Ressentiment

Le colonel Mustang observe le jeune garçon qui se tient en face de lui, debout à face son bureau. Son interlocuteur exulte, mais Roy n'est pas inquiet ; il ne doute pas une seule seconde qu'il sera capable de trouver la petite pique qui le fera dégonfler comme un ballon. Il a toujours été très fort à ce jeu-là, ce qui l'a très probablement aidé à monter les échelons de l'armée.

En comparaison, le garçon, qui vient tout juste de réussir l'examen d'Alchimiste d'Etat, n'est qu'un bleu qui n'a jamais connu les champs de bataille. On peut bien lui coller toutes les étiquettes possibles, "génie", "précoce", "le plus jeune Alchimiste d'Etat", il n'a jamais tué et cela se voit. Mustang a tué, beaucoup. Bien plus qu'il ne l'aurait souhaité. L'expérience est amère, mais formatrice. A présent, il porte toujours un masque et ne laisse rien voir de ses émotions véritables ; il se construit un personnage qui n'a jamais peur, qui ne perd jamais, qui répond toujours au tac au tac. L'ennemi est affaibli quand il est déstabilisé. Par exemple, le garçon, qui venait pourtant se vanter et fanfaronner, commence à se sentir mal à l'aise, rien que par le petit sourire et l'attitude suffisante de Roy.

Le garçon est venu le voir pour récupérer la preuve de sa réussite. Amusant combien la montre d'argent, qui pour le peuple est le symbole de l'Alchimiste d'Etat, devient toujours un tout autre symbole entre les mains de ces mêmes alchimistes. Roy ne connaît guère de ses collègues qui s'en servent pour une chose aussi triviale que lire l'heure. La sienne reste scellée depuis Ishbal. Souvent, il se dit qu'elle renferme une infime parcelle de l'air de là-bas – fumée, poussière, sang, entremêlés par le souffle des explosions et le vent du désert. Il ne l'a plus remontée depuis non plus, et il s'imagine que, sous le couvercle, les aiguilles indiquent toujours une heure sombre, la destruction d'une nouvelle ville, peut-être, ou encore la mort d'un enfant innocent. Lorsqu'il ferme les yeux en tenant la montre serrée dans son poing, il a le sentiment d'être de retour à cette époque. Et lorsqu'il les rouvre, sa détermination s'est affermie.

Mustang se demande vaguement si le garçon utilisera sa montre comme un symbole de sa détermination, lui aussi.

Le garçon s'impatiente. Savoir se faire attendre, voilà un autre secret de la manipulation. Un autre moyen de gagner du pouvoir sur l'autre. Allez, avec lui, pas besoin de formules de politesse. Il lance d'un geste qui semble désinvolte – mais en réalité soigneusement étudié – la montre en argent en direction du nouvel Alchimiste d'Etat qui la rattrape au vol. « Félicitations, te voilà devenu un chien des militaires. » Le garçon accuse discrètement le coup et Mustang s'en sent d'une certaine façon flatté et satisfait.

Agacé, lui ? Pas du tout. Seulement, il faudra qu'il pense à s'isoler un moment de son équipe pour disparaître dans la salle des archives et accomplir une "petite opération chirurgicale" dans les mémoires de l'armée. Jamais, en aucun cas, Edward Elric ne doit apprendre qu'il a fallu au Flame Alchemist deux tentatives pour réussir l'examen d'Alchimiste d'Etat.