Disclamer : Les personnages de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada.
Rating : T
Genre : Angst, delirium
Pairing : Saga x Shion
Résumé : Un jour il lui succéderait. Il dirigerait ses pairs avec droiture et équité. S'il parvenait à étouffer ce monstre qui croupissait sous son crâne, et à dissimuler au Pope le désir que ce dernier avait enflammé chez lui.
Ecrire un Saga au bord de la rupture a été... très amusant XD J'écrirai peut-être un second chapitre mettant en scène Aphrodite car j'ai la scène en tête. Je le posterai si j'arrive à lui donner un tour qui me convient :)
Merci encore à ceux qui me lisent, me soutiennent, et m'encouragent. Merci tout spécialement à Alaiya, Flanellepilou et Saharu-chan pour les mots échangés, les remarques constructives et pour leur plume.
« Mars ? ça y est, je la vois. Ici.
— Oui, c'est bien elle. Elle n'est pas difficile à repérer à l'œil nu lorsque le ciel est dégagé. Comme tu peux le voir, elle renvoie une lueur légèrement pourpre.
— Et donc ce mois-ci, elle étend son influence sur la constellation de la Balance ?
— Non, de la Vierge. L'axe des planètes s'est modifié depuis l'antiquité. Leur zone d'influence s'est décalée. Mais tout ceci n'est pas le plus important. L'essentiel est de savoir décrypter les signes cachés que les dieux ont semés dans les étoiles, à l'intention des mortels.
— Le destin…
— Oui. Je t'apprendrai Saga. Et un jour tu seras celui qui déchiffrera la volonté des dieux »
Le Pope se tenait à ses côtés, son visage de métal dressé vers les cieux noirs et infinis qui les entouraient. Si près qu'il n'aurait qu'à tendre la main pour effleurer son vêtement du bout des doigts.
Il n'osait tourner la tête vers lui et se contentait d'entrevoir ses gestes du coin de l'œil. Il pouvait deviner le mouvement des lourdes manches qui dansaient non loin de son visage tandis que le vieil homme pointait du doigt les constellations qui régissaient leur vie.
Les astres déversaient sur Star Hill leur lumière blafarde, amplifiant l'ambiance presque irréelle qui auréolait cet endroit sacré.
La voix du Pope était profonde. Et ses gestes amples mais mesurés. Saga se laissa bercer un instant par l'aura si particulière de l'ancien chevalier, par cette force tranquille qui le troublait si profondément, tout en suivant des yeux la direction qu'il lui indiquait sur la voûte constellée.
Les étoiles auraient-elles pu prévoir la passion honteuse qui le dévorait aujourd'hui ? Avaient-elles entrevu l'étincelle qui s'était insidieusement allumée dans sa poitrine des années plus tôt ? Cette flamme qui s'était peu à peu étendue en un brasier inextinguible et dont la brûlure le consumait un peu plus à chaque jour? Les étoiles voyaient-elles son cœur rompu, son corps épuisé à trop vouloir étreindre le vide, et les stigmates de la honte sur son front lourd ? Savaient-elles les baisers que ses lèvres imaginaient dans la fièvre du soir, jusqu'à se persuader qu'ils étaient enfin réels, alors que son désir le rongeait tant et tant qu'il sentait son corps se briser et sa raison le fuir ?
Mais plus important encore, Shion savait-il son coupable secret, lui qui avait accès aux mystères des cieux ? Connaissait-il ses pensées les plus inavouables à son endroit ? Celles qu'il s'efforçait de dissimuler avec tant de soin en sa présence qu'il finissait par avoir l'impression de se mentir aussi à lui-même ?
Sombre imbécile, sais-tu bien ce que tu désires ? Sais-tu seulement ce qui se cache derrière le masque et ce qui se dissimule sous les larges robes ? Tu n'en as aucune idée. Tu ne désires que le vide. Tu souhaites étreindre un fantôme.
