Bonjour à tous ! Ceci est le début d'un long fanfic que je rédige au fur et à mesure (pas vite) et que j'essaie de traduire en anglais (encore moins vite). En terme de chronologie il se situe fin saison 3/début saison 4, et il est principalement centré sur Greg, même s'il explorera aussi pas mal Steven et les Gemmes. Il n'y aura pas des masses d'action, c'est une histoire qui vise principalement à développer le caractère des personnages et les relations qu'ils entretiennent. Il y aura peut-être aussi une romance, ce n'est pas encore sûr, je dévoile rien pour l'instant.

J'espère que ça vous plaira, bonne lecture !


Le soleil ne s'était levé que depuis une heure quand Steven quitta la maison sur la plage. L'air était froid en cette fin d'hiver mais pour la première fois depuis des semaines le ciel était enfin d'un bleu limpide. Le vent marin balayait la côte, soulevant des volutes de sable et des embruns salés.

Le garçon trottait allègrement sur la plage, son sac à dos en forme de cheeseburger ballotant entre ses épaules. Il contourna la falaise au bout de laquelle se dressait l'immense statue du temple aux bras multiples et fut bientôt en vue de la promenade. Aussitôt les senteurs habituelles l'envahirent, un savant mélange de pâte à donut fraichement préparée, de sauce marinara pour pizza et d'huile de friture bouillante. Des différentes boutiques s'échappaient des bruits de voix et d'ustensiles divers : Plage Ville s'était éveillée et se mettait lentement au travail.

Steven, cependant, ne s'arrêta dans aucun des restaurants. Il avait déjà tout prévu plusieurs jours à l'avance : son sac débordait de friandises, de boissons, de paquets de chips, et de sandwichs à la dinde qu'il avait préparés lui-même. Tout en descendant le long de la promenade, il bouillonnait intérieurement d'impatience et de joie. Cela lui semblait une éternité depuis la dernière fois qu'il avait vraiment passé du temps avec son père et, lorsque quelques jours auparavant Grenat lui avait annoncé la date du prochain jour de beau temps, il avait sauté sur l'occasion pour organiser une visite. Durant les derniers jours la pensée qu'il allait enfin le revoir occupait tant son esprit qu'il avait été incapable de s'en détourner : ni les jeux vidéo, ni les parties de cartes avec les Gemmes, ni les épisodes de Tristesse au P'tit Dèj n'avaient eu le moindre effet.

Steven était d'autant plus impatient que son père avait un comportement un peu inquiétant depuis un moment : le peu de fois où il le voyait ou lorsqu'il l'appelait au téléphone, Greg semblait préoccupé et abattu. Il était beaucoup moins volubile que d'habitude et ses sourires paraissaient crispés. Steven n'avait pas beaucoup de mal à comprendre pourquoi il agissait ainsi : cela devait être dur pour lui de passer des journées aussi banales les unes que les autres, sans personne pour lui tenir compagnie hormis les trop rares clients du Lave Auto.

Cela faisait plusieurs années maintenant que Steven vivait avec les Gemmes de Cristal : toutes les trois, ainsi que Greg, étaient tombés d'accord sur le fait que le garçon devait découvrir l'univers magique auquel sa mère était liée. Et son père, qui savait cet environnement dangereux pour de simples humains, avait accepté d'être laissé de coté. Il avait toujours semblé s'en accommoder le mieux du monde, mais Steven savait qu'il était capable de beaucoup d'abnégation quand il s'agissait du bonheur de son fils ; il pourrait très bien cacher sa souffrance d'être séparé de lui. Et Steven sentit sa culpabilité grandir quand il réalisa qu'il ne s'était jamais vraiment posé cette question.

"Ce n'est pas grave, pensa-t-il. Je compte bien rattraper tout ça maintenant que c'est redevenu calme."

