Ce que je craignais le plus au monde venait d'arriver et j'en étais soulagé. Alicia était assise là juste en face de moi, mon bureau nous séparant. J'ai les yeux fermés et elle s'attend sans doute que j'explose de colère, que je tape du poing sur la table au point de provoquer un tremblement de terre à son annonce de sa démission, de son nouveau cabinet qui porte son nom et du vol de nos clients mais bizarrement, je ne ressens rien mais pour une fois, j'avais les cartes en main. Je ne voulais plus jouer. J'ouvrais les yeux et plantais mon regard dans le sien.
" Bon courage alors Alicia ", lui dis-je
Je la voyais étonnée, sa bouche s'ouvrait, ses yeux devenaient ronds, un point d'interrogation dessinait son visage. Elle avait mis la plus belle de ses robes pour m'annoncer cette nouvelle. Elle aurait pu venir en survêtement et dégoulinante de sueur, ça m'aurait été égal, même si elle était vraiment belle que lorsqu'elle était nue. Elle pensait sans doute que j'allais me mettre à genoux, à la supplier, à baiser ses pieds pour qu'elle reste, à lui demander pourquoi, à lui implorer le ciel de ne pas m'abandonner, que j'allais arracher mon coeur à mains nues et le lui donner pour qu'elle voit comment il bat. Je ne ferai rien de tout ça parce que je le veux pas. Je la regardais se lever avec hésitation, elle avait un sourcil relevé. Elle fermait la porte en me regardant, elle était étonnée de me voir ainsi. Dès qu'elle disparut de ma vue, je ris.
Je ris sans pouvoir me retenir et ce, malgré moi. Oh putain ! Je viens de retrouver ma respiration alors qu'elle était coupée depuis quatre ans, la boule au ventre que j'avais depuis quatre ans vient de disparaître. Je suis un homme libre dont la femme de ses rêves vient de rendre la liberté. Je l'ai aimée cette Alicia mais j'ai su que notre baiser était un avenir pour moi et un adieu pour elle. Nous ne serons pas ce que je voulais que nous soyons parce qu'elle ne le veut pas, elle quitte ce cabinet pour ne pas être tentée par moi. Elle a pris sa décision et je la respecterais, je ne peux que la respecter puisque tout s'est envolé. J'y avais déjà pensé cette nuit. Etions-nous seulement attirer l'un par l'autre que d'un point de vue physique ou y avait-il quelque chose d'autre ? La réponse était les deux : elle était attirée par moi physiquement, je l'étais parce que j'éprouvais quelque chose. Alicia ne me donnait pas l'impression de m'aimer. J'avais toujours voulu plus, je lui ai dit que je l'aimais, je lui ai dit que je n'étais intéressé par personne d'autre qu'elle, je lui ai dit que je voulais rencontrer ses enfants. Elle a freiné mes ardeurs et ce n'est pas pour rien. Nous sommes sept milliard sur cette Terre, pourquoi Diable ai-je perdu mon temps à la vouloir ? Parce qu'elle a joué avec moi, parce qu'elle a envie de ce jeu et comme un con, je suis tombé dedans. Je suis un joueur et en plus de m'avoir toujours bluffé, elle bluffait. Une femme de politicien n'épouse jamais un politicien pour rien.
Je lui ai fait peur, je lui ai toujours fait peur avec mon envie d'aller toujours plus loin.
J'étais l'homme que le destin avait placé sur la route d'Alicia : un homme qui saurait la faire sourire, la faire rire, l'aimer sans condition, lui faire reprendre confiance en elle, lui faire reprendre confiance en les hommes. Et j'étais désormais ce déchet que l'on venait de jeter parce que l'utilité a été utilisée. Et je me sentais parfaitement bien, soulagé d'un poids invisible. Alicia était un tout dont chaque entrave portait son nom : la corde autour de mon cou, le sac plastique sur ma tête, ce boulet à ma cheville, les menottes sur mes poignets, le couteau dans ma chair, l'acier autour de mon coeur. Tout venait d'exploser et d'être pulvérisé.
