« Lewd »
Salut,
Je prends des libertés temporelles, parfois lexicales, souvent pas très utiles. Ne soyez pas surpris.e.s
Pour le reste je colle au canon sur ce chapitre, chose que je n'ai pour ainsi dire jamais testée, alors je compte sur vous, très estimé.e.s membres du fandom, pour me dire si c'est lourd.
Bonne lecture.
Disclaimer : Les personnages appartiennent à Conan Doyle, la série à la BBC.
- « Le nom est Sherlock Holmes, l'adresse 221b Baker Street. »
Et sur cette signature il est sorti dans un virevoltement(1) de manteau. Je suis quelqu'un de tristement prosaïque, quiconque a déjà échangé quatre mots avec moi sait que c'est la plus pure vérité. Trait de caractère ou nécessité, les différentes introspections, privilèges de mon âge, ne me l'ont jamais révélé. John Watson, prosaïque, bientôt mûr pour sa crise de la quarantaine – ou de la cinquantaine si je me mets à la camomille – envisage tout à fait sérieusement d'emménager avec un inconnu d'une grossièreté peu commune. Grossièreté n'est pas le terme adéquat pour décrire l'interaction que nous venons d'avoir, si tant est que je puisse m'inclure réellement dans cette interaction, impolitesse ? Non, ça ne convient pas. Gênant ? Un peu, mais ce n'en est pas le cœur. Effrayant ? Ah non plus, ça ne colle pas, rien ne colle. En un claquement de doigt, et je jure que c'est le bruit que mes pensées ont fait en attrapant le mot au vol, je revois son manteau, comme la traîne d'une étoile filante : Irrévérence. Le voilà mon adjectif, le voilà mon inconnu d'une irrévérence peu commune, et voilà que je me répète.
J'ai fait répéter à Mike le nom, Holmes, prénom Sherlock, peu commun. Je me rends compte que s'il s'était appelé Joe ou Charly j'aurais pu être déçu. Et après une recherche Internet la soir venu, l'inconnu n'en est plus complètement un, ce qui ne me rend pas moins seul, et lui pas moins intriguant.
Je suis trop fauché pour un taxi, je prends le métro. La soirée, puis la journée s'est éteinte en quelques minutes, soufflée par l'appréhension de cette visite, que j'essaye d'imaginer tout en évitant le très encombrant bagage de la femme assise à côté de moi. En équilibre instable sur ses genoux son sac cogne mes côtes à chaque tressaillements du wagon(2). Qu'est-ce qu'elle peut bien avoir d'aussi anguleux là-dedans ? Elle intercepte mon regard, pour m'en retourner un glacial, ses petites lèvres très pincées. J'adore le métro Londonien.
Il faut marcher depuis la bouche de métro à l'adresse indiquée. Baker Street. Un quartier que je ne peux pas m'offrir, et dans lequel je n'ai aucun souvenir, heureux ou malheureux. Jamais mis les pieds dans le coin. Remarque, je ne peux pas m'offrir grand-chose en ce moment.
L'adresse, elle est enfouie dans ma poche, c'est Mike qui me l'a griffonnée sur un vieux ticket de caisse. C'est un chic type, j'en croise assez peu des comme lui, et en général ils ont des yeux fatigués. Je pense que les miens doivent avoir cette teinte, un peu cendreuse, une sorte de pellicule grisâtre qui recouvre tout ce que je vois. Je crois que c'est pour cette raison précise que je suis au pied du 221B Baker Street et que je lève la tête pour regarder. Immeuble à plusieurs étages. Vis-à-vis. M'est égal.
Le clin d'œil qu'il m'a adressé à la fin de sa tirade, en claquant la langue, était proprement insupportable. Comme s'il avait gagné je ne sais et que j'étais trop lent pour comprendre de quelle victoire il était question. Non je mens, ça ne m'a pas énervé. Je devrais me sentir offensé, mais je n'y arrive pas et pourtant je suis soupe au lait. J'ai l'impression que je me suis amusé.
J'ai à peine le temps de finir ma pensée et de frapper à la porte qu'un taxi se gare sur la chaussée et qu'en descend Holmes.