Il est vrai que ces derniers mois avaient été riches en aventures pour Steven et les Gemmes : après avoir enfin réussi à vaincre la redoutable Jaspe, le groupe avait du maitriser les monstres de la garderie Bêta qu'elle comptait utiliser pour former une armée. Il y eut également d'autres menaces dans le grand Nord, ainsi qu'un essaim de vers marins géants qui déclenchaient de terribles raz-de-marée sur les côtes de l'Océan Indien. Et tout cela n'était rien comparé à sa virée accidentelle dans l'espace en compagnie d'Œil-de-Rubis, dont les intentions n'avaient pas du tout été amicales (mais Steven se promit de ne pas parler de cette mésaventure à son père, pour ne pas l'effrayer).

Steven n'était pas fâché de retrouver un peu de calme et, comme la fois où ils avaient dû passer un long séjour à la grange pour construire la machine de forage avec Péridot, son retour à Plage-Ville avait été teinté d'un immense soulagement. Il espérait que cette tranquillité retrouvée durerait et que tout le monde, en particulier son père, se détende enfin.

Le garçon avait marché à une bonne allure et bientôt, le Lave Auto fut en vue. Aucun bruit de machine ne s'élevait du bâtiment ; Greg avait prit un jour de congé pour passer du temps avec son fils, et Steven eut ainsi la vision familière de son père assis à l'arrière de son van, jouant une douce mélodie sur sa guitare.

"Salut Papa !"

Greg releva la tête et, à la vue de son fils, son visage s'éclaira. Il se leva avec difficulté et posa sa guitare tandis que Steven courait vers lui, puis il l'étreignit longuement - plus fort que d'habitude, observa le garçon.

"Content de te voir fiston ! s'exclama Greg d'une voix enjouée quoiqu'un peu faible. Comment ça va ? J'ai entendu dire que tu avais eu fort à faire avec les Gemmes.

- Oui, on a eu des tas d'aventures trop cools ! Je te raconterai ça, mais ça fait du bien aussi de se reposer. Et puis comme ça je peux te voir !"

Greg sourit. Steven profita de la proximité avec son père pour l'observer : son T-Shirt était taché d'auréoles de sueur (ce qui était étonnant, compte tenu du froid) et ses yeux étaient soulignés de cernes violacés. Il l'avait sans nul doute déjà vu en meilleure forme.

"Euh, Papa ? s'enquit prudemment Steven. Et toi, tu vas bien ?

- Oh, oui oui, répondit-il en faisant un geste négligent de la main. J'ai juste eu quelques journées de travail difficile."

Hormis circonstances exceptionnelles, il n'y avait jamais de monde au Lave Auto. Dans une ville aussi peu peuplée que Plage Ville, le travail de Greg, Steven le savait, était tout sauf difficile. Cela ne voulait dire qu'une seule chose : son père lui mentait. Mais il décida de laisser cela de côté pour le moment.

Tout à coup, il se souvint de l'une des raisons pour lesquelles il avait été aussi impatient de le voir et son enthousiasme reprit vite le dessus sur son inquiétude.

"Hé, tu m'avais dit que tu avais une préparé une surprise pour moi aujourd'hui !

- Ah, oui, se rappela Greg, son sourire s'élargissant davantage. Tout est là-dedans."

Il désigna une grande boîte en carton à l'intérieur du van. Steven s'en approcha, les yeux pétillants d'envie, mais son père l'arrêta d'un geste du bras.

"On ne peut pas s'en servir ici. Il va falloir faire un peu de route avec le van. Ça ne te dérange pas ?

- Oh, non, pas du tout !" s'écria aussitôt Steven en se précipitant vers la porte du siège passager du véhicule. En à peine deux secondes il l'ouvrit à la volée, sauta sur le fauteuil râpé et boucla sa ceinture.

Amusé par l'impatience de son fils, Greg se hissa péniblement derrière le volant et démarra le van. Steven remarqua qu'il haletait légèrement.

