Titre : Hurricane
Auteur : Super-Courgette
Disclaimer : L'histoire est à moi mais les personnages appartiennent à Masami Kurumada.

Petit avant-propos :

Salut à tous. Comme vous l'avez peut-être remarqué, je suis nouvelle sur ce tout petit fandom et en tant que telle, j'espère que cette histoire ne va pas arriver comme un cheveu sur la soupe.

L'histoire justement est un AR (Alternate Reality). En gros, un hybride entre un AU (Alternate Universe) et le canon original du manga de Masami Kurumada. Pour faire simple, j'ai pris l'univers de Saint Seiya et je l'ai modifié en partant du traditionnel « et si… ».

Sur ce, j'espère que je n'aie fait fuir personne avec ce premier contact et je vous souhaite à tous une très bonne lecture.


Chapitre I :

1982 - Alentours du Sanctuaire, 1 h du matin…

« Seth ! » L'appel lointain se désagrégea en écho dans l'atmosphère glaciale, étouffé par le vide.

L'interpellé, les oreilles gelées, perçut malgré tout la voix de son collègue et se redressa en grognant, luttant contre le poids du vent dans son dos. Il releva péniblement sa lourde silhouette et fronça d'épais sourcils broussailleux en tournant la tête vers l'ombre qu'était devenu son compagnon dans la brume bleuâtre qui noyait le paysage.

« Ouais !

-Faut rentrer, le vent commence vraiment à souffler fort ! »

Son visage carré se renfrogna, creusant les rides de sa peau tannée, et il soupira bruyamment en scrutant une dernière fois les ténèbres bleues et blanches qui l'entouraient. Il ne voyait plus rien à un mètre devant et même s'il mourait d'envie de continuer ses recherches, un peu de bon sens et une bourrasque plus violente que les autres achevèrent de le convaincre.

Il tira sur l'écharpe qu'il portait sous sa cape pour dégager sa gorge et ses lèvres et haleta avant de crier :

« On rentre ! »

Il entendit vaguement la réponse de l'autre homme et fit volte-face, ses pieds s'enfonçant dans la neige au moindre de ses gestes alors qu'il luttait contre la tempête. Les bords de la capuche qu'il avait rabattue sur son visage claquaient près de ses joues et de ses oreilles sous l'assaut du vent et les flocons qui s'agitaient violemment sous ses yeux le faisaient battre des paupières rapidement, l'aveuglant à moitié.

Ses pas lourds et difficiles s'enfoncèrent une fois puis deux dans le sol blanc mais alors qu'il s'apprêtait à continuer, un éclat fugace attira son attention. Un bleu différent de tout celui qui régnait autour d'eux, plus clair. Cela n'avait duré qu'une seconde, aussi bref qu'un éclair, mais il l'avait aperçu, cet éclat isolé, il en était certain.

Il plissa les yeux, leva son avant-bras devant son visage, allongea la nuque mais rien n'y fit, il ne voyait plus rien. Il hésita, tourna la tête vers l'endroit où l'autre homme devait continuer à avancer puis inspira et quitta la direction du Sanctuaire.

Peut-être était-ce cela qu'ils cherchaient depuis des jours. Cette présence confuse qui ébranlait tout le lieu saint d'une angoisse sourde, cette menace invisible qui rôdait autour des murs, tapis dans l'ombre de l'hiver.

Il creusa les épaules et se ramassa sur lui-même, tel le Lion qu'il était, et avança à pas lents.

Une ombre se dessinait, plus haute et maigre que lui, trouble, noire. Pourtant ce n'était pas elle qu'il cherchait à piéger, il en était certain. C'était un vieil arbre mort qui s'était déjà dressé sur son chemin une heure plus tôt, lorsqu'ils avaient commencé leur ronde.

Ce qu'il cherchait se trouvait juste au pied de cet arbre.

