1. Le gymnase de mon lycée part en fumée
Il y a des jours où j'aimerais beaucoup avoir une vie normale. Et part normale, je n'entends pas ennuyeuse à mourir, mais plus simple et plus paisible. Jusqu'à maintenant, c'est loin d'avoir été le cas à vrai dire. Non pas que je sois une sorte d'héroïne de roman d'aventure, toujours obligée d'affronter le danger et de sauver le monde, mais pour une adolescente de 16 ans, disons que ma vie a déjà été assez mouvementée.
Depuis ma toute première rentrée scolaire à l'âge de six ans, ma vie sociale a toujours été d'une complexité monstre. Déjà, mes parents ne m'ont pas mis à l'école avant cet âge-là parce que j'étais, je cite la maîtresse que j'avais eu six jours à trois ans, « beaucoup trop turbulente pour espérer ne pas déranger les autres enfants qui, eux, savaient se tenir. » On partait donc sur des bases plutôt cool n'est-ce pas ?
Mais le réel problème, c'est que tout les ans, c'est le même cirque : j'arrive dans une nouvelle école, j'ai des problèmes qui me valent beaucoup d'avertissements – de comportement ou de résultats scolaire, parfois même les deux – et je finis par me faire renvoyer. Et ça recommence l'année suivante. Année après année. C'est fatiguant. Les dernières années, j'étais cataloguée comme la fille qui s'était faite virée de toutes ses précédentes écoles, et c'était compliqué pour moi de m'intégrer dans ces conditions.
Le pire, c'est que ce n'est littéralement jamais de ma faute. C'est plutôt comme si les astres s'étaient alignés à ma naissance et s'étaient mis d'accord pour me jeter le mauvais œil ou quelque chose dans le genre. Premièrement, je suis dyslexique et dysorthographique, ce qui explique en grande partie mes notes catastrophiques – la petite partie c'est le fait que j'ai baissé les bras, il faut bien l'avouer. Et deuxièmement, mes problèmes de comportements n'en sont pas vraiment. Disons que je suis plutôt toujours au mauvais endroit au mauvais moment.
Par exemple, lorsque j'avais sept ans, j'aurais apparemment déclenché un éboulement dans la salle des planètes suspendues du musée d'Histoire naturelle. Ce qui est faux, bien entendu, sauf que plusieurs de mes camarades de classe ont soutenu qu'ils m'avaient vu faire quelque chose de louche et m'enfuir en courant juste avant l'avalanche. Résultat des courses, une lettre à mes parents pour leur dire qu'il n'était pas nécessaire de me réinscrire dans cette école l'année suivante.
Une autre fois, j'avais neuf ans et ma classe faisait une sortie dans un théâtre, sur le trajet du retours, et alors que la sortie s'était miraculeusement déroulée sans encombres, une vieille dame s'est assise à côté de moi et s'est mise, au bout de quelques minutes de trajets, à me hurler dessus. Evidemment, je me suis fait copieusement remonté les bretelles car tous les adultes ont présumé que c'était moi qui embêtait cette vieille femme et personne ne m'a cru quand je leur ai expliqué qu'elle avait menacé de me manger en prétextant que je sentais divinement bon.
Et des histoires comme ça, j'en ai des tas. Tous les ans, c'est le même chose a vrai dire. Quand j'ai eu treize ans, ça nous a même obligée, mes parents et moi, à changer de ville parce que j'avais fait tous les collèges de celle où nous étions et qu'aucun d'entre eux ne voulait me reprendre.
Ce qui nous a conduit ici, une petite ville de l'Arizona nommée Moontrap City. C'est calme, petit, loin de notre ancienne localisation, ce qui augmentait mes chances de trouver une école. Quand je pense à tout ça, je me dis que mes parents sont quand même les meilleurs du monde, a toujours avoir supporté ça sans rien me dire. Bon, évidemment, je sens toujours du découragement que ils reçoivent mes lettres d'expulsions, mais eux au moins, me croient quand je dis que je n'y suis pour rien.
