Disclaimer : Wakfu ne m'appartient pas, pas plus que ces personnages, et je ne touche pas un rond avec ces fanfictions.

Deux sœurs

chapitre 1: Une vraie crâ

Le soir tombait sur la cité crâ. Dans le jardin de leurs parents, Evangélyne et Cléophée s'entraînait à tirer à l'arc. Cléophée admirait la technique de sa grande sœur, qui ne ratait jamais sa cible. De son côté, Eva ne regardait même pas sa petite sœur, toute concentrée qu'elle était sur son objectif.

- A toi ! déclara enfin l'aînée en tendant son arc à la deuxième.

Cléophée banda l'arc, visa et rata de peu le centre de la cible. Elle essaya encore une fois et envoya la flèche complètement à côté. Finalement, elle secoua la tête et mit l'arc de côté.

- C'est trop difficile pour moi, grogna-t-elle.

- Essaie encore ! l'encouragea Eva. Je suis sûre que tu vas y arriver !

- Mais non ! Et puis, c'est stupide. Pourquoi lancer une flèche à distance alors qu'on a moins de chance de frapper à côté si on est tout près ?

- Là, tu parles comme une iop !

Cléophée se força à rire. En effet, elle n'aimait pas qu'on lui dise qu'elle ressemblait à une iop. Si Eva était née avec la blondeur des crâs, elle-même avait encore les cheveux incolores et les traits indistincts des personnes qui ne s'identifient à aucun dieu en particulier. Elle faisait semblant de vivre cela bien mais derrière cette apparence heureuse, elle se demandait souvent si elle avait une identité.

Le pire était qu'elle se sentait souvent jalouse de sa grande sœur. Eva était l'une des meilleures stratèges de son école, la meilleure archère et la déléguée de la classe. On aurait dit l'enfant que tous les crâs rêvent d'avoir comme fille. Cléo, elle, était l'enfant turbulente, celle qui traînait avec les autres enfants sans classe, qui les emmenait faire bêtise sur bêtise et qui finissait en colle une semaine sur deux. Elle vivait dans l'ombre de sa grande sœur depuis sa naissance et même si elle prétendait le contraire, elle souhaitait au fond d'elle que quelqu'un soit enfin fier d'elle.

Des cris les firent sursauter. Les amis d'Eva se trouvaient de l'autre côté de la barrière et lui faisaient signe. Ils allaient jouer ensemble, comme tous les soirs. Déjà, Cléophée se précipitait.

- Je viens avec vous ! cria-t-elle.

- Non ! lança une des filles. Un, t'es trop petite et deux, le combat à l'arc, c'est pour les vrais crâs !

- Je veux jouer ! insista Cléo. Je suis la meilleure en lutte à main nue. Je peux faire gagner mon équipe !

Elle se tourna vers Eva et la supplia du regard. Le cœur d'Evangélyne se serra. Elle n'avait pas envie de faire du chagrin à sa sœur mais en même temps, elle avait envie de passer du temps avec ses amis, sans elle.

- Tu pourras venir avec nous l'an prochain, promit-elle.

- Mais tu m'avais déjà dit ça l'an dernier !

- Cléo. S'il te plait. J'ai pas envie qu'on se dispute.

Cléophée serra les points et leur tourna le dos, furieuse. Tandis qu'elle refermait derrière elle la porte de la maison, Eva se tourna vers son amie.

- T'aurais pu être un peu plus délicate, quand même, lui dit-elle durement. C'est pas sympa de dire que c'est pas une vraie crâ.

- Oh, fais pas ta râleuse. On va jouer !


Cléophée courut dans leur chambre et alla se réfugier sur son lit. Elle essayait très fort de ne pas pleurer. Ah, quelle fille stupide ! Un jour, elle lui montrerait qu'elle valait cent fois mieux qu'elle !

C'est alors que Cléophée remarqua que ses parents parlaient très fort dans la pièce à côté. Elle retint son souffle et colla son oreille contre la cloison. Ce qu'elle entendit lui fit venir les larmes aux yeux.

- Je te le demande, qu'est-ce qu'on va faire d'elle ? demandait sa mère. Onze ans, et elle n'a toujours pas de classe !

- Du calme, répondit son père. Mon grand-père est devenu crâ à douze ans, elle tient peut-être de lui. Ce ne sera pas si grave si elle attend un peu.

- Il ne s'agit pas que de ça ! s'indigna sa mère. Tu l'as vue jouer ? Eva a toujours été une crâ mais Cléo… Par moments, elle manipule les autres enfants comme une roublarde, parfois, elle fonce dans le tas comme une iop et quand je la vois rechercher les coups de poing, je ne peux pas m'empêcher de penser aux sacrieurs !

- Chérie… balbutia son père.

