Entre gris clair et gris foncé.

Petite mise au point… Ceci est une fic UA et OC complet, on aurait du mal à faire pire. Du SasuNaru, celles et ceux qui me connaissent doivent s'en douter XD, et puis voilà. Encore une fic assez sombre et compliquée (ah làlà, mais où est donc passée la spontanéité de mes débuts de fanfickeuse???), je m'excuse d'avance pour les migraines que vous risquez de vous taper! Je précise que je ne suis pas (encore) allée à Tokyo, c'est en préparant mon carnet de voyage que j'ai commencée à m'imaginer ce truc. Certains lieux cités sont réels (faites des recherches sur google pour voir XD), d'autres complètement inventés ou déformés par mon esprit tordu, et puis voilà!

A présent il ne me reste plus qu'à souhaiter bonne lecture aux courageux(euses) qui restent, et n'oubliez pas les reviews!

Nota-Bene - Alors comme une abrutie, j'avais oublié de rajouter les notes en fin de chapitre (honte à moi!). J'en profite à celle et ceux (?) qui m'ont déjà envoyé des reviews, ils m'ont fait vraiment plaisir! Du coup je finit Yellow le plus vite possible et je vais m'atteler direct à cette histoire! En réponse à Elaelle e, général et aux autres en particulier, je déteste le spoil et donc je ne dirais rien du tout XD. Juste sachez que je suis une fan de thrillers et autres romans policiers de gare, donc je m'essaye au mode d'écriture dit "à suspense", en semant de petits indices par ci par là. Et pour celles et ceux qui s'attendent à une histoire superficielle à l'eau de rose avec des lemons à tous les paragraphes... Bah changez de fic XD. Voilààààà, et puis je vais vous laisser sur ces quelques mots!


Chapitre 1 – Impossible.

"Un homme sans passé est plus pauvre qu'un homme sans avenir."

Elie Wiesel

Tout a commencé le 23 Janvier 2007. Un mardi, une journée comme les autres bien calée dans le train-train quotidien des citadins: métro – boulot – dodo. C'est ce jour là que ma vie a basculée. Ma petite vie plate et bien rangée, entre deux boulots minables, un deux pièces sans chauffage dans un quartier de HLM miteux où s'entassent les petits ouvriers de cette mégalopole qu'est Tokyo et un avenir aussi terne que les murs décrits de mes chiottes turques...

Debout à l'aube pour choper le premier métro. Station Nishi-magome (1) à cinq heures du matin c'est pas gai: on y voit tous les petits travailleurs bossant en centre-ville qui arborent des yeux encore enflés par les quelques heures de sommeil dont ils ont eu droit et qui tirent d'un air absent sur leur cigarette en attendant l'arrivée de la rame. Pour moi c'est pareil, et ça fait deux ans que ça dure. Je fais partie de ces jeunes qui sont partis de leur campagne natale pour faire fortune à la capitale en se fourrant le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate. Tokyo pour moi, c'était un peu le rêve Américain. Je me revois encore, saluant ma mère de l'arrière du ferry qui m'amenait loin de chez moi, le sac empli de mes maigres économies et de la totalité de mes planches encrées. Et puis la désillusion à mon arrivée à Tokyo. C'est une belle ville, mais pas pour y vivre… En tout cas c'est mon avis.

Le métro arrive enfin et je m'y jette afin d'avoir le privilège d'une place assise. J'ai une heure avant d'arriver à Asakusa, et quand je suis assis je peux grappiller une heure de sommeil. Et puis la sonnerie familière de la station (2) me réveille en sursaut et j'ai à peine le temps de me ruer hors du wagon. Quelques rues à pied et me voilà au carrefour du Kaminari-mon (3), avec son lot habituel de conducteurs de rickshaw à l'affût des touristes. Au début que je bossais ici, ils me proposaient tous un tour. Faut dire que mon père était un militaire Américain; et puis le blond n'est pas une couleur de cheveux qui passe inaperçu au milieu de tous ces japonais très bruns. Maintenant ça va, ils me connaissent. Et puis je traverse la rue et pousse la porte d'un immeuble miteux coincé entre une agence immobilière et une banque, réponds d'un air absent au vigile qui me demande si j'ai bien dormi, et prends l'ascenseur jusqu'au quinzième.