Ensemble, les Universe quittèrent Plage-Ville et gagnèrent une petite route de campagne. Le voyage fut effectivement court, mais plaisant : tous deux apprécièrent en silence ces quelques minutes passées à admirer le paysage et à sentir la caresse de l'air qui s'engouffrait dans les fenêtres ouvertes du van. Après quelques kilomètres, le véhicule remonta avec peine un long chemin de terre en pente raide avant de déboucher sur un vaste terrain plat et nu de forme rectangulaire. Greg arrêta le van juste à coté d'une barrière de bois et coupa le moteur.

Steven inspecta les alentours ; il n'était encore jamais venu ici. Autour du terrain entouré de barrières s'élevaient de grands arbres qui se balançaient au gré du vent. Plus loin, en contrebas, le garçon put apercevoir les berges couvertes de galets d'un lac. Il comprit alors ce qu'était cet endroit.

"C'est un parking pour les touristes ?

- Exact, approuva Greg. Mais personne ne viendra se baigner dans le lac en hiver. Cet endroit est désert en cette saison et c'est exactement ce dont j'avais besoin pour ma petite surprise ! Steven, je vais te demander de ne pas regarder quelques instants, le temps que je prépare tout.

- D'accord !"

Steven se retourna et patienta.

Tout était parfaitement calme. Seul le bruissement du feuillage et le chant des oiseaux était audible. Le garçon remarqua un oiseau jaune aux ailes noires perché dans des branches hautes. Son chant était particulièrement beau.

"C'est un loriot", pensa-t-il.

A une époque, son père et lui se promenaient souvent en forêt pour essayer de reconnaitre les oiseaux. Greg s'était, pendant un moment, passionné d'ornithologie et avait acheté quantité de livres sur le sujet. Cette passion, néanmoins, avait été un feu de paille : il ne se passa que quelques mois avant qu'il ne s'en désintéresse et cesse d'emmener son fils en forêt. Quant aux livres, ceux qui n'avaient pas été revendus étaient entassés dans son garde-meubles, devenus inutiles.

C'était une particularité de Greg : il n'arrêtait pas de passer d'un hobby à un autre, son engouement pour une nouvelle activité apparaissant aussi vite que disparaissait sa passion pour la précédente. Ainsi, il s'était intéressé à toutes sortes de sports, de loisirs créatifs et de disciplines, mais tout finissait par le lasser au bout d'un moment. C'est pourquoi son boxe était plein d'objets hétéroclites tels que des clubs de golf, un scaphandre de plongée, des masques de théâtre ou des instruments de musique divers. D'aussi loin que Steven le savait (et les gemmes, qui l'avaient connu plus longtemps que lui, le lui avaient confirmé) la guitare était la seule passion que son père avait conservée toute sa vie.

Ce qui était amusant, c'était qu'à en croire Greg, chaque nouvelle passion qu'il découvrait était LA révélation. Il affirmait à chaque fois que cette fois-ci, c'était la bonne, et qu'il s'investirait sérieusement à devenir un maître dans ce domaine spécifique- ce qui n'arrivait jamais. Il s'était même mis en tête un jour de devenir champion du monde de bilboquet ; il avait abandonné le jour où la boule lui fit un œil au beurre noir. De toute façon, Steven doutait qu'il existât vraiment un titre de champion du monde de bilboquet.

Mais était-ce vraiment si amusant que ça ? Un jour alors que Greg avait abandonné l'idée de devenir peintre sur soie (ou était-ce sculpteur sur glace ? Difficile de se souvenir), Steven avait demandé à Améthyste, qui avait été pendant un temps l'amie la plus proche de son père, des explications sur ce travers. Elle lui avait répondu qu'à l'époque, Rose et lui expérimentaient sans cesse de nouvelles choses ensemble. La curiosité de la mère de Steven à l'égard des activités humaines était insatiable, et elle insistait sur le fait qu'elle voulait absolument TOUT connaître. Pour exaucer le souhait de Rose, son compagnon s'assurait qu'ils découvrent le plus de hobbys possibles en un laps de temps réduit. Et ainsi, Améthyste avait vu son amie portant sous son bras une planche de surf, ou s'exerçant au lancer de disque, ou tricotant des napperons au crochet, tout cela dans la même semaine. Et toujours, l'avait elle précisé, avec un sourire de pur bonheur sur le visage.

