Auteur : Ariani Lee

Bêtalecture : Lyly u/Shangreela

Collab' : c'est particulier, en fait. Je n'avais pas d'idée, alors j'ai demandé à Lyly u de me donner des mots en vrac, moi j'ai noté des contraintes et ses mots sur des bouts de papier pliés, mon mec a pioché les petits papiers au hasard, et Lécimal m'a aidée à trouver pratiquement tous les gags.

Contraintes : ça se passe avant ACF, dans la matinée, et la situation était le ménage.

Mots à placer : Doublage, concupiscent, détermination, pierre, magie.

Ce hors série (le premier, même si n'en attendez pas d'autre avant trèèèèès longtemps) est un cadeau pour Gail LLD.

Joyeux anniversaire ! Je t'informe que Tortipouss veut toujours te fumer, mais que j'ai préfér t'écrire ça plutôt que t'envoyer la Bête par la Poste (parce que je n'ai pas ton adresse). Je t'embrasse (si tu veux bien), enjoy !

MAUVE – Hors Série

La Troisième Règle

Mais si t'es mon pote

Tu m'laisses tricher au Scrabble

Et tu m'fais pas la gueule

Quand tu m'vois magouiller

Moi je veux juste gagner

Ça m'amuse pas de jouer

Mais si t'es mon pote… Tu t'tais

(Renaud Séchan : Si t'es mon pote »)

C'est l'été. Il fait chaud, une brise tiède souffle par les fenêtres et à travers le grand appartement vide, du salon jusqu'aux chambres.

Quelques caisses et sacs sont empilés contre un mur de la deuxième chambre, c'est la seule pièce de l'appartement à ne pas être complètement vide à l'exception de la salle de bains, dans laquelle se trouvent déjà un gobelet en plastique contenant dentifrice et brosses à dents, un rideau de douche défraîchi, un rasoir jetable et une serviette éponge. Dans la chambre, au pied de la fenêtre grande ouverte se trouve également un grand matelas deux personnes neuf et nu, posé à même le plancher propre. Il est huit heures vingt-neuf du matin. Huit heures, vingt neuf minutes et exactement cinquante sept secondes au troisième top.

Bip. Bip. Bip.

Cinquante huit.

Cinquante neuf.

« Maintenant qu'on est face à face, on se ressemble SANG POUR SAAAAAAAA-AAAAAAAAA-AAAAAAANG ! ~ »

- Aaaaaaaaaaaaargh !

Axel hurle de terreur et fait un bond de vingt centimètres de haut avant de retomber sur le matelas et de se mettre à chercher frénétiquement son portable qui continue à brailler Johnny. Il l'attrape finalement et fait taire les beuglements atroces qu'il se bousille à émettre, puis reste assis un instant à attendre que son cœur se calme. Au bout d'un moment, il pianote sur son téléphone et le porte à son oreille en marmonnant.

- Putain, l'enculé…

- Ouiiiiiiiiiiiii ? Demande une voix trop enjouée après même pas une sonnerie.

- Reno, espèce de connard dégénéré ! Si tu recommences je te jure que tu vas me le payer ! C'est la cinquième fois cette semaine !

- Bonjour Axel, oui j'ai bien dormi, et toi ?

- T'es un putain de vicieux en plus ! T'as coupé dans le morceau pour que ça embraye direct sur le refrain ! Espèce de psychopathe sadique ! Comment tu fais, hein ? Je le vérifie chaque soir avant de dormir et j'ai déjà changé le code de verrouillage trois fois.

- Cherche pas, c'est magique. Je veille à ce que tu te lèves, c'est tout. Maintenant, est-ce que je prends aussi mon pied en le faisant ? Ouais, carrément.

- Johnny, Reno. JOHNNY. Ça peut pas continuer. J'te jure, si tu refais ça encore une fois…

- Je suis arrivé à la Mairie, faut que j'te laisse ! Ciao !

Clic.

Axel regarde son portable comme s'il venait d'insulter toute sa famille. Un jour, un jour, il aura sa peau.

Il sursaute et lâche le téléphone lorsque celui-ci vibre et hurle : « SAUVE L'UNIVEEEEEERS ~ ! »*.

