Depuis toute petite, Cassandra savait que son prénom ne lui était pas venu par hasard, juste parce que sa mère en aimait la sonorité. Non, Deborah Trelawney avait délibérément baptisé sa fille du même nom que la princesse troyenne maudite.
« Il ne pouvait pas en être autrement » répétait-elle en caressant les tresses dorées de la petite. « Même dans mon ventre, je savais que tu serais spéciale. »
Et spéciale, Cassandra l'était véritablement. Au début, elle ne s'en était pas rendue compte : pour elle, c'était normal de prendre ses gros souliers en prévision de l'averse du soir alors que la matinée s'annonçait radieuse, ou d'ouvrir la porte juste avant que les invités ne frappent au battant.
Seulement, même chez les sorciers, on trouvait ça bizarre. Elle n'avait compris à quel point que lorsque son père lui avait rendu visite, le matin de son septième anniversaire.
Sa mère lui avait toujours décrit l'auteur de ses jours comme un superbe vaurien, le genre de chenapan qui séduit toutes les femmes qui passent malgré elles, et Cassandra avait bien été obligée de reconnaître la pertinence de ce portrait quand elle l'avait rencontré et pu constater sa blondeur solaire, ses yeux si bleus qu'on y voyait passer des oiseaux et son sourire qui aurait pu éclairer tout Londres la nuit.
« Pourquoi m'avoir donné ce don ? » lui avait-elle demandé. « Faudra-t-il que je vive aussi malheureuse que Cassandre de Troie ? »
« Ce n'est pas quelque chose qui se choisit » lui avait-il répondu. « Quant à mener une vie malheureuse… et bien, c'est à toi d'en décider, non ? »
Ces paroles avaient été loin de la rassurer, mais elle avait adoré le miroir qu'il lui avait offert – tout en bronze gravé de soleils et de lauriers, et capable de prendre la forme d'une dague juste au cas où.
« On ne sait jamais » avait déclaré son père avant de la quitter. « Fais-en bon usage, veux-tu ? »
Et elle en avait fait usage, quoique pas sous sa forme d'arme en dehors de rares occasions. Non, c'était parfait pour exercer le don que lui avait conféré son ascendance divine.
Bien sûr, plonger le regard dans les profondeurs du miroir comptait toujours ses risques – le risque d'aller trop loin, de voir le mauvais évènement, et même en faisant tout comme il fallait, il restait encore la possibilité d'interpréter de travers…
Être une prophétesse, c'était loin d'être un cadeau, si bien que Cassandra avait versé des larmes de joie lorsqu'elle avait pu confirmer que son fils à naître n'hériterait pas de son pouvoir. Et aucun des enfants de son fils non plus.
Elle n'avait pas pris la peine de regarder plus loin. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Le don de voyance n'avait pas pour habitude de se mettre en sommeil.
Lorsque les signes étaient apparus chez Sybil, Cassandra était morte depuis plus de dix ans, ayant vécu bien au-delà de la normale pour un demi-dieu, ne laissant derrière elle que le miroir de bronze comme preuve ultime de son identité.
Sybil n'avait jamais osé se servir du miroir, ni comme instrument de divination ni comme l'arme qu'il était devenu la première fois qu'elle l'avait touché. Elle s'était contenté de le ranger dans un étui doublé, et de l'emporter avec elle lorsqu'elle avait quitté la maison.
On ne savait jamais, après tout.