Il n'était maintenant plus qu'à quelques mètres de cette présence, deux tout au plus. Il banda ses muscles, contracta son corps comme un ressort et il ne lui fallut qu'un seul élan pour déchirer l'épais rideau de brouillard, le bras levé haut dans les airs, prêt à s'abattre impitoyablement sur l'intrus.

Ce qu'il vit alors lui fit écarquiller les yeux.

Deux jeunes filles. Il ne s'agissait que de deux fillettes abandonnées dans le froid, épaules et jambes nues, repliées contre leurs poitrines juvéniles. L'une semblait même avoir déjà perdu connaissance, grelottant violemment sur les cuisses blanches de sa compagne qui la serrait d'un bras fragile mais protecteur tout contre elle. Leurs longs cheveux bleus tourbillonnaient autour d'elles et ondoyaient sur leurs joues, gonflés par le vent.

Le chevalier voulut ciller, mais n'y parvint pas, subjugué par les grands yeux glaciaux de celle qui le regardait. Immenses et bleus. Ils le fixaient avec une peur farouche, comme un dernier regard digne devant l'adversaire qui allait mettre fin à leurs vies.

Aliéné, il se vit pencher la main vers elle…

« Seth ! »


Un soupir de plus alourdit encore l'atmosphère plombée des appartements du Lion.

« Mais bon sang, qu'est-ce que ces gamines fichaient là-bas ? » L'incrédulité se mêlait à la frustration de n'avoir toujours aucune réponse.

-Que veux-tu que j'en sache, Basil ? »

Le regard glauque du maître des lieux se posa une énième fois sur le bois nervuré d'une porte et il soupira à son tour en passant une large main calleuse dans les cheveux blonds qu'il portait très courts. L'ambiance de ces derniers jours était déjà infernale mais depuis leur retour la veille au soir, elle était devenue tout bonnement insupportable. Personne n'était épargné, pas même les Chevaliers d'Or comme en témoignait le pied qui tapait nerveusement sur le plancher depuis trente bonnes secondes.

Tout égal fut-il, un simple regard à son irritant collègue suffit à figer la semelle qui s'apprêtait à claquer contre le sol une nouvelle fois. Seth attendit de voir le visage tanné, assombri par une lourde frange brune, se renfrogner et les bras se croiser sur une large poitrine pour détourner les yeux et se replonger dans une attente silencieuse qui se faisait de plus en plus pénible au fil des minutes.

Le vent se jetait avec fureur contre les fenêtres et le tic tac de l'horloge devenait insoutenable, lui aussi. Comme la fébrilité qu'il s'efforçait d'ignorer mais qui renflouait encore et toujours le flot ininterrompu de questionnements sous son crâne.

« Bon, qu'est-ce qu'il fabrique ? » Grogna encore le deuxième occupant de la pièce en consultant sa montre. « Ca fait des lustres qu'on l'attend…

-Ronchonner ne le fera pas arriver plus vite. »

Dans son dos, Seth entendit son collègue faire claquer sa langue contre son palais, un grognement bourru, puis le silence. Le Chevalier du Capricorne était un homme buté et impatient et Seth se demandait encore comment il arrivait à le supporter après toutes ces années. Lui-même n'avait pas été doté d'une patience remarquable, après tout.

« Tu veux du café ?

-Non merci. »

Il sentit plus qu'il ne vit son collègue hausser les épaules en se dirigeant vers la vieille cafetière italienne qui fumait doucement sur le plan de travail. Les coudes posés sur la table et les mains croisées devant sa bouche, Seth continuait de réfléchir.

C'était à peine croyable que dans leur tenue et leur état, les deux jeunes rescapées aient réussi à survivre. Depuis combien de temps étaient-elles ici ? Et surtout, comment étaient-elles arrivées ici ? L'accès à l'île était tout simplement impossible pour qui ne faisait pas partie du Sanctuaire, il était impensable qu'elles soient arrivées seules et par leurs propres moyens. Quelqu'un devait les avoir conduites ici, mais qui ?