- Mais merde, t'as pas fait ça… ? Gémit-il avant de lire le SMS qu'il vient de recevoir.

Si, si. Je l'ai fait. Allez, pas la peine de me dire merci : je sais que t'es fan.

- Mais comment il fait ?

Il lui a déjà remplacé la sonnerie du réveil matin quatre fois. La première fois, c'était « Papillon de Lumière », le refrain à plein volume. Son cœur a vieilli de dix ans sur ce coup. La deuxième, c'était « A vingt ans » et la voix de Lorie lui a perforé les tympans aussi efficacement qu'un coup de tournevis. Il a aussi eu droit à « Sans Contrefaçon », et l'avant-veille, c'était « Ce rêve Bleu ». Et cette fois, il a tout changé !

Fatigué d'avance rien qu'à l'idée que de toute façon, Reno lui re-changerait tout à la première occasion, il s'habille et empoche le portable sans rien faire d'autre.

Ils ont emménagé depuis une semaine. Enfin, emménagé… Ils ont investi les lieux avec un matelas, leurs fringues dans des sacs et le minimum vital. Ils n'ont pratiquement rien.

Ils ont décidé qu'ils vivraient ensemble à l'âge de dix-huit ans, ce qui a beaucoup fait sourire leur entourage. Personne n'y croyait, mais depuis ce jour, ils avaient économisé ensemble chaque centime qu'ils avaient gagné ou reçu, pour pouvoir se payer ce qu'ils voudraient en emménageant.

Du coup, il faut avant tout poser la moquette dans le salon. Elle est déjà là, roulée et calée dans un coin de la pièce. Mais même si ça bloque tout, ce n'est toujours pas fait. Parce que, déjà, la semaine a été plus que chargée – ils n'ont pas cessé d'aller à droite et à gauche pour remplir des formalités– comme Reno ce matin là ils ont des entretiens d'embauche, et ils passent donc leur temps à courir dans tous les sens puis à rester assis dans des salles d'attente avant de repartir pour prendre un bus bondé, par une chaleur écrasante. Ils étaient tellement occupés et crevés qu'en rentrant c'était douche – manger – dormir. Ils n'ont même pas encore fait faire son baptême de l'air au matelas (et Dieu sait qu'ils en ont déjà baptisés : ceux de leurs chambres, de la chambre de certains potes, des matelas pneumatiques, des matelas de feuilles mortes,…).

Mais aujourd'hui, Axel est cool : plus de rendez-vous, ni rien à faire. Il comptait faire une mi-grasse matinée pour récupérer, mais c'était sans compter sa peau de vache de meilleur ami. Il a du temps libre devant lui, mais pas la moindre envie de commencer à étendre la moquette. Pourquoi ?

Parce que ça implique de balayer le plancher. De faire le ménage (et de suer, mais c'est accessoire – pour l'instant). Axel ferait bien l'innocent et nierait bien la corvée jusqu'à ce que Reno le fasse, mais il ne faut pas compter dessus. Comme Reno n'a pas manqué de lui faire remarquer, c'est lui qui a nettoyé la chambre où se trouve le matelas. Axel a eu beau lui faire remarquer – avec raison, mais quelle importance ? – que le salon est trois fois comme la chambre, Reno s'en bat les steaks (sic) : c'est son tour.

C'est donc en dégageant une aura de détermination approchant le zéro absolu qu'Axel se prépare psychologiquement à affronter l'épreuve. Mais avant…

Café.

Ils comptent investir dans une machine à café haut-de-gamme (ils en boivent des litres), et comme ils n'ont pas encore eu le temps d'aller la choisir, Axel descend au bistro du coin. L'endroit est pratiquement désert à cette heure. Le café est bon, mais un peu fort. Il en enquille trois et un croissant avant de regagner l'appartement, plus réveillé, mais pas plus motivé.

Il prend avec réticence le balai neuf qui est dans la cuisine et commence à balayer. Il fait vraiment chaud, alors il s'attache les cheveux. Comme ça, il sait bien qu'il ressemble encore plus à Reno et pour l'heure ça l'agace, mais tant pis.

