I - Chez les Malfoy

Pureté n.f. I. (concret) 1. Etat d'une substance pure (I). 2. Etat de ce qui est sans défaut, sans altération. = netteté. II. (abstrait) 1. Littér. Absence de souillure morale. Chasteté. 2. Etat de ce qui se conforme à un type de perfection, à un idéal. La pureté d'un style.

Le Robert de poche. Langue française et noms propres (2003) p.577.

La notion même de pureté le rendait perplexe car, selon lui, bien que les humains, Sorciers comme Muggles, cherchaient par tous les moyens à l'atteindre dans n'importe quel domaine, concret ou abstrait. Il en demeurait pas moins qu'il était… amer. Amer tel le cyanure qui provoque vertiges et palpitations cardiaques. La vérité brute, cruelle, avait également cet effet là sur le corps.

Severus Snape avait depuis fort longtemps cessé d'exposer la moindre émotion qui traversait esprit et coeur, pour ne point être troublé et trahi; non pas seulement parce qu'il fréquentait les Death Eaters et devait se montrer lisse auprès d'un Lord qu'on n'avait de cesse de brosser dans le sens du poil au risque de mourir… Il avait également adopté cette aptitude pour lui seul; sinon, il aurait eu à se terrer au fin fond d'une grotte pluri-protégée de sortilèges et objets magiques, coupé de tout lien social. Quoique… à bien y regarder, il le faisait déjà plus ou moins dans les cachots de Hogwarts où il y passait le clair de son temps depuis qu'il était professeur de Potions pour tenter d'instruire de jeunes ignor… élèves.

La pureté, donc, que recherchaient les Death Eaters au sein de la société magique en arguant que seuls les Sang-Pur avaient droit au pouvoir, aux droits fondamentaux et aux privilèges qui découlent de leur liquide sanguin et de leur séquençage ADN, trace indubitable de leur patrimoine génétique, faisait rire jaune le maître des potions le plus détesté et froid des professeurs. Il était en effet cocasse qu'un Half-Blood se trouve propulsé dans les rangs des Death Eaters; mais encore plus ironique que le Lord à l'origine de cet idéal en soit un de même.

De mémoire d'Homme, tout Half-Blood ou Muggle-born qui avait eu à étudier l'Histoire des Muggles dans une école élémentaire de Muggles avant de recevoir la lettre de Hogwarts, avec l'âge et le recul nécessaire, ne pouvait se retenir d'esquisser un parallèle autrement perturbant si ce n'est grinçant avec un certain Adolf.

Snape en avait connaissance. Et il devait subir toute cette mascarade tournant autour de cet idéal dégoulinant, pour lequel des centaines de morts, de blessés et de disparus jalonnaient déjà la route pour un monde soit-disant meilleur. Une citation latine lui revint en mémoire: si vis pacem, para bellum.

Toutes ces pensées, ces prises de conscience, ce sarcasme et cette ironie de situation, Snape se les gardait enfouis au fond de son âme; Il n'avait pas la crainte que quiconque n'exploite la Legilimencie à son encontre, car le Lord était au plus mal et aucun Death Eater n'oserait s'attirer les foudres du Corbeau, lequel était très doué dans ce domaine comme celui de l'Occlumencie. Cela l'arrangeait, ce qu'il ne se gênait pas par moments à soulever par ses remarques acerbes et ses sourires ironiques. Le jeune homme était pour ainsi dire ravi d'avoir bâti ce persona qui lui seyait comme un gant.

Le plus terrible dans cet engrenage de la quête de cette pureté était l'endoctrinement des enfants de bonnes familles. Cela se faisait de manière plus ou moins subtile, au travers de l'éducation des ascendants (parents, grand-parents, parrains et marraines, oncles, tantes, etc) auprès des descendants. Snape ne dérogeait pas à la règle. Célibataire endurci (à qui la faute?), il s'acquittait donc de son devoir de parrain. Ce qui lui faisait un mal de chien était d'observer la tête blonde du fils Malfoy, encore jeune et innocent, potentiellement vierge de toute manigance politique, être peu à peu exposée à des préceptes et idéaux dangereux et anxiogènes. Une fois la guerre déclarée, on n'oublie pas les victimes sur le champ de bataille, or on omet les dégâts dus à la propagande sur les esprits des civils. Tout Muggle conscient aurait à vous rappeler deux choses: les discours de Winston Churchill (le célèbre I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat vient de suite en tête) et le non pas moins perturbant 1984 écrit par un certain Orwell.

En somme, Snape broyait du noir. Il était devenu paranoïaque, avait de longs épisodes d'insomnies (surtout depuis la nuit du trente-et-un octobre 1981), souffrait parfois d'ulcères à l'estomac, pouvait rater potions et sorts de temps à autres, et était même tant perturbé par sa conscience des choses qu'il sabotait son thé de dix-sept heures pétantes. Il ne savait plus que faire, pris dans l'engrenage. Il pensait, à tort (ou à raison, qui sait?), qu'il n'y avait aucun moyen de se racheter. Faire machine arrière était on ne peut plus impossible.