Elles ne se trouvaient dans aucun registre, leurs visages n'étaient familiers à aucun des Chevaliers d'Or présents au Sanctuaire, ni même au Grand Pope et il n'avait pas pu les questionner. Pas encore. Celle qui semblait la plus âgée des deux, et qu'il avait trouvée consciente, s'était évanouie dans ses bras après s'être débattue. Il se rappelait encore du coup qu'elle avait donné à son bras lorsqu'il avait tenté d'approcher l'autre petite et des ongles qui s'étaient fichés dans son poignet quand il l'avait soulevée du sol. Basil s'était occupé de récupérer la deuxième enfant.

Il était d'ailleurs persuadé que cette dernière était grecque. En revanche, l'autre devait très certainement venir du nord de l'Europe.

Elles devaient avoir à peu près le même âge que son fils cadet. Du moins en ce qui concernait la plus jeune. Il donnait au maximum deux années de plus à l'aînée, soit deux ans de moins que le plus âgé de ses fils.

La porte qui s'ouvrit violemment à cet instant précis cassa le fil de ses pensées et il se releva en fronçant sévèrement les sourcils pour voir la petite silhouette qui venait de débouler s'écraser lamentablement par terre dans un vacarme terrible. Il reconnut immédiatement la crinière de boucles blondes qui cachaient la frimousse étourdie de son propriétaire, ce qui ne manqua pas d'accentuer l'austérité de ses traits tandis qu'il s'approchait à pas lourds et menaçants du trouble-fête.

Aiolia se redressait à peine sur ses genoux écorchés lorsque la main large et puissante de son père se referma sur l'arrière de son col pour le soulever du sol comme s'il n'avait été fait que de plumes. Il se recroquevilla instinctivement sur lui-même et son visage convulsa en une petite mine penaude lorsque le regard sombre et sentencieux de son géniteur se posa sur lui.

« Peux-tu m'expliquer ce que tu viens faire ici ? » Gronda la voix menaçante de Seth.

Le petit Lion murmura qu'il était désolé plusieurs fois de suite et bredouilla une misérable excuse en sentant la prise de son père se resserrer sur sa tunique.

« J'ai trébuché et je… je…

-Je n'entends rien ! » Cette fois-ci, la voix tonna sourdement à ses oreilles et il se mit à trembler de plus belle, dans l'attente d'une correction bien sentie et sûrement méritée qui ne tarderait plus à tomber.

-J'ai trébuché ! » Ses propres mots se tordirent et se brisèrent dans un coassement discordant sous le coup de la peur.

Pourtant, le coup tant redouté ne vint jamais et c'est avec prudence qu'il releva ses grands yeux bleus vers ceux de son père. Il le vit soupirer et, surpris par cette magnanimité inhabituelle, il fut pris de court quand celui-ci le relâcha. Il s'écroula sur le sol pour la deuxième fois sous le regard mi-compatissant, mi-amusé de Basil. Le Chevalier du Capricorne avait trouvé sa place contre le plan de travail et tenait toujours sa tasse de café d'une main, l'autre bras croisé en travers de sa poitrine. L'arrivée inopinée du garçonnet avait au moins eu le mérite de calmer sa nervosité.

Son attention se détacha pourtant du lionceau qui frottait vigoureusement ses reins endoloris quand Seth passa près de lui. Il le suivit des yeux, intrigué, jusqu'à la porte en bois qui les séparait de la chambre.

« Aiolia, viens ici. »

L'interpellé se releva péniblement et s'approcha de son géniteur d'un pas mal assuré.

« Oui, père ? » Toute sa confusion s'évapora comme neige au soleil quand la large main matte du chevalier du Lion poussa le battant, dévoilant une pénombre mystérieuse qui intrigua aussitôt le jeune garçon. Curieux comme un vieux chat, il s'approcha en fixant un point trouble dans les ténèbres. Il plissa ses grandes paupières pour mieux percer ce voile opaque et cligna brusquement en distinguant enfin les deux silhouettes qui reposaient dans les lits. Lits qui, en temps normal, leur appartenaient, à son père et lui.

