Titre :
Des lendemains qui chantent
Auteur : Meanne77
Disclaimer : Ils ont déjà du mal à savoir qui est à qui, alors... Mais on est tous d'accord pour dire qu'aucun est à moi.
NdA : encore un plot bunny ressuscité de je ne sais où, ou presque. Normalement, c'est censé être développé en multi-parts. Ce sera pas le cas, alors il n'en reste qu'un one shot. Jusqu'à la prochaine attaque bunnièsque, s'entend... V-V
Des lendemains qui chantent
Trowa
fixait le plafond sans le voir. Il devrait être en train de
dormir, il le savait ; les dernières semaines avaient été
éprouvantes et celles à venir le seraient plus encore.
Il savait qu'ils devaient profiter de chaque instant de répit
pour se reposer et pour tout dire, il était épuisé,
mais il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Son plafond
avait quelque chose de fascinant, comme si la pénombre donnait
vie à la peinture de couleur fanée, rendant mouvante la
surface solide. Trowa le fixait avec une telle intensité qu'il
ne parvenait plus à distinguer les moments où ses yeux
étaient ouverts de ceux où ils étaient fermés.
Il savait très exactement où se trouvaient les moindres
défauts de peinture, le plus petit raccord, la plus infime
variation de grain. Trowa aimait fixer les plafonds car cela lui
permettait de lâcher la brides à ses pensées et
de les laisser vagabonder où bon leur semblait, c'est-à-dire
le plus souvent loin, loin, très loin.
Un grattement à
la porte suivi de coups discrets le ramena brutalement sur terre.
–
Entrez.
La porte s'entrouvrit et la tête châtaine de
Duo passa par l'entrebâillement.
– Je peux entrer ?
demanda-t-il avec une hésitation inaccoutumée.
–
Je viens de te le dire, non ?
– Non, tu as autorisé un
inconnu à entrer, pas moi spécialement.
Trowa se
redressa légèrement, s'appuyant sur le coude.
–
Pourquoi je te refuserais le droit d'entrer ? contra le jeune homme
aux yeux verts tout en examinant avec plus d'attention son
compagnon.
Ce dernier haussa vaguement les épaules avant de
pénétrer dans la pièce et de refermer la porte
derrière lui. Trowa observa Duo rester sur le seuil de la
chambre, le regard fuyant et le front soucieux.
– Qu'est-ce
qui ne va pas ? s'enquit directement Trowa, ayant appris dès
les premiers instants à ne pas tourner autour du pot avec
Duo.
Le châtain à la longue natte poussa un soupir et
releva enfin les yeux vers lui. Il eut un sourire hésitant
puis s'approcha à pas lents du lit. Trowa cligna des yeux.
L'attitude tout entière de Duo était étrange :
depuis qu'ils se connaissaient – quelques mois à peine,
mais les circonstances faisaient qu'il leur semblait à tous
se connaître depuis toute une vie – il n'avait encore
jamais vu Duo agir ainsi, et encore moins avec lui. Les premiers
temps, Trowa et lui n'avaient pas véritablement prêté
attention l'un à l'autre, leurs missions respectives les
amenant rarement à faire plus que se croiser. Lorsqu'ils se
trouvaient tous réunis, Duo passait la majorité de son
temps avec Heero ou bien Quatre, tandis que Trowa restait plus
solitaire, ou bien côtoyait Quatre ou Heero, sans que Duo soit
présent. Ils ne s'évitaient pas non plus, simplement
ils ne semblaient pas avoir d'autre intérêt commun que
d'être pilote de Gundam. Ils ne s'étaient pas
brusquement découverts un jour, à l'occasion d'une
discussion profonde sur un sujet inattendu ou bien parce que Duo, au
bord de l'ennui et à défaut d'une autre personne à
qui parler, était venu le trouver. Non, graduellement, ils
étaient chacun de leur côté entrés dans
une dynamique de groupe qui leur avait permis de se détendre
suffisamment pour oser se vanner. Si Trowa devait se montrer honnête,
il devrait reconnaître qu'il était sans doute celui
qui avait commencé – Duo lui avoua bien plus tard qu'il
avait quelque chose d'inabordable, et Trowa s'aperçut par
la suite que Duo n'était pas lui-même si sociable que
ça. Mais Duo taquinait régulièrement Quatre et
Heero, et parfois même Wu Fei lorsque celui-ci restait avec
eux, et petit à petit, Trowa en était venu à
lâcher à voix haute les petites piques qui lui venaient
spontanément à l'esprit. Duo laissa passer les deux
premières, trop surpris ou incertain peut-être pour
répliquer, avant de commencer à son tour à lui
répondre, et finalement ce fut toute une guerre amicale de
vannes qui s'installa entre eux. De temps à autres, Wu Fei
participait mais ses remarques perfides, bien qu'appréciées
à la juste valeur de son esprit vif et cinglant, avaient un
petit quelque chose de trop retenu, de trop cultivé peut-être.