Enfin, toutes ces péripéties scolaires m'auront tout de même permis de me retrouver ici, en première année au petit lycée sans histoires que j'avais intégré en septembre. Et à ma plus grande joie ainsi qu'à celle de mes parents, rien n'était à déclarer cette année. Rien, vraiment rien du tout. Comme un miracle. J'avais survécu à dix mois de cours sans qu'aucun événement ne survienne, impliquant mon renvoie immédiat. Encore mieux, je me plaisais vraiment ici.
« Ah, tu es là ! Je te cherche depuis tout à l'heure ! »
J'ai peine à entendre la voix qui arrive de ma droite, mais je la connais assez bien maintenant, pour la déceler malgré la musique assourdissante qui résonne dans le gymnase de mon lycée. L'un de mes deux amis, Duncan, s'approche de moi aidé de ses éternelles béquilles et me sourit.
Duncan Hill est un garçon à la peau halée et aux cheveux noirs et bouclés. Il est plus âgés que tout le monde, même les dernière année, parce qu'il a redoublé au moins quatre fois à cause de ses problèmes scolaires. Moi, j'ai eu la chance d'y échapper à chaque fois, mais lui, c'est une autre histoire. Je l'adore. Quand je suis arrivée au lycée, il m'a immédiatement pris sous son aile, comme s'il avait senti que j'aurai besoin d'être entourée et protégée. Non pas qu'il en impose ou soit particulièrement populaire, mais tout le monde l'aime bien.
Pour m'excuser d'avoir déserté ma chaise et lui avoir donné du fils à retordre pour me mettre la main dessus, je lui désigne mon vers de limonade.
« Désolée. Je suis venue chercher à boire. » Je crie presque à cause de la musique beaucoup trop forte. « Tu veux quelque chose ? »
Duncan fini par se décider pour la même chose que moi et je lui tend son gobelet en plastique blanc remplit à rebord.
« Il fait chaud, hein ?
– Il fait chaud, et ça pue la transpiration d'ados et le parfum bon marché. Beurk ! » renchérit Duncan en plissant le nez.
Ce soir, nous fêtons avec tout le lycée la fin de l'année avec le traditionnel bal de promo. Dans une heure, on couronnera même le roi et la reine. Ce que je peux me moquer de tout ce cérémoniale. Mais Katy, ma seconde meilleure amie, espère tellement pouvoir être couronnée pour notre bal de promo de dernière année qu'elle ne veut en rater aucun pour être au courant de tout ce qu'il s'y passe.
D'ailleurs...
« Où est Katy ? »
Duncan hausse les sourcils comme pour me signifier combien ma question est idiote et pointe un doigt vers le centre de la piste. Où je remarque finalement ma folle de meilleure amie se déhancher comme une endiablée dans sa robe rouge, au milieu des autres élèves qui n'ont d'autres choix que de s'écarter s'ils ne veulent pas prendre le risque de recevoir une main, un coude ou des cheveux blonds dans le visage.
Katy Prington. Quelle drôle de fille ! On est devenue amie le jour où, au milieu de septembre, elle est venue me voir à la cantine pour m'agiter sous le nez des tracts informatifs sur le végétarisme en m'assenant que le steak dans mon assiette, celui-là même qui baignait dans une sauce à la tomate, était un bébé vache tout mignon et que c'était une honte d'accepter de le manger. Je l'ai tout de suite bien aimé, parce qu'elle n'avait pas peur de crier ses idées. Elle aussi m'a tout de suite bien aimé, parce que je lui ai prit un tract.
« Tu es plantée ici depuis plusieurs minutes et tu ne l'avais pas vu ? s'étonne Duncan en buvant une gorgée de son gobelet.
– Je... réfléchissais. »
Je préfère dire « réfléchir » que « ressasser mes interminables problèmes ». Ça fait plus optimiste, parce que je pourrais être en train de réfléchir à n'importe quoi après tout. Mais évidemment, Duncan trouve ça trop vague et a besoin de précisions :
« Et tu réfléchissais à quoi ?