Après avoir soigneusement balayé le plancher, il laisse le tas de poussière devant la porte, dans le couloir (ils n'ont pas de pelle), et s'attaque vaillamment à la moquette.

Il couche l'énorme rouleau de tapis et le positionne bien contre le mur, puis commence à le dérouler. C'est extrêmement lourd, et les bords ne semblent pas s'aligner correctement avec le mur mais il décide de terminer de la déplier correctement avant d'ajuster les découpes.

Il s'échine pendant une demi-heure, on dirait qu'il y a un défaut dans la moquette et qu'elle se déroule de travers – par endroit elle empiètesur le mur et de l'autre côté le plancher reste nu. En sueur, il se débarrasse de son T-shirt et ouvre les deux fenêtres qui donnent sur le balcon.

Le silence de l'appartement vide lui pèse un peu, alors il va fouiller un peu dans les caisses qui encombrent la chambre et en sort un vieux poste de télé portatif. Ça meublera un peu. Elle capte plus qu'une chaîne, la petite télé. Chez les parents d'Axel, c'était MTV. Ça l'arrangerait bien, là. Bon, ça le forcerait à subir la magie du top 50 qui fait que tu écoutes quinze morceaux que tu détestes à des degrés divers pour un que t'aimes bien.

Manque de bol, quand Axel l'allume, l'image qui apparaît est celle d'une chaîne de dessins animés. Mais bon, ils vivent pas à côté de chez lui – enfin de chez ses parents – et c'est toujours mieux que rien.

Il laisse l'appareil à l'entrée du couloir, juste à côté du petit tas de saletés qu'il a balayées, et se tourne vers l'intérieur de la pièce, les poings sur les hanches…

… et comprend son erreur.

Il n'y pas un endroit de la moquette – pas un ! – qui soit à sa place. Tout est mis n'importe comment, et maintenant qu'il n'a plus le nez dessus, c'est d'une évidence limpide.

Il l'a déroulée à l'envers.!

Pour accompagner son horreur, le poste à ses pieds débite cette petite chanson énervante :

« Pompulilu, pouvoirs magiques ! Pompulilu, c'est fantastique ! Papa, Maman, Bouffe-tout, Charlie, je vais changer toute votre vie ! Pompulilu ~ » *

Si Reno voit ça, il va se foutre de sa gueule jusqu'à ce qu'il perde patience et lui en mette une, et Axel pense que c'est pas la meilleure manière d'entamer leur vie commune. Donc il refoule le hurlement de rage qui lui brûle la gorge et entreprend de déplacer la moquette.

Dire que c'est laborieux serait un euphémisme. Pendant que la télé déballe son lot de dessins animés plus ou moins sains et adaptés à l'âge du public ciblé (« Princesse Sarah » : OK, « Dragon Ball » : OK, « Sailormoon », OK, Ken le Surivant » : Euh, c'est des gosses, quand même… ) il s'échine, soulève, tire, traverse la pièce, re-soulève, re-tire, trouve le bon sens, arrange le tout, s'aperçoit qu'il s'est gouré et que le haut est en bas, recommence, fredonne le générique de « Nicky Larson » et s'émerveille de se souvenir de toutes les paroles dix ans plus tard (faut savoir jouir des petites choses de la vie). Finalement, il est midi largement passé quand il recule jusqu'à la porte du salon pour admirer le résultat. Il n'y a que dans le coin en face où ça dépasse un peu, mais vu qu'elle a été prédécoupée, c'est normal que ce soit pas parfait. Il va récupérer un cutter dans ses affaires et se met à genoux. Il appuie le tapis contre les plinthes, cherchant le bon angle, le nez au ras du sol. La moquette lui chatouille le haut du torse qui repose dessus et les coudes, mais s'assure que tout soit bien en place avant de faire la découpe. Une fois que c'est fait, il dépose son cutter et, toujours à quatre pattes, en regardant de près, appuie dessus pour bien la caler dans son coin.

- Hé ben, quel accueil ! Merci pour la vue !

Avant qu'il ait eu le temps de se redresser, Axel sent – et entend - une main claquer sur ses fesses. Il se retourne d'un bond et se retrouve assis face à Reno qui le regarde d'un air satisfait.

