L'entre-guerres

J'ai pas publié depuis des années. En espérant que j'aie pas trop perdu la main… Cette histoire pourrait avoir plus d'un chapitre, enfin, tout dépendra de ma motivation. Les reviews risquent d'aider un peu, quand même…


Il leur avait offert de rester. Son hospitalité dépassait tout ce dont ils auraient pu rêver. Et pourtant, pour Steve, s'y attarder était impensable. Leur seule présence représentait une menace, et il refusait de faire courir un tel risque au Roi T'Challa. Steve était songeur. Depuis leur refus de signer les accords de Sokovie, le Wakanda avait été pour Bucky, Wanda, Sam et lui une véritable terre d'accueil, un refuge… mais il était maintenant temps de partir. Dans la salle du trône, il regardait par l'immense fenêtre les paysages verdoyants et le ciel bleu de l'Afrique, sans même réellement les voir. Il était au Wakanda, peut-être, mais toujours son esprit était ailleurs. Mille fois il avait repassé le film de cette histoire dans sa tête. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Comment les Avengers avaient-ils pu s'entre-déchirer de cette façon, jusqu'à en venir à une rupture totale, à une guerre entre deux clans qui autrefois ne formaient qu'un ? Il songeait à Tony, à cette dernière bataille qu'ils avaient eue, et il ne comprenait toujours pas comment ils avaient bien pu en arriver là. Il lui avait fait parvenir un téléphone. Un cellulaire avec pour seul contact son numéro personnel. Sam et Wanda n'étaient pas d'accord. Mais lui savait que Tony ne le trahirait pas. Et qu'un jour, les Avengers seraient appelés à être réunis à nouveau.

- Vous serez toujours le bienvenu au Wakanda, Capitaine.

La voix du Roi T'Challa le fit sursauter, et sortit Steve de ses pensées.

- Merci pour tant d'hospitalité, répondit-il au Roi qui venait d'entrer dans la pièce. Nous en avons assez abusé. Il est temps pour nous de quitter le Wakanda.

T'Challa demeura calme, presque stoïque, et prit place à ses côtés, regardant lui aussi l'horizon par la fenêtre.

- Pour aller où ? le roi finit-il par demander à Steve. Aucun endroit n'est plus sûr qu'ici, Capitaine. Encore moins depuis que vous êtes devenus des ennemis de l'État dans votre propre pays.

- Raison de plus pour nous de partir. Il est hors de question de mettre les bonnes relations du Wakanda et des États-Unis en péril.

- Le Wakanda cache des secrets bien plus grands encore, Capitaine.

Steve ne put s'empêcher de rire.

- Si vous m'aviez parlé de tout ça en 1940… je vous aurais très certainement traité de fou !

T'Challa ne détourna pas son regard, mais eut un sourire en coin.

- Je crois qu'il serait sage pour le soldat de rester.

- Bucky ? s'étonna Steve.

- Votre ami a besoin de repos, et de savourer une vie simple. Le temps ne lui a pas été favorable. Il trouvera ici tout ce dont il a besoin.

- Est-ce que vous en avez discuté avec…

- C'est une demande qui vient directement de lui. Il m'a demandé la permission de s'installer en bordure de la ville, près de la forêt. Soyez sans craintes : nous veillerons sur lui.

- Nous ne pouvons vous imposer un tel risque, s'objecta Steve en soupirant. Vous cachez des criminels de guerre, Roi T'Challa. Les quatre visages les plus recherchés des États-Unis, à l'heure qu'il est. Et peut-être même du monde.

- Personne ne saura qui il est, ni même que vous êtes passés par ici. Et si vous avez besoin d'un refuge, vous serez toujours les bienvenus au Wakanda, ennemis de l'État ou pas.

Steve tourna la tête vers son hôte et eut un large sourire. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait eu un sourire aussi sincère. Jamais il ne saurait comment remercier T'Challa de son hospitalité.

- Qui plus est, poursuivit le Roi sans jamais détacher son regard de la fenêtre, les médias occidentaux parlent déjà d'un autre ennemi de l'État. Je savais bien que, tôt ou tard, vous finiriez par partir à sa recherche.

