Kannazuki no Miko

Lamentation

Les cris d'agonies des personnes lacérées

par une arme mortelle jouent

la musique d'un bal infernal.

Chapitre un : S'il n'y avait que des modèles

Gris. Pas noir ni blanc, mais gris. Car les opposés se complètent et forment un tout bien spécial. Car rien n'est aussi bien que ce qui est pire et rien n'est aussi pire que ce qui est bien. Vous ne comprenez pas tout? Ne vous en faites pas, j'ai mis du temps également. Tous ont leurs raisons, vous savez? La véritable folie n'existe pas, ce n'est que les valeurs qui changent. Ce monde est gris, il l'a été pendant longtemps et il le restera encore. Et j'en suis heureuse, vous imaginez ce qui pourrait advenir sinon?

Quel drôle de monde cela serait. Invivable, d'ailleurs. La vie n'a pas la moindre chance et si le hasard est en sa faveur, je serais plus d'avis qu'elle en soit détruite dans les trente secondes après qu'elle est percée.

Voici Himeko Kurusugawa; ai-je besoin de vous la présenter? Non. Sûrement pas. Laissons-la faire elle-même, après tout, c'est son histoire, pas la mienne.

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Je n'ai jamais cru en dieu. Au fond, tout au fond de moi, je me disais que…ce qu'on racontait de la religion, c'était autre chose. Je ne renie rien, non, j'ai bien fait ce que les autres me disaient de faire, toujours, mais moi… je sentais qu'on me surveillait, que quelque chose…quelqu'un avec la présence d'être qui était énorme et qu'il me surveillait, moi uniquement. Mako-chan m'a dit que c'était un peu égocentrique de me sentir comme ça. Vous savez, un dieu que pour nous? Mais…je ne peux m'empêcher de croire que ce que je ressens est vrai. Mes sens ne peuvent me tromper sur ce point.

Cela ne vous étonnera probablement pas si je vous dis que j'ai entamé ma dernière année à l'école de Mahoroba il y a de ça un mois. Oui, j'ai quinze ans, j'ai presque tout terminé et encore j'ignore ce que je pourrais bien faire. Autre que Mako-chan, il y a peu de personnes qui se sont intéressées à moi. J'ai perdu mes parents il y a de ça tellement longtemps que je ne me souviens plus de leur visage. C'est ma tante et mon oncle qui m'ont élevé. De toute manière parait-il que ma mère n'aurait pas été capable d'assumer cette responsabilité, un problème mental, je crois bien. Si elle n'est pas morte, elle doit bien être à l'asile. Mais qu'importe, je ne la connais pas et ma tante, la sœur de ma mère, se garde bien de m'en parler. C'est mieux ainsi vous ne croyez pas?

Aller, ce n'est rien.

Je parlais donc de Mahoroba. Oui. C'est plus stagnant de ce côté. Je reste avec Mako-chan. À comprendre ici que le verbe « rester » a plusieurs significations : je reste avec elle en résidence et je reste avec elle à l'école, n'ayant aucun autre ami. Je ne me sens pas seule, jamais. Mako-chan a suffisamment d'énergie pour dix. De quoi être comblée assez rapidement! Je participe en fait à beaucoup de choses : je suis présente à chaque entraînement de ma meilleure amie puis, je la félicite chaque fois qu'elle gagne!

Je ne suis pas bien différente des autres. Je dirais même que je suis identique à toutes les filles. Ce n'est pas ridicule de penser ainsi, nous sommes tous des bouts de chair enroulés autour de quelques os. Si on y pense bien. Des bouts de chair dotés de la capacité de penser et d'évaluer. Non. Je me trompe. J'ai quelque chose de différent. Quelque chose qui me fait un peu honte en y pensant bien. Et c'est Mako-chan elle-même qui me l'a fait remarquer, involontairement. Je me crois…en retard. Sur les autres filles. J'ai quinze ans, et elles, toutes, cours après les garçons les plus honorables, les trouvant tous beaux, à la mode, les vénérant. Et pas moi. J'agis comme ça, car leur manière me dégoûte. Pourquoi les comparer? Puis, un jour, vous comprendrez qu'ici c'est le zénith de ma stupidité, on m'a demandé en rendez-vous. Le garçon se nommait Oogami Souma, c'était un ami de Mako-chan, il était formidable, moi-même je le voyais clairement! C'est qu'il avait des fanclubs ce gars! Il est doué en tout, imaginer tous les sports, il était le numéro un. Toutes les filles rêvent d'un rendez-vous avec lui et tous les garçons le voudraient en mentor!