Alicia avait passé une folle journée. Elle repensait à Will et à sa réaction. Elle avait prévu toutes les réactions mais celle-là semblait si inimaginable qu'elle ne l'imaginait pas. Il l'avait laissée partir sans rien dire, sans même la retenir, sans vouloir comprendre et ne lui souhaitant que bon courage. Elle se souvenait de son beau visage impassible aux yeux fermés. Elle le trouvait craquant et lorsqu'il avait enfin ouvert les yeux, c'était pour plonger son regard dans le sien. Il n'était ni noir ni débordant de cet amour qu'il lui portait tant, il était bizarre : il n'y a rien qu'elle puisse lire parce que c'était le regard qu'il portait sur chacun. Elle ouvrait la porte de son appartement et comme à chaque fois qu'elle posait sa main sur cette poignée, elle laissait son travail devant cette porte, enfin seulement quand elle y arrivait. Peter était là.
" Bonsoir Peter "
" Bonsoir chérie "
Elle l'embrassait.
" Comment tu vas ? "
" Bien. Et toi ? Comment a réagi Will ? "
Elle soupirait. Elle avait mis au courant Peter lorsqu'il raccompagnait ses enfants à la maison et qu'ils étaient tous les trois tombés sur Cary. Il avait été heureux pour elle, il avait eu deux bonnes nouvelles en une soirée et plus secrètement une troisième qui était la distance entre Will et Alicia.
" Bien, trop bien même "
" Faudra se méfier tout de même "
" Oui, mais je ne serais pas surprise qu'il attaque notre cabinet pour la perte de ses clients "
" Ce qui serait tout à fait normal "
Il posait ses mains sur ses hanches, la rapprochait de lui et l'embrassait.
" Ca va bien se passer ", lui dit-il d'une voix réconfortante
" Demain, Hawaï ", disait Alicia d'un voix enchantée
Alicia l'embrassait à son tour. Elle avait décidé de poursuivre leur mariage, de ne pas abandonner sans avoir essayé. Elle avait tant souffert de ce scandale. Pardonner, ce n'est pas oublier, c'est accepter. Accepter que son homme ait des failles. Elle en avait elle-même eu lorsqu'elle avait cédé à Will. Elle avait trompé Peter et ne lui avait rien dit. Il suffit de trébucher pour mieux reprendre sa course. Et elle l'avait décidé. Demain, ils seront réunis ensemble avec les enfants à Hawaï. Les valises sont déjà prêtes.
J'étais installé au milieu de mon grand lit, l'avantage d'être célibataire est que je peux prendre toute la place sans que l'autre ne râle. Je pensais à Alicia pour constater que je ne pensais pas à elle. Tous les soirs, je me demandais ce qu'elle faisait une fois qu'elle rentrait chez elle, si elle pensait à moi le soir seule dans son lit et de notre relation à sens unique. Maintenant, je ne pensais à rien ou du moins à une femme à aimer qui m'aimerait comme je l'aime. Je m'endormais avec cette pensée. A moi la vie et l'amour. Fini les femmes en attendant Alicia. J'en veux une pour s'aimer sans peur ni crainte ni retenue avec pour seule maison l'horizon.
Alicia dormait dans les bras de son mari mais ne trouvait pas le sommeil, même après le devoir conjugal. Elle pensait à Will. Etait-il sous le choc de la nouvelle ? Voulait-il faire croire qu'il ne ressentait rien ? Avait-il fermé les yeux pour contenir sa colère qu'il ne voulait pas qu'elle le voit ainsi ? Etait-il anesthésié ? Comment réagirait-il quand il comprendrait enfin ? Sa réaction l'inquiétait. Elle se souvenait de son visage, comme lorsqu'il dormait à côté d'elle torse nu, il ressemblait à un ange dont le sourire restait éternel. Quand elle voyait qu'il commençait à se réveiller, elle faisait semblant de dormir. Elle ne savait pas si ça le dérangeait mais elle faisait ça car elle aimait quand il la regardait dormir, enfin semblant de dormir mais il ne le savait pas ou faisait semblant de ne pas le savoir. Elle tentait de s'endormir en pensant à demain, à Hawaï tout en gardant une pensée sur Will.