Duo et Trowa préféraient frapper en dessous de la
ceinture, comme seule une vie passée dans les rues ou auprès
de mercenaires pouvait vous l'apprendre. Au commencement de leur
jeu, Quatre voulut intervenir, craignant que les deux pilotes ne
finissent par en venir aux mains. Mais les sourires appréciateurs
qui fleurissaient régulièrement sur leurs lèvres
eurent tôt fait de le détromper : Duo et Trowa
s'amusaient.
Et puis un jour, Duo était venu lui dire
qu'il lui pardonnait d'avoir détruit Deathscythe. Et Trowa
sentit comme un poids être ôté de sa poitrine
alors même qu'il n'avait jamais eu conscience de sa
présence. A partir de ce jour, ils commencèrent à
partager bien plus que des insultes amicales. Mais s'ils avaient eu
depuis leur lot de discussions sérieuses et de confidences,
jamais, jamais Duo n'avait de la sorte éviter de croiser son
regard.
– Un problème ? demanda encore Trowa alors que
Duo atteignait enfin le lit.
Pour la seconde fois, le châtain
soupira, lança par-dessus sa frange un regard rempli
d'hésitation et d'autre chose que Trowa n'identifia
pas.
– Je... peux m'asseoir ?
Trowa hocha la tête,
décidant qu'il valait mieux laisser Duo aller à son
rythme. Ce dernier s'assit sur le lit, du bout des fesses d'abord,
puis de façon un peu plus prononcée à force de
se tortiller pour trouver, en vain, une position plus confortable. Il
releva ses yeux indigo vers son ami, se mordilla un bref instant la
lèvre inférieure, puis lâcha :
– Trowa...
Je suis tombé amoureux de Heero.
La surprise fut si grande
que Trowa perdit un instant le contrôle de son expression
faciale, sa mâchoire s'affaissant légèrement et
ses yeux s'écarquillant de façon perceptible. Le
silence s'étira entre eux, Trowa ne parvenant pas à
penser à quelque chose à répondre et Duo le
regardant de nouveau avec une expression que le châtain pouvait
à présent lire parfaitement : le remord et la
culpabilité. La trahison.
Ce fut cette dernière qui
réveilla Trowa.
– Ah. Je vois.
Duo baissa les yeux.
–
Je suis désolé. Je n'ai pas fait exprès, je...
je ne comprends pas... comment ça a pu arriver. Je ne voulais
pas, je n'y pensais même pas, mais... quelque part en chemin,
je... je sais pas... Excuse-moi.
Trowa eut besoin de fermer les
yeux un bref instant, pour se couper du monde et trier les
sensations, faire la part entre la peine et la rationalisation. Car
après tout, objectivement, qu'avait à se reprocher
Duo ?
– Ce serait hypocrite de ma part, non ? De t'en vouloir.
Duo releva des yeux incertains vers lui.
– A ta place... je
m'en voudrais. Je me sentirais trahi. Merde ! C'est très
exactement ce que je ressens, que je t'ai trahi, que j'ai trahi
ta confiance et ton... ton...
– Duo. Qu'est-ce que tu veux que
je te dise au juste ?
