Cet OS, c'est mon bébé, il me tient vraiment à coeur. Il est de la même trempe que Gingerbread, du moins dans les grandes lignes. J'hésite par contre à faire une deuxième partie (une suite quoi), qu'est-ce que vous en pensez ?
Merci pour les retours sur mes précédents OS avengeriens, ça me fait très plaisir :)
Allez, on s'embarque pour la Corée.
Loki en avait plus que marre.
De son stand minable, de l'argent qu'il ne faisait que dépenser en farine et en oeufs, de ce froid qui le paralysait, du temps qu'il passait debout jusqu'à en avoir les genoux qui grincent, des clients qui ne lui disaient même pas bonjour, ni merci, ni rien. Cette impolitesse des gens, ça le rendait dingue.
Alors le fait qu'il soit en plus de ça coincé dans un pays qu'il ne pouvait pas voir en peinture, ça n'aidait pas.
Clairement.
Il remua vaguement la pâte qui commençait à chauffer doucement.
Ses doigts étaient transis de froid, et bordel c'était insupportable. C'était limite s'il ne se verserait pas de l'huile dessus pour les faire cuire avec ses crêpes rien que pour ne pas les voir tomber.
Et dire qu'il avait à peine ramassé 20,000 won ce matin, soit seulement 17 dollars, et que ça faisait déjà cinq heures qu'il était dehors - à vrai dire, il était toujours dehors.
Mais avec le prix des oeufs qui commençait à augmenter - ils étaient montés à 4 dollars depuis trois jours et c'était un miracle que Loki puisse toujours s'en acheter - et les clients qui sortaient de moins en moins en plein hiver, il avait vraiment du mal à faire tourner son petit commerce. A ce stade-là, ça allait devenir vraiment, vraiment juste.
Et franchement, il hésitait sérieusement à se réorienter en vente de vin chaud, si la mamie du stand d'en face ne le traumatisait pas autant avec sa drague subtile - la dernière fois, elle avait carrément léché avec délectation une goutte de vin sur le rebord du gobelet en plastique en lui faisant un clin d'oeil obscène.
Il en avait pas dormi pendant des jours.
Jetant un coup d'oeil à sa plaque chauffante, il vit en poussant un soupir de frustration que la pâte s'épaississait sans se presser, des grumeaux jaunâtres commençant à peine à apparaître.
Avec la température en chute libre depuis quelques semaines, il peinait à faire chauffer le feu, et à ce rythme là, le soir serait déjà tombé qu'il n'aurait pas vendu trois crêpes.
Il continua néanmoins de taquiner la nourriture avec son pic, tout en gardant son air bougon.
Le matin, c'était toujours calme quand il commençait à vendre. En général, il partait de son studio vers cinq heures et arrivait sur place vers cinq heures et demie, après avoir pris le métro qui reliait Jongno à Myeongdong. Il avait sa carte depuis quelques années maintenant, et il se débrouillait toujours pour mettre un peu d'argent de côté pour se déplacer tranquillement.
Ça, il devait le reconnaître, le métro ici c'était pas cher.
En fait, s'il avait hésité à ses débuts quand à l'emplacement de son commerce, alors complètement paumé dans l'immense métropole et devant faire face au changement de culture, il était à présent satisfait de son choix. Myeondong étant un quartier destiné aux étudiants - et surtout à ces business men riches qui venaient y faire leur shopping quotidien, du moins c'est ce qu'il avait largement constaté en les méprisant au possible -, il y avait toujours des gens pour lui acheter ses crêpes, et ce à n'importe quelle heure de la journée.
En plus, il était bien là, installé entre deux boutiques de mode sur la grande avenue.
Loki avait tout de même eu sa période surprise, surtout pendant son premier mois. Il avait dû s'acclimater vite, parce que c'était ça ou il crevait de faim, mais c'était tellement différent de la Norvège.
Il en avait souffert au début.
Là, les gens étaient tellement individualistes, centrés sur eux-mêmes et sur leur boulot qui leur cassait la tête.
Et puis y avait la pollution de tous ces transports comparés aux immenses plaines enneigées de la Norvège, et les rues bondées par rapport aux forêts noires qui s'étendaient sur des kilomètres, et la barrière de la langue qu'il s'était pris en pleine face, et ces gringalets qui se pliaient tout le temps en deux, alors que c'était tellement beau sa culture à lui de gars solides qui s'empoignaient la main à la briser.
Bref, ses débuts avaient été difficiles, mais il supposait que c'était le cas pour tout le monde.
Du moins les gens comme lui.
Etant parti de chez lui à tout juste 19 ans suite à une dispute avec son père et désormais cherché par celui-ci dans tout le pays, il avait du se faire discret. Du coup, il avait quitté la Norvège avec de grands regrets et avait commencé par trouver de petits boulots en Europe.