- Merci pour la moquette et pour le spectacle, il lui dit. T'as fait du beau boulot.

- T'es là depuis longtemps ? Demande vertement Axel, encore refroidi par le réveil atroce du matin.

- Oh, assez longtemps, répond l'autre sans se départir de son petit sourire. T'avais l'air si concentré… je voulais pas te déranger.

Axel lui fait la grimace et se relève. La vengeance est un plat qui se mange froid. Il s'en occupera plus tard.

- Ouais, ça m'a pris la matinée.

Reno le détaille de bas en haut, et Axel s'essuie le front.

- Me regarde pas comme ça, il dit.

- J'aime quand t'attaches tes cheveux.

- Ouais, parce que t'es un gros narcissique. J'te plais parce qu'on se ressemble.

C'est au tour de Reno de grimacer.

- Alors, mon concupiscent colocataire, demande Axel en ramassant les chutes de tapis et le cutter. Ça a été, ta matinée ? Et ton entretien ? C'était où, déjà ?

- A la SHINRA. Ça s'est très bien passé, je crois que ça va le faire.

- C'est cool.

- Et toi ?

Axel lui lance un regard noir.

- Y a un malade mental qui s'amuse à me torturer en utilisant des méthodes de lâche et de terroriste. Sinon, ça va bien.

Reno fait comme s'il n'avait rien entendu et sort sur le balcon. La rue est étroite et vide, pour l'heure. Il fait plus chaud dehors que dedans, alors il rentre et se débarrasse de sa cravate.

- C'est insupportable, cette chaleur. On étouffe. Dans le bus, j'avais envie d'étrangler les gens qui étaient à côté de moi tellement c'était irrespirable.

- Plains-toi, répliqua Axel. Toi au moins t'as pas du endurer le doublage atroce de Kurama dans la VF de YuYu Hakushô.

Comme pour appuyer ses paroles, le sublime garçon-renard suintant la classe démoniaque et la puissance qui se bat dans la télé exécute une attaque fulgurante, non sans s'écrier au passage (d'une voix minaudante d'ado de quatorze ans commençant à peine à muer) :

« Rose whip super-tranchant en action ! »

- Personne t'oblige à regarder.

- Je te rappelle qu'elle capte qu'une chaîne, cette télé.

- C'est plus MTV ?

- Nan.

- Ok.

Axel s'étire, rêvant d'avance à la douche qu'il se promet de prendre là, maintenant, tout de suite, lorsqu'il sent deux mains se poser sur sa taille nue. Il bondit et se dégage.

- Oh, non, non-non-non, je te vois venir, et c'est niet.

- Je suis pas d'accord.

- M'en fous.

- Axel ?

- Quoi ?

- Allez, s'te plaît ! Je veux étrenner ta moquette ! Ce serait criminel de pas en profiter.

- Ren, non. Je suis trempé, et je pue.

- N'importe quoi.

- J'ai transpiré.

- … Axel, d'une, tout le monde transpire, un jour va falloir que tu t'y fasses, et de deux, tu crois que ta peau est restée parfaitement sèche toutes les fois où on a… quoi ?

- Je te hais.

- C'est bien dommage, parce que maintenant tu vas devoir me supporter H vingt-quatre et sept jours sur sept. Alors tu ferais aussi bien de laisser faire, tu crois pas ?

Axel émet un grognement qui n'est ni un refus ni un assentiment, mais qui est largement suffisant pour Reno. Il l'attire contre lui et l'embrasse.

Malgré sa réticence, Axel fond rapidement et entreprend de répondre avec enthousiasme à ses baisers et ses caresses. En plus, elle est super confortable, la moquette.

Quelques minutes plus tard, Reno sourit en le voyant se mordre le poignet pour ne pas faire de bruit, et se sent soudain envahi par une sensation merveilleuse, comme celle qu'on a parfois en se réveillant le lendemain de quelque chose de génial, et qu'on se rend compte que ce n'était pas un rêve. Ce geste si familier lui chavire le cœur. Il se penche jusqu'à son oreille.

- Ax ?

- Mmmmmh ?