Ah, mon cher petit mètre carré, ce que je peux le haïr! Ce box minuscule qui me sers de lieu de travail et ressemblant étrangement à ces cages en plexiglas qu'utilisent les scientifiques pour enfermer leurs rats de laboratoire. Le cul posé devant un ordinateur apple datant de 1995, un casque sur les oreilles et le sourire crispé pour le restant de la journée. "C'est important le sourire, ils l'entendent les clients au téléphone!" qu'elle dit Sayoko. Des conneries moi je dis! Sayoko, c'est notre chef. C'est-à-dire que c'est elle qui a le privilège de nous passer un savon – et accessoirement de nous ridiculiser devant le reste de l'équipe – quand on n'a pas remplis nos quotas du mois. C'est une femme d'environ trente ans, à la coiffure impeccable et aux jambes aussi belles qu'inaccessibles. Elle fait fantasmer tout l'étage à se promener en minijupe, mais si quelqu'un a le malheur de la reluquer avec un peu trop d'insistance elle le remets à sa place en moins de deux. Faut l'appeler Sayoko-sama, sinon elle se mets en pétard. En bref, une vraie conasse avec un corps de rêve. Au total on doit être cent vingt entassés au quinzième, passant huit heures à téléphoner à de parfaits inconnus pour leur vendre ce fantastique nouvel abonnement téléphonique tout compris. "Tout compris", c'est une formule qui marche bien en ce moment, c'est à la mode qu'elle dit Sayoko.

Et là ça fait trois bonnes heures déjà que je dérange des pauvres gens pour leur sortir mon texte appris par coeur, et à chaque fois c'est la même chose:

-Allô?

-Bonjour monsieur X ou Y! (ou madame, mais ça m'est déjà arrivé de me gourer) Ici Kyô Saku de NipponTel pour vous parler d'une offre exceptionnelle en matière de télépho…

-Désolé mais je ne suis pas intéressé.

Et après je me fais raccrocher à la gueule. Au début ça fait rager, mais à force on s'y habitue. C'est juste un boulot de merde qui me permets de payer mon loyer et de m'acheter à bouffer après tout. Je ferme les yeux et fait bouger ma souris au hasard avant de cliquer. C'est comme ça que je fait maintenant pour décider de qui sera mon client suivant. Alors la prochaine victime sera… Uchiwa S. La tonalité retentis à mes oreilles, puis quelqu'un réponds d'une voix faible.

-A… Allô?

-Bonjour monsieur Uchiwa! Ici Kyô Saku de NipponTel pour vous parler d'une offre exceptionnelle en matière de téléphonie! Il s'agit d'un abonnement tout compris à des prix défiant toute concurrence! Pour seulement trois mille yens par mois vous avez l'ADSL illimité, le fixe avec les appels gratuits vers tous le Kantô et des tarifs nettement plus bas que tous nos concurrents vers le reste du Japon et à l'étran… monsieur, vous êtes là?

-Oui, je vous écoutais. Pourquoi vous êtes vous arrêté?

-Heu… dis-je d'un ton très peu professionnel. En fait c'est la première fois depuis un bout de temps qu'un client me laisse parler autant, alors j'avais peur que vous ayez raccroché.

-Je comprends. Je vous écoute, continuez.

-Oui, certainement… monsieur?

-Quoi?

-Merci… de m'écouter.

-Ce n'est rien, vous avez une voix souriante Saku-san. Vers le reste du Japon et à l'étranger.

-Hein?

-C'est là où vous vous étiez arrêtés.

-Monsieur Uchiwa, vous pleurez?