Et je l'ai refusé.

Et je ne sais toujours pas pourquoi.

Je ne me sentais pas prête, faut croire. C'est ce que Mako-chan en a conclu après deux heures de « TU AS FAIT QUOIII?!? », je n'osais pas vraiment la contredire, vous comprendrez. Par contre, je dirais pour ma défense avant que vous commenciez à croire que j'ai un manque d'intérêt envers la vie et que ma stupidité est à un tel niveau qu'elle ne puisse encore augmenter, que j'en ai un, moi aussi, un modèle. Et le fait que ce modèle soit également le modèle de 2000 autres filles est un détail de moindre importance. Je la remarque souvent s'entraîner le matin lorsque je suis supposée encourager Mako-chan. Car c'est bien vers les heures d'aurores qu'elle arrive à être en paix. Et encore. Certains se positionnent dans les estrades pour l'observer. Au moins ils ne font pas tant de bruits. « Miya-sama est tellement populaire qu'elle reçoit des lettres d'amour et des demandes en mariages quasiment tous les jours et ça des deux sexes! Incroyable! » C'est ce que Mako-chan m'a dit d'elle la première fois qu'elle me surprit à avoir des lacunes dans mon rôle attribué à son entrainement. Et je n'en sais pas plus d'elle. J'aimerais, mais je n'oserais demander. J'aurais l'air de quoi de toute manière. D'une de ses fans qui me dégoûtent au plus au point? Non, non, je ne m'abaisserais pas à ce niveau, on ne m'y prendra jamais.

Je préfère encore mon petit rôle. Pourtant. Aller savoir comment. Comment et pourquoi. Mais. Mais. Je me sens reliée à elle. Je ne l'ai peut-être vu que je loin, mais c'est qu'elle m'émerveille depuis notre entrée à Mahoroba. C'est certain que raconter de cette manière, cette histoire parait loufoque…mais, c'est que… ça l'est. Je n'ai jamais prétendu le contraire. Qu'observer la même fille sur plusieurs années c'est ridicule et penser qu'un jour peut-être. Qu'un jour peut-être simplement. J'ai ce sentiment d'être une inconnue, une parmi tant d'autre. Bien moins qu'ordinaire, avec ses petites croyances personnelles qui ne mènent à rien. Je me sens bien, avec Mako-chan. Oui. Bien. Miya-sama…

Miya-sama dans toute sa splendeur. Il n'y a rien de mauvais qui puisse sortir de ce corps svelte et pourtant si fort, si fort, mais si gracieux en même temps, si gracieux et si sportif. Puis ses yeux, ses deux améthystes, comment ne pas fondre devant ce regard et ce petit sourire en coin. Un regard aussi doux, mais si puissant qu'il pourrait sans problème vous lacérer le corps, continuer son chemin dévastateur au travers de vos organes les plus vitaux pour terminer sa course dans votre âme et en percer tous les secrets et tout ça dans moins de temps qu'il n'en faut pour cligner des yeux. Vous ne l'aurez même pas vu et elle saura tout de vous. Ou du moins…j'ai cette impression. Une impression d'un esprit analyste si performant qu'il en étonne la technologie même.

Se petit sentiment rigolo à chaque fois que je la vois, ce petit sentiment qui me fait espérer qu'elle me regarde, moi. Un sentiment qui voudrait me faire croire que toutes les pratiques qu'elle fait, c'est pour moi. Que si elle se peigne si bien et qu'elle brille si bien tous les jours c'est pour moi. Que si elle est si parfaite…c'est pour moi.

Quelle fan fini et égoïste suis-je!

Je me répugne, c'est définitif.

Je devrais peut-être parler de mes impressions à Mako-chan, après tout, elle a toujours été là pour moi. Elle m'a toujours accepté…elle ne me jugera pas. N'est-ce pas? Elle ne me comprendra peut-être pas, peut-être ou sûrement pas, mais elle m'écoutera. Puis, puis...bien. Après, oui, après…je me sentirai mieux. Puis…j'irais mieux.

N'est-ce pas?