Bonsoir à toutes et à tous!

Aujourd'hui, nous sommes le 23 février. Et cela fait exactement deux ans que j'ai publié sur le fandom pour la première fois. Je voulais donc, comme l'an dernier, publier un petit OS sans prétention sur mon OTP chéri: je me créée ma propre tradition, que voulez-vous! Camus, Milo, et notre ami Baudelaire en Guest star introductive!

Deux ans déjà... Et que de chemin parcouru, à tous points de vue! Cette année a été plus difficile que la précédente à mes yeux, pour un certain nombre de raisons. Mais enrichissante également. J'ai réussi certains objectifs, et n'en ait pas achevé d'autres. Mais quoi qu'il en soit, je tenais à remercier les auteurs que j'ai rencontré, les histoires que j'ai lu, car j'ai appris et savouré de grands moments de fanfictions. Il y a bien des gens que je suis ravie d'avoir rencontré, je sais qu'ils et elles se reconnaîtront.

Mais par dessus tout, je vous remercie, vous, qui me lisez en cet instant, qui m'avez lu auparavant et qui m'avait fait part de votre avis. C'est toujours très important à mes yeux, et j'espère que vous n'hésitez pas à me faire part de votre opinion, quelle qu'elle soit.

Disclaimer: Tous les personnages présents et cités appartiennent à Masami Kurumada.

Pairing: Camus / Milo.

Rating: M.

Merci à Talim76 pour sa patience et ses encouragements. Deux ans déjà que tu supportes mes idiosyncrasies, tu mérites une palme de patience!

Note 1: Quatre mots/ phrases sont en gras dans le texte. Il s'agit d'un défi lancé par Talim il y a... un an et demi. (Vous savez à quoi vous attendre si vous m'en donnez un.) Le pairing ainsi que ces phrases étaient imposés, et j'ai pris bien du temps pour y parvenir, mais c'est fait! I did it, Ta-chan! Ainsi, "bigorneau", "Palindrome", "biblique" et enfin "ça, c'était un pigeon" se trouvent dissimulés dans le texte.

Note 2 : Les ajouts en favoris/follows sans reviews sont, comme toujours, vivement déconseillés car très peu appréciés. Merci de respecter mon choix.

Note 3: Je serais présente à la Japan Expo Sud (Marseille) les 7 & 8 mars 2015. Si vous souhaitez que nous échangions un mot, je serais ravie de vous rencontrer, que vous soyez auteurs ou lecteurs! N'hésitez pas à m'envoyer un MP pour l'occasion.

Sur cette longue introduction, je vous souhaite une bonne lecture!


« Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent, le passé restauré !
Ainsi l'amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise. »

Charles Baudelaire, Le Parfum

C'était le matin qu'ils préféraient s'aimer. Assez tôt, à l'aube, parfois même quelques minutes avant que le soleil ne glisse quelques rayons au sien de la pièce. Dans une pénombre mutine et frivole, qui leur laissait encore une légère intimité, eux qui passaient des journées entières exposés aux yeux du monde en tant que chevaliers, élite de leur ordre. Mais si le début du jour avait leur préférence, c'était également parce que Camus lui-même semblait plus aisément y trouver son compte. Cette luminosité donnait une permission au chevalier du Verseau, celle de se dévoiler entièrement. Dans les ombres joueuses des prémices du jour, Milo voyait son amant s'abandonner bien plus facilement qu'à n'importe quel autre instant. Oui, vraiment, Camus ne se livrait jamais aussi merveilleusement qu'à l'aurore. Leurs nuits étaient chaudes, passionnées, enivrantes, leurs journées excitantes et violentes. Mais leurs matinées elles… mélangeaient un exotisme venu d'ailleurs, à une tendresse muette qu'ils avaient toujours eu peur de briser.

Milo sortit de sa torpeur, passant une main sur son visage continuellement marqué par une candeur épuisée, qui était passée trop rapidement à une sévérité inadéquate, transformant le visage juvénile en une moue sérieuse aussi séduisante qu'elle en était dérangeante. Le huitième gardien tourna légèrement la tête, jusqu'à plonger ses yeux dans ceux de Camus qui le fixait en silence, simplement contemplateur du torse nu qui lui faisait face. Un sourire charmeur échappa au Scorpion, avant qu'il ne glisse ses doigts sur le visage du Verseau.

C'était ainsi qu'ils vivaient le mieux. Ni la nuit, ni en journée, mais au réveil, lorsque la première et unique personne que pouvait voir Camus était son amant, alangui à ses côtés. Lorsque le premier contact qu'il percevait était la bouche demandeuse du huitième gardien. Lorsque le premier toucher qu'il sentait sur sa peau était la main chaude de Milo qui glissait sur sa hanche, à la recherche d'un contact frivole. Lorsque sa première perspective n'était autre que le corps brûlant du Scorpion qui venait recouvrir le sien, refermer ses bras autour de sa tête, envahir son espace jusqu'à ce qu'il s'enivre de lui, et étouffe d'un bonheur qui ne disait jamais son nom.

Instant privilégié, que nul n'aurait su comprendre mieux que les concernés. Comme en cet instant, d'ailleurs, alors que la bouche gourmande venait chercher des lèvres jumelles quittées depuis la veille, quelques heures à peine auparavant. De simples frôlements, d'abord, pour se rappeler d'une texture à peine oubliée. Puis une langue, mutine, taquine, vint caresser la bouche du Verseau, qui se permit un grondement sourd. Cette sensation, il n'aurait su trouver les mots pour la décrire. Il n'en avait guère besoin par ailleurs, Milo avait toujours eu parfaitement conscience de l'effet qu'il produisait sur lui. Les gestes se firent plus appuyés, les respirations plus essoufflées, les baisers plus enfiévrés. Sans pour autant que la moindre parole ne soit échangée. Depuis leur réveil, ils n'avaient pas dit le moindre mot d'ailleurs.

