STRIGOÏ
The most terrible poverty is loneliness and the feeling of being unloved. Mère Térésa
Farmville, état de Virginie, 5 août 2012
Malgré la chaleur étouffante de l'été et les ventilateurs plafonniers qui tournaient à plein régime dans la petite station service perdue sur la Route 82, Caroline enfila un pull blanc léger en soupirant. Les clients se faisaient rares alors que la nuit était tombée et à part M. Fiel, le vieux fermier du comté, qui était venu faire le plein de son tracteur, aucun client n'avait poussé la porte de l'établissement depuis une bonne heure. Elle regarda une nouvelle fois la pendule dont elle avait appris à oublier le tic tac agaçant et fut satisfaite de constater que Max ne tarderait pas arriver pour fermer boutique. Elle pourrait alors enfin rentrer chez elle, dans cette petite chambre en location que Max lui avait trouvée et elle aurait toute la nuit pour… broyer du noir. Elle sortit de la poche de son jean son téléphone portable et fut un instant tentée de l'allumer avant de se raviser et le ranger à nouveau dans sa poche. Elle ne pouvait pas prendre le risque de pouvoir être localisée. Quand elle leva la tête, elle étouffa un cri de surprise en apercevant un homme planté devant le comptoir, juste en face d'elle. Elle leva un sourcil devant le manque évident de goût vestimentaire de l'homme probablement âgé dans la cinquantaine : vêtu d'un manteau sombre et d'un chapeau dans les mêmes teintes, Caroline se demanda un instant si un bal costumé n'était pas organisé dans la petite bourgade.
« Je suis désolée, je ne vous ai pas entendu entrer, » déclara-t-elle enfin afin de rompre le silence. « Vous avez fait un plein ? »
L'homme ne répondit pas et le sourire de Caroline s'effaça alors que l'homme la mit soudainement mal à l'aise, son regard trahissant une surprise et un profond dégoût mélangés.
« Monsieur ? » tenta-t-elle à nouveau à mi-voix.
« Strigoï… » souffla l'homme avec un fort accent d'Europe de l'est, probablement roumain.
« Pardon ? » répondit Caroline, ne comprenant pas ce que l'homme était en train de lui dire alors que la peur la fit se lever de son tabouret.
« Tu ne devrais pas être là… », continua l'homme. « Va-t-en démon ! Brûle Strigoï ! » Caroline sursauta alors que l'homme haussa brusquement le ton et elle se précipita vers la porte arrière de la boutique, criant lorsqu'elle s'ouvrit devant elle, révélant Max surpris et interrogatif.
« Max, Max ! L'homme, cet homme, » bafouilla Caroline, se retournant tout en ne lâchant pas le bras de son ami.
« Quel homme ? » interrogea Max, suivant le regard de Caroline.
« Il était là ! » pointa Caroline, stupéfaite de voir que l'homme avait disparu. « Il y avait un homme super bizarre qui s'est mis à me crier dessus dans une langue étrangère ! »
Max inspecta la boutique et se dirigea vers la porte d'entrée. Il sortit un instant pour jeter un œil aux alentours et revint en haussant les épaules.
« Il n'y a personne, Caroline. »
« Je te jure qu'il y avait un homme ici et il m'a en quelque sorte menacée, » bafouilla Caroline, visiblement encore sous le choc. « Tu ne me crois pas… » lâcha-t-elle en baissant les bras de désespoir.
« Si, » sourit Max en passant une main dans ses cheveux, « mais il a visiblement filé. Si tu veux, je resterai avec toi demain soir, » ajouta-t-il avec un clin d'œil. « Tu sais, et tu as dû t'en apercevoir maintenant que tu es là depuis quelques semaines, il ne se passe pas grand-chose dans les environs, Caroline… »
« Ouais, j'ai vu. Dans le genre Radiator Springs, vous pouvez rivaliser, » se moqua-t-elle malicieusement et Max esquissa un sourire, se surprenant à apprécier une nouvelle facette de la personnalité de Caroline.
Agé de 17 ans, brun aux yeux noisette et de taille moyenne, Max était le fils du pompiste et gérait fréquemment la petite station à la place de son père. Doté d'un charme certain et surtout d'une gentillesse sans limite, Maximilien avait aidé Caroline à son arrivée dans la petite ville. Il n'avait pas posé de question sur les raisons de l'état de choc évident de la jeune fille. Jamais. Il s'était contenté d'écouter les brèves confessions de Caroline sur « une tragédie touchant son petit ami » et « une situation délicate pour sa mère. »
« On ferme et on y va, » déclara finalement Max, tendant une petite clé à Caroline pour qu'elle ferme la caisse. « Et on parlera demain matin au shérif de l'homme que tu as vu, ça ne coûte rien. »
« Merci », sourit Caroline avec un large sourire que lui rendit Max en acquiesçant.