« Que… » Il se tourna vers son père, perdu. « Qui est-ce ? »

Pour toute réponse, Seth se saisit de la lanterne qui reposait sur la table et avança dans la petite pièce. Aiolia tendit le cou pour tenter de discerner le visage blanc qui dormait dans son duvet sans oser ni même penser à suivre son père sans son autorisation explicite.

L'autorisation se traduisit par un geste de la main. Il se sentit déglutir et s'approcha enfin de Seth sans parvenir à décoller ses yeux des deux visages juvéniles qu'il distinguait maintenant clairement. Il resta à les contempler de longues secondes, détaillant des traits féminins étranges qu'il avait rarement eut l'occasion de voir auparavant.

« Ce sont des filles… »

Cette constatation émerveillée fit pouffer Basil qui le camoufla sous un toussotement distingué. Seth lui-même ne put s'empêcher de sourire.

« Approche. » Chuchota-t-il.

A pas de velours, le lionceau suivit le chemin de son père, obnubilé par ces deux vénustés inconscientes et qu'il avait tout le loisir de détailler. Elles étaient splendides, peut-être même la plus belle chose qu'il eut jamais vu dans sa courte vie d'apprenti.

Seth ne disait rien, laissant son fils s'absorber dans la contemplation des deux enfants. Ses yeux pétillaient, irisés par les rayons blancs de la lune et la flamme vacillante de la lanterne et c'était là un spectacle auquel il n'assistait pas souvent.

Au bout de quelques secondes, il dut pourtant se résoudre à briser l'instant.

« Les as-tu déjà vues dans le Sanctuaire ? »

Aiolia cilla plusieurs fois et rapidement, comme s'il émergeait tout juste d'un rêve, et secoua la tête de droite à gauche. Il se sentait à la fois groggy et excité.

« A Rodorio, peut-être. »

Cette fois, c'était le Chevalier du Capricorne qui venait de prendre la parole, arrêté sur le pas de la porte. A nouveau, le futur Lion secoua la tête.

« Jamais tu ne les as vues auparavant, tu es sûr ?

-Oui. » Répondit-il d'une toute petite voix.

-Et tu n'as rien entendu à propos d'elles nulle part ?

-Non. Jamais. »

Un rictus contrarié au coin des lèvres, Seth arrêta son regard sur les deux fillettes avant de prendre le chemin de la porte, talonné par Aiolia qui lança un dernier coup d'œil aux deux étrangères par-dessus son épaule.

La porte se referma sur la pénombre de la chambre, tandis que dans l'autre pièce, Basil et Seth reprenaient leurs places respectives. Nerveux, Aiolia se balançait d'un pied sur l'autre, les mains sagement jointes devant ses cuisses. Mille questions menaçaient de lui échapper mais il n'osa en poser qu'une.

« Je… » Il déglutit quand le regard de son père se posa sur lui et renifla, les yeux baissés. « Où vais-je dormir, ce soir ?

-Eh bien, j'aimerais que tu retournes dans les dortoirs des apprentis mais comme je sais que tu ne sais pas tenir ta langue, » Asséna le Chevalier sur un ton de reproche qui fit rougir les joues replètes de son fils. « …je penses que tu passeras la nuit avec Basil, s'il est d'accord. »

Aiolia, surpris, releva la tête vers le Chevalier du Capricorne qui s'esclaffa.

« Il n'y a aucun problème seulement il va falloir que tu supportes Shura. Il est rentré hier soir et il me semblait encore plus rigide que d'habitude. »

Le futur Chevalier du Lion frémit en papillonnant bêtement des yeux. L'aspirant au titre de Chevalier du Capricorne était déjà connu pour sa rigueur et son intransigeance et Aiolia, en bonne petite tête brûlée qu'il était, ne supportait qu'à moitié les remontrances incessantes de ce garçon à peine plus âgé que lui qui se prenait déjà pour un adulte.