Je sais que ça fait pas très professionnel, mais cette question me démangeait depuis qu'il avait décroché. J'entendais des reniflements de temps en temps et il avait une voix tremblante. En temps normal j'en aurai rien eu à faire de ce gars, tant qu'il m'achetais cette saleté d'abonnement; mais là, je sais pas… Il y a quelque chose qui cloche avec lui, on le dirait au bord du gouffre. Il hésite pas mal de temps avant de me répondre.

-C'est rien, l'émotion.

-L'émotion?

-Ben ouais, en trois ans de vie à Tokyo, vous êtes la première personne qui me téléphone.

Il a l'air jeune… Et il a définitivement une voix bizarre. Est-il vraiment si seul que ça? Bon sang, mais pourquoi je m'inquiètes moi? J'en ai rien à fiche de ce gars, il a rien fait pour moi! A part m'écouter et me parler poliment au lieu de me raccrocher au nez comme 99,9 pourcent des clients que j'ai au téléphone.

-Monsieur Uchiwa, si je peux faire quoi que ce soit…

-C'est gentil, Saku-san, mais personne ne peux plus rien faire pour moi.

-On peux toujours faire quelque chose. Ma mère me le répétait tout le temps.

Et le voilà qui se mets à rire. Enfin… rire est un bien grand mot; je dirait plutôt qu'il émet pendant un très court instant quelque chose à mi chemin entre la toux cancéreuse et le rire sans joie.

-Si votre mère le dit, alors ce doit être vrai, Saku-san… Continuez à me parler de cet abonnement tout compris.

-Heu… bien… Donc nous avons des tarifs nettement plus bas que tous nos concurrents dans le reste du Japon et à l'étranger. En bonus, vous avez droit à un mobile compris dans le tarif et…

-Non, non, non! Ca ne vas pas du tout!

-Quelque chose ne vas pas monsieur Uchiwa?

-Oui! Votre voix souriante, vous ne l'avez plus!

-Sauf votre respect monsieur, comment une voix peut-elle être souriante?

-Quand vous parliez tout à l'heure, on sentais dans votre voix que vous souriiez, et c'était beau. Maintenant vous êtes sérieux et c'est pas bien.

-On ne peux pas toujours être au mieux de sa forme, monsieur Uchiwa.

-A qui le dites-vous, Saku-san. Je suis ravi d'avoir pu parler avec vous.

-Attendez, ne raccrochez pas!

-Quoi donc, Saku-san?

-Vous… vous ne souhaitez pas souscrire à la formule d'essai d'un mois?

-Non merci, je n'en aurai vraiment pas l'utilité. Passez une bonne journée, Saku-san.

Et il a raccroché. Je suis un crétin. Ce type m'as considéré, respecté, complimenté même! Et moi, tout ce que j'ai à lui répondre, c'est une proposition d'achat. Mais quel débile! N'empêche, je crois bien que je viens d'avoir la conversation la plus bizarre de ma vie. Et puis il avait l'air vraiment mal… Sans trop savoir pourquoi, je note son numéro et son adresse sur un bout de papier que je glisse dans ma poche. Sayoko passe dans l'allée et me jette un regard assassin. Pas le choix, j'ai encore du boulot. Fait chier…

A dix-huit heures, j'en ai enfin fini avec NipponTel. J'ai une heure devant moi avant d'attaquer mon job du soir. Vingt minutes de métro pour me retrouver dans le quartier de Shinjuku (4). Dans la rame, je tripote d'un air absent l'intérieur de mes poches et finit par me souvenir que j'avais pris l'adresse de ce gars. 3-7-1-2 Nishi-Shinjuku, Shinjuku-ku (5). C'est pas très loin du restaurant où je suis serveur, j'aurais le temps de passer le voir. Mais pourquoi faire d'abord? J'en sais rien, mais en attendant je me retrouve planté comme un con avec les yeux ronds comme des soucoupes. De l'autre côté de la rue se tiens un gigantesque immeuble qui semble m'écraser de par son luxe et sa taille. "Park Hyatt Tokyo, Hotel" (6)… C'est pas possible que ce gars habite dans un hôtel comme ça! La chambre doit être à au moins trente mille yens la nuit (7)!

