1- Se rencontrer
POV Remy Hadley
J'ai tout quitté.
Mon pays. Mon travail, que j'adorais malgré tout. Mes collègues, qui ont pourtant cherché à me soutenir.
J'erre dans Londres. Cette ville qui m'est inconnue. Ici, personne ne me reconnaîtra. Personne ne me jugera. Ne portera sur moi un regard effrayé ou apitoyé.
Je ne veux pas de la pitié des autres. Je voudrais être comme tout le monde.
Mais je ne suis pas comme tout le monde. Je vais mourir.
Je suis médecin. Je n'ai pas 30 ans. Je m'appelle Remy Hadley. Je suis malade, même si les symptômes ne sont pas encore très apparents, je sais que je vais me dégrader physiquement, jusqu'à mourir.
Pour oublier – et peut être aussi d'une certaine manière pour hâter l'échéance- je brûle ma vie. Je ne me refuse rien. Je sors, je fais la fête. Je bois, aussi. J'ai des amants et des maîtresses. Je ne veux rien regretter. Je voudrais tout essayer, tout tenter avant de disparaître.
Pourtant, au fond de moi, je sais que j'espère toujours un miracle. Un traitement qui me sauverait et qui me donnerait un avenir. Une vie. Quand je rêve, je souhaite avoir un compagnon, des enfants. Mais comment donner aujourd'hui la vie à des êtres qui connaîtraient la même fin que moi ?
Alors je poursuis ma quête, ma fuite en avant.
Aujourd'hui, mes pas me conduisent dans un quartier mal famé de Londres. J'entre dans un Pub pour boire quelques verres. C'est un établissement sombre, triste, et presque vide.
Il n'y a qu'une seule autre personne, attablée au fond de la pièce, et dont le visage est masqué par l'ombre.
Je commande une vodka au comptoir.
Je saisis le verre que pousse vers moi le barman et le fais tourner entre mes doigts.
Je n'aime pas boire seule. Je me décide et me lève.
Tenant mon verre, je me dirige vers la silhouette noire. L'homme lève la tête. Ses cheveux mi-longs et ses yeux sont aussi noirs que ses vêtements.
POV Severus Snape
Comme presque toutes les fins de semaine depuis la fin de la guerre, je me rends à Londres. Je quitte le chemin de traverse pour rejoindre la partie moldue de la ville.
Là, je suis certain de conserver l'anonymat. Personne pour m'importuner en m'accablant de questions stupides.
Je veux être seul. Etre un citoyen comme les autres.
Mais je ne suis pas comme les autres. Je m'appelle Severus Snape, j'ai 45 ans, je suis un sorcier. Ce que je dois cacher à la vue des moldus.
Et dans le monde sorcier, je ne suis pas, non plus considéré comme un sorcier ordinaire.
J'ai participé à la guerre. En tant qu'espion. Et à ce titre, il parait que je suis un héro.
Par Merlin ! Que l'on me laisse ! J'aurais préféré rester anonyme. Parce que ce qui m'a conduit à devenir un espion pour l'Ordre du Phénix reste une blessure tellement vive que je crains qu'elle ne se ferme jamais.
Je fais donc tout ce que je peux pour éviter mes semblables.
Je suis rentré dans ce petit Pub moldu que j'apprécie particulièrement. Sombre, et en général vide de tout occupant. Je commande mon whisky habituel, et m'attable dans un coin reculé.
J'y reste longtemps, seul, à vider plusieurs verres à la suite. Espérant que cela me fera oublier. Oublier que j'ai survécu.
Je n'ai pas de chance aujourd'hui, quelqu'un entre dans le Pub. Ou plutôt quelqu'une. Elle a la bonne idée d'aller s'asseoir au comptoir, merci Salazar !
En bon espion, je la détaille sans qu'elle sans aperçoive. Elle est jeune, à peine trente ans. Brune, mince comme une liane. Une jolie silhouette (mais à quoi tu penses Severus, tu dois avoir trop bu !).