Sans pouvoir s'en empêcher, il fronça ses sourcils broussailleux et prit une moue boudeuse qui redoubla l'hilarité du Capricorne tandis qu'à ses côtés, Seth soupirait de lassitude en se massant le front.

Ah ça… Quand quelqu'un entrait dans le collimateur de cette petite teigne, il était tout bonnement impossible de la raisonner. Même la foudre paternelle était restée inefficace face à la rancœur tenace du lionceau susceptible.

D'un pas traînant, le garçonnet consentit à suivre le Chevalier du Capricorne qui quitta la pièce dans un dernier signe de la main, sans même se retourner.

Laissé seul, Seth tourna son poignet vers le plafond, là où se trouvaient les cinq demi-lunes qu'avaient laissé les ongles de la fillette, et il revit à travers cette peau mutilée ses yeux immenses et sans fond.


1990 - Temple du Lion, 8 h…

Les éclats de voix se rapprochaient de lui et les rires aussi. L'écho presque mélodieux résonnait dans tout le temple et lézardait le marbre des colonnes, redonnant vie à la grande bâtisse morose.

Accoudé à la table, Seth leva les yeux du journal qu'il feuilletait distraitement et arqua un sourcil lorsqu'une jeune adolescente aux pieds nus apparut dans l'encadrement, aux prises avec une main pâle qui s'était saisi de son poignet. Une deuxième jouvencelle pénétra dans la petite pièce à son tour, l'air inquiet. Entraînée par l'élan de sa consœur dont elle tentait péniblement de tempérer les ardeurs, elle courait maladroitement à sa suite et la tançait d'une voix aigüe et autoritaire.

« Lâche-moi ! »

D'un geste sec, la plus jeune se dégagea de la prise de l'autre mais incapable de se réfréner, elle vacilla en arrière jusqu'à ce que son talon ne rencontre violemment le pied de la table. Elle se sentit basculer et ferma les yeux de toutes ses forces en sentant le sol se rapprocher à toute allure. Prête à accuser le coup, elle se crispa toute entière et fit le dos rond, mais l'impact ne vint jamais.

Quand elle rouvrit ses grandes paupières avec hésitation, ce fut pour rencontrer le regard vert et sombre de son sauveur.

« Je… » Bredouilla-t-elle mollement en cillant, hébétée.

Le bras qui l'avait maintenue à un mètre du sol la releva sans effort et la força à faire face à la haute silhouette impérieuse du Chevalier du Lion. Dans un bel ensemble, les deux pucelles baissèrent la tête, les joues rosies par la honte. Un silence tendu s'abattit sur les lieux avant que la voix profonde et rauque du Chevalier d'Or ne s'élève.

« Milo, Aphrodite. » Les deux jeunes filles tressaillirent comme un seul homme. « Pourrais-je savoir pourquoi vous ne vous trouvez pas avec vos maîtres respectifs ? »

La cadette creusa les épaules, signe indubitable de sa culpabilité. Néanmoins, Seth n'avait plus besoin depuis longtemps de ces gestes inconscients pour savoir à qui revenait la faute. Sous ses airs angéliques, Milo pouvait devenir une véritable calamité. Une des pires de tout le Sanctuaire.

Il secoua la tête, dépité et croisa le regard implorant d'Aphrodite. Il fronça les sourcils mais accéda toutefois à sa requête silencieuse.

« Dépêchez-vous d'aller les retrouver. »

Il retourna s'asseoir sous les yeux surpris de Milo qui avait fini par relever son petit nez grec. Elle s'apprêtait à parler mais son aînée la devança.

« Merci. »

Puis elle attrapa la main de sa camarade et la tira à sa suite. Seth regarda avec une rare tendresse les vénustés drapées de longs linges blancs disparaitre derrière la porte, emportant avec elles l'ondoiement de leurs longues boucles bleues. Avec un soupir, il se renversa contre le dossier de sa chaise, incapable de reprendre la lecture de son journal.