– Je trinquais à mon ancienne vie merdique. Mais heureusement, aujourd'hui, tout va beaucoup mieux : je suis à un bal de promo vraiment ennuyeux, dans ma robe de soirée d'occasion, à attendre de savoir qui seront élus la fille et le garçon les plus inintéressants de l'année. Tu veux te joindre à moi ? » je lui propose en levant mon verre.
Il affiche un air désespéré. Je sais qu'il n'aime pas trop l'ironie, il préfère dire les choses telles quelles sont. Je l'admire pour ça, mais moi, j'ai besoin de l'humour pour faire passer l'énorme pilule que représente mon existence.
« Si jamais Katy t'entend dénigrer cette soirée, fais attention à toi. » se contente pourtant de me répondre mon ami en trempant de nouveau ses lèvres dans le soda.
Comme si elle avait entendu son prénom malgré la distance et la musique, Katy s'arrête soudainement de danser, essoufflée, et vient nous rejoindre. Surexcitée, elle saute dans mes bras.
« C'est génial, non ?
– O-oui, vraiment génial... »
Elle ne m'écoute pas vraiment, toute à l'euphorie qui l'habite. La vérité, c'est que je m'ennuie ferme et que je donnerais tout pour pouvoir m'extraire du gymnase étouffant, respirer l'air frais, et rentrer chez moi pour rejoindre le lit douillet qui m'attend désespérément.
Prenant mon courage à deux mains, je me penche à l'oreille de mon amie.
« Ecoute, je crois que je vais... je commence avant qu'elle ne me coupe en se pendant à mon bras.
– Tu vois Jordan, là-bas ? »
Je tourne le regard vers le garçon qu'elle me désigne. Oui, je le vois, très bien même. Et je met totalement une attitude sur ce visage : ce gars est un dragueur de première, pas méchant, certes, mais je n'aime pas la façon dont Katy me l'indique, comme si elle espérait quelque chose de lui.
« Et ?
– Je suis sûre qu'il me matait tout à l'heure.
– Katy... » je soupire en la forçant à me lâcher.
Et voilà, qu'est-ce que je disais ? Elle n'apprend jamais de ses erreurs, c'est dingue.
« Ah non, ne commence pas ! » me devance-t-elle en pointa un doigt accusateur vers moi.
Malgré le fait que je n'entende pas très bien ses paroles, je sais exactement ce qu'elle vient de dire, au mot près. C'est parce que cette sorte de conversation revient très souvent entre nous, dans un sens ou dans l'autre.
« Ne commence pas quoi ?
– Tu le sais très bien ! »
Je hausse les épaules. Je n'ai pas envie d'argumenter, elle a déjà saisi ce que j'en pense, de toute façon. Et puis j'ai envie de rentrer et me fâcher avec Katy maintenant ne ferait qu'augmenter sa déception et sa colère me concernant.
« Mais dis quelque chose ! proteste-t-elle en se tournant vers Duncan. J'ai quand même le droit de faire ce que je veux, non ? »
Mauvaise idée que de prendre notre ami à partie. Il lève les mains devant lui en signe d'abdication, ses béquilles suivant le mouvement, et secoue la tête.
« Ah non, mais moi, je ne me mêle pas de vos histoires ! Surtout si ça concerne Jordan Garcia. »
Katy se renfrogne très visiblement. Parce que avec cette dernière petite phrase, il signifie quand même qu'il est de mon côté. Victoire ! Je tirerais bien la langue à mon amie mais elle entrerait dans une colère noire et je ne veux pas la fâcher plus encore. Katy doit marmonner qu'elle retourne danser, mais je ne l'entend pas, et nous abandonne.
« Elle est vexée, commente Duncan en terminant son soda.
– Elle est tout le temps vexée. » je rectifie.
