Dans la salle de débriefing du Normandy, nous attendons Shepard. Nous savons qu'elle ne va pas nous parler de permission, ni de victoire contre les moissonneurs. La destruction de la base des recolteurs n'a réussi, au plus, qu'à irriter nos ennemis. Je ne comprends pas bien pourquoi elle l'a détruite, même si je sais que les expériences menées là-bas nous ont tous dégoutés. Même les aliens n'ont pu rester insensibles face à ce que les colonies ont enduré pour la création de ce moissonneur humain. La tension est telle que Grunt fait les cents pas, visiblement impatient de démolir quelque chose ou quelqu'un, quand Shepard fait son entrée. Tous ici espérons qu'elle va nous donner des directives sur les suites de son projet.

- Je vous ai fait venir aujourd'hui car nous avons besoin d'aide.

Le silence est pesant et nous echangeons des regards interloqués. Elle a refusé jusqu'à aujourd'hui de parler des perspectives qui s'offraient à nous.

- Comme vous le savez déjà, nous ne pouvons plus compter sur Cerberus pour nous soutenir. La destruction de la base derrière le relai Omega 4 n'a pas plu à l'homme trouble qui a, selon ses termes, promis de ne pas me laisser de répit.

J'ouvre la bouche pour protester mais Shepard lève la main pour me faire taire.

- Je sais, Miranda, que votre loyauté va à Cerberus, mais, comme tous ici, vous avez vu ce que les récolteurs ont fait et je ne pouvais pas laisser ces enfoirés s'emparer d'une telle technologie si cela implique de créer une arme à partir de fluide d'être vivant. Je ne vais pas gâcher votre matinée à palabrer sur les raisons qui m'ont poussée à prendre cette décision, c'était immoral, il fallait y mettre un terme. Seuls Thane et Jack ici ont vu cette abomination de moissoneur humain. S'ils le désirent ils pourront amplement vous décrire l'horreur dont nous avons été témoins.

Personne, ici n'est tenu de me suivre dans le projet "sauvons la galaxie de l'extinction de tout forme de vie organique ou synthétique".

Ce faisant elle se tourne vers légion qui lui voue un véritable culte et dont la loyauté est sans borne.

- Mais je pense qu'il est dans notre intérêt à tous de détruire les moissonneurs.

La fin de sa tirade est suivie par un brouhaha qu'elle tempère rapidement.

- Ce que j'attends de vous, ce n'est pas de détruire quelques mercenaires et rendre service à l'un ou l'autre venu quémander de l'aide. Je suis un Spectre et vous êtes tous des êtres d'exception. Nous devons dès aujourd'hui, tous demander l'aide de tout nos alliés. Il est temps de montrer au conseil, à la galaxie ! que nous devons nous unir ! Tous, êtes capables de m'aider. Votre expérience, vos connaissances sont la clé de notre victoire. Je me charge de rallier le conseil, je viendrais vous trouver personnellement afin de vous désigner vos tâches. Une dernière chose. J'ai pensé qu'aller sur Ilos serait ma dernière mission, j'ai survécu. J'ai pensé que nous ne survivrions pas au relais Omega 4, pourtant nous sommes là. Aujourd'hui, c'est différent. Ce qui nous a paru insurmontable était une plaisanterie aux yeux des moissonneurs. Au mieux, nous avons retardé leur arrivée de quelques mois. Mais maintenant, c'est la guerre totale. Je vous le dis honnêtement. Nous ne survivrons peut-être pas. Mais si nous allons nous terrer dans une quelconque colonie en espérant être protégés, nous garantissons la victoire aux moissonneurs. Vous pensez que votre départ n'affectera personne ? Dites vous que si un seul d'entre vous ici n'avait pas été là sur la base des récolteurs, nous serions tous morts. Nous devons nous entraider et rester unis.