Treize et seize ans aujourd'hui. Il avait du mal à croire que huit années le séparaient de leur première rencontre. Elle lui semblait encore tellement fraiche. Pourtant il fallait en convenir. Milo et Aphrodite avaient grandi.

Un sourire aux lèvres, il se remémora les premiers jours qui avaient suivi leur arrivée. Personne ne les connaissait au Sanctuaire, ni même ailleurs. Elles-mêmes ne semblaient pas connaître leurs noms et leur mutisme buté avait d'abord laissé à penser qu'elles ne parlaient peut-être pas la langue.

Un nombre incalculable de chevaliers de toute sorte s'était donc relayé auprès d'elles pour tenter de voir si elles réagissaient mieux face une langue étrangère mais il s'était avéré tout simplement impossible de leur soutirer le moindre petit mot.

Leur silence s'était étiré sur deux longs jours, jusqu'à ce que l'une des deux, la plus âgée, vienne trouver Seth dans cette-même cuisine, un après-midi. Mal à l'aise, elle avait pincé ses lèvres avant de lui présenter de timides excuses dans un grec parfaitement maitrisé.

Contre toute attente, c'était donc elle qui s'était… « adaptée » le plus rapidement. Elle qui s'était pourtant débattue avec tant de hargne dans les bras du Lion lors de leur première rencontre.

L'autre, en revanche, s'était montrée beaucoup plus sauvage. Insoumise et séditieuse, elle s'était non seulement bornée à faire la sourde oreille auprès de tous en feulant comme un chat dès qu'on tentait de l'approcher, mais elle s'était aussi battu avec son fils dès leur première rencontre. Le pauvre petit Aiolia, intimidé par les deux fillettes, avait fait preuve d'une courtoisie maladroite qui, si elle avait tout de suite charmé l'aînée, avait beaucoup offensé la cadette qui s'était jetée sur lui sans ménagement.

Elle n'avait pas supporté d'être traitée autrement qu'en égal par son nouveau « camarade ». Il ne savait pas qui diable avait pu enorgueillir cette enfant à ce point mais cette tendance à vouloir surpasser tout le monde s'était affirmée avec les années, tout particulièrement durant les semaines qui avaient suivi concernant son fils.

Il avait mis plus d'un mois à découvrir que Milo se faisait passer pour un petit garçon auprès de ses petits camarades et tuteurs. Elle n'avait pas hésité une seconde à menacer Aiolia pour s'assurer qu'il garderait son secret. Ainsi, Mila était devenu Milo sans même qu'il s'en aperçoive.

Une vraie terreur. Tout le contraire de sa « sœur » Aphrodite.

Aphrodite. La douce et délicate Aphrodite.

Dès le début, elle s'était faite discrète et obéissante, parfois même un peu trop. Seth avait rapidement compris par tous les coups d'œil nerveux qu'elle adressait à Milo, qu'elle tentait par ce moyen de faire oublier un peu sa turbulente camarade. Combien de fois était-elle venue s'excuser à sa place ? Il n'imaginait même pas les bêtises que la pauvre petite avait dû s'échiner à couvrir.

Pourtant, malgré le temps et la patience qu'elle accordait à Milo, elle s'était aussi avérée être une élève calme et attentive. Toujours à l'écoute des conseils de son maître, l'avenir au sein des Chevaliers d'Or était déjà tout tracé pour le petit prodige qu'elle était. Elle maîtrisait depuis près d'un an les techniques des Poissons, sans compter le septième sens auquel elle s'était éveillée très tôt.

Milo aussi se débrouillait bien. En réalité, elle se débrouillait même mieux mais son acharnement au travail était évident quand la petite Aphrodite brillait déjà par un don naturel pour le combat.

Dire qu'elle répugnait tellement à se battre…

Cette gamine était une vraie sainte, comme le disait si bien Basil.

Une ombre troubla son regard quand le sourire de son ami et collègue traversa son esprit. Le visage du Chevalier se rembrunit et d'un geste lourd, il récupéra sa tasse.