- Tu sais où on est, là ?

- … Sur la moquette ?

- Oui, mais où ?

- … Dans le salon ? Où tu veux en venir ?

Axel s'impatiente un peu. Pourquoi il s'arrête après l'avoir tanné pour le faire ?

- Nuance, on est dans notre salon.

Axel comprend et à son tour, semble se figer une seconde.

- T'as raison, finit-il par dire. Ça y est, Ren. C'est chez nous.

- Ouais, mon pote. Chez nous. Alors à partir de maintenant, je veux plus te voir martyriser ton bras. J'aimerais bien t'entendre…

Et de fait, il l'entend. C'est le plus beau son qu'il ait entendu de toute sa vie, surtout que c'est la première fois qu'ils ont vraiment, vraiment tout leur temps, et qu'il n'y a aucun risque que quelqu'un les surprenne. Même la fois où ils sont partis camper ensemble avec les parents d'Axel et où ils se sont enfoncés très loin dans les bois pour avoir la paix (ils sont perdus sur le retour aussi, mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe), ils se sont pas sentis tranquilles. Alors Reno prend tout son temps, presque religieusement, il va à tâtons, cherche et cherche jusqu'à ce qu'enfin il trouve.

- AH !

Axel crie et tremble violemment, pris complètement au dépourvu. Reno sourit et baise sa gorge avant de recommencer, exactement le même geste, et il se cambre en haletant.

- Ren, mais… qu'est-ce que tu… fais… ?

- Quoi, tu veux que je m'arrête ?

- N – AH ! N-non, t'arrête pas, surtout pas…

Il noue étroitement ses jambes autour de la taille de Reno et s'accroche à ses épaules. Son étreinte à la force d'un étau, il cherche son souffle sans arriver à le rattraper. Il a tellement chaud, il sait qu'il transpire encore parce que leurs peaux glissent l'une contre l'autre et pour la première fois, ça lui est complètement égal. Il se colle plus à lui, il écoute le grondement un peu rauque qui sourde dans sa gorge alors qu'il se retient.

L'orgasme qui le prend – il n'y a pas de mot plus adéquat, lui semble-t-il, pour qualifier ce que ça fait – ne ressemble à rien de ce qu'il a ressenti par le passé. Il a l'impression que son corps va se disloquer et que seul, le plaisir le maintient en un seul morceau. Il s'agrippe derechef à Reno qui se détend lentement, silencieux et frémissant.

Axel attend sans rien dire que la cavalcade de son cœur s'arrête, il bat tellement vite et fort que ça lui fait mal. Il sent la chaleur se retirer doucement et laisser sur sa peau une pellicule d'humidité fraîche – un peu trop, même. Malgré la température estivale, soudain, il a l'impression d'avoir froid.

Reno s'allonge à côté de lui et l'attire dans ses bras pour l'embrasser. Alangui contre lui, Axel laisse faire, de toute façon il n'a pas la force de bouger. Ce n'est pas un baiser « normal ». Il ressemble à un des premiers, ceux qu'ils échangeaient « pour essayer », chaud, humide, et qui duraient très longtemps. Il se rappelle qu'à l'époque, à chaque fois qu'ils s'embrassaient, il ne voulait pas s'arrêter, jamais, parce qu'il se disait que ça n'arriverait peut-être plus, et tant que c'était « juste comme ça », ça ne portait pas à conséquence. Sur le moment, c'était juste bon, ils ne voulaient rien savoir d'autre.

Finalement, ils se séparent et Axel se souvient qu'il n'est plus un adolescent. Ils sont tous les deux adultes, maintenant, ils ont leur propre appartement, ils font et feront ce qu'ils veulent.

Sa respiration et son cœur ont retrouvé des cadences normales, et il soupire, tout son corps absolument détendu.

- Alors ça, c'était juste… J'avais jamais… comme ça…

Reno sourit et se tourne vers lui avec un sourire en coin.

- Ouais, je sais, il répond. J'm'étais juré que le jour où on aurait enfin le temps de faire ça sans se presser et qu'il y aurait aucune chance que ta mère ou la mienne débarque en plein milieu, je tenterais ça. J'm'étais pas attendu à réussir du premier coup par contre.

