Un corps inanimé jonchait sur le sol, de l'hémoglobine s'échappant sans timidité des nombreuses plaies qui recouvraient ce dernier. Dans la poussière et les déchets, la carcasse lourde se meut avec peine, laissant le sang déferler avec plus d'audace encore de la peau meurtrie. Ne geignant qu'à peine, l'organisme mourant se redresse malhabilement, emportant avec lui débris et saletés sur ses blessures humides et chaudes. Le ciel sombre et le tonnerre assourdissant font écho dans le crâne de l'individu disgracié, le dépossédant de lui-même pour de faibles instants qui lui paraissaient durer une éternité. La pluie menace de tomber, les éclairs stroboscopiques et la lourdeur de l'air en étant deux des symptômes annonciateurs.

La ruelle abandonnée et sale est le théâtre de deux protagonistes dont seul celui debout, non loin du corps affaibli, est consentant du rôle qu'il leur a imposé. L'absence de spectateurs pour cette pièce tragique n'empêche pas la présence d'applaudissements incessants venus du ciel et de leur tonnerre abrutissant. Debout, orgueilleux et bienveillant à sa façon, se dresse un homme à la silhouette élancée ; gigantesque ombre dont la vraie nature est parfois révélée par les feux des projecteurs célestes. A terre, un monceau de muscles torturés et noyés dans le sang grandit lentement, espérant rejoindre l'acteur proclamé dans sa position verticale. La montée lente et douloureuse du sujet habillé de noir se fait dans un silence clérical et désolant.
La courageuse vie tourmentée et dégoulinante de fluides rougeâtres se dresse désormais en face de son partenaire immaculé, son regard encore embué par le supplice que son corps lacéré lui fait subir. L'organisme peiné tangue, son crâne lourd levé difficilement pour regarder son interlocuteur insensible et statique devant lui. Il porte une main convulsive sur une des brèches particulièrement indisciplinée qui recouvre son corps pourtant protégé d'une épaisse armure sombre et se stabilise maladroitement en mouvant ses pieds.

Un rictus diabolique annonce la fin de ce premier acte et fait taire le temps d'une seconde les applaudissements du ciel. Ceux-ci reprennent leurs encouragements de plus belle, joints par un torrent de larmes aériennes. Les gouttes se meurent sur les boucles verdâtres du géant alpha et sur l'armure terne du chevalier martyrisé.
La silhouette immense affiche un sourire terrifiant sur son visage et se déplace, légère, autour de la masse informe et tremblotante qui peine à rester debout. Elle sautille et danse, se cambrant avec élégance dans ses mouvements contrôlés et aériens, ne se permettant jamais de toucher le cadavre ambulant. Elle fait une révérence distinguée les yeux fermés puis se redresse, regardant de haut son partenaire abîmé. Sur le visage du diable se dessine un sourire exagérément grand, dévoilant des dents acérées et des lèvres camouflées par un rouge à lèvres gras et perlé d'eau. Les yeux émeraude animant le visage du dit monstre infernal regardent l'homme courageux et têtu d'un air paternaliste terrifiant. Les cordes vocales de ce qu'on doit accepter être un humain s'éveillent pour prononcer une apostrophe qui arrive en écho aux oreilles de l'âme a qui elle est destinée :

« Batman... »

Les pupilles de l'appelé se dilatent. Le son de la voix désagréable de l'immense ombre réanime son corps tétanisé et maltraité. Le colosse noir voudrait répondre d'un cri déchiré mais toute sa vitalité est concentrée dans ses jambes qu'il tente de garder droites et sa main qu'il presse avec labeur contre son corps souillé. Il se contente, frustré, de penser les mots qu'il aimerait faire entendre : « Joker, Joker, Joker ». Le nom du protagoniste célèbre brûle ses synapses en rebondissant indécemment dans son crâne. Il voudrait le crier, se déchirer la gorge et éclater les tympans du clown maudit avec ces décibels sanglants.
Il regarde son ennemi, usant de toute sa force physique et mentale pour garder les yeux ouverts et levés vers la silhouette dangereuse. Malgré la pluie acide qui l'aveugle, il ne bouge pas, traumatisé par la douleur et la scène qui se déroule autour de lui. Il tente de s'avancer mais échoue, restant sur place, incapable de bouger plus sans risquer de s'effondrer puis grogne de frustration et de douleur. L'homme aux cheveux colorés, lui, s'avance tranquillement vers son camarade abusé en souriant toujours, une de ses mains gantées s'élançant paume vers le ciel en direction du chevalier noir. Tel une divinité accordant du temps à son adorateur, il sourit, le menton dressé, et rapproche dangereusement sa main tendue du visage meurtri du second acteur. Il caresse enfin la mâchoire saillante de l'archange renfrogné qui gémit au contact de la soie chaude sur son menton ensanglanté. Il n'a que la force pour serrer les dents et empêcher son corps de s'écrouler lamentablement sur le sol insalubre.
Le Joker, impassible, resserre ses doigts sur la proéminence qu'il tient dans sa main jusqu'à ce qu'un son rauque émane de la gorge du torturé. L'orage se manifeste au rythme des battements du cœur des deux hommes et gronde dans le ciel noir de Gotham. Le clown se penche alors, sa main toujours pleine, et porte son faciès à celui de son partenaire de jeu. Le Batman lui souffle son sang saliveux au visage forçant le clown à papillonner de ses longs cils bruns. Il sourit de plus belle, permettant à la pluie de se frayer un chemin entre ses lèvres graisseuses et pleines. Il se redresse alors après avoir chuchoté quelques paroles latines incompréhensibles pour le chevalier au bord du coma. Il lance ensuite sa main dans les airs pour la laisser retomber brutalement sur le visage de l'homme en noir, le faisant s'écrouler lourdement au sol, de la salive rouge coulant de ses lèvres. La vision de l'homme à terre s'assombrit et après quelques secondes d'images ternes et brouillées, il perd connaissance avec pour dernière image un Joker trépignant et hilare.