-Heu… bonsoir.

Le réceptionniste à la moustache taillée au millimètre près me toise de derrière son immense comptoir reluisant. C'est vrai que je dois faire tache dans le décors avec mon jean délavé et trop grand, mes converses rapiécées et mon pull qui m'arrive jusqu'aux genoux. Sans parler de mes cheveux en bataille et ma barbe de trois jours mais ça, comme je suis blond ça ne se voit pas trop… L'autre finit par me répondre d'une voix mielleuse:

-Bonsoir monsieur. Vous désirez?

-Heu, la chambre de monsieur Uchiwa s'il vous plaît.

Il hausse un sourcil dubitatif avant de consulter une fiche.

-Et qui dois-je annoncer?

-… Kyô Saku.

Je le vois prendre un combiné et composer un numéro. Puis il parle brièvement dedans et raccroche.

-Monsieur Uchiwa vous attends. Sa chambre est au cinquante-quatrième étage, chambre 879.

Le voyage en ascenseur me semble durer une éternité. Une éternité durant laquelle je me maudis mille fois d'être venu ici. A tous les coups je vais tomber sur un jeune premier, fils du PDG de Yamaha ou d'une autre de ces multinationales quelconques, charmant, tiré aux quatre épingles et aussi creux et étroit d'esprit qu'il ne sera bien éduqué… Bref, un gars qui me prendrait de haut et même en pitié, ce dont j'ai horreur. Mais bon, maintenant j'y suis et plus moyen de faire demi-tour. Chambre 879, je toque, on me dis d'entrer, j'entre. Une forte odeur d'herbe envahit mes narines. Tous les rideaux sont tirés, aucune lumière. Dans la pénombre je devine une immense suite à la mode occidentale avec des canapés et fauteuils, et puis quelques tables. Un minuscule point d'un rouge incandescent attire mon regard dans un coin de la pièce, puis un léger mouvement.

-Je suis surprit de votre visite, Saku-san.

-Monsieur Uchiwa?

Un pan de rideau bouge et les lumières d'un Tokyo qui s'éveille à la nuit s'engouffre dans la chambre d'hôtel. Ok, je me suis trompé, ce mec n'a absolument rien à voir avec l'image que j'en avais faite. De ce que j'en vois, il doit avoir dans les vingt-cinq ans, un peu plus âgé que moi en somme. Des cheveux mi-longs et d'un noir bleuté, des yeux noirs à demi clos, des vêtements encore plus misérables que les miens… C'est bizarre comme son ton policé ne vas pas du tout avec son allure. Il m'observe un long moment en silence en tirant sur son joint, puis finit par me le tendre.

-Vous en voulez, Saku-san?

Je hoche la tête et prends une bouffée. Putain, j'avais jamais fumé un truc aussi dosé!

-Alors? Vous êtes venus pour essayer une nouvelle fois de me vendre votre abonnement?

-Mais non!

Il ris un moment, sans cesser de me jauger du regard.

-Je sais.

-Pourquoi me demandez-vous alors?

-Pour vous faire parler. Dites-moi donc la raison de votre venue, Saku-san.

Ce "Saku-san" commence à m'agacer, de même que ses yeux fixés sur moi depuis mon arrivée. J'aimerait bien qu'il regarde ailleurs.

-Je… Je ne m'appelle pas Kyô Saku.

-Ca aussi je le sais. Les démarcheurs téléphoniques ont tous le même nom, c'est plus pratique au cas où les clients les rappellent. Je suis Sasuke Uchiwa.

Et le voilà qui me tends la main. J'hésite un bon moment avant de la serrer.

-Uzumaki Na...

-… ruto. finit-il. Ravi de faire votre connaissance, Uzumaki-san. dit-il dans un rictus en inclinant la tête.