- Crâneur.

- De rien.

Ils gardent le silence en un instant avec que Reno reprenne la parole.

- Y a un truc dont il faut qu'on parle, finit-il par dire.

Étonné par son ton sérieux, Axel le regarde.

- Vas-y, je t'écoute.

Reno s'assied en tailleur rassemble ses vêtements qui jonchent le sol tout autour.

- On va vivre ensemble.

- Je sais. Ça t'inquiète ?

- Non. Mais j'ai pas envie que les choses changent entre nous.

Axel fronce les sourcils.

- Pourquoi est-ce que ça changerait ?

- C'est chez nous, Axel. Ça veut dire qu'on fait ce qu'on veut, où on veut et quand on veut, et je veux pas prendre de risque. Qui sait si à force de vivre ensemble, de pouvoir se toucher quand on en a envie, de ne plus prendre le risque de se faire choper la main dans le sac par nos parents, on finirait pas par s'installer dans une routine et par sortir ensemble ? Et le prends pas mal, vieux, mais être en couple avec toi, c'est vraiment la dernière chose que je voudrais.

Axel s'assied à son tour, conscient que le sujet est trop sérieux que pour jouer les outragés.

- Pareil pour moi. J'ai aucune envie de foutre la merde entre nous.

Reno acquiesce d'un hochement de tête.

- Je propose qu'on ajoute une nouvelle règle aux deux premières, parce que bon, la vie commune, ça va quand même être un foutu changement.

- T'as raison. Je suis tout ouïe.

- Hé bien, on va déjà éviter de se comporter l'un vis-à-vis de l'autre comme autre chose que des coloc'. Donc si je rentre pas de la nuit, c'est pas plus tes affaires qu'avant, et si tu décides de rentrer à quatre heures du mat' après avoir bu une distillerie, j'ai rien à dire. A moins que tu gerbes au milieu du salon, évidemment.

- Vu le temps que ça m'a pris de poser ce tapis démoniaque, ça risque pas d'arriver. Je viendrai dans ta chambre, plutôt.

Reno le gratifie d'un joli doigt d'honneur avant de poursuivre.

- Ensuite, j'ai pas l'intention d'arrêter de coucher avec toi…

- Ben encore heureux ! Pourquoi tu crois que j'ai pris cet appart' avec toi ?

- …mais (regard lourd qui dit « Laisse-moi parler ou je t'enfonce la tête dans la cuvette des chiottes et je tire la chasse, on verra bien si ça t'envoie à ShinMakoku* ») en dehors du sexe, on évite de se… euh…

- Faire des câlins ? Propose Axel.

- Voilà, c'est ça. « Faire des câlins ». Et de dormir ensemble, aussi, à moins qu'y ait une panne de chauffage en plein hiver et qu'il gèle à pierre fendre.

- Ça me va. Deal ?

Reno regarde sa main tendue avec un léger sourire, avant de la serrer.

- Deal.

Ça leur fait comme d'avoir conclu un pacte. Ça a été pareil lors de l'établissement des deux premières règles, quelques années plus tôt. Et comme à cette époque là, ils veulent arroser ça. Alors ils se lèvent en se rhabillant à la va-vite – Axel rêve de plus en plus de prendre une douche – et filent dans la cuisine.

Et là, c'est le drame.

Dans le frigo neuf – seul achat qu'ils aient fait jusque là, trois jours plus tôt – une bière seule trône au milieu d'une étagère vide.

- J'ai posé la moquette, attaque Axel.

- J'ai passé ma matinée assis dans une salle d'attente pour nous deux.

- J'ai dû endurer des doublages français horribles.

- Et moi un type assis à côté de moi écoutait à fond et en boucle « My Heart Will Go On ».

- T'avais qu'à te lever.

- T'avais qu'à éteindre la télé.

Tout s'enchaîne très vite. Axel tend le bras et se saisit de la bouteille. Reno se jette sur lui et lui agrippe le poignet, ils se débattent l'un contre l'autre, riant et criant à moitié, uis Axel parvient à se dégager d'un mouvement brusque. Trop brusque.