Tandis que les autres acclament Shepard, je reste silencieuse. Elle est encore plus déterminée que lorsque je l'ai connue et pourtant déjà à l'époque c'était une forte tête. Il faut le reconnaître. Shepard n'est pas qu'un porte-flingue, c'est un leader né. Elle doit tenir ça de sa mère, le capitaine Hannah Shepard. Sa fille lui rend honneur. Elle plaisante avec l'équipage, joue au Skyllian Five avec les mécanos, s'intéresse au code des probatrices que suit Samara, elle peut même à l'occasion jurer comme un krogan. Tous lui sont fidèles. Je ne fais pas exception. Si Cerberus m'a protégée, a protégé ma famille, c'est parce qu'ils avaient besoin de mes pouvoirs biotiques. Avoir un humain génétiquement modifié sous leurs ordres c'était se servir du fleuron de l'eugénisme sans être tenus responsables de l'anomalie que je suis. Shepard est.. différente. Elle m'a acceptée malgré des débuts difficiles. J'ai pensé qu'elle aussi n'en avait qu'après mes pouvoirs. Elle m'a prouvé le contraire en protégeant Oriana. Désormais, malgré ce qu'à fait Cerberus pour moi, je sais à qui va ma loyauté. Shepard a ses défauts, elle est brusque et parfois trop confiante en la nature humaine, mais son courage n'a d'égal que sa force et sa volonté ne faiblit pas. A l'instar des autres, je luis resterais fidèle.

Une fois tous les membres de l'équipage sortis, je m'appuie sur la table en soupirant.

- Shepard, vous semblez exténuée et déprimée, votre taux d'endorphine est plus bas que la moyenne. Vous devriez aller voir monsieur Krios.

Je rougis violemment au commentaire d'IDA.

- Je ne tolère pas ce genre de remarque de la part de mon vaisseau !

En disant cela je me sens un peu folle mais je reste ferme. Une IA qui commente ma vie privée !

- C'est un simple constat, Shepard.

- Et bien je te prierais de ne plus me scanner, ni m'espionner. Raconte moi plutôt comment Joker prend le fait que tu l'abandonnes pour tes "échanges de données" interminables avec Légion.

Plus un mot de l'IA. J'éclate de rire à l'idée qu'un programme puisse éprouver de l'embarras.

- C'était de bonne guerre IDA. Allez, ne boude pas, c'est juste que Joker était surpris que tu ne le sermonnes plus à tout bout de champs.

IDA coupe la transmission et je souris, amusée.

Retrouver Thane... Ce n'est pas l'envie qui m'en manque mais la dernière relation que j'aie eue remonte à plus de deux ans, et j'ai parfois peur d'avoir oublié les mécanismes du coeur. Paradoxal quand on connait le budget que Cerberus a alloué à la reconstruction de mon coeur. Comment pourrais-je avoir une relation sentimentale quand je me bats contre des ennemis millénaires et déterminés à raser toute forme de vie ? Je ne verse pas souvent dans le melo, mais ressasser cela me donne des haut-le-coeur. Sans m'en rendre compte, je suis devant le bureau de Miranda. Etonnant, je ne cherchais pas spécialement à lui parler en premier, mais il faudra que je l'informe des projets que j'ai pour elle. Il y a autre chose. C'est une femme qui me ressemble. On en attend beaucoup d'elle parce qu'elle a des capacités hors du commun, elle est déterminée, directe et ne se laisse pas aller à des accès de sensiblerie. J'entre et m'assieds à son bureau.

- Commandant. Que puis-je faire pour vous ?

- Parlez moi de Jacob.

Son visage se ferme, je comprends instantanément la méprise.

- De vous deux. Ensemble.

Elle fait mine de se concentrer sur ses dossiers.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Je coupe son écran et la force à m'écouter.

- Je ne suis pas l'alliance qui condamne les relations entre soldats, je ne suis pas le commandant Shepard qui attend un rapport sur vos missions, je suis une femme qui a besoin d'une amie pour parler.