C'est dans ces moments de confusion que la voix se manifestait généralement. Saga feignait de l'ignorer superbement mais souvent elle ne faisait que le troubler davantage et rajouter au tumulte qui agitait son esprit.
Il avait pourtant réussi à s'en défaire autrefois, lorsqu'il avait cru trouver un sens à son existence, ici, au sein du Domaine sacré. Lorsqu'il avait compris qu'il avait une place et un rôle à jouer dans ce vaste monde, entouré de frères d'armes qui non seulement l'avaient accepté mais qui louaient sa droiture et son talent. Il avait cru alors, qu'éclaboussé par la lumière divine et par l'admiration de ses pairs, il pourrait enfin embrasser l'absolu. Il ne serait plus jamais inutile. Plus jamais seul. Et plus jamais rejeté. Et les voix pour un temps s'étaient tues.
Quand est-ce que l'amour de cette déesse invisible ne lui avait plus suffi ? Ni les regards lourds d'admiration que ses pairs faisaient glisser sur lui ? Quand avait-il compris que cette dévotion qu'il lisait dans le regard des autres l'isolait davantage que ce qu'elle ne le rapprochait d'eux ? Il ne saurait le dire, mais il se souvenait du vide qui s'était à nouveau creusé en lui et qui menaçait de le dévorer.
Et puis vint Shion, la seule personne qui ne courbait pas la tête à son passage, et qui ne baissait pas les yeux à son contact. Ou plutôt, vint ce jour où ses yeux s'ouvrirent sur Shion. Ses yeux qui le virent enfin, qui devinèrent l'homme derrière la figure hiératique. Et qui comprirent. Et qui presque aussitôt se refermèrent sur lui seul, pour n'en garder que ses couleurs et ses contours. Il reconnut cette aura qui l'auréolait comme celle qu'il avait toujours espérée et attendue, et son cœur vide s'en gorgea, sans savoir qu'il avalait là un poison qui jamais plus ne laisserait ni son esprit ni son corps en paix.
Tu veux que je te dise, ce que tu trouverais derrière ce masque, si tu osais le lui arracher ?
Le Pope avait continué à parler, dévoilant les mystères de la carte céleste, mais Saga ne parvenait plus à l'entendre. Il se concentra sur cette voix profonde afin d'ignorer celle qui venait de s'inviter dans sa tête, mais les mots de ne s'imprimaient plus dans son esprit.
Tu trouverais un visage de vieillard. Las, et creusé par les stigmates de l'âge. Tu ne dis rien ? Et bien vas-y, retourne-toi. Fais-donc valser ce masque d'un coup de main. Affronte donc ce regard éteint dans lequel la clarté s'émousse.
Une pointe d'angoisse vint naître à la base de son estomac. Il lui fallait la maîtriser rapidement. Ou fuir. Peu importe. Mais l'empêcher de se diffuser plus avant dans son corps, avant qu'elle ne devienne palpable et ne le trahisse. Et faire taire cette maudite voix avant qu'elle ne prenne le pas sur sa volonté.
Caresse donc cette joue qui a le charme des feuilles mortes. Prends cette bouche sèche et froide que tu désires tant. Perds donc ton visage dans ce cou pâle et respire l'âpre parfum de la vieillesse et de la mort. Tu en as parfaitement le droit, puisque tu le veux. Tu n'as qu'à tendre le bras et te servir.
La voix moqueuse soulignait l'absurdité de son désir. Pourtant, il sentit ses paumes fourmiller à la pensée de ce corps qui se tenait là, tout près, et qu'il brûlait de découvrir. Peu importe le poids des ans sur ses épaules, et peu importe le grain vieilli de sa peau, c'est son aura dans laquelle se mêlaient la force et la douceur qui l'avait frappé la première fois. Qu'il avait aimée d'abord, et dans laquelle il avait voulu se fondre. Et ce désir peu à peu s'était étendu à l'ensemble de sa personne, à ce corps dissimulé et inconnu qu'il avait fini par vouloir posséder. Peu importe l'apparence qu'il cachait derrière ses atours de Grand Pope. Qu'est-ce que cela changeait au fond ? Après tout, Il était toujours celui vers qui son âme s'était tournée. Il était toujours Lui.