S'aimer en silence. S'aimer seulement par des gestes, par leurs lèvres, par leurs mains. Nul besoin de parler, nul besoin de raconter, d'expliquer, finalement, une réalité dont ils avaient toutes deux consciences. Ils demeuraient silencieux et empressés, comme ils avaient l'habitude de l'être déjà autrefois. Souvenirs d'une époque où, encore adolescents puis jeunes adultes, ils s'étaient rejoints, dans l'isba éloignée de toute civilisation. Lorsqu'à la lueur d'une bougie fatiguée, ils s'étaient aimés la toute première fois, et les suivantes encore. Se faire discret, ne pas se trahir, surtout pas, jamais. Les disciples ne devaient pas les entendre, sinon tout aurait été terminé. Il aurait suffi d'une parole, d'un vêtement étranger, d'une phrase échappée, et ce qu'ils avaient construits aurait pu s'effondrer, entraînant avec eux deux enfants qu'un Pope devenu sombre n'aurait sans doute pas hésité à torturer pour obtenir la vérité. Alors ils s'étaient tus. Ils s'étaient contenus, ou retrouvés ailleurs, dès qu'une mission semblait les rapprocher. Mettant en leur faveur leur statut d'espion et d'assassin du Sanctuaire. A l'époque, déjà, courrait la rumeur d'un binôme parfaitement équilibré, à l'entente exemplaire. Nul n'aurait su être d'avantage dans le vrai, sans pour autant avoir la moindre idée de l'étendue de cette réalité.

D'autres auraient trouvé cela pesant, étouffant. Presque anormal, sans doute. Une relation se vivant dans la peur, dans l'ombre était-elle réellement possible ? D'autres s'en défendaient, arguant d'une simple nécessité de sexualité. Milo n'avait pour sa part jamais souhaité mentir sur la relation qu'il entretenait. Et pour ce faire, il l'avait protégée par le silence. Un jeu de dupes. Ils avaient juste besoin de l'autre, comme le voulaient ces histoires puériles à l'eau de rose dont ils avaient entendu parler, comme d'autres, à certaines occasions. Bien évidemment, leur situation était différente, et l'avait d'ailleurs toujours été. Mais ils avaient fini par trouver un équilibre entre eux. Le corps de Milo sur celui de Camus. L'inverse ou le contraire. Qu'importait, finalement ? Ils se désiraient tant, et depuis tellement longtemps. Probablement une simple conséquence de leurs années d'entraînements, de leurs comportements prétendument totalement antagonistes, de cette idée que tous s'étaient faits d'une nécessaire opposition de leurs caractères. Une envie incompréhensible, à laquelle ils n'avaient jamais cherché une définition. Ils n'en avaient pas besoin. Un regard, un murmure, un geste étaient amplement suffisant pour faire comprendre à l'autre ce qui était réellement important.

Quelques mouvements dans le lit. Des jambes s'écartant lentement, accompagnées de lents mouvements de bassin. Des bouches se cherchant de nouveau, éclairées seulement par quelques rayons de soleil matinaux. La bouche du Scorpion vint se perdre dans le cou du français, traçant un sillon brûlant et humide, provoquant une morsure un peu brusque, qui fut pourtant amplement savourée. Camus leva une main qu'il plaqua dans les mèches blondes, serrant le crâne de son amant pour s'assurer une prise ferme, conservant contre sa peau la bouche brûlante qui le mordait d'un air tendrement affamé. Le Verseau ferma les yeux un instant, laissant échapper un gémissement rauque qui se perdit dans l'oreille satisfaite de son amant, alors que déjà ses hanches ondulaient lentement, en réponse aux mains habiles qui couraient librement. Les lèvres de Milo avaient toujours tendance à lui faire perdre l'esprit, provoquant une réaction violente que ce soit physiquement… ou intérieurement.

Un rai de lumière passa sur son visage, l'aveuglant doucement, avant qu'il ne tourne de nouveau la tête, se perdant sous le contact chaud, tandis que le Scorpion se reculait lentement. C'était une luminosité idéale, ni trop sombre, ni trop violente. Celle grâce à laquelle Camus se sentait le plus à l'aise, caressant le visage du huitième gardien avec un respect hypnotique, laissant ses doigts couler sur la peau mate striée de marques presque invisibles. Milo sourit en percevant le regard de son amant : il n'y avait pas le moindre doute. C'était ainsi qu'il préférait lui faire l'amour.

Du moins, aurait préféré… s'il n'avait pas senti une présence à sa fenêtre. Son visage se tourna brusquement, alors que l'ongle écarlate s'allongeait spontanément. Se ruant hors du lit, il lança son arcane, sans se soucier un seul instant de toucher le fouineur se tenant dehors. A l'extérieur, un cri se fit entendre et le visage de Kiki disparut brusquement grâce à ses pouvoirs de téléportation.

« Dégage de là ! Et que je ne t'y reprenne plus, sale petit bigorneau ! »

Sur le mur et dans les rochers alentours, plusieurs marques se formaient déjà, souvenirs fumants de l'attaque du huitième gardien. Le regard furibond, le chevalier du Scorpion continua d'inspecter les lieux alentours, comme pour vérifier qu'il ne restait plus la moindre trace de gêneur. Il avait déjà dû en éliminer un la semaine passée. Certes, c'était un pigeon, qui avait eu le malheur de se poser sur le rebord de sa fenêtre au mauvais moment, mais ça n'était qu'une conséquence malheureuse dû à la pression psychologique que d'autres avaient fait porté sur leurs épaules les semaines qui avaient précédé. A force de se sentir épié, le grec devenait de plus en plus paranoïaque, et se laissait aller à des pulsions de colère qui ne lui ressemblaient guère. De fait, il avait fini par retrouver cette réputation d'être impulsif qui, pour quelqu'un qui le connaissait bien, n'avait pas de réel fondement.

« Du calme, Milo. Ce n'est qu'un enfant. »

La voix du Verseau, au timbre impavide. A peine plus grave que d'habitude. Le chevalier du Scorpion, agacé de s'être interrompu, et encore plus en connaissant la raison de la présence du trublion, revint se coller contre son amant dans le lit, attirant le corps de Camus sur son torse alors que ce dernier enlaçait leurs doigts, mû par la force de l'habitude autant que par l'envie. Quelques secondes s'écoulèrent, le temps que le grec s'apaise enfin, caressant du bout des doigts la colonne vertébrale de l'homme entre ses bras.