- « Bonjour. » Il me paraissait plus grand tout à l'heure.
- « Monsieur Holmes. »
- « Oh appelez-moi Sherlock. ».
Il me tend sa main gantée, je la serre. Sa pâleur que je mettais sur le compte des lumières du laboratoire, qui ne siéent à personne, est en réalité une de ses caractéristiques qu'aggravent ses boucles très brunes et son visage émacié. Le regarder me rappelle le sac qui heurtait mes côtes dans le métro. J'ai lancé une phrase bateau, c'est ce que je fais, je fais la causette. Il y répond, mais je préfère ne pas prendre sa réponse pour argent comptant, s'assurer que quelqu'un soit exécuté histoire de rendre service c'est un peu trop humour anglais pour être réaliste. Ce qui reste le plus douloureux dans ce visage, ce sont ses yeux. Si les miens sont plein de cendre, les siens sont des couteaux aiguisés. Pas des couteaux, des aiguilles plutôt. Une multitude de petites aiguilles, un faisceau d'aiguilles qui balaient les alentours et les personnes.
La logeuse nous ouvre, elle ressemble à toutes les logeuses de la planète, sauf qu'elle étreint Sherlock. Il n'a pas vraiment un physique à câlin, je réprime un sourire. Nous entrons, je suis précédé de Sherlock. Les escaliers me retardent, ce que je peux détester cette infirmité, et les escaliers, ça va de pair. L'appartement est spacieux, mais c'est un véritable capharnaüm. La logeuse doit probablement y stocker ses vieilleries et ses… expériences chimiques ?
« - ça pourrait être très bien » commente-je.
« - Je le pense aussi » répond-il en me rejoignant dans l'encadrement de la cuisine.
« - Alors j'ai tout de suite emménagé. »
« - Une fois ces saletés enlevées. »
Oups, ce merdier est le sien. Je n'aurais pas deviné, vu son maintien et ses vêtements bien coupés. Il se met à déplacer plusieurs objets, les empilant à d'autres endroits, assurant qu'il pourrait bien y faire quelque chose.
La logeuse, Madame Hudson si j'ai bien retenu, m'indique qu'il y a une autre chambre à l'étage. Elle ajoute, et n'aurait pas dû le faire un « si c'est bien nécessaire » avec un clin d'œil appuyé. Grand Dieu qu'ont donc tous ces gens avec les clins d'œil ? Et bien sûr que nous avons besoin de deux chambres. Elle continue sur sa lancée :
« -Ne vous inquiétez pas, il y a toute sorte de gens par ici… Madame Turner, juste à côté, en a même qui sont mariés. »
Je cherche du soutien vers Sherlock, toujours en train de déplacer des trucs et des machins, comme si ça pouvait changer quoi que ce soit au désordre actuel. Il fait comme si de rien n'était, pas le moins du monde perturbé par le fait que notre logeuse pense que nous sommes en couple. Je suis presque sûr de voir un léger sourire étirer sa bouche, que la réprimande de Madame Hudson découvrant la cuisine fait disparaître.
Je m'assois sur le fauteuil le plus proche en grognant, alors que la logeuse s'est éclipsée. J'avoue à mon potentiel futur locataire… Qui est-ce que j'essaye de tromper, je vais emménager ici c'est déjà décidé. Donc, j'avoue à Sherlock qu'en cherchant son nom sur Internet j'ai trouvé son site web, et son curieux passe-temps : la science de la déduction. Face à ma mine sceptique, il m'assène :
« - Je lis sur votre visage et votre jambe votre carrière, et sur votre portable l'alcoolisme de votre frère. »
Je parviens à ravaler ma surprise. Comment peut-il être au courant de l'alcoolisme d'Harry à partir d'un téléphone ? Ça n'a aucun sens. Je demande, l'air plus troublé que je ne le voudrais :
« - Comment ? »
Il m'adresse un sourire lèvres pincées, puis s'avachit sur un fauteuil(3), son fauteuil probablement, et fait mine de ne pas me regarder. Le nez en l'air je contemple le crâne qui me toise depuis le haut de la cheminée, la tapisserie, les livres entassés, et Dieu qu'est-ce que c'est que ce machin ? Je préfère ne pas le savoir. Et lui, toujours assis, toujours silencieux. Avec une certaine appréhension, je demande :
« - Avez-vous déjà réfléchi les fois où, hum, nous aurions besoin d'une certaine intimité ? Lorsque nous ramènerons des amies ? »
Il a placé ses deux mains devant sa bouche, en prière muette. Ses yeux ne prient pas eux, ils sont braqués sur moi. Je repense à la phrase déplacée de Madame Hudson et j'ajoute, peut-être un peu trop précipitamment :
« - Ou des amis, ça ne me pose aucun problème. »
Je suis certain qu'il a haussé les sourcils quand j'ai dit « intimité ».