Oui, tu n'as qu'à chercher sa main de tes doigts. Et l'étreindre jusqu'à t'en briser les phalanges. Tu n'as qu'un mouvement à faire.
Non, ça ne changeait rien. Rien du tout. Il ferma les yeux et tenta de dompter son angoisse. Il porta son attention sur la fraîcheur de la brise qui s'insinuait sous ses vêtements et venait mordre sa chair. Mais lui, continuait à brûler.
Tu crains qu'il ne te rejette ? Et après ? Tu auras eu le temps de lui voler une étreinte, ou un baiser. De connaître enfin l'odeur et la saveur de sa peau. Et pour une fois, ce que tu lui auras arraché ne sera pas un simple songe, façonné par ton esprit dérangé. Ce sera enfin réel, Saga.
Il fallait qu'il parte. Maintenant.
Mais comment fausser brusquement compagnie au Pope sans qu'il ne se doute que quelque chose ne tournait pas rond ? S'il devinait ce qui croupissait au fond de son âme… s'il voyait le monstre qui le dévorait de l'intérieur, et la grimace grotesque derrière les traits placides et éblouissants… s'il perdait sa confiance, jamais il ne le choisirait pour lui succéder. Et s'envoleraient tous ses rêves de grandeur.
Mais peut-être te laissera-t-il le toucher ? Peut-être même qu'il en a envie? Après l'avoir rêvé tant de fois, ne brûles-tu pas de découvrir les accents dont se teinte sa voix lorsqu'elle est déformée par le plaisir ?
Il pourrait s'excuser poliment, rappeler l'heure tardive et la nécessité d'être en forme demain pour son entrainement matinal.
Reste. Ne veux-tu pas voir ses mains se tordre et supplier que tu les étreignes encore et encore, son corps plier, frémir et s'arquer sous tes caresses ? Ne veux-tu pas t'abreuver avec délice sur cette bouche murmurant ton nom ?
Ou bien il pourrait prétexter un malaise. Après tout, ce ne serait que mentir à demi, en l'occurrence.
Allez, Tends la main, Saga.
Que cette voix se taise !
Arrache-lui ce masque et prends ses lèvres jusqu'à en perdre haleine. Fais-lui sentir ce que c'est que d'étouffer à chaque seconde. Que d'avoir de la lave dans les veines.
Oui, il pourrait prétexter une fatigue soudaine. Après tout, ne sentait-il pas ses jambes se dérober en cet instant ?
Dévoile son corps. Et baise-le. Baise-le jusqu'à…
Oui, il allait faire ça, il allait…
… vous briser l'un comme l'autre.
… fuir. Encore.
Mais ses jambes restèrent paralysées. Et la terreur lui coupa le souffle.
L'aura adorée dansait autour de lui et il finit par s'y abandonner. Il la laissa s'insinuer en lui, le posséder entièrement. Il pouvait sentir le parfum de Shion. Tout près. Ou bien ses narines croyaient sentir le parfum de sa peau. Peu importe. Il le sentait. Et c'est tout ce qui comptait. Sa voix suave se glissa dans ses oreilles, inintelligible, résonna dans sa tête et se diffusa dans ses membres, dans sa peau et dans son sang.
Sans lever ses yeux sur lui, il tendit la main. Lentement. Et du bout des doigts vint éprouver le tissu des larges manches, cherchant la peau pâle sous le lourd vêtement.
« Saga ? Que se passe-t-il ? Quelque-chose ne va pas ? »
Shion n'avait pas essayé de se dérober à son toucher, et les doigts du jeune homme étaient toujours crispés sur le tissu sombre.
Le Pope s'était tourné vers lui, et il pouvait sentir la brûlure de son regard sur son front.
« Tu ne te sens pas bien ? Quelque-chose te tourmente ? »
Rien que tes mains et ta bouche ne puissent apaiser, Shion.