Maintenant que Rose n'était plus là, Greg continuait ce petit manège. Essayait-il de combler un vide ? Où voulait-il passer avec son fils les mêmes moments de complicité qu'il passait avec Rose ? Steven repensa à toutes les fois où il avait refusé des activités avec son père, par manque de temps ou d'envie, et sa culpabilité refit brièvement surface.

"C'est prêt ! Tu peux te retourner, Steven !"

L'appel arracha le garçon à ses pensées. Il fit volte-face, pressé de découvrir quelle surprise l'attendait.

Au début, il ne remarqua rien de spécial. Ce ne fut que lorsqu'il posa le regard sur le van qu'il aperçut l'étrange installation au niveau de la place du conducteur. Il s'approcha pour mieux voir : le siège était à présent équipé d'un rehausseur qui y était solidement fixé, et chaque pédale était ornée d'un curieux ajout fait d'une pièce de bois brut surmontée d'une plaque en métal, le tout attaché par ce qu'il reconnut comme le fameux "ruban adhésif de haute qualité" que son père affectionnait tant.

Steven comprit tout à coup ce que tout cela signifiait. Ses yeux s'illuminèrent et il se mit à trépigner d'excitation avant de s'écrier :

"Papaaaaaaaaaaaaaaaaaa !

- Pas la peine de crier fiston, je suis juste à coté de toi, fit remarquer Greg.

- Tu... Tu vas m'apprendre à conduire le van ?!

- Tout à fait ! Maintenant que tu es presque un homme, j'ai décidé que le moment était venu de te transmettre l'ultime joyau du savoir de ton vieux père. Comme tu n'as pas encore l'âge d'avoir le permis, on se contentera de s'exercer ici."

D'un geste de la main, il invita son fils à monter coté conducteur. Extatique, Steven escalada le siège et s'installa dans le rehausseur. Il constata avec ravissement que grâce à l'assemblage, il voyait parfaitement bien au-dessus du volant et que ses pieds atteignaient les pédales sans problème.

"C'est super cool ! S'enthousiasma-t-il. Tu as fait ça tout seul ?"

Greg, qui avait fait le tour pour s'installer sur le siège du passager, rougit légèrement.

"Perle m'a aidé un peu, avoua-t-il. Je ne suis pas très à l'aise avec une scie à métaux."

Steven s'apprêta à démarrer le moteur mais son père l'arrêta :

"Woah, woah, une minute fiston. Tu n'as rien oublié ?"

Le garçon réfléchit, puis réalisa qu'il n'avait pas réglé les rétroviseurs, ni attaché sa ceinture. Il s'exécuta, sous le regard approbateur de Greg.

"N'oublie jamais qu'il y a des contrôles de routine à faire avant de démarrer, expliqua-t-il. Normalement, tu aurais du faire le tour du van pour vérifier qu'il n'y avait pas de pneu crevé ou d'obstacle."

Steven hocha la tête puis, après avoir vérifié que tout allait bien, mit le contact. Techniquement, c'était la première fois qu'il conduisait pour de vrai : il repensa à la fois où il avait participé à une course auto pour rabattre le caquet de cet arrogant de Kévin, mais c'était Stevonnie qui avait conduit et non lui. Il avait néanmoins gardé quelques souvenirs de la façon dont la fusion s'y était prise, et tenta de les appliquer. Il appuya sur la pédale d'embrayage, passa la première vitesse... et le van eut un soubresaut qui le projeta vers l'avant.