« - John, si je souhaite cacher quelque chose, je le mettrai exactement où quelqu'un n'y ferez pas attention. Sous son nez, ou au milieu de Picadilly Circus. »
« - Je vous demande pardon ? »
Je ne vois pas où il veut en venir, ni s'il se paie ma tronche. Je reste interdit quelques instants. Je me rends compte que je suis droit comme un piquet dans mon assise, curieux contraste avec ce grand corps négligemment posé sur le fauteuil.
« - Votre sollicitude me touche, vraiment. » A sa tête je peux assurer qu'il n'en pense pas un mot « Mais il n'y a rien de plus ennuyeux que l'intimité. »
Je retiens un toussotement avant de dire :
« - Si ça ne vous ennuie pas, mon intimité je l'aime bien et je ne suis pas prêt à lui dire au revoir. »
Mon regard glisse sur la collection d'objets hétéroclites qui se bousculent sur la table d'appoint à ma gauche. Il s'accroche soudain à une photo, posée sur le côté. Qu'est-ce que c'… Je retiens un cri étranglé. Sherlock. Nu. Sur ce même fauteuil où il est actuellement assis. Clairement en érection. Je tourne vivement la tête et me jette hors du fauteuil. Je piétine en désignant vaguement la photo de la main.
« - Oh Dieu, vous... ». Je ne peux pas le regarder, impossible, j'ai encore son corps, jambes écartées, incrusté dans les rétines. Les joues me brûlent. Quelques pas encore, la tapisserie est surprenamment intéressante.
« - Vous, euh, vous devriez réellement ranger. Je ne plaisante pas. »
Je lui indique de nouveau la photo d'un doigt agité, avec un coup d'œil dans sa direction. Je rêve où un sourire est en train de déformer son visage ? Nop, ne pas le regarder. Gênant. Du coup je vois bien mieux ce qu'il voulait dire concernant l'intimité.
Il se lève d'un bond, non plutôt c'est l'intégralité de son corps qui est propulsé hors du fauteuil. Il ajuste son col et se déplace vers la table. Je l'entends saisir ce que je pense être l'obscène cliché, hors de question que je jette un œil pour vérifier. Il est suffisamment proche, et tout est suffisamment silencieux, pour que j'entende sa respiration.
« - Toutes mes excuses, John. Étonnant qu'elle se retrouve là. » Je redresse la tête, sa voix ronronne.
« - Yep, enfin je veux dire, il y a toujours du chamboulement lors des déménagements. » Il vient de me dépasser et cherche depuis le centre de la pièce quelque chose des yeux. Plutôt soulagé de sa réaction, je me permets de le regarder. « Ce sont des choses qui arr... »
La fin du mot se bloque dans ma gorge car il vient de défaire un bouton de sa chemise, en me fixant intensément. Il étire ses deux grandes lèvres m'offrant un sourire humide, qui ne laisse place à aucune ambiguïté.
« - Oh Seigneur qu'est-ce que… »
Je n'ai pas le temps d'en dire plus, car il fond sur moi, les pans de son manteau l'encadrent comme des ailes. Je me recule précipitamment, mes jambes heurtent l'accoudoir du fauteuil sur lequel je m'affaisse sans aucune grâce. Cependant, au lieu de se jeter sur moi comme son attitude promettait de le faire, il se penche souplement au-dessus du fauteuil et tire de la pile de bouquins un dossier orange, fatigué, dans lequel il glisse prestement la photo tout en se redressant. Ses vêtements me frôlent, son odeur m'atteint de plein fouet. Je suis trop choqué pour réagir.