Il leva enfin les yeux vers lui, et caressa du regard la face cendrée. Un croissant de chair pâle se dévoilait dans l'échancrure de son col. Il eut envie d'y glisser les doigts. Il lâcha la manche à laquelle il était resté accroché et tendit la main vers cette gorge diaphane qui appelait la caresse.
Le Pope repoussa sa tentative d'un geste brusque et recula d'un pas.
« Qu'est-ce qu'il te prend ? »
Est-il seulement possible d'être aveugle à ce point ? Depuis tout ce temps ?
Saga se mit à rire. D'un rire sourd qui se répandit en échos douloureux tout autour d'eux.
« Attends, mais qu'est-ce que… Saga, viens-là, regarde-moi ! »
Son sourire se figea en une grimace tourmentée lorsqu'il sentit les mains de Shion se refermer sur son visage. Le geste n'avait rien de tendre mais ce premier contact le paralysa. Sa peau était si douce, si chaude… exactement comme il l'avait imaginée. Il ferma les yeux.
« Ouvre les yeux, regarde-moi bon sang ! »
Fais-ce qu'il te dit, imbécile. C'est fini. Il a perçu mon ombre dans tes yeux injectés de sang. Cesse-donc de mentir. Laisse-moi terminer ce que tu n'oses amorcer.
Il finit par s'exécuter et releva les paupières. Et il sentit les doigts du Pope se crisper sur ses joues. Son rictus s'étendit davantage sur ses lèvres fébriles.
« Par la Déesse, murmura le vieil homme, depuis quand ?
— Que désirez-vous savoir exactement ? Demanda-t-il d'une voix pâle dans laquelle suintait le défi, depuis quand un monstre croupit sous mon crâne ? Ou depuis quand j'ai envie de vous baiser, votre Sainteté ? »
Shion fit mine d'ignorer la dernière question. Mais le recul imperceptible qu'il amorça et le silence gêné qui s'installa indiqua au jeune homme que sa réplique l'avait atteint. Le vieil idiot n'avait rien vu. Il en ressenti une pointe de joie malsaine.
« Ce regard. Depuis quand tu le sais, et depuis quand tu… tu luttes avec toi-même ? Et quand diable allais-tu te décider à m'en parler ?
— Il semblerait que j'ai cessé de lutter, non ?
— tu as besoin d'aide, Saga »
Oui, il avait besoin d'aide. Peut-être. Peut-être n'était-il pas trop tard ? Il s'accrocha aux derniers relents de lucidité qui se perdaient dans son esprit.
« Alors, aidez-moi »
Il ne peut rien pour toi. Il sait. Tu l'as déçu et il va te rejeter. Comme ton frère avant lui. C'est terminé, Saga. Abandonne-toi à moi.
« Dites-moi que quoi qu'il puisse arriver, je serai celui que vous choisirez pour vous suppléer. Rappelez-moi ma valeur et mes devoirs. Ceux qui faisaient ma fierté autrefois. Dites-moi que ma vie n'était pas un mensonge. Et assurez-moi que la Déesse saura nous protéger, toujours.
— Parce-que tu en doutes ?
— Je doute peut-être d'elle. Parfois. Mais je ne doute pas de vous. Pas encore. Aidez-moi. »
Le pouce du Pope glissa sur sa joue en une caresse si légère qu'il douta de sa réalité.
« Dites-moi que vous ne me rejetterez pas. Qu'après tout, tout ceci n'a pas d'importance, puisque vous allez m'aider, et que tout redeviendra comme avant. Dites-moi que je compte pour vous. Dites-moi que vous aussi, vous m'aimez.
— Saga. Je ferai mon possible pour t'aider. Mais je ne peux pas t'apporter ce que tu recherches. Et tu le sais. Je ne peux pas t'aimer, pas comme ça. »
Bien-sûr que tu le sais, imbécile. Tu l'as toujours su. Tu es pathétique. Et maintenant il va te dire qu'il ne veut plus te voir, et jamais tu ne lui succéderas.