"Tu as calé, remarqua Greg en pouffant de rire. C'est normal, ça t'arrivera souvent. Tu vois, tu ne dois pas relâcher l'embrayage aussi vite : tu dois laisser le temps à l'accélérateur de prendre le relais."

L'heure qui suivit fut un peu laborieuse : Steven avait du mal à comprendre le concept de patinage, et avait un peu peur d'abîmer le précieux véhicule de son père, malgré les tentatives de ce dernier pour le rassurer. Toutefois, les nombreux essais infructueux n'entamèrent pas le moral du garçon et, bientôt, sa persévérance porta ses fruits : il parvint à faire avancer le van sans accroc, et put par la suite, sous la tutelle de Greg, se livrer à plusieurs manœuvres plus complexes.

Le bonheur de Steven était sans bornes : conduire le van, se trouver dans un environnement aussi paisible et, surtout, être en compagnie de son père l'emplissait d'une joie indescriptible, telle qu'il n'en avait pas connue depuis longtemps. Pour la première fois depuis plusieurs mois il avait l'impression que le stress qu'il avait accumulé à cause des derniers événements s'enfuyait enfin, de la même manière que l'hiver s'achevait et laissait place à un ciel sans nuages.

Greg aussi était heureux. Son fils lui avait énormément manqué, même s'il comprenait et acceptait les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas le voir souvent. Pendant que Steven s'essayait avec difficulté à l'art du créneau, il lui raconta ses propres déboires quand lui-même avait essayé pour la première fois de conduire une voiture, aussi bien pour l'amuser que pour le rassurer sur sa performance. Mais malgré cet instant de complicité si agréable, des pensées moins plaisantes lui venaient à l'esprit.

Devait-il le lui dire ? Il ne voulait pas l'inquiéter. Après tout, ce n'était probablement rien. Il avait déjà eu ce genre de souci auparavant, et les douleurs avaient toujours fini par partir. Mais il fallait bien l'avouer, cette fois elles étaient plus intenses que d'habitude, et Greg ne put s'empêcher, à certains moments, de porter une main crispée à sa poitrine, un geste qui, il s'en doutait, ne pouvait pas passer inaperçu aux yeux de Steven, même si celui-ci était concentré sur la route.

"Il a suffisamment de problèmes comme ça, songea-t-il. Je ne vais pas l'ennuyer davantage."

Il soupira intérieurement. Son fils avait déjà beaucoup trop de responsabilités pour son âge et bien qu'il était particulièrement mature, Greg savait qu'il n'était pas en mesure de tout entendre. Et il était hors de question qu'il compte sur lui pour écouter ses problèmes : un enfant ne devrait jamais avoir à porter sur ses épaule la détresse de son père.

Tout cela serait peut être plus simple s'il avait quelqu'un d'autre à qui parler, un adulte qui pourrait le comprendre. Mais la vérité était que Greg n'avait pas de véritable ami : il n'était pas particulièrement proche des habitants de Plage Ville, Rose n'était plus là, Vidalia n'avait plus de contacts avec lui, son amitié avec Améthyste appartenait au passé, Grenat, bien que bienveillante à son égard, n'avait jamais été proche de lui, et bien que cette soirée passée avec Perle à Empire Ville les avait aidé à enterrer la hache de guerre, ils n'avaient pas créé davantage de liens depuis.

Peut-être était-ce à lui de changer les choses. Après tout, tout n'avait pas été complètement statique ces derniers mois. Il repensa à la somme colossale qu'il avait gagnée grâce à la vente de sa chanson "Comète" comme jingle de pub, et dont il restait encore une bonne partie. Il avait choisi de ne pas changer de vie en affirmant aimer celle qu'il menait déjà et, de fait, il aimait son van, son travail et son statu-quo.

Mais alors, qu'est-ce qui n'allait pas ?

"Papa ! Je commence à avoir un peu faim !"

