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Lucius soupira en fermant la portière de sa voiture. Il était fatigué. Non, fatigué n'était pas le mot. Il était exténué, comme presque chaque soir. Le rythme qu'il s'imposait était plus qu'intensif. Et ses rares moments de répit étaient loin d'être reposants…Mais, malgré son teint chiffonné, ses cheveux ébouriffés et sa tenue froissée, il ne se perdait rien de sa prestance habituelle toute malfoyenne.
Il monta les quelques marches qui menaient du garage à la partie habitable de la maison et eut du mal à retenir un autre soupir en constatant que tout était plongé dans l'obscurité. Abandonnant cravate, veste, gilet et chaussures en chemin, il déposa son attaché-case dans son bureau et se mit en quête d'un verre d'eau pétillante. Il se déshydrata assis sur l'un des comptoirs en marbre de la grande cuisine, regardant le jardin éclairé par les spots cachés dans les parterres qui rendaient le lieu délicieusement mystérieux et exotique.
S'il n'avait pas à se lever aussi tôt le lendemain matin, il aurait apprécié de pouvoir faire quelques longueurs dans le bassin naturel qui s'étendait devant la maison. Une petite folie, chauffée et à l'abri sous une véranda construite en verre et bois et reliée à la maison. À la place, il gagna la chambre conjugale sur la pointe des pieds, se dévêtit et se glissa sous les couvertures, s'approchant mécaniquement de l'autre corps étendu sans pour autant esquisser un geste tendre envers lui.
Le blond avait été le premier à se lever. Il était en avance mais se dit que ce temps supplémentaire pourrait être intelligemment mis à profit. Il ne lui fallut que quelques minutes pour se préparer et attraper la valise qui l'attendait dans son dressing. Il la remplit avec la dextérité qu'ont tous les grands voyageurs. C'était toujours les mêmes choses à ne pas oublier. Il ne partait que deux jours tout au plus.
Il se sentit légèrement honteux en songeant qu'il n'avait pas vu ses enfants depuis plus d'une semaine maintenant mais il chassa vite cette idée en se disant qu'il aurait toujours du temps pour se rattraper avec eux quand le contrat qui l'occupait actuellement serait signé. En plus, il ne faisait pas ça pour le plaisir mais bien pour assurer leur avenir.
Pour ce qui était de son couple… eh bien, il aurait tout le temps de s' occuper de ça aussi.
Harry se sentit doucement émerger. Il papillonna des yeux pendant quelques secondes mais les referma aussitôt en entendant des bruits autour de lui. IL était là. Le jeune homme choisit d'être comme souvent lâche et feignit de dormir. Il ne voulait pas parler, il ne voulait pas risquer de faire fuir le blond encore plus vite, de le voir s'éloigner de lui comme s'il était dégoûté.
Il attendit de longues minutes après le départ des pas jusqu'à ce qu'il entende le moteur de la berline allemande qui s'éloignait. Il reprit alors ses esprits et se leva, initiant ainsi son rituel matinal quotidien. Il se prépara, enfilant des vêtements attrapés au hasard dans sa partie du dressing non sans avoir jeté un oeil triste aux costumes de couturier et aux chemises impeccablement coupées qui s'éloignaient en face, semblant le narguer.
Le jeune homme brun descendit ensuite à la cuisine, comme toujours ravi d'entendre les cris joyeux qui s'en échappaient. Il profita de l'effet de surprise pour s'arrêter quelques instants et admirer la scène qui s'offrait à ses yeux. Étaient attablés autour du comptoir central les amours de sa vie: Draco, Scorpius et Orion. Les trois adorables têtes blondes. L'aîné, Draco, était le fils biologique de Lucius, âgé de treize ans. Venait ensuite Scorpius, âgé de huit ans qu'ils avaient adopté à St-Peter il y a presque six ans et enfin Orion, adopté il y a quatre ans, à leur arrivée sur le sol américain.
Les monstres prenaient leur petit déjeuner sous l'oeil de Pia, la jeune fille au pair venue de France pour l'année. Ils se chamaillaient avec entrain, regardant d'un oeil les dessins animés en langue russe diffusés sur l'écran de la cuisine.
C'était une des lubies de son mari: il tenait à leur apprendre cette langue en raison des lointaines origines russes de la famille Malfoy. Quand on y réfléchissait bien, cela illustrait bien les divergences d'opinion qui animaient Harry et Lucius au sujet de l'éducation des enfants. Alors que le premier était un partisan de la souplesse et de la liberté de choix, préférant voir ses enfants heureux et épanouis; le blond insistait pour leur inculquer des manières irréprochables, une éducation des plus poussée en langue, arts et sciences humaines. Il restait néanmoins un père aimant, mais sa sévérité mettait souvent Harry mal à l'aise. Lucius était particulièrement strict avec Orion, qui présentait de difficultés de lourdes développement du haut de ses cinq ans.