Elle semble déstabilisée un instant puis elle me sourit et m'invite à la suivre sur la banquette derrière le bureau. Elle sort une bouteille d'eau de Serrice, cet alcool succulent que j'avais partagé avec Chakwas et le coupe avec du jus de kupa. Elle me tend un verre et s'installe confortablement sur la banquette.

- Jacob et moi.. nous nous sommes connus un peu avant votre mort. Elle sourit légèrement. Comme beaucoup de gens, je l'ai directement classé dans les gens sans intérêt. Il est certes bel homme, mais je ne m'intéressais guère au soldat typique, vaillant et dévoué à l'Alliance. Je ne m'intéressais à aucun genre en fait. J'étais concentrée sur mes missions pour Cerberus et les révélations troublantes que nous apprenions sur les récolteurs. Jacob n'avait pas encore rejoit Cerberus, comme tout les soldats, il se méfiait des organisations indépendantes qui se concentrent sur la recherche scientifique et la politique, malgré tout, il nous a aidé face à une attaque terroriste menée par un pseudo amabassadeur Butarien. Cet ambassadeur, Jath'Amon projetait d'assassiner le conseil grâce à une arme biologique. Heureusement, nous l'en avons empêché et il est désormais prisonnier du SSC. Ce fut un succès, autant pour nous que pour Cerberus qui récupéra d'importantes données sur le virus. Pendant la mission, j'ai pu découvrir que Jacob était quelqu'un d'intègre et honnête, et très courageux. Il m'a plusieurs fois sauvé la mise et j'ai appris à le connaître. C'est quelqu'un.. d'attachant. Nous avons fêté notre réussite au champagne et je n'ai pas besoin de vous expliquer comment se finit une soirée arosée.

Son sourire est triste et je ne peux m'empêcher de lui demander :

- Pourquoi n'êtes vous pas ensemble alors ?

- Et bien, je ne me vois pas d'avenir. Je cours après les missions suicides et ne peux m'empêcher de repousser tout ceux qui s'immiscent dans ma vie privée. Il m'a fallu un énorme effort de volonté pour vous demander de m'aider à propos d'Oriana, car je tiens à ce que mes secrets restent sous bonne garde. Je n'ai jamais su faire confiance à qui que ce soit et je ne veux pas prendre le risque de m'impliquer dans quelque chose qui finira par me décevoir.

- Vous avez tort, Jacob tient à vous. Il est intègre, vous l'avez dit, alors vous n'avez rien à craindre de lui. Vous vous faites ce qu'il y a de pire. Vous priver d'amour pour éviter de souffrir. Avec ce qui se profile, la meilleure chose que nous puissions faire c'est profiter des moments qu'il nous reste. A quoi bon gaspiller le temps imparti en suppositions, en restrictions ?

- Vous encouragez l'orgie, commandant ? Demande Miranda avec un sourire.

Je ris, me rendant compte que je me fais ardent défenseur de l'amour alors que je n'ose y penser.

- Vous savez, je ne vais pas me jeter dans ses bras après cette discussion, mais votre point de vue est pertinent, Shepard. J'y réfléchirais.

En silence, nous vidons nos verres.

- Quand vous êtes entrée, j'avais plutôt l'impression que vous aviez besoin de vous confier, finalement vous me conseillez. Vous n'aimez pas non plus vous étaler sur votre vie privée.

- En parlant avec vous, Miranda, je me suis confiée à ma manière.

Je me plonge dans la contemplation de mon verre en soupirant.

- Pourtant vous n'êtes pas soulagée. Racontez-moi.

Et à ma surprise, je lui dévoile tout. Ma fascination quand j'ai recontré Thane la première fois, l'attirance que je n'ai pas pu m'empêcher d'éprouver pour lui, la peine et la compassion quand il parlait de sa femme. Elle sourit quand je lui raconte cette fois maladroite où j'ai sous-entendu que j'espérais être plus qu'une amie pour lui. Je repense à ce jour où il m'a avoué avoir des sentiments pour moi, lorsque je lui ai répondu que j'épprouvais la même chose, puis cette nuit avant que l'on passe le relais, cette fragilité que je n'avais jamais vue de lui. J'évite les détails mais Miranda comprend. Je lui explique enfin la distance qu'il y a entre lui et moi depuis. Toujours respectueux il n'a pas cherché à m'en demander trop.

- Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, Shepard, mais vous avez tort de l'éviter. Ce n'est bon ni pour vous, ni pour l'équipage. Vous devez soit lui parler, soit renouer avec lui, mais tenez vous vraiment à ce qu'une scène de ménage se profile pendant qu'un récolteur tentera de vous expédier ad patres ?

Je souris et lui répond :

- Je ne vais pas me jeter dans ses bras mais j'y réfléchirai. J'ai autre chose à vous demander, mais là, je suis de nouveau le commandant Shepard. Vous savez que Cerberus ne va pas me lacher tant qu'ils n'auront pas la satisfaction de me voir anéantie et supplantée par je ne sais quel autre héros de l'Alliance, allez savoir, Alenko ? Il faut que vous vous assuriez qu'ils restent tranquilles. Jouez l'agent double, donnez leur nos effectifs, n'importe quel os à ronger, du moment que l'homme trouble ne s'acharne pas à nous mettre des bâtons dans les roues.

- C'est donc ça, ma mission individuelle ? Occuper Cerberus pour que les autres puissent tranquillement sauver la galaxie ? Vous me sous-estimez, Shepard. Voyez-vous, ces quinzes derniers jours, j'ai déjà exactement fait ça, mais en plus, j'ai convaincu l'homme trouble de m'allouer des fonds, me prétendant son fer de lance, sans compter le fait que j'aie pris contact avec la cellule armement de Cerberus qui n'est pas dirigée par l'homme trouble. Rappelez-vous, nous fonctionnons en cellules. Ainsi, je détourne certains fonds de la cellule politique de l'homme trouble au profit de l'armement lourd.

- Je pensais qu'il était le grand magnat. Pourquoi n'a-t-il jamais lui même financé l'armement du Normandy ?

- Il a beau être puissant, ce n'est qu'un homme et le chef de l'armement ne lui pardonnait pas de ne plus m'avoir à ses ordres et à raison, l'homme trouble refusant de communiquer mes activités au chef de l'armement, Marshall Lawson.

- Votre père ?

- Exactement, Shepard. Je lui ai garanti de lui révéler où se trouvait Oriana s'il consentait à nous aider. A la seule condition de devenir son associé à cinquante et un pourcent.

- Il a accepté ?

- Pas du tout, mais je ne compte pas non plus lui livrer Oriana une fois la guerre terminée et qui sait combien de temps elle durera. En tout cas, grâce à Cerberus, nous pourrons équiper une flotte plus impressionnante que toute l'alliance réunie.

- Vous êtes dure en affaires. Rappelez-moi de ne jamais traiter avec vous.

Je sors de son bureau en la saluant. Elle est tortueuse et impitoyable, mais son aide et sa vivacité d'esprit nous sont utiles. Très utiles. La promesse d'armement est une excellente chose pour la suite de mon projet. Malgré cela, elle a un côté plus humain que je ne l'imaginais. Dire que je la détestais au début est un euphémisme, et aujourd'hui de la compte parmi mes équipiers les plus prometteurs. Je descend donc voir Tali qui se trouve en grande discussion avec...

- Thane.

Je le salue d'un signe de tête impersonnel, chamboulée de le voir après la discussion que je viens d'avoir avec Miranda. Egal à lui-même, il répond par une salutation tout aussi formelle. Pas de regard appuyé, pas un indice sur ses emotions, un self control à la limite de la froideur. Personne ne pourrait soupçonner qu'il ait pu se passer quoique ce soit entre lui et moi. En un éclair je revois l'ivresse de notre intimité. Je sais qu'il est capable de s'en rappeler les moindres détails et pourtant, il semble à des années lumières de moi. Il monte sans un regard vers moi. Tali attends ce que j'ai à lui dire. Une boule dans ma gorge m'empêche de parler. Je m'éclaircis la voix.