- Tu sais que c'est vrai ! Ça me dérangerait nettement moins qu'elle devienne une sadida ou une enirispa ! T'imagines, si elle se transformait en cervelle de iop, que diraient les voisins ?

- Il y a des iops qui sont corrects, protesta son père. On pourrait l'envoyer en stage dans une de leurs écoles. Ce serait…

Cléo réalisa qu'elle avait des larmes plein les yeux. Lentement, très lentement, elle se leva, arrangea une couverture dans son lit pour donner l'impression qu'elle dormait et sortit par la fenêtre. Une fois dehors, elle se mit à marcher, hagarde, puis à courir de plus en plus vite.

Voilà que même ses parents ne voulaient plus d'elle ! Comment était-ce possible ? Et pourquoi tout le monde vénérait-il Eva alors qu'elle-même ne comptait jamais ? C'était trop injuste !

Cléophée s'arrêta, essoufflée, et regarda autour d'elle pour voir si on ne l'avait pas suivie. Elle se trouvait dans un coin désert de la cité, tout près d'une petite chapelle consacrée à la déesse Crâ. Elle était seule. Il était temps de se calmer et d'analyser un peu la situation.

A onze ans, elle n'avait toujours pas de classe alors que tous les autres enfants étaient nés crâs ou le devenaient avant la puberté. Il n'y avait pratiquement que des crâs dans son entourage, à part les quelques enirispas qui soignaient leurs petits bobos et les sadidas qui venaient une fois par an pour réviser leurs arcs. Pas étonnant qu'elle se sente seule.

D'une certaine façon, elle avait toujours tiré orgueil à être différente, à la fois Crâ, Iop et plein d'autres trucs. Mais il était temps qu'elle choisisse, qu'elle se fixe. Quel dieu allait-elle vénérer ? Devenir une sadida ou une eniripsa ne la tentaient pas trop et si elle choisissait une classe dont les représentants n'habitaient pas dans le coin comme les sram, elle allait devoir quitter la maison. Mieux valait qu'elle devienne une crâ, comme tous les gens qu'elle connaissait.

Mais comment faire ? Perdue, Cléophée avisa la petite chapelle et entra en silence. Il n'y avait personne autour d'elle. Elle s'agenouilla et se recueillit un moment.

- Déesse Crâ, dit-elle enfin, je vous en prie, faites de moi l'une de vous. Je vous supplie de faire ça pour moi. Je vous promets d'être une bonne personne et tout ce que vous voudrez. S'il vous plait…

Cléophée tira une mèche de ses cheveux et loucha pour les regarder. Ils étaient toujours de la même couleur indéfinissable. C'était désespérant.

- Je vous en supplie, répéta-t-elle. Je ne veux pas être séparée de ma sœur, même si elle m'énerve à être toujours parfaite. Je veux être comme elle. Une vraie crâ. S'il vous plait, faites de moi une vraie crâ, je vous en prie, je voudrais être une vraie crâ…


Quand Cléophée se réveilla, elle se trouvait allongée dans son lit. Assise près d'elle, Evangélyne lisait un gros livre qu'elle posa en voyant qu'elle avait les yeux ouverts.

- Eva… balbutia Cléophée en se frottant les yeux. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Tu n'es pas rentrée pour dîner hier alors on t'a cherchée dans tout le quartier. Tu nous as fait une de ces peurs !

Cléophée se raidit. Elle savait ce qui allait se passer : Eva allait encore lui faire une leçon de morale sur l'importance de bien se comporter et d'obéir à Papa et Maman, blablabla… Ce qui était étrange, c'était que Miss Parfaite arborait un sourire jusqu'aux oreilles.

- Maman a acheté un gâteau, annonça-t-elle. Celui au chocolat, ton préféré !

- Pourquoi ?

- Attend, t'a rien remarqué ?

Cléophée secoua la tête, stupéfaite. Ce-voyant, Evangélyne se leva et attrapa un petit miroir qu'elle lui tendit. Cléo poussa un cri de surprise en voyant son reflet. Ses cheveux avaient viré au blond très clair et ses traits mous s'étaient durcis. Elle ressemblait à…

- Une vraie crâ… balbutia Cléophée.

- Oui ! cria presque Eva. C'est pas génial ? On va fêter ça tous les quatre et ensuite, on ira te chercher un arc chez les Sadida !

- Une vraie Crâ… murmura Cléo, encore sous le choc.

Leurs parents entrèrent, rayonnants de joie, serrèrent Cléophée dans leurs bras, puis se mirent à parler avec animation de tout ce qu'ils allaient pouvoir faire maintenant qu'elle était une crâ. Cléo se sentait toute retournée. C'était bon de se sentir enfin aimée mais au fond d'elle, elle se demandait vaguement si elle n'avait pas perdu une partie de son identité.

A suivre…