Il était resté là quelques mois, avant qu'un garde qui travaillait dans l'entreprise délocalisée de son père ne le reconnaisse par hasard à Bruxelles. Il s'était jeté dans un avion le lendemain et était alors passé par les Etats-Unis, le Brésil, le Chili, le Pérou, l'Alaska, le Canada, la Russie puis la Chine et avait finalement atterri en Corée. Il était là depuis un an seulement mais s'était déjà formé une petite routine qu'il respectait à la lettre.
Disons qu'il était devenu un vrai pro de la fuite.
Il en était là de ses réflexions et avait presque brûlé la crêpe quand il vit un homme d'un âge moyen s'approcher. Ah ! Un client, enfin.
Il en aurait presque bondi de joie s'il n'avait pas été aussi gelé.
L'homme avait l'air assez élégant, avec son Givenchy trois pièces, sa mallette de cuir noire luisante, ses Dior de la même couleur sur le nez, et marchait tranquillement vers le petit stand de Loki en fumant sa clope.
Encore un de ces business man voyageant aux quatre coins du monde.
Loki en avait sa claque, mais le type en question n'avait pas l'air si hautain que ça. Ou peut-être que c'était juste l'apparence qu'il se donnait, mais il lui trouvait un air sympathique qu'il n'arrivait pas à expliquer.
- Une crêpe simple. Sans rien quoi. Pas de confiture, ni nutella bas de gamme, ni aucune sorte de pâté bizarre qui vous fait puer de la gueule pendant des heures. Parce que j'ai une réunion tout à l'heure, vous comprenez, et je suis pas sûr d'attirer les actionnaires s'ils se bouchent le nez pendant que je parle. Ça rend pas une bonne image de marque, et j'ai besoin d'avoir l'air classe si je veux pas me retrouver au chô-
Pour la définition du type pas hautain, on allait repasser.
- Bon écoutez, vous allez me laisser faire cette crêpe tranquille ? le coupa Loki d'un ton agacé.
Pourquoi fallait-il toujours qu'il se tape des clients barges ? C'était pas possible, il était forcément maudit.
Ouais, il avait du offenser un dieu péruvien sans le savoir.
- Oh, on se fâche vite, ricana l'autre en croisant les bras d'un air amusé. Faites attention, c'est mauvais pour le bébé.
Froncement de sourcils perdu.
- Quel bébé ?
Le type désigna d'un mouvement vague de la main sa plaque chauffante, agitant inconsciemment une Rolex cerclée de diamants sous l'oeil méprisant de Loki.
- Votre machine, là. Qui cuit de la pâte. Les ondes négatives, ça perturbe la technologie.
Loki, malgré son exaspération, ne put empêcher un coin de ses lèvres de remonter.
- Ah. L'humour américain, j'avais oublié, ironisa-t-il en souriant légèrement.
- Je sais, on est pas les meilleurs. Mais vous, les...
Il s'arrêta en levant ses yeux marrons curieux vers lui. Loki le trouva aussitôt adorable.
- Norvégiens.
- Les norvégiens, donc, vous êtes... Ah ouais, la Norvège ? C'est sympa ce pays ? J'y suis jamais allé. Mais j'en ai entendu par contre. Il parait que les types là-bas sont putain de bien bâtis.
Lançant un coup d'oeil rapide au vendeur aux pecs peu visibles devant lui, il continua d'une voix qui se voulait détachée :
- Enfin, ce sont des rumeurs. Et faites attention avec ma crêpe là, elle va finir par cramer, et j'ai une réunion importante moi !
- Ça vous arrive de parler d'autre chose que vous ? Et vos conseils, vous pouvez vous les garder, elle est parfaite cette crêpe, rétorqua Loki qui commençait à s'énerver.
- D'accord, d'accord. Je m'y connais en cuisine, c'est tout. D'un artisan à un autre, on s'échange des idées, vous voyez. Enfin je suppose que non. Avec toute cette... masse de cheveux devant votre tête, fit-il en secouant sa main devant son visage comme pour mimer la chevelure noire qui s'agitait.
Loki le contempla un instant, intrigué. Mais qu'est-ce qu'il lui parlait de ses cheveux, là ? Il était vraiment spécial, ce type.
Mais peut-être que ça ne lui déplaisait pas tant que ça, au fond.
- Qu'est-ce qui me prouve que vous vous y connaissez en cuisine, déjà ? Et merci pour mes cheveux, mais la coupe à la je-suis-un-génie-et-je-l'affiche, c'est pas mon truc.
- Et c'est quoi, votre truc ? plaisanta l'autre sans relever la moquerie.
Loki agita la pâte qui cuisait du bout de sa spatule sans répondre.
Est-ce qu'il le savait seulement ?
Après avoir passé toute sa vie à fuir, il n'avait jamais eu le temps de se demander ce qu'il pourrait aimer faire. Ce qui le passionnerait. Il n'avait pas d'attaches, plus de famille et rien qui se rapporte de près ou de loin à une maison. Il était juste seul. Il cuisait ses crêpes et les vendait, c'est tout.