« Tu ne devrais pas t'énerver pour de telles broutilles. Ils se lasseront bien avant nous. »

Le chevalier du Scorpion plissa le nez et enfouit son visage entre les mèches carmin qui lui chatouillaient la peau. Il soupira, en caressant l'épaule du français qui frissonna, et grogna contre sa tempe. Tout le monde n'avait pas la patience légendaire du Saint des Glaces avec ces choses remuantes communément appelés enfants, que le Scorpion détestait avec passion. Et si Camus s'était forgé un calme à toute épreuve au cours de ces longues années où il avait dû gérer seul deux disciples en bas âge alors que lui-même quittait à peine l'adolescence, ce n'était pas le cas du huitième gardien qui n'avait jamais été amené à les fréquenter autrement que de loin.

« Tu sais très bien pourquoi il était là.

— En effet.

— Et ça ne t'énerve pas ?

Camus haussa les épaules, se rencognant contre le torse de son amant. Son regard, déjà, se perdait sur les pierres abîmées du temple.

— J'estime simplement qu'il n'est pas nécessaire de m'emporter contre une chose impossible à contrôler.

— Je ne sais pas comment tu fais pour rester aussi calme. Ils m'insupportent vraiment.

— Je t'ai connu moins pudique.

— Je ne le suis pas, et la question n'est pas là. Mais j'ai horreur de me sentir espionné, surtout en sachant pourquoi ils le font.»

Camus secoua la main d'un air désintéressé, avant de se reculer légèrement, laissant sa tête reposer sur l'oreiller. Les doigts mats du Grec vinrent caresser son ventre au travers de mouvements circulaires et hypnotiques. Le Verseau prit le temps d'étudier le geste, et de l'apprécier pour ce qu'il était. Une simple marque d'affection. Sans invitation ni sous-entendu. Juste… comme ça. Quand bien même leur précédent échange avait été interrompu, ils ne ressentaient pas la nécessité de reprendre immédiatement là où ils s'étaient arrêtés. Ils avaient le temps, à présent. Le temps de se dire non, le temps de ne rien vouloir d'autre que de la tendresse. Le temps de s'aimer, mais surtout, le temps de se disputer. De s'énerver, de dire non à l'autre ou de le repousser. Parce qu'ils auraient encore des lendemains pour cesser de s'en vouloir, pour se pardonner. Le concept avait été long à être accepté, mais réellement apprécié pour ce qu'il leur permettait : une relation plus saine, où il n'était guère nécessaire de se taire pour ne pas risquer de tout briser, sans espoir de jamais rien voir se reconstruire.

« Ils n'arrivent pas à comprendre, c'est tout.

— Et ils envoient le gosse comme espion ? Depuis quand ce Sanctuaire est-il aussi malsain ?

— Depuis que les adolescents de quatorze ans ont des ambitions supérieures à leur imagination, je crois.

Le regard lourd du Scorpion suffit à Camus pour comprendre que son trait d'ironie n'avait guère été apprécié. La souffrance engendrée par la prise de pouvoir de Saga avait laissé des traces qu'il leur était encore difficile de mesurer, et dont ils faisaient malgré tout l'expérience chaque jour.

— Je ne comprends pas ce qui les trouble autant. Que ce soit toi ou moi, quelle importance ?

— Le premier cas les décevrait. Tu représentes « mieux » l'idée qu'ils se font de ce rôle, tant sur le plan physique que moral.

Le ton était détaché, clinique. Alors que le grec trouvait ces paroles parfaitement insupportables, le français se contentait pour sa part de lui caresser le bras, réfléchissant en même temps qu'il faisait part à Milo de ses réflexions. Il était sincère : il n'éprouvait aucune forme d'animosité à l'égard de ses collègues qui semblaient eux incapables de réfréner leur curiosité. Leur… inquiétude ? Sans doute un peu, également. Leur incompréhension n'était finalement rien d'autre qu'un témoignage prenant de ce retour à la vie étrange qui les dévorait par son incongruité.

— C'est ridicule. Pourquoi vouloir absolument cantonner l'un de nous à un rôle ?

C'est certainement de bonne guerre. Après tout, lorsque tu penses à eux, n'y a-t-il pas un paterne récurrent qui te revient en tête, que tu le veuilles ou non ?

Le grec plissa légèrement le nez. Il savait que Camus avait raison. Pour autant, cela l'agaçait légèrement, de ne pas parvenir à lutter contre ses propres conceptions toutes faites qu'il plaquait sur ses amis, de la même façon que ces derniers collaient les leurs sur sa vie privée. Comme si peu à peu, ils étaient devenus incapables de désirer un changement, comme s'ils n'en voyaient plus la possibilité. Néanmoins, Camus et lui avaient préféré lutter face à l'immobilité, que leur histoire ne leur permettait tout simplement pas. Mais qu'en était-il de ses amis ? Des autres, dont l'évolution avait été tellement différente de la leur ? Il ne s'était pas réellement poser la question jusqu'à présent, plongé comme il l'était dans sa reconstruction personnelle.

— Et ce serait pour ça qu'ils passent leur temps à nous espionner ? C'est un peu gros tout de même.

— Pas tant que ça. Si tu réfléchis bien, peu d'entre nous ont envisagé une résurrection. Et si notre vie antérieure était tournée vers notre devoir exclusivement, celle d'aujourd'hui est différente, puisque le contexte lui-même est différent. Nous en savons quelque chose tous les deux. »

Milo prit le temps de digérer l'information, et ce que la déclaration de Camus sous-entendait. Que leur restait-il, à présent que les Guerres étaient terminées ? Que la paix interne au Sanctuaire avait enfin été ramenée ? Que leurs missions, extrêmement importantes au demeurant, mais sans comparaison avec celles d'autrefois, s'étaient espacées jusqu'à devenir presque anecdotiques ? Au lieu d'aller vers d'autres personnes, inconnues au demeurant, les chevaliers s'étaient refermés sur eux même, préférant se cantonner au Sanctuaire. Aux rencontres que tous y avaient déjà faites. Le simple fait que la plupart d'entre eux se soient spontanément et presque exclusivement tournés vers des partenaires du même sexe en était finalement une preuve tangible. Et il était fort probable qu'à défaut d'apprécier le changement, ils s'en étaient détournés. Lentement, insidieusement. Jusqu'à ne plus voir qui que ce soit d'autre que leurs propres camarades de combat.