- Tali, j'ai à vous parler.

- Je vous écoute, Shepard. Est-ce à propos de nos missions personelles ?

- Oui. Vous m'avez dit, il y a peu, que vous aviez été préssentie pour succéder à votre père comme amiral. C'est à ce propos. J'ai une totale confiance en vous et je crois que depuis ce que nous avons fait pour pour la flotille, vous êtes en odeur de sainteté auprès de tous les Quariens. Voilà l'idée.

Je lui expose mon plan et elle proteste, elle pense qu'il sera impossible de les convaincre, qu'elle n'a pas ce pouvoir, que c'est de la folie. Je lui rapelle alors que tout la désignait comme coupable de trahison et pourtant nous avons gagné l'estime de la flotille.

- S'il le faut, j'interviendrais en votre faveur, encore. Je l'ai déjà fait, je le referais.

- Ce n'est pas ça, Shepard, mais demander à la flotille de se battre ? Faire la guerre ? Une escarmouche contre des pirates Butariens, ma foi, mais contre les moissoneurs ! Ce sont nos maisons, nos abris, si elle est détruite, il ne reste pas un monde où nous ayons une colonie prête à repeupler la galaxie. C'est notre mort assurée.

- Que diriez-vous si je vous annonçais que Cerberus mettra à votre disposition les meilleurs vaisseaux jamais conçus, avec un armement à la pointe de la technologie ? Imaginez un croiseur avec non pas un, mais huit canons Thanix comme ceux du Normandy ? Grâce à Mirande, Cerberus est prêt à débloquer des fonds infinis pour ce projet.

Son silence en dit long. Les Quariens sont attachés à leurs vaisseaux, mais ils sont des experts du recyclage. Il est rare de ramener un nouveau vaisseau à la flotte nomade. Des nouveau vaisseaux leurs garantiraient sécurité et prosperité. Ils ne seraient plus soumis au contrôle des naissances.

- Essayez de les convaincre, Tali. Je vous en prie.

Elle hésite et j'assène le coup final.

- Vous savez, Tali, depuis que j'ai reprogrammé les Geths hérétiques, il m'est possible de leur suggérer l'idée d'un compromis. Ils pourraient vous rendre votre planète, à condition qu'ils aient la garantie qu'on ne cherchera plus à les attaquer. Et si Légion me fait confiance, ils me font tous confiance.

- Shepard, vous n'êtes quand même pas en train de me faire chanter ?

Je perds alors patience.

- Tali ! Si j'en avais le pouvoir, je vous aurais rendue dix planètes comme votre monde d'origine ! Je fais tout ce que je peux, mais si les Quariens ne se joignent pas à la bataille, nous serons tous exterminés ! Nous avons besoin de toute l'aide disponible et il est inutile de se perdre en suppositions en probabilités, il faut s'y mettre maintenant. Des morts, il y en aura. Elles se compterons par centaines de milleirs, qui sait, plus peut-être ? Peut-être mourrais-je moi aussi ? Mais je ne vais pas m'enterrer sur une planète isolée pour éviter la guerre. Elle est déclarée et je suis fière d'y avoir contribué, car si nous ne l'avions pas fait, les récolteurs nous auraient cueilli comme du blé mûr. Il est temps que tous se réveillent la menace est réelle.

- Je sais tout ça, Shepard, mais j'ai peur. Je ne peux m'en empêcher. Je n'ai rien vécu, je n'ai pas trente ans, je n'ai pas connu l'amour, ni la peur de mourir d'une infection, ni la joie d'être nommée capitaine d'un vaisseau. Et je dois convaincre la flotte nommade...

- Ce que je vous demande n'est pas facile, chacun de vous va devoir surpasser tout ce qu'il ait jamais fait, mais c'est pour cela que vous êtes mon équipe. Je vous fait confiance et je sais de quoi vous êtes capables. Si nous n'y parvenons pas, vous ne connaîtrez jamais le plus important, la paix.