A quoi bon avoir un "truc" qui le faisait vivre ?
L'américain dût sentir son hésitation car il tenta de faire diversion en contournant soudain le stand pour venir se mettre derrière Loki, une main lui tenant le bras qui agitait la spatule tandis que l'autre restait dans l'air à trois millimètres de sa taille. Surpris, Loki recula brusquement et lui écrasa fermement le pied.
- Aie ! siffla l'autre en sautillant sur place, la jambe repliée à la hauteur du genou, merci, c'est toujours agréable de se faire marcher dessus.
Loki éclata de rire sans pouvoir s'en empêcher.
- Je suis désolé, ça m'a surpris. Vous allez bien ? ajouta-t-il plus pour la forme que réellement inquiet.
- Ouais, nickel, fit le type en se massant la chaussure. Je voulais juste vous prouver à quel point je suis un as en cuisine, mais si je dois me méfier, c'est peut-être pas la peine.
- Ça va, je sais me tenir. Montrez moi donc vos talents si impressionnants, s'empressa-t-il d'ajouter alors que l'autre lui rétorquait un "faux voir ça" en grimaçant.
L'américain se redressa alors en retroussant ses manches, fier de pouvoir montrer ce qu'il savait faire. A vrai dire, c'était trois fois rien, ses connaissances culinaires se limitant à la seule fois de sa vie où il était allé à un atelier cuisine à IKEA. Mais là, il avait une occasion en or de se remettre à niveau.
Et ce vendeur était décidément à son goût.
Surtout ça, en fait.
- Au fait, je m'appelle Loki, fit le vendeur en lui tendant la main.
L'américain lui serra sans plus tarder dans un clin d'oeil malicieux :
- Tony. Ça vous va bien votre nom, très norvégien, tout ça.
Loki leva les yeux au ciel devant la tentative d'humour de l'autre.
- Taisez-vous et cuisinez.
Au bout de quelques instants, Tony finit par enrouler la crêpe déjà cuite dans une petite feuille blanche et avec une serviette, parce qu'il fallait que ça reste propre et classe, toujours.
Et parce qu'il avait faim bordel.
- Voilà, lui dit-il simplement en prenant sa bouffe dans un geste élégant de serveur d'un resto de luxe.
Loki attendit patiemment que l'autre sorte un billet froissé du pli de son costume. Il le vit hésiter une seconde, puis sortir un deuxième billet qu'il lui remit en souriant légèrement.
- Tenez, ça vous fera un petit pourboire, j'imagine que les clients ne doivent pas abonder ces temps-ci. Prenez soin de vous. »
Loki eut à peine le temps de le remercier chaleureusement que le type s'éloignait déjà, mordant dans sa crêpe sans plus lui prêter la moindre attention.
Quelque chose lui dit qu'il devait avoir l'habitude de jouer au dragueur milliardaire.
Il le suivit des yeux encore quelques secondes, le regardant avancer dans l'avenue, puis se secoua comme s'il était possédé, se sermonnant à voix haute.
- Bordel, Lok's ! Il pas t'a envouté ce type, reprends-toi. C'est pas parce que le seul client de la journée vient te draguer lourdement que tu dois loucher sur lui comme ça. Et il est moche en plus, se mentit-il effrontément, sachant pertinemment que l'autre aurait pu être playboy dans une autre vie.
Il était surtout blindé de thunes, et il venait de lui passer un billet de cinquante putains de dollars, soit de quoi refaire son stock d'ingrédients et se nourrir pendant six jours. Et il l'avait eu comme ça, en une minute. Ce type était un cadeau tombé du ciel, c'était pas possible autrement.
Loki secoua la tête pour chasser ses pensées et se reconcentrer sur sa plaque pour y verser la pâte. Mais le visage de l'homme n'arrêtait pas de ressurgir devant lui, et une idée lui traversa soudain l'esprit.
Il était presque onze heures, il n'y avait personne dans les rues, il était (presque) sûr que personne n'allait lui voler son stand s'il s'éclipsait parce qu'il en avait déjà fait plusieurs fois l'expérience - et que les gens ici étaient honnêtes -, et de toute façon la question ne se posait même pas parce que ce mec le hantait putain.
Il prit sa décision en deux secondes et s'élança à la poursuite de l'américain, qu'il voyait heureusement toujours au loin, après avoir éteint sa plaque.
- Eh ! Attendez, lui cria Loki en mettant ses mains en coupe pour faire porter sa voix.
Le type - Tony ? Dieu sa mémoire était aussi lamentable que sa cuisine - fit volte-face et lui sourit en l'apercevant au loin.
- Vous avez oublié quelque chose ?
Loki parvint finalement à sa hauteur, son coeur battant dans ses côtes.
- Vous donner mon numéro, souffla-t-il.
(A suivre ?)