Je bloque un instant. Comment il connaît mon prénom? Il est devin ou quoi? Nan, ça doit juste être une coïncidence, un fruit du hasard… Il ne m'a toujours pas rendu ma main. La sienne est brûlante, il doit avoir une sacrée fièvre. Je secoue un peu mon bras et il finit par lâcher prise.

-Et pourquoi vous ne m'avez pas demandé mon véritable nom, si vous saviez que celui là était faux?

-J'attendais que cela vienne de vous. En revanche, je ne sais toujours pas pourquoi vous êtes ici.

-Si je vous déranges, je peux partir.

-Je n'ai jamais dit ça. Alors?

-Je… je sais pas vraiment. Vous m'avez intrigué quand je vous ai eu au téléphone, et puis vous aviez l'air triste…

-Et vous avez traversé la moitié de la ville par pure charité?

-Non, je… je travailles pas loin d'ici.

Il hoche un sourcil avant de me prendre le joint d'entre les doigts.

-Je croyait que vous travaillez à NipponTel.

-Oui, mais j'ai un deuxième travail pour… pour arrondir les fins de mois. Je croyait que vous alliez me dire que vous saviez ça aussi.

Et voilà, maintenant il vas me prendre en pitié, me plaindre, me filer de l'argent bref: m'humilier. J'attends la prochaine réplique de pied ferme; elle se fait attendre. Il prends son temps, tirant sur son cône et recrachant une série de ronds de fumée, s'enfonçant d'avantage dans ce grand fauteuil en cuir et le tout sans me lâcher des yeux. J'ai l'impression d'être à un interrogatoire, droit comme un i et étudié sous toutes les coutures par ce bourge toxico. Il pourrait pas m'inviter à m'asseoir, merde à la fin! Je me racle la gorge, histoire de le faire réagir, mais rien. Son regard posé sur moi me donne l'impression d'être passé aux rayons X. J'essaye d'oublier cette sensation en étudiant la pièce, maintenant que mes yeux se sont habitués à l'obscurité. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine quand je remarque ce qu'il y a sur la table basse: un couteau, un sachet de poudre éventré et un billet roulé serré. Je comprends maintenant pourquoi il avait une voix bizarre et des reniflements au téléphone: il étais en train de se faire un rail. C'est bien ma veine, je suis tombé sur un junkie qui pète dans du velours!

-D'où venez-vous, Uzumaki-san?

Sa voix me fait sursauter et je bafouille un moment, embarrassé.

-Heu… je… quoi?

-Je vous ai demandé d'où vous veniez, vous n'avez vraiment pas l'air d'un Japonais de souche.

-Je… Je suis d'Okinawa, près d'Ishigaki, tout au sud. Mon père était Américain.

-Et pourquoi avez-vous quitté les tropiques pour la grisaille Tokyoïte?

-C'est un interrogatoire?

Un rire amusé s'échappe de sa gorge à ma remarque et il s'affale totalement dans le fauteuil, se fichant de son joint qu'il a échappé et qui est en train de faire un trou dans le tapis. Ce mec commence vraiment à m'agacer… Se faire interroger comme ça par un parfait inconnu, qui plus est un junkie complètement défoncé. Et puis j'attaque le service dans moins de vingt minutes.

-Monsieur Uchiwa, je… je vais devoir y aller.

Il ne semble pas réagir. Il a repris son calme, complètement allongé sur le canapé et tire sur son joint d'un air absent en regardant en l'air. Je m'incline et retourne à la porte. Lors que je pose ma main sur la poignée, sa voix s'élève dans mon dos.

-Uzumaki-san?

-Oui?

-Ne prenez pas le dernier métro de la ligne Asakusa ce soir, conseil d'ami.

-Hein? dis-je en me retournant, mais il a disparu.

Bizarre ce type, vraiment. Je hausse les épaules et sors enfin. J'arrive au boulot avec dix bonne minutes de retard et me ramasse un savon par le chef. Il y a quatre bus de touristes Américains qui a débarqué à l'improviste et c'est la panique en cuisine. En salle aussi d'ailleurs. Vas faire du service à l'assiette, à deux, à une bonne centaine d'amerloques qui râlent à tors et à travers, réclament du ketchup et des frites et ne prennent même pas la peine d'articuler pour passer leurs commandes. Sakura et Temari, les deux autres serveuses, étaient au bord de la crise de nerfs.