Le Capitaine fronça les sourcils. T'Challa lui tendit son cellulaire. CNN. Steve n'eut pas besoin d'attendre bien longtemps que la photo d'un visage bien connu apparut à l'écran. Il eut l'impression que son cœur venait de faire trois tours. Natasha. Elle l'avait aidé. Lui avait permis de s'échapper. Et ce geste lui avait coûté sa liberté. Les nouvelles diffusaient un avis de recherche; elle n'était donc pas derrière les barreaux.

- Raison de plus pour nous de partir, déclara Steve au Roi T'Challa d'une voix grave.

- Vous croyez pouvoir la retrouver ?

- Non. Si Natasha Romanoff a décidé de disparaître, croyez-moi, personne ne la retrouvera. À l'heure qu'il est, elle peut être absolument n'importe où et elle est passé maître dans l'art de passer sous les radars. Ça ne sert à rien de la chercher…

Steve remit son téléphone à T'Challa et tourna à nouveau son regard vers l'extérieur, avant d'ajouter d'une voix presque silencieuse : « C'est elle qui nous trouvera. ».


Quatre mois. Quatre mois déjà s'étaient écoulés depuis leur départ du Wakanda. Sam, Wanda et Steve avaient passé les quatre derniers mois à se cacher de motel en motel et à jouer les justiciers nocturnes. L'Europe avait été leur refuge. C'était grand. C'était bondé. On y retrouvait des gens de toutes les origines, des résidents comme des touristes de passage. C'était l'endroit parfait pour disparaître. Ils ne restaient jamais bien longtemps dans une même ville; bien souvent ils se séparaient quelques semaines, allaient trouver du travail chacun de leur côté, puis ils se rejoignaient ailleurs, y passaient quelques jours, et repartaient. Steve s'y était habitué. Sam, lui, n'arriverait probablement jamais à s'y faire. Quant à elle, Wanda avait renoué contact avec Vision. Steve le savait. Sam le savait. Pourtant, ils choisissaient tous les deux de fermer les yeux sur cette relation naissante. Steve voyait ce lien comme un moyen de garder contact, une façon pour eux de savoir ce qui se passait chez eux, de l'autre côté de l'Atlantique, et d'avoir des nouvelles régulièrement de ceux qu'ils avaient laissés derrière.

Steve essayait de se convaincre du contraire, mais il était inquiet. Inquiet de n'avoir aucune nouvelle de Natasha. Même s'il la savait parfaitement capable de prendre soin d'elle-même, il devait s'avouer déçu de n'en avoir reçu aucun signe de vie. Widow était une solitaire, il ne le savait que trop bien, et pourtant il avait espéré la voir arriver au tournant d'une ruelle, quelque part près d'un café de Paris, ou d'un restaurant de Rome. Et même s'il tentait de se persuader que son silence était un signe qu'elle allait bien, il lui arrivait souvent de se réveiller en pleine nuit parce qu'il venait de rêver d'elle, la voyant quelque part au milieu d'une grande salle aux murs de couleur rouge.

Quand il se réveilla en sursaut cette nuit-là, seul dans sa chambre au beau milieu de Berlin, il lui fallut de longues secondes pour se rappeler où il était. Essuyant la sueur qui perlait sur son front, il se tourna vers le réveil illuminé sur la table de chevet. 2h18. Dormir une nuit complète était maintenant pour lui une chose rare, et quand ce n'était pas un cauchemar qui le tirait du monde des rêves, c'était le sommeil qui tardait à venir. Il parcourut des yeux la noirceur de la chambre, les rayons de lumière que les réverbères faisaient passer par les grandes portes-fenêtres et les rideaux qui se balançaient sous l'effet du vent. Il faisait encore chaud pour un mois d'octobre, et Steve avait laissé entrouverte la porte qui menait au balcon. Il faisait la même chose toutes les nuits, comme un rituel, peu importe l'endroit où il se trouvait. Son regard suivit le balancement du rideau, et ce ne fut qu'à ce moment qu'il remarqua l'ombre qui s'était glissée dans sa chambre. Il ne sursauta pas. Il savait. Quatre mois durant, il avait attendu ce moment.

- Quel genre de fugitif dort la porte ouverte et ne se réveille pas quand on se faufile dans sa chambre ? fit la voix de l'ombre oh combien familière.

Il ne lui avoua pas que s'il ne verrouillait jamais, c'était parce qu'il l'attendait.

- J'ai fini par croire que tu ne viendrais jamais, lui dit-il.

- J'avais du ménage à faire.

- Et t'as terminé ?

- J'crois bien que j'aurai pas assez d'une vie pour le faire en entier.