D'autres souvenirs vinrent s'installer derrière ses paupières closes et le hantèrent pour le reste de la journée, balayant les sourires innocents et les rires des enfants.


Arènes du Sanctuaire, 12 h…

« Attention à ta garde ! »

Le garçon retira sa jambe par réflexe lorsque la lame de son mentor fendit l'air et s'abattit sans ménagement sur le sol poussiéreux de l'arène. Haletant, il plissa les yeux derrière de lourdes mèches noires et poisseuses, agressé par les particules de terre qui flottaient dans l'air et la chaleur brûlante du soleil à son zénith. Il comprit à quel point son front était brûlant lorsqu'il passa son avant-bras nu dessus mais loin de se laisser abattre, il se ramassa sur lui-même et se propulsa vers son adversaire, frappant d'estoc et de taille à l'aide de sa vieille épée émoussée.

Les combats à l'épée étaient rares et à son âge, il était le seul à se servir d'une arme. Pour cause, sa maîtrise d'Excalibur était fragile et encore trop hasardeuse pour qu'il puisse s'en servir au milieu des autres apprentis.

Shura plia les genoux pour esquiver un nouveau coup et profita de sa hauteur pour plaquer une main au sol et faucher les jambes de son adversaire. Il vit son maître basculer en arrière et se réceptionner au dernier moment sur sa main droite sur laquelle il prit appui pour projeter à son tour ses pieds dans sa direction. Le garçon n'eut pas le temps de réagir et se retrouva repoussé quelques mètres plus loin. Il se redressa péniblement en essuyant sa joue douloureuse et chancela une brève seconde avant de réussir à se camper solidement sur ses deux jambes. Son maître l'observait en silence mais malgré son visage figé, le jeune aspirant au titre de Chevalier d'Or eut l'agréable surprise de voir une lueur de fierté briller au fond de ses yeux glaciaux.

« L'entraînement est terminé pour le moment. »

Shura déglutit en hochant la tête, soulagé par la perspective de prendre un peu de repos. Un gargouillement bruyant le fit rougir et il se dépêcha de ranger le matériel qu'il venait d'utiliser pour rejoindre au trot la silhouette de son maître qui disparaissait déjà à l'horizon.

.

Assis seul contre une des colonnes du temple du Capricorne, Shura laissait sa jambe se balancer nonchalamment dans le vide, grignotant sans appétit le pain de gruau qui reposait sur ses jambes, sur un linge propre et déplié. Toute sa faim s'était évaporée au moment même où le temple s'était profilé à l'horizon. D'ici deux jours, il devrait se rendre au cimetière et rendre hommage à celui qui l'avait choisi comme successeur.

Les épaules du garçon s'affaissèrent.

Une solitude amère lui glaçait les entrailles depuis la disparition de ce premier maître, trois ans auparavant. Le souvenir douloureux de cette main amie qui se lève pour achever Basil hantait encore ses nuits et se retrouver devant le coupable le terrifiait toujours autant. Il le fuyait comme la peste et, pour oublier, s'abimait la santé dans des entraînements interminables.

Pourtant, depuis qu'Edgard de l'Horloge avait repris le flambeau, sa vie retrouvait peu à peu un rythme convenable et sain. L'autorité froide du Chevalier d'Argent l'apaisait et le rassurait. Pourtant, l'Anglais avait dû s'armer de patience pour raisonner le pauvre garçon qui ne comprenait pas ce qu'il faisait de mal. L'exercice fatiguait l'esprit du petit Espagnol et l'empêchait de s'appesantir sur la mort de son maître, mais il fatiguait aussi son corps et la récurrence de ses entraînements avaient depuis longtemps dépassé les limites, même pour un futur Chevalier d'Or.

Les pensées du jeune garçon s'étiolèrent ici, balayées par le vent salin de l'île. Avec des gestes lourds, il se releva et fit demi-tour, laissant derrière lui son pain de gruau, posé sur une marche au milieu d'un linge propre et déplié.


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