« Notre intimité n'est finalement rien d'autre qu'une résurgence de notre nouvelle existence : le changement perturbe, la nouveauté effraie. Incapables de les accepter, ils s'accrochent probablement à ce qu'a toujours constitué leur ancienne conception du monde. »

Ces paroles faisaient écho de manière bien trop proche à ses propres pensées. Le Scorpion écarquilla les yeux, alors qu'il fixait le plafond en se caressant le visage. Cette résurrection, qui aurait dû être une bénédiction, avait apporté plus d'inquiétudes que de bienfaits, et avait provoqué des comportements parfois presque conservateurs chez leurs camarades.

Le côté taciturne de Shura. Les fuites répétitives de Mû. La détresse de Saga. La violence d'Angelo… Il les avait considérés comme normales. Habituels. Mais en vérité, il s'agissait d'autant de comportements autrefois créés pour se protéger et qui avaient fini par être totalement internalisés. Utilisés comme boucliers pour se protéger d'une réalité qui terrifiait. Que l'on refusait, tout simplement.

« Ce qui expliquerait pourquoi nous, nous les intriguons autant. »

De nouveau, le timbre calme de Camus le tira de ses pensées, alors qu'il s'intéressait à son visage.

« Puisqu'ils ont du mal à nous enfermer dans une… boîte, si tu me permets d'utiliser ce terme, ils ressentent le besoin de vérifier, d'appréhender, de confirmer. Ils désirent s'approcher, comprendre ce qui fait que nous agissons différemment. Ils refusent d'accepter, parce que cela signifierait qu'un changement serait possible pour eux aussi. Nous sommes… comme un palindrome, Milo. Et ils ont bien du mal à le concevoir.

Le Scorpion souleva un sourcil, quelque peu sceptique.

— Pardon ?

— Nous pouvons être « lus » à l'endroit comme à l'envers. Quelle que soit la façon dont nous regardons notre couple, il n'existe pas la moindre différence. Nous avons bien tous deux nos spécificités, mais cela ne nous a jamais empêché pour autant de faire des erreurs attribuables en temps normal à l'autre. Nous avons souffert, et pardonné. Nous restons les mêmes, toi et moi, quel que soit le « rôle » que nous nous attribuons, là où certains d'entre eux ne donnent probablement plus qu'un seul sens à leur vie, tout comme à leur intimité. Et c'est probablement ce qui a fini par leur manquer… L'équilibre des torts.»

Milo prit le temps de méditer les paroles de son amant : Camus avait toujours eu tendance à faire usage de ses connaissances pour expliquer les phénomènes qui l'entouraient, opposant ainsi le cognitif à l'empirique, pour ne jamais se laisser aller au doute. Privilégiant, en bon français, ce côté cartésien et minutieux que d'autres avaient pris pour de la rigidité, quand elle n'était qu'une façon personnelle d'affronter ce qui l'attendait. Leur rencontre, puis leur amitié avaient fini par faire évoluer le jeune homme, alors que Camus se laissait lentement teinter par le côté franc et fonceur du Scorpion. Par sa manière de réagir aux situations par l'instinct, et non plus uniquement en rationnalisant chaque fait, chaque donnée. Avec le temps, leurs méthodes respectives avaient fini par se mélanger, rendant la frontière entre leurs techniques floue et invisible.

Il laissa son regard s'égarer sur le visage impénétrable du Verseau, qui semblait de nouveau imperméable à la situation. Les yeux que tous appelaient froid jouaient pourtant d'une lueur dont il pouvait se vanter d'être le seul à l'avoir jamais perçue. Milo poussa un long soupir de bienêtre, et de résignation. Il aurait fallu qu'il discute avec ses camarades, qu'il essaie de mieux les comprendre, en remontant directement à la source du problème. Mais il y avait de fortes chances pour qu'il ne récolte rien de plus qu'un déni pur et simple. Peut-être de la panique également… Panique à l'idée d'être compris, panique à l'idée que quelqu'un touche à cette intimité qu'ils désiraient tous tant protéger.

La communication était devenue paradoxalement plus difficile encore qu'autrefois, alors même qu'ils étaient plus liés que jamais. Les mensonges avaient simplement été remplacés par des regards fuyants, et des sourires falsifiés qui n'étaient plus emplis de mépris, mais de détresse voilée. Certains étaient d'ailleurs devenus extrêmement doués en la matière… Certainement ceux qui souhaitaient plus encore que les autres fermer leurs émotions, et attendre de trouver une réponse à une situation inexplicable. Et malgré leurs tentatives de se réunir plus souvent qu'autrefois, pour partager un verre ou une pensée, la nostalgie étouffante qui s'était emparée des chevaliers d'Or était devenue difficilement évitable. Rongés par une chose qu'aucun n'autre n'aurait pu comprendre, et pourtant incapables d'en discuter entre concernés.

La vision de la mort. Et cette sensation, oppressante, que tout était terminé, pour de bon cette fois. Cela avait certainement été le moment le plus angoissant de leur existence : ils avaient tant pris l'habitude de se relever, encore et toujours, en réponse au cosmos aimant d'une Déesse qu'ils désiraient protéger. Et se confronter au Mur des Lamentations avait sans nul doute été l'apogée de cette vocation qu'ils avaient embrassé encore enfants. Ils s'étaient réunis — unis ! — enfin, après tant d'années de luttes intestines et d'incompréhensions mutuelles. Et lorsque leur cosmos avait brûlé à l'unisson, lorsqu'ils avaient été liés plus certainement que jamais nul autre être humain ne pourrait l'être, lorsqu'ils avaient partagés mutuellement les pensées, les regrets, les craintes et les croyances de tous ses camarades… Alors, Milo avait su. Qu'il ne se battait pas en vain. Qu'il s'agissait probablement du sentiment le plus gratifiant existant en ces terres. Que sa formation n'avait jamais eu d'autre but que d'atteindre cet idéal tant convoité. Il avait vu la lumière le dévorer entièrement, jusqu'à s'infiltrer dans sa chair, le consumant de l'intérieur. Mais il n'avait pu s'empêcher de la vouloir ardemment. Jamais encore, il n'avait tant désiré cette lueur dorée, qui l'avait pourtant rebuté aux débuts de sa formation.