L'ombre s'avança dans la lumière. Elle avait changé. Son regard était différent. Steve n'aurait jamais cru la chose possible, mais il était plus sombre encore. Elle portait une veste de jeans et un foulard, ce qu'il ne l'avait jamais vue porter auparavant. Elle avait les traits tirés. On lui aurait facilement donné dix ans de plus. Il songea qu'elle non plus ne devait pas dormir beaucoup… Une fugitive, voilà ce qu'elle était devenue. Tout comme lui.

- La barbe, lui demanda-t-elle, c'est parce que t'as voulu copier Thor, ou c'est le seul moyen que t'as trouvé de passer inaperçu ?

Il rit en silence. Sa barbe n'était pas très longue, mais il avait cessé de se raser depuis plusieurs jours déjà.

- Tu sais quoi, Romanoff ?

Elle lui répondit par un sourire en coin, celui qu'elle seule savait faire.

- Comment va Clint ? finit-il par lui demander.

- Ça va. Ils lui ont collé un de ces trucs à la con sur la cheville. Il ne peut à peine sortir sur le perron. Je crois bien que Laura va devenir folle.

C'est alors que Steve la vit enlever sa veste, puis déboutonner son pantalon. Il eut l'impression qu'il allait s'étouffer lorsqu'elle s'approcha de lui.

- Pousse-toi, lui dit-elle debout au bord du lit, vêtue simplement d'une camisole et de ses sous-vêtements. J'ai l'impression de ne pas avoir dormi depuis quatre mois.

Steve déménagea de l'autre côté du lit. Sans un mot de plus, elle s'allongea en lui tournant le dos. Lui, resta allongé là, bras derrière la tête à fixer longuement le plafond.

- T'es là pour longtemps ? finit-il par lui demander, sachant qu'elle ne dormait pas.

- Ça dépend, lui répondit-elle sans même se retourner.

- De quoi ?

- De la sonnerie du téléphone que tu gardes si précieusement dans ta poche.

Steve sourit. Elle était arrivée. Enfin. Il lui sembla alors que le monde autour pesait déjà un peu moins lourd.


Steve se réveilla en sursaut, mais cette fois pas à cause d'un cauchemar. Il faisait clair. Très clair. La matinée était déjà avancée. Et lui qui avait l'habitude de se lever avec le soleil… Il tourna la tête vers sa gauche : Natasha était toujours là, dans la même position qu'elle avait adoptée la veille. Comme si elle n'avait pas bougé de toute la nuit. Il s'assied et s'appuya contre la tête du lit, question de jeter un coup d'œil au réveille-matin. Il était déjà plus de huit heures. Il se leva sans un bruit, enfila sa veste et ses chaussures, et sortit de la chambre.

Il adorait Berlin. Plutôt curieux pour un ancien soldat de l'armée américaine. L'Allemagne aurait dû être synonyme de mauvais souvenirs, et pourtant il n'en était rien. Peut-être était-ce parce qu'il n'avait jamais véritablement visité la ville. Toujours était-il qu'il s'y sentait bien, presqu'à la maison. Il longea la rue de son petit hôtel, et entra dans le café qu'il avait pris l'habitude de visiter. Il entendait déjà la voix de Sam dans sa tête : « Évite de visiter le même endroit plusieurs fois, il ne faudrait surtout pas attirer l'attention et se faire reconnaître… ». Steve sourit. Sam avait bien raison. Et pourtant, il entra dans le café pour le sixième matin de suite. C'était un des rares du coin à préparer des cafés pour emporter. Ces derniers jours, il était allé boire son café matinal en marchant le long de la Sprée. Ce matin-là, il repartit plutôt les mains pleines en direction de l'hôtel. Et lorsqu'il ouvrit la porte de la chambre, la vision qui s'offrit à lui le fit sourire.

Natasha était toujours couchée, mais avait pris pleine possession du lit. Allongée en diagonale sur le ventre, ses cheveux de feu détachés courant sur ses épaules et sur les couvertures, elle avait un bras replié sous l'oreiller et l'autre allongé de travers. Steve fut surpris de ne pas la voir s'éveiller dès son entrée dans la pièce. Il fallait croire qu'elle n'avait pas senti son arrivée comme une menace.

Steve vint s'asseoir sur le bord du lit, et curieusement, elle ne bougea toujours pas. Il lui souffla un « hey » à peine sonore, auquel elle répondit par un « hum ? » encore endormi.

