Le ciel est pluvieux le jour où Lexa meurt.

Le ciel est gris, couvert de nuages noirs, et les flammes des torches qui menacent de s'éteindre sous la pluie envoient des rayons lumineux rouges et dorés dans l'air, mais Clarke ne les voit pas. Elle ne les verra plus jamais.

Dans son monde à elle, la vision en couleurs disparaît quand votre âme sœur meurt, comme si la douleur de perdre celui qui vous était destiné était trop forte, et qu'atténuer votre vision des choses vous aiderait peut-être à le supporter.

Clarke ne voit plus de couleurs aujourd'hui. Quand elle a fermé les yeux du Commandant, les siens ont perdu toutes leur vie, et les couleurs ont disparu de son monde. C'est comme ça qu'elle a compris que Lexa était son âme sœur.

Peut-être est-ce la douleur qu'elle ressent, si violente et si effrayante à la fois, qui lui donne l'impression qu'un feu ravageur lui dévore les entrailles, que sa perte des couleurs est comme inhibée, comme infiniment moins importante à ses yeux que la perte de Lexa.

Elle a perdues les couleurs avec Lexa, mais étonnamment ne plus voir les couleurs vives des flammes qui l'entourent a quelque chose d'apaisant pour Clarke, comme si elle comprenait enfin tout ce dont ceux qui avaient perdu leurs couleurs lui a raconté pendant des années.

Sur l'Arche, la légende courait qu'avant que la terre soit irradiée, les couleurs fonctionnaient à l'extrême opposé d'aujourd'hui. Qu'on voyait en noir et blanc depuis la naissance, jusqu'aux jours où on rencontrait son âme sœur et qu'on découvrait par la même occasion toutes les couleurs de l'arc en ciel.

Clarke n'a jamais su si la légende disait vrai.

On ne parlait pas tellement des couleurs dans sa famille, sans doute parceque le sujet était assez morbide – imaginez passer toute votre vite avec la personne que vous prenez pour votre âme sœur et se rendre compte à sa mort que vous avez conservé vos couleurs.

La seule chose qu'elle sait, c'est que sa mère a perdu sa vision des couleurs avec Jake, mais Abby ne lui en a jamais parlé. Elle n'en a jamais vraiment eu le temps, à vrai dire. Clarke a perdu sa mère au même moment que son père, à ce maudit moment où on l'a jeté dans une cellule, et qu'elle n'avait plus personne pour répondre à ses questions.

Perdre ses couleurs est quelque chose de terrifiant et Clarke a toujours appréhendé le jour où sa vision deviendrait monochrome, comme tout le monde.

C'est en partie pour cela qu'une partie d'elle était plutôt soulagée quand Finn est mort, et que le sang qui coulait de sa plaie était bien rouge, qu'elle pouvait encore le voir. Qu'elle n'avait pas tué son âme sœur.

Etonnamment, Raven non plus n'avait pas perdu ses couleurs avec Finn. Elle les avait perdues bien avant, quelque temps après son arrivée sur Terre, mais n'en avait jamais parlé à personne – du moins pas à elle.

Clarke s'en était rendue compte lorsque Raven essayait de réparer la radio qui leur permettrait de joindre l'Arche, et que Monty lui avait conseillé de brancher un fil rouge sur la prise. Raven avait branché le bleu, et coupé toute l'électricité du bâtiment pendant un moment.

Clarke n'avait jamais posé de questions – tout était compliqué à l'époque entre Finn, Raven et elle, et ce n'était pas sa place.

A bien y réfléchir, Clarke est soulagée maintenant de ne pas avoir tué l'âme sœur de Raven non plus. Et une autre part d'elle-même lui murmure que Raven ne sait peut-être pas qui est son âme sœur, et maintenant ne le sera plus jamais.

Et qu'elle, quelque part dans le puits sans fond de tristesse dans laquelle est se trouve plongée maintenant, elle sait qu'elle a eu la chance d'avoir rencontré Lexa, d'avoir pu serrer Lexa dans ses bras une dernière fois, d'avoir aimé Lexa.

Et plus que tout, Clarke sait que Lexa l'a aimé.

Peu importe l'univers, peu importe le contexte, peu importe le lieu ou le temps. Je te retrouverai toujours. La mort n'est pas la fin, pas pour nous, jamais lui a soufflé Lexa avant qu'elle ne l'embrasse une dernière fois.

Lexa l'a aimé comme personne, et Lexa l'a aimé jusqu'au bout.

Et maintenant que les nuances de gris l'entourent, Clarke trouve presque une ironie dans ce qui lui arrive. Elle a aimé les couleurs, et elle a aimé Lexa, et aujourd'hui elle n'a plus ni l'une ni les autres.

Clarke aimait peindre, aimait jouer avec les couleurs et les associer selon sa volonté.

Le bleu du ciel, dont elle n'a pas vu la couleur pendant un an quand elle était dans sa cellule, et de la mer et des océans, qu'elle a regardé tant de fois par les fenêtres de l'Arche.

Le brun des forêts, des arbres qu'elle imaginait depuis l'espace sans jamais imaginer un instant qu'elle en toucherait véritablement l'écorce un jour.

Le rouge du sang, qu'elle a vu couler bien plus de fois qu'elle ne l'aurait voulu depuis son arrivée sur Terre.

Le jaune du feu, du sable sous ses doigts la première fois qu'elle a vu une plage, et l'ocre du sol dans la grotte dans laquelle elle s'était réfugiée après la Montagne.

Le vert des feuilles, de l'herbe et des arbustes, des prés à n'en plus finir. Le vert des yeux de la femme qu'elle aimait.

Et le noir. Le sang de Lexa, partout sur ses mains, sur ses habits, sur le visage de la femme qu'elle aime. Clarke est condamnée à le voir encore et partout maintenant, à ne voir plus que lui.

Un peu après son arrivée à Polis, Lexa lui avait offert toute une palette de pigments quand un garde lui avait rapporté que Clarke crayonnait au charbon tous les morceaux de parchemin qui lui tombait sous la main. Clarke avait été furieuse bien sûr, et lui avait crié qu'elle ne l'achèterait pas comme ça.

Mais Clarke avait gardé les pigments, et le soir dans sa chambre les avait longuement regardés, sans trop y croire.

Les crayons de couleurs et les feutres étaient des denrées rares sur l'Arche, et étaient sévèrement rationnés. Et voilà que Lexa lui offrait maintenant tout ce dont elle avait rêvé depuis sa plus tendre enfance, sans doute sans se rendre compte réellement de ce qu'elle venait de faire. Clarke n'avait jamais reçu un cadeau si précieux de toute sa vie.

Si elle avait su que leur temps serait coupé court, Clarke aurait mis sa fierté de côté ce soir-là, et se serait rendue dans la chambre du Commandant pour l'en remercier, peut-être même pour lui expliquer ce pourquoi elle avait fini par s'effondrer en larmes devant la palette de couleurs.

Mais la colère et la rancune étaient trop fortes, et Clarke voulait se convaincre elle-même qu'aucune action de Lexa ne pourrait jamais lui faire oublier la trahison qui lui avait brisé le cœur.

Clarke voulait se persuader qu'elle ne cesserait jamais d'en vouloir à Lexa, jamais, et surtout qu'elle avait fini par mettre de côté tout ce qu'elle ressentait pour la brune En vérité, elle lui avait déjà pardonné depuis longtemps.

Et maintenant, Clarke est condamnée à vivre dans un monde sans couleurs, et sans Lexa.

Mais les couleurs sont parties avec Lexa, et Clarke n'a plus la force de vivre maintenant. Elle se contentera de survivre.

Tout est noir, noir.