Les mots de Steven le rappelèrent à la réalité. Il jeta un coup d'œil à sa montre en or (une petite dépense qu'il s'était autorisée, et dont il n'était pas peu fier).

"Oh, il est midi passé ! observa-t-il. Il est temps de faire une pause déjeuner, fiston !"

Steven acquiesça et arrêta le van en haut de la pente qui menait au parking (ils s'étaient entraînés juste avant au démarrage en côte). Tous deux s'éloignèrent du véhicule pour gagner une petite étendue herbeuse où Greg étala un grand drap pendant que son fils sortait la nourriture de son sac à dos cheeseburger.

"Alors, comment je me suis débrouillé ? demanda le garçon en s'asseyant sur le drap et en déballant l'un des sandwichs à la dinde avant de mordre dedans avec appétit.

- Pas trop mal ! affirma Greg en décapsulant une canette de jus de fruit. Tu auras besoin d'encore un peu d'entrainement, mais tu pourrais devenir un conducteur émérite. On reviendra ici de temps en temps pour que tu conduise un peu plus."

L'homme marqua une pause, puis reprit d'une voix hésitante :

"Enfin, si... si tu n'as rien à faire de plus important, bien sûr.

- Oh, ne t'en fais pas ! Avec les Gemmes on a fini de s'occuper de plein de trucs. Maintenant j'ai du temps libre pour un bon moment !"

Steven prit une autre bouchée du sandwich et la mâcha hâtivement. Après l'avoir avalée, il continua :

"Et puis, qu'est-ce qui est plus important que de passer du temps avec mon Papa préféré ?

- Oh, je suis ton Papa préféré ? demanda Greg d'une voix faussement surprise. Quel honneur ! Qu'est-ce qui t'a décidé dans ce choix si difficile ?

- Je pense que c'est quand tu m'as promis que cet après midi on irait voir le dernier Lame Solitaire au cinéma et que tu m'achèterais tous les bonbons du stand de sucreries !

- Mais je ne t'ai jamais prom..."

Steven regarda son père avec l'air angélique qu'il arborait lorsqu'il souhaitait l'attendrir lui ou les Gemmes. Greg éclata de rire.

"Petit malin, va ! s'exclama-t-il. Ce n'est pas parce que je suis riche que je vais t'offrir tout ce que tu demandes. Je ne veux pas faire de toi un enfant gâté !

- Je sais Papa, répondit Steven en souriant.

- Mais après tout, je ne suis pas contre aller au cinéma cet après-midi... et acheter une quantité raisonnable de sucreries !

- C'est vrai ?! Super !"

Greg regarda son fils avec tendresse. Le sourire de Steven s'effaça quand il vit que son père portait la main à sa poitrine - un geste qu'il avait souvent fait au cours de cette matinée.

"Euh, Papa ?

- Oui fiston ?

- Est-ce que... tu es sûr que ça va ?

Greg ne répondit pas tout de suite. Il enleva précipitamment sa main de son torse et choisit soigneusement ses mots. Il ne pouvait plus mentir davantage, mais ne souhaitait pas créer plus d'inquiétude que nécessaire.

"Oui, oui, ça va, dit-il finalement. C'est juste une petite angine de poitrine. Ça m'arrive de temps en temps. Mais ça passe toujours, tu n'as pas à t'en faire.

- Tu es malade ? demanda Steven avec appréhension. Oh, je peux peut-être t'aider !"

Le garçon porta une main à sa bouche et lécha sa paume. Greg l'arrêta.

"Non Steven, je ne pense pas que ton pouvoir de guérison puisse faire grand chose. Ce n'est pas exactement une blessure, ni une maladie.

- Alors qu'est-ce que c'est ?

- Eh bien, c'est..."

L'homme s'interrompit. Il avait juré avoir vu, au loin, le van bouger légèrement.

"Steven, demanda-t-il, soudain préoccupé. Est-ce que tu as bien serré le frein à main ?"