– ... Je suis sûr que tu peux penser
à quelque chose, répliqua Duo, retombant dans leurs
vieilles habitudes avant de se rappeler que le sujet ne s'y prêtait
pas. Ou bien tu peux cogner à défaut de dire, si tu
préfères...
Trowa eut l'esquisse d'un sourire.
–
Je ne cogne pas sur les demi-portions.
– Je t'emmerde, Géant
vert ! rétorqua Duo avec automatisme.
Le sourire de Trowa
s'étira légèrement, puis il reprit d'une
voix adoucie.
– Sérieusement, Duo, qu'est-ce que tu
veux que je te reproche ? D'être tombé amoureux de
Heero ? Je suis le mieux placé pour savoir ce que tu peux voir
en lui.
Duo nia de la tête avec force.
– Ce n'est
pas ainsi que ça devait se passer !
– Ce genre de choses
arrive.
– Tu m'emmerdes avec ton stoïcisme, Trowa !
J'étais censé t'aider, pas te le voler !
– Oh,
parce que tu me l'as volé ?
– Eh bien, non, mais c'est
pareil ! Je savais que tu étais amoureux de lui et je l'ai
approché...
– Pour moi. Parce que je te l'avais
demandé.
– ... j'ai passé du temps avec lui...
–
Parce que j'étais trop lâche pour le faire moi-même.
– ... et je suis tombé amoureux de lui ! Quel ami je
fais !
Ce fut au tour de Trowa de soupirer.
–
Pardonne-moi...
La voix faible et douloureuse de Duo le frappa
directement au cœur. Après une infime hésitation,
Trowa l'attira à lui, le forçant à s'allonger
à ses côtés et conservant un bras autour de ses
épaules. Tous deux s'absorbèrent dans la
contemplation du plafond.
– Je te pardonne, souffla Trowa pour
ne pas totalement briser le silence.
– ... Alors, qu'est-ce
qu'on fait maintenant ? murmura en retour Duo.
Trowa prit le
temps d'y réfléchir.
– Je ne sais pas. ... Je
n'ai pas envie de me battre contre toi.
– Je n'ai ni
l'intention ni l'envie de me battre contre toi ! se récria
Duo, se redressant par réflexe avant que Trowa ne le force
d'une pression à reprendre sa position initiale.
–
Est-ce que Heero ne mérite pas qu'on se batte pour lui ?
–
Sans doute, je sais pas, peut-être, mais je n'ai pas envie de
me battre en plus contre l'un d'entre vous. Je sais pas, c'est
comme si... ça n'en valait pas la peine. Tout en le
valant.
Trowa acquiesça, comprenant les propos confus de
Duo.
– Et tu l'as vu le premier.
– Ce n'est pas une
marchandise.
– Même, c'est une règle entre
amis.
– Techniquement, c'est toi qui l'as vu le premier.
Duo
ne put s'empêcher de rouler des yeux.
– T'as posé
une option sur lui avant, alors.
– Je n'ai pas le souvenir
d'avoir versé des arrhes.
– T'es chiant, fais pas
semblant de pas comprendre !
– Tu es ridicule, tu te prends la
tête pour quelque chose auquel on ne peut rien.
– Va
t'faire.
– Par toi ou par lui ?
– Trowa !
Trowa sourit
devant l'indignation de Duo.
– Et qu'est-ce que lui
en pense ?
–
Heero
? L'est complètement à l'ouest, ce mec ! Crois-moi,
de ce côté-là on est tranquille, il se rend
compte de rien. On peut pas dire qu'il me facilitait beaucoup mon
boulot d'humanisateur/entremetteur ! Parfois je me demande s'il
se rend compte que Relena
lui court après !
A nouveau, Trowa eut l'ombre d'un
sourire amusé. Son ami se tortilla un bref instant,
s'installant plus confortablement contre lui. Ils se tenaient chaud
mais cela ne semblait pas les déranger outre mesure.
–
J'aimerais me dire... commença à voix basse Duo avant
que le châtain ait le temps de dire quelque chose, j'aimerais
me dire qu'il est inutile de se prendre la tête pour ça,
que le mieux à faire est de voir venir, que s'il doit se
passer quelque chose ce sera à lui de décider et que
d'une certaine façon le problème repose entre ses
mains. J'aimerais pouvoir me concentrer sur autre chose et m'en
soucier plus tard, mais...