Et c'était pour cette raison, qu'une fois que tout avait cessé, que la lumière avait disparu, et qu'ils s'étaient retrouvés confrontés aux trois silhouettes sombres face à eux, ils avaient eu tellement peur. Peur, oui. Eux, les fiers chevaliers d'Athéna, le fleuron de leur ordre. En y repensant, il ne pouvait s'empêcher de trembler encore. Ce souvenir faisait partie de ceux qui les hantaient tous. Malgré leur envie de demeurer intraitables, la vision des trois juges énonçant d'une voix unique et profonde leurs péchés et leur sentence avait suffi à les terroriser profondément, quand bien même ils n'en avaient rien montré. La mort n'avait rien d'effrayant. Le jugement, lui… Avait été atroce. Car ils l'avaient prononcé sans animosité, alors même que quelques temps à peine auparavant, ils combattaient avec la rage au corps. Cette sensation… de n'être rien, finalement, rien d'autre qu'un énième soldat sur le champ de bataille avait largement effleuré leurs esprits hypersensibles et mêlés les uns aux autres. Et lorsque la glace les avait saisis… Milo pouvait l'admettre, il avait été pris d'une terreur jamais égalé. Entièrement partagée par tous ceux qui se trouvaient à ses côtés.

C'était pathétique. « Humain », lui répondrait Camus.

Puisqu'ils n'étaient rien d'autre que cela. Des êtres humains… Faibles non pas face à la mort, mais face à leurs péchés. Ils auraient pu en rire, s'ils n'avaient pas tous été saisis par ce profond sentiment de terreur indéfinissable. Ceux qui s'étaient rebellés contre leur Déesse. Ceux qui avaient profané leur parole en faisant usage d'une technique interdite. Ceux qui s'étaient attaqués à Hadès, même de manière détournée… Leurs âmes avaient été passées au fil rouge, chaque événement, chaque instant, avait été revu, repensé, décortiqué. A une vitesse folle. Qui avait brûlé leur esprit, et aurait pu les pousser à demander grâce, n'eusse été le sentiment d'inutilité de la chose, et ce reste de fierté qu'ils conservaient tous. Avec un détachement qui les avait détruits. Avec des regards qui ne les considéraient tout simplement plus comme des ennemis. Mais comme des âmes, du même ordre que d'autres.

Cette peur… Ce sentiment d'être brisé de l'intérieur. C'était…

« Milo. »

La sensation d'une caresse sur sa joue le ramena à l'instant présent. Le regard franc du Verseau lui suffit pour comprendre qu'ils avaient partagé un souvenir commun fort peu agréable. Il referma ses doigts sur la main tiède, et se concentra, pour reprendre le contrôle de son cosmos, marqué par le froid de cet ailleurs terrifiant. Il devait revenir. S'éloigner. Loin, bien loin de cette prison de glace qui les avait vus périr ultimement et souffrir indéfiniment. Reprendre pied, se raccrocher à ce qui faisait sa réalité aujourd'hui Il ne souhaitait pas se laisser happer également le jour par des cauchemars qui revenaient l'assaillir la nuit. Les séquelles étaient déjà… suffisamment lourdes à porter.

Il se pencha, jusqu'à effleurer les lèvres sèches des siennes. Rien de plus qu'un frôlement, et un contact léger. Auquel répondit avidement le Verseau, en crochetant ses doigts à la chevelure blonde de son amant, comme pour s'assurer qu'il était bien avec lui. Et plus jamais là-bas, jusqu'à la prochaine fois. Répétant des gestes effectués quelques minutes plus tôt. Milo profita de la sensation, la chérissant pour ce qu'elle était, comme à chaque fois. Sa rédemption personnelle… Ou plutôt, la seule manière qu'il avait trouvée de se barricader mentalement avant de devenir complètement fou. Toutefois, il devait admettre que les paroles de Camus avaient éveillé un intérêt chez lui. Pour ce qu'elles impliquaient pour ses amis, mais pour eux aussi.

Il rompit le baiser, avant de se redresser légèrement, caressant le visage du français du bout des doigts. Ce dernier se contenta de l'observer, n'affichant aucune émotion particulière, mais cela n'avait pas la moindre importance. Le temps avait passé où Milo ressentait le besoin systématique d'une confirmation, d'une parole, pour s'assurer des pensées ou des désirs de son ami puis amant. Ils avaient fini par changer, imperceptiblement. Camus était devenu plus ouvert, quand Milo s'était refermé, comme pour se protéger lui-même, et ses camarades dans le même temps. La connexion mentale qu'ils partageaient tous à présent était devenue telle qu'elle en était lourde à porter. Lourde à assumer. Et c'étaient bien ces difficultés à cacher quoi que ce soit qui avaient probablement fini par leur coûter un quelconque franc esprit de camaraderie.

Songeur, il ne put retenir ses paroles avant qu'elles ne franchissent ses lèvres, et les regretta presque aussitôt.

« Je me demande si Kanon ressent la même chose. »

Silence, mortel.