Je prend ensuite une inspiration pour me jeter et annoncer à au moins l'un de mes amis que je vais rentrer chez moi parce que j'en ai vraiment marre d'être dans ce gymnase bourré d'adolescents surexcités lorsque je sens une main m'empoigner fermement le bras. C'est celle de Duncan, qui me ferait presque mal. Je lève le regard vers lui pour voir que malgré son teint mâte ibérique, il a l'air livide.
« Qu'est-ce que... ? »
Je tourne la tête, persuadée de voir Katy rouler la pelle du siècle à Jordan en signe de provocation, mais aucun vision d'horreur telle que celle-ci ne vient troubler mon esprit. Le regard de Duncan a l'air perdu au milieu de la foule de danseurs.
Avant que je n'ai eu le temps de lui poser la moindre question, il me tire vers le côté de la salle, et je remarque tout de suite que nous nous dirigeons vers la sorte.
« Viens, on s'en va. Je te ramène.
– Quoi ? Attends... »
Mais il ne m'écoute pas, serre encore plus fort mon bras. Je ne comprends pas ce qui lui arrive, mais il marche beaucoup plus vite que d'habitude, même avec ses béquilles. Très agacée et légèrement inquiétée par son comportement, je pile net et l'oblige à s'arrêter.
« Stop. »
Duncan se tourne vers moi et croise mon regard. Je crois qu'il comprend l'incompréhension en moi car il se radoucit comme il peut.
« Désolé, c'est juste... Ne me fait pas croire que tu veux rester ici ? »
J'ai l'impression qu'il essaye de me berner. Oui, je veux rentrer chez moi, mais j'ai la nette conviction que ce n'est pas du tout la raison de notre départ précipité. Ou du moins, pas l'unique raison. Parce qu'il ne me mentirait pas, n'est-ce pas ?
« Ne me mens pas.
– Je ne veux pas que tu rentres toute seule.
– Ne. Me. Ment. Pas. » je répète en appuyant sur chacun de mes mots et en dégageant mon bras de sa poigne d'un coup sec. Il soupire.
« Qui est-ce qui m'a collé une fille pareille, sérieusement ! »
Je ne relève pas et le regarde plutôt jeter un coup d'oeil par-dessus mon épaule de manière fébrile. Je ne me retourne pas non plus. C'est lui que je fixe et croise les bras. Il finit par lever les yeux au ciel.
« Est-ce que tu pourrais ne pas poser de questions et me laisser te raccompagner ? S'il-te-plait ?
– Non. C'est à cause Katy ? »
Je me suis souvent demandé si Duncan ne ressentait pas quelque chose pour notre amie, à vrai dire. Ce dernier soutient mon regard un instant puis finit par le lâcher.
« Pense ce que tu veux, je t'ai déjà dit que tu te faisais des idées.
– Mais bien sûr. »
D'accord, là, je crois comprendre. Duncan n'a juste pas supporté de la voir retourner danser alors qu'elle venait de nous parler de Jordan. Il doit s'imaginer qu'il va se passer quelque chose et ne veut surtout pas y assister. En fait, je suis son excuse pour quitter la fête. Sincèrement, ça me va. Comme ça, moi aussi j'ai une bonne raison pour partir.
Alors je finis par abdiquer.
« D'accord, tu me raccompagnes. Mais je vais quand même prévenir Katy.
– Tu risques de la déranger et puis elle n'est pas franchement contente, alors savoir qu'on s'en va déjà...
– Si je ne la préviens pas, elle nous réduira en charpie la prochaine fois qu'elle nous verra. Si elle ne nous ignore pas. »
L'ignorance est la pire arme de torture de Katy Prington. Vraiment, c'est horrible de la voir te regarder dans les yeux sans prononcer un seul mot jusqu'à ce que tu lui demandes platement pardon pour toutes les horreurs du monde. Et un peu flippant aussi.
Duncan lâche du leste à son tour. Il doit se dire que puisque je consens à le sortir de là, il me doit bien ça.