Temari, c'est une jolie blonde à peine plus âgée que moi, avec un caractère… explosif. Mais en dehors de ça, c'est une fille adorable et franchement mignonne. Je m'entends bien avec elle. Je l'ai rencontrée il y a à peu près deux ans, lors de mon arrivée à Tokyo. Elle m'as pris sous son aile et m'as aidé à trouver du boulot. Une grande sœur d'adoption en quelque sorte.

Quand à Sakura, c'est une fille plutôt excentrique, genre gothik lolita, cheveux roses et compagnie. Je suis sorti avec elle il y a quelques temps. On est pas restée ensembles bien longtemps, mais on s'aime bien quand-même. Ca nous arrive encore des fois de s'échanger un peu de tendresse, mais rien de bien sérieux. L'eau et l'huile se mélangent pas, tout le monde le sais. En attendant, "l'huile" est en train de me gueuler dessus parce que je suis en retard, et me supplie d'aller prendre les commandes à sa place. Faut savoir que je suis bilingue et que les filles baragouinent occasionnellement un anglais plus qu'approximatif.

-Hello sir, what can I do for you? dis-je, carnet en main, à un espèce de tas de graisse à triple menton puant la sueur.

-I want a cheesburger with potatoes!

Pfff… J'aurais même pas du lui poser la question à ce gras-du-bide-et-pas-que-de-là. Je lui réponds d'une voix mielleuse qu'il a un MacDo à deux rues d'ici et qu'ici c'est un restaurant traditionnel trois étoiles. Je le vois avaler la pilule avec difficulté et virer au rouge et ai du mal à ne pas exploser de rire. Je vais pas réussir à me retenir. Je m'éloignes en vitesse et vais trouver refuge à l'office pour enfin pouvoir me marrer tout mon saoul. Putain, ça fait du bien d'envoyer chier un client!

-Naruto? Ca vas?

C'est Temari. J'essaye de reprendre mon souffle pour pouvoir lui répondre, mais n'y arrives pas. Faut dire que ça faisait pas mal de temps que j'avais pas ri. Ca fait vraiment du bien.

-Naruto, c'est quoi cette marque?

-Hein? Qu'elle marque?

-Là, sur ta main!

Je regarde ma main droite sans comprendre: il y a une grosse brûlure avec des cloques et tout, comme si on m'avait marqué au fer rouge. Je me suis pourtant pas brûlé, je m'en serait souvenu, et puis vu l'étendue des dégâts… J'aurait dû le sentir! Bizarre… Temari m'attrape la main et étudie la blessure d'un air inquiet.

-Et ben, tu t'es pas loupé! T'as fait ça comment?

-Je… Je sais pas. Je me souviens pas m'être fait ça.

-Quoi? Mais attends, t'as vu la taille de la brûlure? Comment t'as fait pour pas t'en être rendu compte?

-Mais j'en sais rien moi!

-Faut te soigner ça, te mettre de la pommade, je sais pas moi…

-Hey vous deux! Y'a une dizaine d'assiettes en train de refroidir là, et Sakura va pas faire le boulot toute seule!

Ca c'est le chef qui braille de derrière son piano. Temari en oublie instantanément ma balafre à la main et nous nous grouillons de servir les assiettes à nos casses-burnes de clients. Sales gaijin (8) d'outre-Pacifique! Je hais les Américains…

Le service c'est fini dans les environs de minuit moins dix. Le dernier métro pour Nishi-magome était à vingt-trois heures quarante-cinq. Sakura me propose d'aller passer la nuit chez elle. Elle habite dans le bruyant quartier de Shibuya (9), dans une chambre de bonne, au sommet d'un immeuble et, comble du comble, elle ne peux pas profiter de la vue: un immense panneau publicitaire Sony lui bouche son unique fenêtre. J'accepte immédiatement. Choisir entre passer la nuit dans une station de métro pleine de courants d'air et de clochards, ou en compagnie d'une amie; même si on ne peux pas se tenir debout dans son appart' et que son futon est franchement petit pour deux personnes, y'a pas photo.