Je vois ses yeux dans le miroir derrière le bar. De grands yeux bleus en forme d'amande.
Hmm… Je peux toujours profiter de la vue…ça me changera les idées.
Oui. Ou plutôt, non ! Elle se lève et se dirige d'un pas décidé vers ma table.
Elle sourit. Un joli sourire… (Severus !). Je la foudroie du regard, et prends mon air le plus irascible.
« Bonjour, je peux me joindre à vous ? Il ne faudrait jamais boire seul, vous savez ? ».
Je ne sais pas comment elle a interprété mon grognement désapprobateur, mais elle tire une chaise et s'assoit face à moi. Je me sens piégé.
POV Remy Hadley
Il me faut une bonne dose de courage pour me joindre à l'individu attablé au fond du Pub. Il s'est contenté de grommeler et de me jeter un regard glacial à mon approche.
Mais l'alcool qui commence à circuler dans mes veines me donne toutes les audaces. Je prends donc une chaise pour m'installer face à lui.
Je le détaille sans pudeur – ce qui semble le mettre fort en colère !
Il a vraiment un physique surprenant. Blafard, avec ses cheveux et ses yeux noirs, et entièrement vêtu de noir, il me fait penser à une ancienne photo en noir et blanc. Ceci d'autant plus qu'il se tient parfaitement immobile, son visage vide de toute expression.
N'eut été le grognement qu'il a émis, je pourrais croire qu'il n'est pas vivant. J'ai presque envie de le toucher pour vérifier son pouls…
Il paraît accepter ma présence et reprend vie. C'est-à-dire qu'il saisit son verre pour boire. Avec un sourire, je lève le mien.
On ne peut pas dire que ce soit un compagnon agréable. Il ne décroche toujours pas un mot. S'il n'avait pas été le seul présent dans le Pub, je ne serai jamais allée vers lui, c'est certain !
Même pour demander un nouveau verre de whisky, il se contente de lever son verre vide vers le barman. Il jette également un regard vers moi, un sourcil levé. Je prends ça comme une invitation à me joindre à lui, et commande une autre vodka.
Il me fixe maintenant en silence, de ses yeux si noirs qu'on n'en distingue pas même la pupille. Au fait, il est peut être muet ?
Après tout, c'est moi qui me suis installée là, je suppose que c'est à moi de prendre la parole.
« Vous venez souvent ici ? C'est un peu triste, non ? ». Je souris, ignorant l'air impassible de mon vis-à-vis.
Oh surprise, il me répond ! « Je n'aime pas les endroits gais. J'apprécie ce lieu justement parce qu'il est peu fréquenté. »
Il n'est donc pas du tout muet, me dit ma petite voix intérieure. Il a même plutôt un timbre agréable. Bas, velouté.
Je reprends. « Vous aimez être seul ? Peut être préféreriez vous que je parte ? »
Il hausse les épaules d'un air indifférent. « Maintenant que vous êtes là…. » ajoute t-il.
POV Severus Snape
Pourquoi a-t-elle cru bon de se joindre à moi ? Je lui ai rapidement fait comprendre que j'appréciais la solitude….et le silence. Je pense qu'elle a compris, puisqu'elle se tait, maintenant.
Mais je n'ai pas eu le cœur – ni l'envie peut-être- de lui demander de partir.
Ce peut être intéressant, pour une fois de rencontrer une personne qui ne me connaît pas, ne me juge pas. D'autant que je ne la reverrai probablement jamais.
Finalement, c'est moi qui reprends la conversation. « Vous êtes américaine ? »
Elle me dévisage, un peu surprise que je lui adresse la parole. « Oui… ça se voit tant que ça ? » Elle sourit de nouveau.
« Hmmf…votre accent, bien sûr.. »
Nous buvons une nouvelle gorgée en silence.
« C'est la première fois que vous venez à Londres ? » Je deviens bavard. L'alcool, sans doute.