« Ok, mais tu contournes la foule et tu reviens vite. »
Je ne vois pas très bien pourquoi je ne pourrais pas sauter dans la foule de lycéens qui dansent au milieu du gymnase, mais comme je n'en ai de toute façon aucune envie, je hoche la tête et retourne à l'endroit que nous venons de quitter, près de ce qui ressemble vaguement à un buffet, et en longeant les murs.
De retours au point de départ, je ne vois cependant pas Katy tout de suite, et j'ai peur de voir Duncan débarquer en me hurlant que mon temps est écoulé. Je scrute les adolescents et, enfin, je crois reconnaître un pan de sa robe rouge. Mais aucune chance que je puisse attirer son attention là où je suis.
Je pousse un profond soupire et me résout à aller la trouver. Décidée à faire ça le plus vite possible – ce qui diminuerait de beaucoup mes chances de prendre un coup. Et puis il fait chaud parmi les danseurs, encore plus que dans la salle elle-même. C'est dingue, cette chaleur, comment peuvent-ils supporter ça ? Et les spots de lumières... verts, jaunes, rouges, bleus... Ça n'aide franchement pas à se repérer, ça aveugle, ça flash... Brrr, je déteste vraiment les soirées.
Il fait vraiment chaud, non ?
Ma tête tourne. Je ferme les yeux une demie-seconde pour tenter de retrouver l'équilibre qui commence à me manquer. Je crois que j'ai envie de vomir, mais pas comme une envie pressante, plus comme une nausée qui monterait pas à pas. Je rouvre les yeux. Et là, je comprends que je suis en train de faire un sacré malaise. Parce que j'ai maintenant l'impression que tout autour de moi fonctionne au ralenti.
Les lycéens dans leur danse endiablée, les flash de lumière, la musique beaucoup trop forte... Je sens mon cœur battre un peu plus vite, c'est le stresse, parce que je ne fais pas souvent des malaises. Mais assez pour savoir qu'il me faut sortir d'ici, et vite – tant pis pour Katy, je lui enverrais un message une fois à l'air libre.
Je fais volte-face comme un automate et me fige de nouveau. Face à moi, une jeune fille, d'à peu près mon âge, des très longs cheveux de jais, des yeux noirs, maquillés à outrance, qui me fixent, mais avec un regard si intense que que ça me met mal à l'aise. Elle est là, en travers de mon chemin. Et je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'elle m'en veut, même si il n'y a aucun raison à ça parce que je ne la connais pas du tout... Est-elle seulement élèves dans notre lycée ?
Je voudrais parler mais je ne me sens vraiment pas bien. Comme si le moindre mot pourrait me faire rendre tous les gâteaux apéritifs que j'ai mangé ce soir. Et cette migraine qui tape de plus en plus fort à mes tempes...
« Eleanor Hastings. »
Mon nom me ramène quelque peu sur terre. Comment cette inconnue sait-elle comment je m'appelle ? Ça n'a aucun sens. Mais je ne peux toujours pas parler, j'ai l'impression que je ne vais pas tarder à m'écrouler par terre si je ne trouve pas quelque chose ou quelqu'un sur qui m'appuyer. Je cherche du regard, désespérément, parmi ses gens qui dansent toujours au ralenti.
« Eleanor Hastings. »
Elle insiste. Je lève les yeux vers elle pour lui signifier que je l'entends. Et un hurlement monte dans ma poitrine pour se coincer dans ma gorge. Parce qu'elle n'a plus rien de la jeune fille au visage de poupée que j'ai vu tout à l'heure. Sa robe violette est maintenant partiellement calcinée, son corps recouvert de cloques et de morceaux de chairs noirs, carbonisés. Pire que tout, sa bouche à l'air d'avoir été cousue avec du fil de pêche et ses yeux... ses yeux ont disparus !
« Eleanor Hastings. »
Evidemment, après cette découverte, je suis beaucoup plus disposée à l'écouter. Tout en répétant une nouvelle fois mon nom, la fille lève un bras brûlé vers moi et je vois danser dans sa paume ce qui ressemble beaucoup trop à une boule de feu pour être rassurant. Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Instinctivement, je fais un pas en arrière, et c'est à ce moment-là que je me rends compte que je peux bouger. Je l'avais oublié. Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Est-ce qu'on m'a drogué ? Je ne vois que ça.