- Tu devrais en profiter, lui dit-il en la poussant un peu dans les côtes. C'est pas tous les matins qu'on t'apportera le petit-déjeuner au lit. Encore moins si tu partages ta chambre avec Sam.

- …j'ai l'impression de ne pas avoir dormi depuis des années, marmonna-t-elle sans bouger.

Steve fut encore surpris de la voir si à l'aise avec lui. Elle qui avait l'habitude du mensonge, qui avait passé sa vie à jouer un rôle, il la sentait en totale confiance en sa présence.

- Qui aurait cru qu'être en cavale pouvait être si reposant ? ironisa finalement Steve avec le sourire.

Elle finit par se retourner lentement et s'allongea sur le dos, mais garda les yeux encore mi-clos.

- Ton café sent le paradis, lui dit-elle en prenant une grande respiration.

- Ça tombe bien : j'en ai un pour toi. Il ne faudrait pas lui donner l'occasion de refroidir…

Elle finit par ouvrir les yeux et le fixer de son profond regard émeraude. Elle ne parla pas, le regarda longuement et il lui fallut de longues secondes pour remarquer le sac de papier qu'il avait déposé sur son oreiller. Elle leva un sourcil; il le lui tendit alors qu'elle se redressait pour s'asseoir. Elle ouvrit le sac et y jeta un œil, puis son regard s'illumina. Elle s'empressa de glisser la main dans le sac et en ressortit l'un des deux petits pains allemands qui s'y trouvaient. Elle le porta à son visage et en huma le parfum en fermant les yeux avant de se tourner vers Steve pour lui offrir un des plus grands sourires qu'il ne lui avait jamais vu.

Ils déjeunèrent ainsi, tous les deux assis sur le lit de la chambre d'hôtel. Ce fut en prenant une bouchée de pain qu'elle finit par lui demander : « Alors, quel est le plan ? ». Steve haussa les épaules et prit une gorgée de café avant de lui répondre.

- Sam est à Hamburg avec le jet, et Wanda passe la semaine avec Vision quelque part au Danemark.

- Vision ? l'interrompit Natasha.

- Longue histoire…

- Tu veux dire que Wanda et Vision…

Steve hocha la tête en souriant. Natasha, elle, n'entendait pas à rire.

- Et ça ne t'inquiète pas ? lui demanda-t-elle. Pour votre anonymat, je veux dire…

- S'il y a une chose dont on peut être certains, c'est de l'honnêteté de Vision. Il ne lui mentira jamais. Alors pour le moment, j'essaie de ne pas m'en faire. On s'est donné jusqu'à la fin de la semaine, et on doit se rejoindre ici, à Berlin. Disons que c'est un peu… comme des vacances.

Natasha eut un sourire, le genre si subtil qu'il fallait le deviner.

- À d'autres, Steve Rogers. Tu penses réellement me faire avaler ton histoire de vacances ?

Steve ne put s'empêcher de sourire à son tour.

- Bah je vais me chercher un café tous les matins dans ce p'tit café qui longe la Sprée. Je me ballade, j'étudie la ville. Puis le soir, quand tout est fermé, je vais m'entraîner dans ce petit gym de boxe dont j'ai appris à connaître Karl, le propriétaire, au fil de mes visites à Berlin.

- On repassera pour l'anonymat…

- Il sait qui je suis. Il n'en fait pas tout un plat.

- Steve…

- Tu préférerais que j'arrête l'entraînement et que j'me mette à faire mon âge, peut-être ?

Natasha secoua la tête, mais n'était que faussement découragée.

- Donc le plan de match du jour, c'est…?

- Celui que tu voudras, lui répondit Steve. Tu peux passer la journée ici, à récupérer des années de sommeil. Mais je parie que Karl serait fou de joie de rencontrer la célèbre Black Widow.

- Adieu la couverture…

- Qui sait ? Il pourrait même te refiler son numéro de téléphone ?

- Son numéro de téléphone ? Bon sang, Steve, tu sais que des expressions comme celle-là trahissent vraiment ton âge ?

Il éclata de rire. Il avait l'impression de ne pas avoir ri depuis des années. Ils mangèrent et burent leurs cafés en silence, assis côte à côte et appuyés contre la tête de lit. Lui avait gardé ses espadrilles, elle était encore en camisole et sous-vêtements. Comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.