Draco était la plus grande fierté de Lucius: le garçon était brillant et remarquablement perspicace pour son âge. Mais, bien qu'il se soit construit un masque de froideur semblable à celui de son père, il était également capable de faire preuve d'une grande gentillesse avec ses proches et particulièrement avec Harry: le garçon n'avait jamais connu sa mère, morte en couche, et il s'était attaché à Harry dès le jour où son père lui avait présenté il y a de cela dix ans.
Sortant de ses pensées, Harry s'avança vers eux et les embrassa chacun pour leur dire bonjour et s'installa avec eux pour boire la théière entière qu'il lui fallait pour démarrer la journée. Le petit déjeuner, comme la plupart des repas pris sans Lucius, se termina dans la bonne humeur. Draco, Pia et Scorpius parlaient avec entrain du week-end à venir et faisaient une multitude de projets.
Orion, comme souvent, était venu se réfugier dans les bras de son père, suçant son pouce et encore somnolant. Le petit garçon ne parlait que depuis peu et pas encore très bien. Il avait par ailleurs pas mal de problèmes psycho-moteurs, ne marchait que depuis deux ans et ayant encore parfois du mal à se tenir tout seul.
Il fréquentait une école privée spécialisée, dans laquelle il recevait les meilleurs soins possibles dispensés par une équipe de professeurs et de médecins triés sur le volet. Harry complétait leur travail en gardant Orion une journée par semaine à la maison pour lui faire pratiquer du yoga, de la relaxation mais aussi de la danse et du théâtre. Il devait avouer qu'il s'occupait un peu plus de son cadet, peut-être pour le protéger un peu de son autre père.
Bien trop rapidement au goût d'Harry, le moment de partir à l'école arriva. Les enfants se dirigèrent vers l'entrée pour prendre leur sac et enfiler leurs chaussures et manteaux avant de descendre vers le garage souterrain. Harry, grâce à un accord secret passé avec Pia contre les consignes laissées par Lucius, la remplaçait et emmenait lui même ses enfants. La jeune femme appréciait d'avoir ce moment pour elle et elle trouvait le fait que leur père souhaite profiter d'un moment en plus avec eux touchant.
La routine était parfaitement orchestrée. Une fois les enfants déposés, Harry partait pour le country club où, selon les jours, il allait à la salle de gym, montait à cheval ou jouait au tennis avec un autre membre. Il prenait ensuite rapidement son café au club house, s'y sentant toujours aussi peu à sa place malgré le fait qu'il était membre depuis plusieurs années déjà.
Il avait l'impression d'être un imposteur lorsqu'il franchissait le seuil de cette institution de la côte est des Etats-Unis, l'un des plus anciens du pays et des plus difficiles d'accès. Harry y tenait le rôle de l'épouse de Lucius, ni plus ni moins. Il n'y avait pas de place autre que dans l'ombre de son mari et à vrai dire, il n'en aurait pas voulu d'autre même s'il l'avait pu.
Le lieu était tout aussi impressionnant que ses membres: il n'était pas rare de croiser quelques uns des sénateurs les plus en vue du pays ou des chefs d'entreprise particulièrement prospères. Lucius faisait partie de ce monde, il les fréquentait et était à l'aise avec eux mais pour Harry, c'était une autre histoire même s'il arrivait à donner plutôt bien le change.
Ensuite, le jeune homme faisait les diverses courses pour toute la famille, se faisant là encore l'effet d'une ménagère. Il déjeunait souvent dehors, cassant la routine en multipliant les expériences culinaires, le plus souvent avec l'un de ses meilleurs amis ou avec des connaissances. Cela faisait des siècles qu'il ne partageait plus ce moment avec Lucius, contrairement à leurs premières années ensemble durant lesquelles il avait l'habitude de le rejoindre, emmenant même parfois Draco avec lui. Il n'arrivait pas à se rappeler avec certitude du dernier repas qu'ils avaient partagé en tête à tête. Et à vrai dire, il n'attendait pas le prochain avec impatience.
Cet après-midi là, Harry changeait ses habitudes. Il se hâta d'avaler une salade dans un petit restaurant du centre d'Exeter, la petite ville du New-Hampshire près de laquelle il vivait avec Lucius avant de se mettre en route. Il se rendait à Boston pour un événement qui allait peut-être changer sa vie…