« Tu n'aurais jamais dû naître, Eleanor Hastings. Tu perturbes l'équilibre. » finit par dire la chose – d'ailleurs, comment parle-t-elle puisque sa bouche est cousue ?
Je suis soudainement prise de panique. Elle veut m'éliminer. Mon regard est attiré de lui-même par la boule de feu qui grossit, grossit, grossit à l'intérieur de sa paume. Mon respiration s'affole, mon cœur aussi. C'est peut-être idiot à dire, dans cette situation, mais je ne veux pas mourir.
Et puis, j'entends un hurlement effrayée et la foule qui nous entoure retrouve un rythme normal, s'écarte dans la précipitation, se divise en deux comme la mer rouge. Non, ça ne peut pas être réel... Mais si eux aussi peuvent le voir... Ça l'est ?
Quand la boule de feu quitte sa main dans ma direction, je ne sais quelle force surhumaine me permet de l'éviter de justesse et me jetant au sol, sur le côté. Le projectile enflammé s'écrase avec violence contre le mur derrière moi et l'énorme banderole qui surplombait la scène où devaient être couronnés le roi et la reine s'embrase. Bizarrement, je ne me sens plus du tout nauséeuse, ni migraineuse. Je sens juste une dose innommable d'adrénaline courir dans mes veines.
Haletante, je relève la tête pour voir mes camarades de lycée courir de façon désordonnée tout autour de moi. Plus aucune trace de la fille-zombie-lanceuse-de-boules-de-feu. Est-ce que j'en suis soulagée ? Pas du tout !
Je sursaute et cri quand quelque chose s'accroche soudain à mon bras, persuadée que c'est la chose. On me force à me tourner pour me faire face et je me débat violemment mais la voix qui résonne enfin à mes oreilles me calme aussitôt.
« Léna, ne reste pas là ! On bouge ! Vite ! »
C'est le bruit de la banderole qui cède et s'écroule sur la scène, enfumant encore plus le gymnase et enflammant tout ce qu'elle touche, qui me fait réagir. Il a raison, on doit... oui... on doit partir d'ici...
Comme une automate, je suis Duncan qui contourne les adolescents paniqués qui tentent de sortir le plus rapidement possible, et il me traîne jusqu'aux vestiaires pour garçons. Qu'est-ce qu'on fait ici ? Mon ami me tire par une porte grande ouverte et je me souviens soudain des sorties de secours.
« Aller ! »
Il fait à peine nuit dehors, et la fraicheur du soir aurait pu me sembler salvatrice si l'air ne commençait pas à s'imprégner d'une odeur de cramé et si les cris effrayés des élèves ne couvrait pas le silence qui aurait dû régner ici.
« Viens. »
Je n'ai aucun pouvoir de décision et je laisse Duncan me prendre par la main pour me faire sortir du périmètre de sécurité mis en place par les professeurs sans être vus. Je commence à reprendre mes esprits et quelques éclairs de lucidités font surface.
« Attends... Katy...
– On a pas le temps, Léna ! Il faut qu'on s'en aille !
– Mais... »
Ma voix est pleine de sanglots mais ça ne l'attendrie pas le moins du monde. Il s'arrête, se tourne vers moi et me prend par les épaules avant de planter dans mes yeux le regard le plus dur que j'ai jamais vu à personne.
« Ecoute-moi bien, il faut qu'on rentre chez toi, tu m'entends ? Léna, est-ce que tu m'entends ? » Je hoche difficilement la tête. « Maintenant ! »
Et alors, nous nous élançons tous les deux dans les rues de notre petite ville en direction de ma maison, et je suis si choqué par ce qu'il vient d'arriver que je ne remarque même pas que, étonnement, Duncan court bien mieux sans ses béquilles.