Non, cela ne m'a jamais fait cet effet, bien au contraire.
Je crois que j'ai plutôt envie de la voir sourire. C'est une vision….plaisante.
POV Remy Hadley
Finalement, mon compagnon se dégèle un peu. Pas qu'il soit prolixe, non, mais il prend l'initiative de parler. Il n'a peut être, au fond, pas autant qu'il le pense, le souhait d'être seul.
Ceci dit, lorsque je quitte le Pub, à la nuit tombée, nous n'en savons pas beaucoup plus l'un sur l'autre. J'ignore même son nom. Quelle importance ?
Pourtant, le lendemain, je me rends de nouveau dans ce même Pub. Il est là, attablé à la même place. On pourrait presque croire qu'il ne l'a pas quittée depuis la veille, n'eut été la cape qu'il porte aujourd'hui, et que rend nécessaire le froid qui s'est brusquement installé sur la ville en ce début du mois d'octobre.
Noire, la cape, évidement. Il a quand même une curieuse façon de se vêtir. Pourtant, il semble porter ces habits avec aisance, et pour tout dire une certaine élégance.
Dès que je rentre dans l'établissement, il lève la tête, qu'il hoche imperceptiblement pour me saluer. Je vais directement m'asseoir à sa table.
« Bonjour, vous allez bien ? Au fait, je me rends compte que je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Remy Hadley….
- Severus Snape. »
Quel nom peu commun… Décidément, j'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi particulier ! Et pourtant, j'ai travaillé avec un homme particulièrement atypique !
Il appelle le serveur d'un geste. « Un whisky et….une vodka… » commande t-il avec un regard dans ma direction pour avoir confirmation. J'acquiesce.
J'en apprends un peu plus sur lui aujourd'hui. Il ne vient à Londres que le week-end. Pendant la semaine, il enseigne dans un pensionnat en Ecosse. Je lui fais remarquer que c'est un long trajet de venir d'Ecosse jusqu'à Londres pour boire un verre dans un Pub.
Je vois ses lèvres s'étirer en une sorte de sourire ironique. Il ne répond toutefois pas à ma question.
J'ai également du mal à comprendre ce qu'il enseigne. Je pencherai pour de la chimie, mais ça reste assez vague. Peut être le terme britannique est différent de l'américain….
POV Severus Snape
Je suis à peine arrivé au Pub ce dimanche que la jeune femme rencontrée hier pousse à son tour la porte.
Je la salue de la tête et elle me rejoint directement à ma table. Je dois reconnaître que je l'espérais.
Je prends sur moi de passer la commande pour nous deux, ce qui ne semble pas la gêner.
Contrairement à la veille, nous n'éprouvons pas de difficultés à communiquer. Ou tout au moins elle n'a pas de difficultés.
Elle s'appelle Remy Hadley. Elle est médecin (eh ! j'ai été élevé par un moldu, je sais qu'un médecin c'est un médicomage !). Elle me raconte qu'elle a travaillé pour un chef de service spécialisé dans les diagnostics.
Elle semble avoir été passionnée par cette activité. Je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi elle l'a abandonnée, alors ?
De mon côté, je reste flou sur ce que je fais. Professeur, ok. De quoi ? Hmmff. Je reste vague. Ça pourra toujours passer pour de la chimie…
De toutes façons, je peux difficilement en dire plus sur moi. Je n'ai pas l'intention de me mettre en délicatesse avec le Magenmagot en violant le code de la magie et en révélant inutilement ma condition de sorcier…. Je ne pense pas que le Ministère me le pardonnerait sous prétexte que j'ai un ordre de Merlin 1ère classe !
Il fait nuit quand nous quittons la chaleur du Pub. Pour la première fois depuis la fin de la guerre je n'ai pas vu le temps passer.
Je m'éloigne pour que personne ne puisse me voir transplaner vers Poudlard. Une nouvelle semaine à enseigner ….