Mystic Falls, état de Virginie, 7 août 2012
« Alors ? » demanda Damon quand Stefan le rejoignit dans la cuisine de la maison des Gilbert.
« Toujours pareil », soupira Stefan en jetant de rage la poche de sang humain sur la table. « Elle ne veut pas, elle ne veut rien et je ne sais plus quoi faire… Si elle ne se nourrit pas d'ici une dizaine de jours, il faudra qu'on la force à nouveau, » soupira Stefan.
« Je sais, » acquiesça Damon. « Tu veux que j'essaie ? »
« Je vais y aller, » décida Jeremy derrière eux en jetant le torchon à vaisselle dans l'évier.
« Non ! » répondirent d'une seule voix les frères Salvatore.
« Ca ne risque rien, laissez-moi essayer, » insista Jeremy avec un air presque suppliant.
« Non, » répéta fermement Stefan, « c'est trop dangereux. »
« Yep, » renchérit Damon. « Une jeune vampire à peine née et affamée peut avoir des réactions… inattendues. »
« Elena ne me ferait jamais de mal, je suis son frère, » tenta une nouvelle fois Jeremy alors qu'il savait pertinemment que la décision était irrévocable.
« Je suis désolé, pas ce soir, » se calma Stefan et Jeremy capitula, acquiesçant tristement avant de prendre une chaise pour s'y asseoir lourdement.
« Quand est-ce que tout ça va s'arrêter ? » demanda Jeremy plus à lui-même qu'aux deux vampires qui ne connaissaient de toute évidence pas la réponse.
« Ce n'est que le début si tu veux mon avis, » répondit Damon en se levant, « j'y vais… »
Et sur ces mots, il empoigna la poche de sang sur la table et se dirigea d'un pas décidé vers les escaliers menant au premier étage. Quand il entra dans la chambre d'Elena, il fit une moue désapprobatrice en sentant l'odeur de renfermé qui régnait dans la pièce. Un désordre indescriptible avait pris place dans la chambre habituellement soigneusement rangée. De lourds rideaux sombres obstruaient jour et nuit la fenêtre. Elena était enfouie sous son épaisse couette, dans la même position fœtale que la veille, que l'avant-veille, et que les jours précédents. Son état catatonique laissait ses amis désemparés alors qu'elle ne semblait pas vouloir se relever de sa transformation pourtant délibérément choisie mais manifestement pas assumée.
« C'est l'heure de te nourrir, Elena ! » s'exclama Damon en écartant la couverture, révélant une jeune vampire presque au bord de l'agonie. D'une pâleur qui contrastait avec l'habituel teint halé de la jeune femme, le visage d'Elena portait les stigmates d'un vampire affamé. Ses yeux cernés de noir avaient perdu leur éclat malicieux du temps de son humanité tandis que ses lèvres étaient craquelées jusqu'à en saigner. Damon grimaça à la vue de l'état préoccupant de la femme qu'il aimait et il se radoucit alors qu'il se laissa tomber sur le rebord du lit.
« Je ne veux pas te forcer, Elena, je ne veux plus faire ça… Je t'en prie, bois cette poche… Si tu ne le fais pas pour toi, pas pour moi et pas pour Stefan, fais-le au moins pour Jeremy… »
Entendre le prénom de son frère fit réagir Elena qui leva enfin son regard éteint et épuisé vers Damon et il lui adressa un triste sourire.
« Va-t-en… » souffla-t-elle d'une voix rauque et Damon hocha la tête en signe de dénégation.
« Hors de question. Tu as accepté ta nouvelle condition pour lui, » poursuivit Damon. « Il est dévasté, Elena, autant que si tu n'étais pas là. Tu n'as pas le droit de lui faire subir ça… »
Elle réussit à se relever légèrement au prix d'un effort considérable et mit une main tremblante sur sa gorge et sa poitrine avec un rictus de douleur.
« J'ai mal… »
« C'est normal, » expliqua Damon avec une douceur presque paternelle, « tu dois te souvenir de ton corps d'humain quand il avait faim, non ? C'était une sensation pas très agréable non plus. Là, les sensations sont décuplées, ton corps n'est plus le même et il a d'autres besoins mais ils sont aussi vitaux qu'avant. Tu dois te nourrir, Elena. »
Un soupir de renoncement mêlé d'acceptation s'échappa des lèvres de la jeune vampire.
« Aide-moi… » souffla-t-elle dans un ultime effort alors que sa voix se cassa sur le dernier mot prononcé.
« Toujours, » acquiesça Damon qui aida Elena à prendre une position semi-assise pour boire la poche de sang.
Quand elle eut fini, elle sentit sa vision se rétrécir en même temps que de petites veines noires maquillèrent le contour de ses yeux. Elle porta une main à sa bouche pour tenter d'empêcher ses canines de pointer mais échoua misérablement et elle fondit en larmes sur les genoux de Damon qui la berça pour l'apaiser tout en caressant ses cheveux.