Trowa hocha la tête, les pensées
de Duo faisant écho aux siennes. Quelle probabilité
avaient-ils de s'en sortir vivants ? S'ils devaient vivre quelque
chose, ils devaient le vivre maintenant.
Personne mieux que Duo et lui ne comprenait la philosophie du Carpe
Diem. Ils
n'avaient pas le temps de remettre au lendemain, et pourtant...
pourtant, pour une fois, laisser stagner les choses était
peut-être la meilleure des solutions. Tous deux seraient-ils
plus ou moins malheureux ? Etaient-ils véritablement
malheureux d'ailleurs ? Ils étaient amoureux, de la même
personne, certes, et ils étaient amis, mais ils étaient
amoureux. Malgré leur jeune âge, malgré la
guerre, malgré tout le reste. Beaucoup ne pouvait pas en dire
autant.
– Tu es malheureux ? demanda Trowa à voix basse,
les yeux toujours rivés au plafond.
Il sentit la tête
de Duo bouger contre son épaule, devinant que le châtain
tournait le visage vers lui pour le regarder.
– ... Non, je ne
crois pas. J'ai déjà été malheureux
dans ma vie, si fort que les mots ne suffisent plus. Ça n'a
rien de comparable.
Trowa acquiesça, comprenant une fois de
plus.
– J'ai plutôt peur, je crois. Peut-être,
confia encore Duo. Mais je sais pas vraiment au juste pourquoi.
–
... J'aime Heero, dit Trowa.
– ... Oui.
– Ce n'est pas
mal en soit, continua le châtain, plus pour lui-même qu'à
l'attention de son ami.
– Pas de mon point de vue en tout
cas.
– On ne sait pas comment Heero réagirait. Peut-être
s'en moquerait-il...
– Je ne suis pas sûr qu'il en
penserait vraiment quelque chose, il est trop... focalisé sur
ses missions pour ça.
– Il y penserait, affirma Trowa,
qui connaissait un aspect de Heero que peu de personne pouvait se
vanter d'avoir conscience ; Trowa était celui qui l'avait
accompagné dans sa quête de rédemption auprès
des Noventa.
Il était tombé amoureux de lui à
ce moment-là.
– Je détesterais qu'il lui arrive
quelque chose parce que nous l'aurions perturbé, dit-il
encore.
Duo eut une rapide grimace.
– Non.
– ...
–
Alors... qu'est-ce qu'on fait ? demanda pour la seconde fois
Duo.
– Rien. On ne fait rien. Pour ma part en tout cas, je ne
changerai pas d'attitude. Et... on verra bien... ce qui se
passera...
Duo ferma les yeux et enfouit sans vraiment s'en
rendre compte le visage dans le creux de l'épaule de
Trowa.
– Ne rien faire... ne me fera pas me sentir moins
coupable... vis-à-vis de toi.
Trowa resserra machinalement
son étreinte.
– Ne le sois pas. Tu n'as rien fait de
mal. Et si Heero venait à se tourner vers toi, ce serait sa
décision.
– Honnêtement, je doute qu'il le fasse,
répliqua Duo, une pointe acerbe dans la voix.
Trowa haussa
les épaules.
– Maintenant ou plus tard...
– ...
Ouais... murmura Duo avec une étrange émotion. Plus
tard...
La porte s'ouvrit brusquement et la silhouette de Heero
se découpa dans l'encadrement. Les deux châtains
sursautèrent et s'écartèrent rapidement l'un
de l'autre, comme pris en faute. Heero les observa en silence
pendant un temps, ses yeux passant lentement de l'un à
l'autre, puis il dit :
– Mission.
Duo et Trowa
acquiescèrent comme un seul homme. Ils se levèrent et
suivirent Heero au salon rejoindre leurs compagnons d'arme. Ils ne
se posaient plus la moindre question, ils étaient plus des
adolescents amoureux.
Ils étaient des soldats.
[Ecrit
le 03 août 2004]
[Plot bunny du 17 mai 2004]