« - Vous êtes bien nerveux Dr. Watson. » Il jette le dossier dans un carton posé sur le bureau, d'un air mi goguenard mi satisfait. « Des relents de la guerre, sans doute. »
Lui coller mon poing dans la figure me démange atrocement maintenant.
- « Qu'en est-il de cette série de suicides, Sherlock ? » Interrompt Madame Hudson en tenant un journal. Je ne l'ai pas entendu arriver. Sherlock se dirige vers le bureau, non sans m'adresser un sourire gentiment moqueur. « Trois suicides, absolument identiques. »
- « Quatre. » la corrige-t-il en regardant par la fenêtre. « Il vient d'y en avoir un quatrième. »
Quelques instants plus tard des pas résonnent dans l'escalier, et passe la porte un homme en costume, que Sherlock interroge immédiatement.
« - Où ? »
« - A Brixton, Lauriston Gardens. »
L'échange est brusque, rapide, efficace, j'ai cependant du mal à tout saisir. Il se drape de son manteau, et prévient Madame Hudson qu'il rentrera tard. En un clin d'œil(4) il s'est éclipsé, me laissant en tête à tête avec la logeuse.
« -Vous vous êtes plutôt du genre à rester assis, ça se voit. » commente-t-elle une fois la porte claquée. Je réprime l'irrésistible envie de lui dire d'aller se faire foutre. C'est une gentille vieille dame, et elle n'est pas l'objet de mon agacement. Enfin, pas totalement.
« -Je vais préparer le thé, vous, reposez votre jambe » lâche-t-elle en s'éloignant.
Ma colère m'échappe :
« - Au diable ma jambe ! ».
Immédiatement honteux de ma conduite, je me justifie d'une voix que j'adoucis.
« - Je suis vraiment désolé. Par moments cette saleté de jambe me... »
Elle est compréhensive, mais toujours aussi vexante, ce qui n'améliore pas mon humeur je me montre d'une goujaterie extrême en lui commandant du thé et des biscuits. C'est cet affreux malentendu avec la photo, bon Dieu je ne comprends toujours pas comment j'ai pu penser une seule seconde qu'il allait m'agresser sexuellement, enfin je veux dire, il est bizarre et laisse traîner des photos coquines – ses photos coquines – dans l'appartement, mais de là à … Bref, un affreux malentendu disais-je. Ajouté à ça la jalousie que je sens poindre pour la vie trépidante qu'il semble mener m'ont mis les nerfs en pelote. J'espère que le journal qu'elle a laissé sur l'accoudoir m'offrira une distraction. Pour une distraction c'en est une, la tête du gars qui est venu demander l'aide de Sherlock est en première page du Times : Inspecteur Lestrade. Un inspecteur ?
Je sursaute en entendant la voix de Sherlock, qui me lance
« - Vous êtes médecin. Et même, médecin militaire. »
Je me lève en m'appuyant sur ma canne, la voix enrouée.
« - Oui. »
« - Et comme médecin vous êtes bon ? »
« - Très bon. »
Tout en s'avançant, il poursuit son interrogatoire :
« -Vous avez vu beaucoup de blessés, de morts violentes ? »
« - Oui. Oui. » Je cligne des yeux. Il me paraît immense maintenant, qu'est-ce qu'elle a la taille de ce type ?
« - Et traversé pas mal d'épreuves ? »
« - Bien entendu, oui. Assez pour remplir une vie, et même davantage. » Quelques pas nous séparent, sa voix se fait plus grave, ses yeux plus pressants.
« -Vous en voulez encore ? »
Je réponds dans un souffle :
« -Oh bon Dieu oui. »
A dimanche pour la suite.
BHBW.
(1)Licence poétique bitches.
(2)J'aime les trains.
(3)Je prends la liberté de faire comme si Madame Hudson était toujours absente de la pièce, occupée à, j'imagine, tenter de remettre un peu d'ordre dans la cuisine.
(4)Je rejoins John sur ce coup, trop de clin d'œil dans cet univers.