En bref: trajet en mobylette rose fluo, nuit bien arrosée et peu reposante chez Sakura, réveil à cinq heures et demie et gueule de bois pour couronner le tout. Elle, elle ne se lèvera que dans deux ou trois heures: son second boulot, c'est vendeuse dans le magasin de fringues juste en bas. "Merci pour la nuit, à ce soir." que j'écris sur un bout de papier que je pose sur son oreiller. Sakura n'est pas du genre romantique et tout ça, mais elle aime bien ce genre d'attentions. Moi ça m'arrange: pas de fleurs ni de chocolats et tout le tralala. Simple et économique. Shibuya est un quartier qui ne dors jamais; y'a toujours pleins de monde dans ces rues, même à une heure aussi matinale. C'est fou ce qu'on peux se sentir seul au milieu d'une foule aussi compacte…

Je ne déroge pas à la tradition de la cigarette du matin, seulement mon paquet est vide. Je passe dans un bureau de tabac et m'allume enfin une blonde. Et puis la voix du présentateur du journal télévisé du matin s'élève. Comme tous les autres, je lève mes yeux vers un des écrans géants accroché à un building.

"Hier soir, la rame du dernier métro d'Asakusa a déraillé au niveau de la station de Takanawadai. Tout les passagers se trouvant présents à bord sont morts dans l'accident. Les unités techniques ont déclaré que la tragédie était due au chauffeur qui c'est écroulé de fatigue aux commandes, laissant la rame prendre une courbe à pleine vitesse. Le gouvernement a réagi…"

Je n'écoutes plus, sous le choc. " Ne prenez pas le dernier métro de la ligne Asakusa ce soir, conseil d'ami."


(1) Nishi-magome – C'est dans l'extrémité sud-ouest de Tokyo, terminus de la ligne de métro d'Asakusa. Je ne sais pas réellement ce qu'il y a dans ce quartier XD.

(2) A Tokyo, chaque station a une petite musique électronique bien à elle pour ne pas rater sa station.

(3) Kaminari-mon – "Porte du tonnerre", une porte sacrée d'Asakusa encadrée des statues de deux divinités.

(4) Shinjuku – Quartier du centre ville très dynamique et réputé pour ses hôtels et boutiques de luxe.

(5) Il n'y a que très rarement des noms de rues à Tokyo, c'est assez pommatoire d'ailleurs. Le premier numéro correspond au numéro du quartier, le deuxième au numéro du bloc, puis le numéro de l'immeuble et enfin le nom du quartier et de la section. (pinaize, qu'est-ce que je me suis bien renseignée! Je m'épate toute seule XD)

(6) Park Hyatt Tokyo – Un des hôtels de luxe les plus cotés de Tokyo, dans lequel a été tourné "Lost in Translation" de Sofia Coppola pour ceux qui connaissent. Ils ont un site en anglais, allez y faire un tour pour vous faire une idée du truc, c'est assez hallucinant je dois avouer XD!

(7) En fait j'invente un peu mais les tarifs doivent être dans ces eaux là... (en sachant qu'un € est à peu près égal à 140 yens, faites le calcul…)

(8) Gaijin – "étrangers", à savoir que les Japonais, bien qu'étant des gens accueillants et très ouverts, conservent certaines traces de la période conservatrice de l'ère Meiji, telles que l'appellation "gaijin" ou autres "ware ware nihonjin", littéralement "nous les Japonais".

(9) Shibuya – Le quartier qu'on voit le plus en photo et qui est devenu le stéréotype dans l'imaginaire de tous les occidentaux de ce à quoi ressemble Tokyo: Des immeubles immenses, des bannières publicitaires dans tout les sens et des boutiques partout.