« Je crois qu'il est nécessaire que tu prennes tes distances quelque temps. Pour te permettre de réfléchir et de prendre du recul »
Un rire sinistre se répandit sous son crâne.
« Mais… vous avez dit que vous m'aideriez, vous…
— Et je ne te laisserai pas tomber. Mais pour cela il faut que tu t'éloignes un moment. C'est préférable pour toi. Je vais te confier à Arlès de l'Autel, c'est un homme de confiance, et il saura t'apporter son aide si tu y mets du tien. »
A quoi tu t'attendais au juste ? C'est un lâche. Et tu n'es rien. Il t'a balayé d'une main comme il aurait chassé un souvenir gênant.
Le Pope avait retiré ses mains de son visage et il sentit le froid lui mordre les joues.
« Rapproche-toi de tes semblables, Saga. Lie des amitiés. Il n'est pas bon que tu restes seul. Le contact de tes pairs t'aidera.
— Votre compagnie était la seule qui m'était nécessaire, et vous désirez m'en priver.
— Je suis un vieil homme qui a trop vécu. Tu es un jeune homme splendide et talentueux. Tu as la vie devant toi et l'avenir te souriras si tu fais les bons choix. Le monde est rempli de gens qui te ressemblent. Tu me trouveras bien fade lorsque tu apprendras à les connaître.
— Non. Vous ne comprenez pas. Qu'est-ce que vous croyez ? Que j'ai décidé de me tourner vers vous parce que je m'ennuyais ? Ne sentez-vous donc pas ? Mon âme répond à la vôtre, dans une harmonie si parfaite que cela en est troublant. Cela m'a frappé un jour alors que vous m'aviez convoqué. Et j'ai su. Ne sentez-vous donc pas ?
— Non, je ne sens rien, Saga. Je crois que tu es malade, et qu'il te faut rompre avec ces chimères. Et moi, Dieux… je n'ai rien vu. Que la Déesse me pardonne !
— Mais où est-elle cette déesse que vous vénérez tant et que vous appelez de vos vœux ? Quand va-t-elle apparaître enfin ? Je crois que c'est vous qui adorez une chimère, Grand Pope, pas moi.
— Ça suffit. Reprends-toi. Et cesse de blasphémer. »
C'est fini Saga. Tu peux dire adieu à tes rêves de grandeur. Il te remplacera dès que tu seras parti. Et peut-être que son prochain successeur partagera ses draps en plus de son trône ?
« Non ! Vous n'avez pas le droit ! Je suis intègre, et vertueux, c'est vous-même qui l'avez dit autrefois ! C'est moi que vous aviez choisi ! Vous ne pouvez pas me remplacer !
— Qu'est-ce que tu racontes, Saga ? »
Shura ? Aiolos ? Non, je suis sûr que ce sera Mü, son petit disciple adoré…
« Qui ? Qui est-ce ? A qui vous pensez ?
— Saga, calme-toi ! »
Ou alors, tu peux arrêter tout ça avant qu'il ne soit trop tard.
« Il avait raison, vous n'êtes qu'un lâche ! Vous n'osez même pas m'avouer que vous m'avez déjà écarté. Je n'aurais jamais dû m'ouvrir à vous ! »
Tu peux le faire taire une bonne fois pour toute. Et ses lèvres resteront scellées. Personne ne saura jamais.
« Jamais je n'aurais dû vous faire confiance !
— Crois-tu vraiment que je n'aurais pas fini par m'en rendre compte ?
— Vous ne voyez que ce qui vous arrange, et refusez de voir ce qui pourrait remuer votre petit monde tranquille. Faible !
Ferme pour toujours ses yeux qui ne te voient pas. Eteint en eux cette clarté qu'il te refuse. Et embrasse ta gloire.
« Vous me dégoûtez. Presque autant que je me dégoûte »
Tue-le, Saga
« Saga ! ça suffit ! Tu délires ! Calme-toi maintenant ! »
C'est de sa faute.
Il a enflammé ton esprit, et maintenant il se dérobe.