La réaction ne se fit pas attendre, et Milo ne put s'empêcher de fermer les yeux tout en se mordant l'intérieur de la joue. Le corps de Camus se raidit brusquement, avant de le repousser brutalement pour quitter le lit et la pièce, se dirigeant d'un pas raide vers la salle de bains, sans jeter un regard en arrière. Pour prendre une douche, brûlante, contrairement aux habitudes qu'on lui prêtait bien souvent. Et perdre sous l'eau chaude ses pensées insupportablement empoisonnées par une jalousie qui portait fort mal son nom. Il y avait de cela, bien évidemment. Mais si la situation avait été aussi… aisée, ils auraient tout simplement pu la régler avec facilité. Par un combat au sang, par exemple…

Le grec, légèrement perturbé, cligna des yeux un instant, avant de soupirer profondément. Allongé sur le lit, les bras en croix, il se contenta de fixer le plafond longuement. Il aurait dû s'en douter… Il aurait dû faire attention. Mieux choisir ses mots, ou bien les conserver dans un coin de son esprit pour en discuter avec le concerné. L'erreur lui était entièrement imputable. Pour autant, il était inutile de se mentir : il s'agissait d'un sujet sur lequel son amant et lui avaient de plus en plus de mal à se retrouver, et qu'ils laissaient soigneusement de côté, de leur de raviver une blessure bien plus complexe qu'elle pouvait sembler de prime à bord.

Il se leva lentement, abandonnant en chemin son boxer qui alla s'échouer au sol tandis qu'il poursuivait sa route, à l'instar de son amant quelques secondes auparavant. Il ouvrit la porte lentement, la moiteur de la pièce faisant immédiatement glisser quelques gouttes de sueur le long de son front. La vapeur d'eau voilait le corps de Camus, à peine visible au travers de la cabine d'où s'échappait le jet puissant. Il s'arrêta quelques secondes, ajoutant cette image à son esprit, au milieu de celles qui lui étaient déjà entièrement dédiées.

Il s'avança encore, jusqu'à ouvrir la porte de la douche avant de la refermer derrière lui, se collant au dos pâle strié de cicatrices à peine visibles mais bien présentes. Ses bras se refermèrent sur le corps rendu brûlant par la température de l'eau. Alors que cette dernière venait s'écraser sur son crâne à son tour, il ferma les yeux en posant son front sur l'épaule de Camus. Comme un signe de reddition, ou d'excuses, il ne savait plus vraiment. Lui demander silencieusement pardon de l'avoir blessé par ses paroles.

Il laissa leurs corps s'épouser, sentant contre son torse les cicatrices présentes sur le dos pâles. Restant ainsi dans le mutisme le plus profond, attendant un signe de la part de son amant. Leur relation demeurait extrêmement compliquée, pleines de silences, d'absences. De regards douloureux, que les autres peinaient à voir, ou bien à comprendre.

Camus ne réagit guère à ses gestes, faisant fi de la présence de son amant, continuant à fixer le mur face à lui, comme plongé dans ses propres pensées. Il ne le rejetait pas, mais n'avait pas non plus esquissé le moindre geste pour l'encourager ou le repousser. C'était sa manière de digérer. Sa manière d'éviter de se laisser aller à la fureur que Milo pouvait sentir au travers de ses muscles. Ce dernier serra les dents, réaffirmant sa prise sur le corps du Verseau.

«Tu tiens vraiment à ce que nous nous disputions aujourd'hui ?

— Aujourd'hui, un autre jour… Quelle importance ?

— Aucune. Mais est-ce une raison pour que nous nous sautions à la gorge dès le matin ?

— C'est toi qui as commencé.

Camus qui se mettait à parler comme un enfant… Décidément, il l'avait vraiment blessé. Sans le vouloir, bien évidemment… mais par nécessité muette.

— Tu ne l'aimes vraiment pas, hein ?

Camus eut un reniflement agacé.

— Là n'est pas la question.

— Vraiment ?

— J'admire le guerrier. Je hais l'homme. Tu ne peux m'en vouloir.

— Pourquoi tu te braques comme ça ?

— Tu sais très bien pourquoi.

Il le savait oui. Et il aurait aimé que la question à ce jour se soit enfin résolue. Et pire encore, il avait conscience que ce qu'il s'apprêtait à répondre risquait de blesser son amant au-delà de toute mesure d'ailleurs. Mais il s'était promis de lui dire la vérité. Toujours.

— Il avait besoin de moi.

Cette phrase sembla résonner dans la pièce, comme un écho dérangeant qui mettait Milo face à l'atrocité de sa cruauté. Le tressaillement contre son torse le confirma d'ailleurs dans ses craintes.

— Et moi, de toi.

Ces quelques mots ne furent qu'un chuchotement. Camus n'avait même pas tourné le visage vers lui, se contentant de murmurer ces paroles le long de la paroi du mur sur laquelle il s'était appuyé. Milo se mordit l'intérieur de la joue, et poursuivit, tout en ayant conscience que la suite de la conversation allait leur déplaire.

— Je ne pouvais pas l'abandonner. Pas plus qu'il ne pouvait me laisser derrière lui.

— Cela ne m'empêche pas de lui en vouloir. Je ne supporte pas l'idée qu'il t'ait touché.

Le huitième gardien s'accorda un sourire fatigué, laissant de nouveau son front reposer sur l'épaule pâle.

— Si les autres t'entendaient…

— Les « autres » ne sont pas là. C'est à toi que je m'adresse, Milo. Le simple fait de vous imaginer tous les deux… De vous revoir ! Je pourrais le tuer pour ça.

— Tu ne le feras pas.

— Non, en effet.

— Nous ne nous étions rien promis, Camus. Notre union n'avait rien de biblique ou de sacré, et tu le sais.

Le chevalier du Verseau s'immobilisa un instant, avant de tourner légèrement la tête, ne laissant à Milo que l'espace d'un œil carmin blessé comme seul interlocuteur. Pas de tristesse ou de choc particulier, juste cette émotion indéfinissable, et la raideur habituelle de son corps.

— Ne comptait-elle pas pour autant ?

— Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais les circonstances étaient ce qu'elles étaient.

— D'autres s'en sont accommodés.

Ce ton acide n'était pas celui de son amant. C'était celui d'un homme acculé.

— Je croyais que nous ne parlions pas des autres ? Camus, je t'en voulais bien trop pour ne serait-ce que revenir. Je n'arrivais même plus… à poser les yeux sur toi, sans ressentir une colère et un dégoût pour moi-même que tu ne mesures probablement pas.

— …

— Je nous aurais détruits, Camus. J'aurais prononcé des mots que cette nouvelle existence entière n'aurait pas suffi à rattraper. Et tu m'aurais haï pour cela.

