Les murs éclatèrent sans qu'aucun de nous ne s'y attende. Les briques volèrent et en quelques secondes, les décombres nous entouraient. Je sentis alors mon cœur agoniser, se couper en deux. L'air me manquait. J'avais mal, terriblement mal. Et pourtant je me tenais toujours debout, intact. Alors pourquoi ? Pourquoi cette souffrance, cette douleur qui me scindait violemment ? Je regardais mes bras, mes jambes, mon torse : rien, absolument rien. Et soudain je compris, ce n'était pas moi qui souffrait, c'était mon autre moi, mon autre moitié, mon jumeau. Fred. Ce seul mot me fit réagir immédiatement et tout à coup je me précipitais à travers les débris, examinant consciencieusement le sol, jusqu'à apercevoir un éclat roux sous les pierres. Fred ! Je m'agenouillais près de lui et chassai ce qui cachait son visage. Je retins un hochement de surprise en le voyant, souriant. Un sourire. Il riait dans la mort ! Il riait comme à chaque instant de sa vie, et ce sourire me tuait. Imbécile ! Fred était tout, il était moi et j'étais lui. Il était nous aussi, Fred et George, Gred et Forge. Indissociable, identiques, presque une seule et même personne. Il me laissait là, désespéré, seul et vaincu, tentant vainement de respirer sans que mes poumons n'éclatent sous le poids de la douleur. Il était parti, parti… En me laissant pour seul adieu un sourire figé. On m'avait arraché mon âme, mon cœur, je n'étais plus qu'un corps, un corps rempli de vide. Et ses yeux, Merlin ses yeux… Ils étaient éteints, la flamme qui brillait habituellement avait disparu. Un voile opaque et terne couvrait son regard. C'est lui qui avait les plus beaux yeux de tous, un bleu azuréen illuminé par mille paillettes dorées, illuminé par cette étincelle de malice, de frénésie, de joie…Je fermais ces paupières et perdais ma main dans sa chevelure de feu tandis que mon regard se posait sur son visage si semblable au mien. J'étais lui, il était moi, j'étais vivant, il était mort. Il fallait vivre pour lui, se battre pour lui, il fallait rire pour lui, être heureux pour lui. Je serais son sourire coincé à jamais dans sa gorge, je serais son éclat dans son regard vide, je serais les battements de son cœur. Tant que je serais vivant, Fred ne sera jamais mort, il vivra toujours en moi, il sera une part de moi. Et le reflet de mon image dans le miroir sera la sienne, l'écho de ma voix sera la sienne. Alors il fallait vivre, et ne jamais l'oublier quoiqu'il arrive.