Elle est silencieuse, mais je sais qu'elle a compris. Si elle ne le fait pas, personne ne le fera. Je me rends compte qu'il est facile d'exiger des autres qu'ils se sacrifient pour vous, mais c'est un défi titanesque de vouloir les faire prendre leur destin en main. Quand on vous ordonne quelque chose, il ne tient qu'à vous d'obéir ou pas. Mais sans directive, libre de tout cadre dans lequel évoluer, on ne sait plus où aller. Nous revendiquons tous la liberté, mais, en avons-nous vraiment envie ? C'est peut-être ce qui pousse le conseil à fermer les yeux sur les agissements des Geths, des récolteurs, des moissonneurs depuis qu'ils connaissent la situation. Il leur est plus facile de croire qu'ils sont obligés de ne pas attaquer les systèmes Terminus sous peine de conflit, qu'ils n'ont pas le choix que de ne pas passer le voile de persée pour débusquer les geths. Il est plus facile de s'interdire un choix que d'accepter ses responsabilités. Ils ont beau être l'élite de la politique, ils restent enchaînés à leur peur. Ils ont peur de leur propre liberté, de leur pouvoir.

Je salue Gaby et Kenneth en remontant vers ma cabine. Si j'avais attendu une heure de plus avant de partir, ils seraient morts à l'heure qu'il est. C'est étrange de se dire que la moindre de ses décisions a des conséquences directes sur la vie des autres. Pourtant si j'ai été nommée Spectre, c'est pour une raison. Un Spectre se doit de rester stoïque et ne jamais se laisser aller à des accès de sensiblerie. Quoique... Anderson avait été préssenti pour être le premier spectre humain et pourtant c'est quelqu'un de sensé et attentif aux autres. Sarren, à sa façon s'est laissé envahir par ses sentiments. Il a été dominé par sa peur au point que Sovereign en fasse son esclave. Quand à Nihlus, je l'ai peu connu, mais d'après Samara, il a abattu un civil sans défense, ce qui fait de lui un lâche. Les spectres sont des êtres dominés par leurs sentiments. J'essaie de me justifier de mes actes, mais si Garrus voyait ça, il me rapellerait que les Turiens exècrent la lâcheté et que dans leur culture un meurtrier qui nie est un moins que rien alors qu'un meurtrier qui assume est juste quelqu'un de dangereux. Je consulte l'heure sur mon Omnitech et secoue la tête. Ca fait plus de trente sept heures que je n'ai pas dormi. D'accord, je dois superviser un équipage, mais me transformer en zombie ne leur sera pas très utile.

- IDA, prend le relai, met nous en mode veille et direction Tuchanka. Je dois voir un vieil ami. Et dis à Joker de dormir ! Il va finir par faire un infarctus à force d'ingurgiter tant de café. Fais une annonce d'extinction des feux.

- Bien, commandant. Je transmettrais.

Certaines fois, je me dis que je suis plus leur mère que leur commandant. Entre les jérémiades de ceux qui se plaignent de manger la même chose, ceux qui se battent pour un rien et ceux encore qui tombent en dépression pace qu'ils ne dorment pas et que le couvre-feu les laisse indifférents, je me dis que je n'aurais jamais besoin d'expérimenter les joies de la maternité. Je dois souvent leur rappeler qu'il y a un temps pour dormir, un temps pour régler les conflits, un temps pour vérifier les niveaux de carburant et un temps pour sauver la galaxie. Ah non, ça, c'est tout le temps. Je nourris les poissons, car même si Kelly s'en occupe, ils avaient une fâcheuse tendance à mourir trop souvent. Puis je les préfère trop gras que flottants lamentablement sur le dos à la surface de l'eau...

Je n'ai pas le temps de me déshabiller que je m'effondre sur le lit et sombre dans un sommeil proche du coma.