— Tu n'en savais rien.

— En effet. Mais je suis suffisamment lucide à présent pour le savoir : j'aurais brisé notre histoire. Je l'aurais fait avec toute la cruauté dont je peux être capable. Avec tout le sadisme dont j'ai hérité. Et j'aurais certainement savouré de te blesser. C'était inenvisageable. Parce que le pire, pour moi, c'était que je t'aimais. Et que j'étais pourtant incapable de te pardonner.»

Le onzième gardien serra les dents. La vérité avait toujours une fâcheuse tendance à être atrocement dure à avaler. Et plus encore lorsqu'elle naissait d'une envie évidente de sincérité absolue. Nul doute que Milo avait mûri au cours de ses expériences, alors que lui-même voyait de moins en moins le mal à oblitérer certains aspects de leur relation. Leurs échecs, notamment. Comme les échanges physiques et fusionnels qu'avaient échangés le cadet des Gémeaux et Milo pendant plusieurs mois, se coupant du monde en reconstruisant une part de leur humanité après leur résurrection inattendue. Un passage nécessaire, que Camus n'avait su interrompre, ou maîtriser. Il s'était contenté d'y assister, impuissant et glacé. La fougue et la violence avec lesquelles les deux amis se retrouvaient avaient toujours eu comme horrible tendance de le couper purement et simplement dans son élan pour les séparer. Chaque fois qu'il les avait aperçus, il avait compris l'essence même de ce qui les liait. Et l'absolue nécessité de leur relation. Car si le Scorpion comptait sur l'ancien dragon des Mers, l'inverse était encore plus vrai. Kanon avait besoin de Milo : le verbe lui-même semblait avoir été inventé pour décrire cette relation de presque dépendance qu'ils s'étaient créés.

La question que Milo avait posée était parfaitement légitime. Qu'en était-il, pour lui, de cette résurrection ? Kanon avait vécu un mode de vie « différent » du leur. D'élève, il avait été maître, fomentateur d'une Guerre, manipulateur de Dieux… Et s'était amendé à la fin de sa vie, présent avec eux face au Mur à travers Saga, mais pas entièrement. De fait… Son lien n'était pas exactement le même que ceux que partageaient les Douze. Toujours à part… Sans le vouloir cette fois. A nouveau, il s'était retrouvé en marge des liens créés — involontairement, certes — se contentant de déambuler au milieu d'hommes qu'il n'avait jamais connu autrement qu'enfants. Face aux autres, il avait été confronté à un mur d'un genre différent que personne, pas même son propre frère, encore moins Shion, n'avait su franchir. Ne restait que Milo… Milo qui l'avait amendé et ramené dans leur camp, de manière brutale et profondément sincère. Milo qui lui avait offert son titre, avec plus de légitimité encore que leur Grand Pope. Milo qui lui avait tendu la main, aussi certainement qu'il l'avait levé sur lui avant leur mort.

Un Milo lui-même couvert de blessures profondes, dont il n'avait laissé personne l'en soigner. Se refermant sur lui-même, rejetant Camus, Aiolia ou tout autre qui aurait tenté de faire un pas vers lui. Il les avait tous rejeté. A part Kanon. L'électron libre de la chevalerie. Kanon qui continuait de se débattre avec sa propre identité double, que ce soit au sein du Sanctuaire, ou à l'extérieur. Kanon qui n'avait de place ailleurs que dans le regard de Milo. Dans les yeux de celui qui le considérait déjà comme un ami. Et Camus avait alors vu le regard de Milo se porter sur lui, rempli d'une colère qui avait bien failli l'aspirer. Les poings serrés, quelques temps à peine après avoir été ramenés, alors qu'il tentait une nouvelle fois de s'avancer vers lui, il l'avait refusé. Le Scorpion s'était tenu droit durant de longues minutes, avant que Camus ne le voie se détourner. Lentement, à pas mesurés, comme autant de lames plongeant dans sa chair, le grec lui avait tourné le dos. Sans jamais le lâcher des yeux. Comme pour s'assurer qu'il prenait bien sa décision en mesurant chaque conséquence possible. Pour se punir lui-même de l'acte irréparable qu'il était en train de commettre.

Puis, il s'était tourné vers Kanon. L'indomptable du Sanctuaire. L'âme blessée et guérisseuse. Il s'était accroché à lui, avec toute la force qu'il possédait. Pendant des jours, des semaines, des mois, Camus avait eu conscience des échanges des deux hommes. De leurs longues étreintes, de leurs cris, et des coups qu'ils avaient échangés dans l'arène. S'entraînant ensemble, discutant ensemble, passant leurs soirées ensemble. S'isolant de leur groupe, comme unis dans une réalité qu'ils avaient été les seuls à même de saisir. S'ostracisant pour mieux se protéger d'une résurrection les ayant confrontés respectivement à leurs propres angoisses. Il les avait vus, mais le pire avait encore été de les imaginer. Visualiser, dans son esprit, leurs longues discussions à cœur ouvert, leur mise à nu qui n'était pas uniquement physique, et donc d'autant plus tragique à ses yeux.

Il n'était pas le seul à être au courant, bien évidemment. Ils étaient nombreux à savoir. Mais si peu à avoir compris… Des gorges chaudes avaient été échangées sur la relation passionnée des deux hommes, sur l'addiction de Kanon à la « rédemption » de Milo. Sur les dérives de leur amitié, sur leurs réelles motivations. Ils n'avaient rien perçu d'autre que les baisers enfiévrés, les mains éperdues et les corps avides de contact. Camus, pour sa part, avait vu les éclats dans leurs regards, et la panique dans leurs échanges. Et c'était uniquement pour cette raison qu'il s'était retiré, qu'il n'était pas allé se confronter à Kanon, jusqu'à ce que Milo revienne enfin à ses côtés. Car il était revenu.