Il nie son implication. Et il te nie dans ta souffrance.
Arrache-lui ce qu'il t'a promis et qu'il te refuse.
Venge-toi. Et libère-toi !
Fais-le ployer à tes genoux !
Il plongea la tête entre ses mains livides, enfonça ses doigts dans ses tempes brûlantes.
« Je vous aime » murmura-t-il d'une voix éteinte dans laquelle perçait pourtant une émotion intense.
Et il s'élança sur lui comme un damné.
Il referma les mains sur la gorge du Pope et ignora son hoquet de surprise.
Sa peau était chaude au toucher. Il sentit le sang de Shion battre dans ses paumes tandis qu'il resserrait son étreinte. Et le hoquet se changea bientôt en gémissements étouffés. Les doigts pâles, crispés, se mêlèrent à ses doigts bruns alors que le vieil homme tentait vainement de se libérer de l'étau de chair. Il ignorait si c'étaient les jambes du Pope qui s'étaient dérobées, ou si c'était lui qui l'avait poussé, mais ils se retrouvèrent enlacés sur la terre froide. La chair meurtrie palpitait sous ses mains et les gémissements se faisaient plus erratiques. Sans desserrer son étreinte, il coucha avidement ses lèvres sur le masque sombre. Sur ses yeux et sur sa bouche. Sur son front et sur ses joues. Et sur sa bouche encore. Le corps s'arqua sous lui et convulsa un instant dans une danse extatique. Il resserra ses jambes autour des siennes et l'immobilisa.
« Tu ne fuiras plus, Shion. C'est terminé. »
Il avait cessé de bouger.
Et la voix s'était tue.
Il retira lentement le masque de métal qui dissimulait la face inconnue dont il avait si souvent imaginé les contours.
Et ce qu'il découvrit l'emplit tellement d'effroi qu'il sentit le monde tourner autour de lui : c'était ses propres traits qui se dessinaient sur ce visage dévoilé, sa propre bouche qui lui souriait d'un air vainqueur. Son front large et sa mâchoire saillante. Ses yeux tellement injectés de sang qu'il ne distinguait plus le vert de l'iris sous le voile écarlate.
Il se leva en un bond affolé. Il sentit sa tête bourdonner. Il plongea à nouveau son visage dans ses mains. Et il se mit à crier.
« Saga ? Que se passe-t-il ? Quelque-chose ne va pas ? »
Il leva les yeux, hagard, et vit le Pope à ses côtés. Ses doigts étaient toujours crispés sur la manche de sa robe.
« Tu ne te sens pas bien ? Quelque-chose te tourmente ? »
Tu es un lâche, Saga. Si tu m'avais laissé faire, il serait mort à l'heure qu'il est.
« Je… suis désolée. Un simple vertige. Je devrais rejoindre mon Temple.
— C'est moi qui suis désolé. Je n'ai pas vu passer l'heure. Il se fait tard en effet. Rentre-donc »
A quel moment la réalité s'était-elle altérée en songe ? Que lui avait-il dévoilé exactement avant que tout devienne cauchemar ? Et Dieux… qu'avait-il failli faire ? Comment avait-il pu imaginer porter la main sur lui et le blesser, lui… ?
« Tu es sûr que ça va aller ? »
Saga se détourna brusquement alors que la main du Pope allait se poser sur son épaule. Un simple contact et il perdrait pied à nouveau. Il le savait.
« Oui, ça va. Un simple coup de fatigue. Je vous souhaite une bonne nuit.
— Bonne nuit, Saga »
Il s'éloigna un peu trop vite que ce qu'il n'aurait voulu. Il espérait que Shion ne remarquerait pas sa précipitation.
« Saga ? Tu sais que tu peux me parler si d'aventure quelque-chose te trouble, n'est-ce-pas ?
— Bien-sûr, Grand Pope. Je n'y manquerai pas. Je vous remercie.
— À demain. Qu'Athéna te garde.
— Qu'Athéna nous garde tous… »
