée lors de son footing, et ce détail avait fait surgir d'autres témoignages. Alors Laura avait décider de retrouver ce fumier.
Ça expliquait pourquoi elle courait, seule, en pleine nuit, dans le parc impérial de Shinjuku.
Elle tendit l'oreille.
Il y avait indéniablement quelqu'un qui la suivait.
Elle tourna dans une allée à gauche. Les pas la suivirent. Elle ne croyait pas aux coïncidences.
Elle bifurqua rapidement à un endroit mal éclairé et s'accroupit derrière un buisson.
L'homme s'approcha, mais elle était prête. Elle bondit et fit un croque-en-jambe à l'ombre massive devant elle.
Le walkman de l'homme heurta le sol en crachotant les notes de « Sex machine ».
Merde.
C'était le torse de Nicky Larson qu'elle tambourinait avec ses poings (sans grand succès, fut-elle forcée de remarquer).
- Tu m'as suivie ?!
- Et toi, tu joues les appâts ? Merde Laura, c'est pas un jeu !
- Non, c'est notre travail ! Tu viens peut-être de tout faire capoter !
Un cri s'éleva alors quelque part dans le parc.
Ils s'arrêtèrent immédiatement de parler.
- A gauche, dit Nicky.
Ils approchèrent suffisamment discrètement pour ne pas être repérés.
- Ils sont où ?
- Là-bas !
Elle ne vit que Nicky qui se détachait de l'ombre de l'arbre derrière lequel ils étaient cachés. Ensuite, il y eut deux cris, le bruit d'un corps qui tombe et un bruit… de baffe.
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Il n'était pas l'autoproclamé étalon de Shinjuku pour rien.
T'es venu sur mon territoire. Tu as joué, et tu as perdu, pensa Nicky, pas peu fier, jusqu'à voir la main de la fille qu'il avait sauvée lui arriver dessus.
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Laura regarda, morte de rire, Nicky revenir vers elle.
- Elle a pas bien compris que tu voulais l'aider, hein ?
- Oh, ça va, hein…
Mais son rire résonna dans le parc pendant encore un bon quart d'heure.
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Quelques mètres plus loin, dans le parc impérial, le grésillement d'un talkie-walkie se fit entendre.
- Alors ?
- Marconi Junior était suivie par Larson… On n'a pas pu l'atteindre. Et la police est venue arrêter un homme, donc c'était trop risqué de…
- Vous voulez dire que vos trois dernières tentatives ont échoué ?
- Larson anticip…
- Taisez-vous. La patience de mon client n'est pas infinie…
- Je sais. Je ne vous décevrai pas.
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