Etrangement, il n'en avait jamais douté. Il avait conscience de la nécessité de cette situation. Et c'était probablement ce qui l'avait rongé : la pleine réalisation d'être incapable d'apporter le soutien tant attendu à l'homme qu'il aimait. Parce qu'il était la raison même de sa douleur. Sa source, et son baume tout à la fois. Que les dieux pouvaient donc être iniques, lorsqu'ils désiraient se jouer d'eux ! Avoir conscience qu'il blessait Milo par sa simple présence, tout en lui fournissant des raisons de se réjouir qu'aucun homme n'aurait pu soupçonner… La douleur que les traits du grec était néanmoins devenue impossible à supporter. Mais Milo avait fini par lui revenir… Lorsqu'il avait enfin trouvé l'apaisement nécessaire pour tenter de tourner la page d'une nuit abominable, de ses précédents et de ses conséquences. Des trahisons, et de son propre aveuglement.

Aujourd'hui encore, il était difficile de savoir réellement qui avait été le salut de l'autre. Mais l'amitié indéfectible des deux amis n'avait jamais été ternie. Elle avait même conservé de cette proximité troublante, qui faisait rire autant qu'elle mettait mal à l'aise ceux qui avaient l'occasion d'y assister. Si peu de gens étaient réellement capables de saisir la nuance essentielle de leur histoire. Mais peu importait, au fond. Tant que les concernés, eux, avaient été capables de la décliner convenablement. Camus, en être méthodique, en avait mesuré chaque aspect. Analysé les tenants, et les aboutissants. Pour ne pas devenir fou, mais surtout, pour faire un point nécessaire sur son propre ressenti. Il s'était tenu à l'écart, se reconstruisant également en compagnie de ceux qui avaient traversé des épreuves similaires. Se rapprochant finalement d'individus dont il avait cru n'avoir rien d'autre en commun qu'une charge extraordinaire. Rationaliser. Normaliser. Décortiquer. Faire devenir mécanique ce qui ne pouvait l'être. Pour protéger son propre esprit. Il y était parvenu, tant bien que mal, nécessaire étape à leurs retrouvailles.

Mais la vision de leurs corps…

« Arrête. »

Les bras du Scorpion s'enroulèrent autour du corps de son amant, le rapprochant du sien, jusqu'à l'en étouffer presque. De nouveau, son front vint se poser que l'épaule du français, dont il pouvait ressentir les légers tremblements malgré la température élevée de l'eau. Se mordant la lèvre, Milo finit par céder, cherchant à passer un baume sur leurs blessures mutuellement créées. Il savait qu'il avait probablement irrémédiablement brisé quelque chose d'essentiel dans leur histoire. Mais il ne pouvait pas reculer. Il était ainsi…

« Je ne te dirais pas que je suis désolé, Camus. Si je l'étais, j'irais à l'encontre même de mes principes. Mais j'espère quand même que tu finiras par me pardonner. »

Contre lui, le corps se figea, alors que les ongles longs s'enfonçaient sur le dos de ses mains. Le français posa son front contre la paroi, fermant les yeux, comme pour se détacher de la situation. Oublier Milo. Oublier ses paroles, son corps, ses gestes, et sa sincérité qui finirait probablement par les détruire un jour. Car c'était probablement le pire : ce qui avait changé, chez Milo, ou plutôt, ce qui s'était exacerbé, c'était sa franchise. Son envie de toujours connaître la vérité, de toujours l'affronter. Demandant aux êtres autour de lui de le suivre dans sa logique, car il était devenu incapable de tolérer le moindre mensonge, la moindre pirouette. Il en connaissait les conséquences, et les refusait, tout simplement.

Camus se tourna à peine, posant un œil fatigué sur le visage émacié de son amant. Il y voyait une culpabilité évidente, à la hauteur de la douleur qu'il ressentait. Finalement, eux aussi en étaient arrivés à provoquer mutuellement un mal qu'il était difficile de mesurer. Quelque chose que leurs amis ne verraient jamais… Pourtant, c'était bien cela qu'ils cherchaient : la confirmation qu'ils étaient tous deux capables de se blesser. Avec le rapprochement de Kanon et Milo, ils avaient cru déceler la faille. Mais cela n'avait pas duré. Ils avaient fini par se retrouver, face à l'étonnement des autres. Après tout, il ne pouvait en être autrement. Un sourire amer étira ses lèvres.

Spontanément, son corps se retourna, jusqu'à se retrouver face au Scorpion, dont il prit le visage entre ses mains. De nouveau, le silence s'installa entre eux, alors qu'il cherchait dans son regard la moindre trace de doute, ou de mensonge. Il ne trouva nulle trace de l'un, et encore moins de l'autre. Mais son expression lui broya le ventre : les excuses par la parole avaient rarement eu le don de l'attendrir. Mais cette expression de pure sincérité face à lui… Il était tout bonnement incapable de la gérer. Milo tremblait. Des pieds à la tête, quand bien même c'était à peine visible. Ses cheveux trempés semblaient ajouter une touche de drame à la scène, mais il n'aurait pu trouver le cœur de se moquer. Les mèches collaient à ses tempes, les yeux bleus ne pouvant se résoudre à ciller face aux siens. Attirant son front vers lui, Camus posa sa bouche au coin de l'œil droit de son amant, comme pour prévenir des larmes qu'il n'aurait su voir. Qu'il n'aurait pu supporter de voir, pour être tout à fait honnête.

Un instant, le temps sembla se suspendre, dans un silence seulement brisé par le bruit continu du jet d'eau devenu tiède. Milo se rapprocha brusquement de lui, le collant contre la paroi en pierre, saisissant à son tour son visage entre ses doigts. La pression était presque douloureuse, mais la respiration difficile du Scorpion le prévint de s'en plaindre. Car en cet instant, c'était Milo qui avait besoin de lui. Milo qui craignait de le voir s'éloigner… Comme lui-même avait eu besoin de le faire, pour pouvoir se retrouver. La fragrance typique du grec assaillit les narines du français, qui frémit brutalement, tout en resserrant sa prise. Et lorsqu'il ravagea sa bouche d'un baiser enfiévré qu'il n'était plus à même de contrôler, le Verseau le prit pour ce qu'il était : une demande d'avenir, plutôt qu'un regard dans le passé.

Requête qu'il lui accorda sans hésiter, l'ayant bien trop attendu pour pouvoir lui refuser.