Sans comprendre, Steven se retourna. C'était très visible maintenant : le van se déplaçait à reculons et commença à s'engager dans la pente raide.

"Oh non ! s'exclama Greg. Oh non, non, NON !"

Il n'eut pas le temps de se lever et d'accourir que le véhicule fila le long du chemin en pente. Épouvanté, il se lança à sa poursuite, son fils sur les talons.

Tout en courant, Steven analysa la situation. Le van allait de plus en plus vite. Plus loin, tout en bas, se trouvait un virage serré bordé d'arbres. Si le véhicule percutait ces arbres à pleine vitesse, il n'en resterait plus grand chose, de même que tout son contenu. Sachant que ces deux choses étaient très importantes pour son père, le garçon accéléra l'allure.

"T'en fais pas, Papa ! S'écria-t-il en le dépassant. Je vais l'arrêter !"

Sa vision était si concentrée sur le van qu'il ne remarqua pas que Greg courait de moins en moins vite.

Arrivé à une distance raisonnable, Steven bondit dans les airs et s'efforça de concentrer son esprit sur une pensée heureuse. Ce n'était pas bien difficile : la matinée qu'il venait de passer faisait parfaitement l'affaire. Il sentit une sensation de chaleur au creux de son ventre tandis que sa Gemme se manifestait et cet effort mental put lui permettre de s'élever dans les airs comme un ballon. Il effectua une longue parabole en quasi apesanteur et, lorsqu'il arriva au dessus du van, se concentra de nouveau.

"Si le van s'écrase, mon père sera triste." pensa-t-il.

Le quartz rose qui ornait son nombril comprit le message, et s'affaira à le faire redescendre plus vite. Steven atterrit brutalement sur le toit du van, déformant légèrement la tôle sous le choc. Une telle chute aurait pu blesser un simple être humain - par chance, il n'en était pas un. Avec difficulté, il s'efforça de trouver des prises adéquates pour atteindre la portière avant du véhicule lancé à vive allure. Il put finalement l'ouvrir, s'engouffra dans l'habitacle et trouva le frein à main. Il était effectivement desserré, mais s'il réparait cette erreur tout de suite, l'arrêt serait si brutal que le van partirait probablement en dérapage. Il décida donc d'appuyer progressivement sur la pédale de frein. Le véhicule ralentit dans une série de cahots, puis s'arrêta enfin, et Steven s'autorisa une grande bouffée d'air.

Tout en serrant correctement le frein à main, il eut une immense sensation de fierté. Non seulement il avait sauvé le van de son père et ce qu'il contenait comme objets à forte valeur sentimentale, mais en plus il avait su comment réagir au volant en situation de crise en combinant ses capacités d'humain et de Gemme. Il fallait croire que son père avait raison quand il disait qu'il pouvait devenir un conducteur émérite !

"Papa ! Papa ! J'ai réussi ! T'as vu ça !"

Il n'y eut aucune réponse. Intrigué, Steven regarda à travers le pare brise ; Greg n'était pas en vue.

"Papa ?"

Le garçon quitta le van et se hâta le long de la pente. Plus il remontait avec difficulté, plus son inquiétude grandissait.

Et soudain, il l'aperçut. Son cœur tomba dans sa poitrine.

"PAPA !"

Il courut aussi vite que ses jambes le lui permettaient - pas assez vite à son goût. Ses poumons lui brûlaient, des frissons lui parcouraient l'échine et un sanglot paniqué montait dans sa gorge.

Greg était étendu plus haut, face contre terre, complètement immobile.

Steven se précipita jusqu'à lui, se jeta à genoux à son côté et secoua énergiquement son épaule.

"Papa ! PAPA ! RÉPONDS-MOI !"

Il ne put retenir ses larmes qui ruisselèrent sur son visage et mouillèrent son T-shirt. Il s'empressa de retourner son père sur le dos et porta l'oreille à son visage.

Greg ne respirait plus.