Snape soupira et passa une main dans sa chevelure noire, des mèches lui tombant dans les yeux. Aujourd'hui, à ce titre, il était convié au manoir des Malfoy à boire un thé. C'était surtout une occasion d'échanger sur "les derniers bruits de couloir" concernant les déserteurs depuis la chute du Lord et de confessions à demi-mots d'un quotidien bancal. Se réinsérer dans la société en se faisant pardonner ses erreurs de jeunesse (oui, tuer pour un mégalomane rentre en ligne de compte) tout en gardant allégeance à l'endroit de quelqu'un dont on n'avait plus signe de vie et dont certains soupçonnaient comme mort (pur égarement) était loin d'être aisé. Cependant, Lucius Malfoy y parvenait au sein même du Ministère, grâce à son charisme, son aura, son habileté à discourir et à mentir. A la rigueur, Snape avait davantage de soucis envers le jeune Draco qu'envers ses parents, bien qu'il les… estimait.

Le jeune homme, au seuil de l'entrée, se vit débarrassé de sa cape de voyage par l'Elfe de maison Dobby. Snape ne daigna pas jeter un coup d'oeil sur le serviteur, tout grand sorcier se devant de déconsidérer les autres races peuplant la Terre.

De son art à ne laisser rien paraître de ses émotion, Snape taisait son sentiment de petitesse face à la grandeur, dans tous les sens du terme, qui émanait de la famille Malfoy. Il n'avait jamais été à l'aise dans cette demeure, impressionné; mais, en même temps, il portait un regard critique sur la chose. Ses origines humbles l'avaient un temps rendu jaloux; aujourd'hui, il n'était plus que résigné. Puis, il pouvait se targuer d'avoir réussi par ses propres moyens, maintenant qu'il occupait un poste d'enseignant, un emploi plus sécurisé et valeur refuge que maître de potions en free-lance. Il n'avait plus à se sentir morveux désormais.

Les trois membres de la famille l'accueillirent dans le salon, où le service à thé complet attendait déjà. La pièce était grande et spacieuse, comme le reste du manoir. Les immenses fenêtres de plain-pied étaient masquées par des rideaux tirés de soie émeraude. De grands lustres à cristaux illuminaient la pièce. La pierre brute apparaissait par endroits, lorsque ce n'était pas un meuble en marbre qui longeait un des murs. De ci, de là, l'on trouvait un objet rappelant la fierté qu'avait la famille à être chez Slytherin. Sinon, quelques photographies des Malfoy rendaient cet endroit plus... personnel. Snape reporta son attention sur Draco qui n'avait pas caché sa joie de le voir à nouveau; mais qui se devait de mesurer ses élans de sympathie, comme tout membre éminent d'une famille haut placée. On ne verra jamais un Sir déborder de joie et rire de surcroît dans un dîner de gala.

Tous les quatre étaient assis chacun dans son fauteuil autour d'une table basse en verre dont les pieds en fer forgé et couverts d'une pellicule d'argent rappelaient des serpents, d'où le service à thé était posé. Les civilités passées, chacun eut tantôt sa tasse fumante en mains. Aux vapeurs, le Maître des Potions détailla la poignée d'ingrédients qui infusait: thé noir Earl Grey, bergamote, pétales de carthame. Le thé des Lords: simple, subtil et fort.

Après quelques temps à discuter avec Lucius et Narcissa, omettant au passage qu'il y avait un garçon de neuf ans à portée d'oreilles, Snape finit par manifester son envie de passer à des choses plus légères en questionnant le jeune Malfoy, comme il le ferait avec n'importe quel élève, la différence se nichant dans la sécheresse du ton de sa voix bien plus souple que d'habitude. Il s'intéressait au garçon, car il souhaitait au fond de lui que Draco aie encore cette part d'innocence, même si ce n'était qu'une lueur, qui pourrait le sauver un jour -si de meilleurs étaient à venir. Pour lui, Snape, c'était fichu depuis longtemps. Sans s'en rendre compte, il poussa un soupir à rendre l'âme. Ce rituel pompeux l'irritait un peu. Une perte de temps. Le sien, qui tournait autour de son thé de dix-sept heures se contentait d'un bon livre et d'un fauteuil confortable. Il n'avait pas besoin de plus.

Pour ne pas vexer ses hôtes, il justifia ses soupirs par de profondes réflexions découlant du dernier décret de l'Education sur l'enseignement des potions, la nouvelle classification des substances toxiques bouleversant le programme scolaire dans ses détails les plus infimes. A partir de là, il fallait définir quels produits et quelles potions il pouvait laisser ses élèves manipuler, et ceux qu'il ne devait que montrer ou évoquer. Les autres adultes lui pardonnèrent cet accès là bien vite, en un rire, Lucius voyant très bien de quoi il en retournait, car il avait entendu les collègues qui s'en étaient chargés au Ministère. Ils l'invitèrent à prendre congé si nécessaire, parce qu'ils le trouvaient également épuisé, malgré le fait qu'il soit en vacances estivales.