Il sent nettement la bouteille lui glisser entre les doigts. Il tente de refermer la main dessus mais sa peau humide de sueur ne trouve aucune prise sur le verre couvert de condensation. Elle s'envole et il y a une seconde de silence immobile pendant laquelle il voit le regard horrifié de Reno, puis…

SHBLING !

- C'est ta faute ! Dit aussitôt Reno en sentant venir l'orage.

- C'est ça ! Si t'avais pas essayé de me l'arracher des mains, ça serait pas arrivé !

- Et si t'avais pas essayé de la prendre à l'arrache comme si j'allais te la piquer, j'aurais pas essayé de te l'arracher !

Furieux, Axel se retourne vers le salon pour repérer le cadavre de la bouteille.

- MA MOQUETTE !

La défunte Carlsberg gît au beau milieu du salon, au milieu d'une grande tache beige jaunâtre qui s'étend sur le tapis crème. Ça PUE en plus ! Reno décide de laisser tomber sa petite vendetta pour sauver sa peau.

- Je vais descendre acheter de la Javel à la supérette du coin, dit-il.

- T'as définitivement pété les plombs ou quoi ? Qu'est-ce que tu veux faire avec ça ?

- La magie de la Javel, Axel. Ça enlèvera la tache de bière.

- Ouais. Et la couleur du tapis.

Axel : 1 – Reno : 0. Ce dernier se fait tout petit.

- Je vais aller, euh… acheter à boire, dit-il avant de filer. Deux secondes plus tard, Axel entend la porte se refermer et croise les bras, foudroyant du regard la tache immonde et les éclats de verre qui ruinent la moquette qu'il a mis tant de temps, d'efforts et de SUEUR à placer. Pour le coup, il est tellement énervé qu'il imagine pas pouvoir l'être plus.

Au même moment, Reno se tient tapi derrière la porte de l'appartement, se retenant de rire pendant que, l'oreille collée à la porte, il sort son téléphone de sa poche et compose le numéro d'Axel.

Trois… deux… un…

« LEEEEEEEEEEEES CHEVALIERS DU ZODIAAAAAAAAQUEUH ! S'EN VONT TOUJOURS A L'ATTAAAAAAAAAQUEUH ! »

Reno déguerpit si vite en entendant Axel hurler son prénom qu'il ne comprend même pas de quoi il le menace mais il préfère pas prendre le risque de rester pour écouter, des fois que son pote craquerait complètement et se lancerait à sa poursuite.

Franchement, il a abusé sur ce coup, mais il a vraiment pas pu résister… Il espère juste qu'Axel accepte de lui ouvrir à son retour vu qu'il a pas pris ses clés.

En tout cas, il sent que la cohabitation va être enrichissante. Ils risquent pas de s'ennuyer.

Ce texte étant bourré de références hyperculturelles que vous risquez de ne pas reconnaître vu que ça date de loin, voici à quoi ça correspond :

* « SAUVE L'UNIVEEEEEERS ~ ! ». Extrait du générique de Jayce et les conquérants de la lumière, fleuron de la culture manga du début des années 90. Voici le refrain :

Jayce conquérant, le monde t'attend,

Fier et combattant,

Tu défies les méchants,

Sauve l'univers !

Jayce conquérant, le monde t'attend,

Tu dois sauver ton temps,

Et l'univers !

SAUVE L'UNIVEEEEEEERS !

Plus c'est kitsch, meilleur c'est !

* « Pompulilu, pouvoirs magiques ! Pompulilu, c'est fantastique ! Papa, Maman, Bouffe-tout, Charlie, je vais changer toute votre vie ! Pompulilu ~ » Générique de Creamy, Adorable Creamy, une série magical girl tout ce qu'il y a de plus navrante.

* « Laisse moi parler ou je t'enfonce la tête dans la cuvette des chiottes et je tire la chasse, on verra si ça t'envoie à ShinMakoku* ». Voir la série Kyou Kara Maoh !, dans laquelle le héros, Yuuri Shibuya, se retrouve propulsé dans un autre monde après que des voyous l'aient traîné dans des toilettes publiques pour lui apprendre à s'occuper de ses oignons.