Bonjour ou bonsoir à tous!
Je suis toujours autant amoureuse de l'univers de Bungou Stray Dogs et ce soir, je vous retrouve pour le début d'une mini fic sur un couple qui déchaîne les passions parmi les fans de la série: le Soukoku. Alors qu'on se mette d'accord tout de suite, cette histoire est simplement partie d'un gros délire et n'a pas vocation à être vraiment prise au sérieux même si j'ai souhaité retranscrire l'ambiance polar noir de l'animé tout en l'intégrant de façon logique aux événements s'y étant déroulé (je vous laisserai découvrir tout cela en temps voulu ;)! J'espère réussir cet objectif même si au départ l'idée était simplement de coucher sur papier des scènes que je trouvais plutôt cools entre nos deux partenaires improbables et attachants.
Quand je parle de mini-fic, j'entends par là que celle-ci ne fera pas plus de 4 chapitres; je n'ai ni le temps ni l'envie d'étirer cette histoire sur le long-terme et au contraire je pense qu'il est plus intéressant pour profiter de l'ambiance générale de cette fiction de la condenser en seulement 4 grosses parties, car oui, bien évidemment en contrepartie celles-ci seront plutôt longues :) J'estime que le lecteur a besoin d'un temps pour être captivé par ce que l'auteur lui présente, or, si les chapitres sont trop courts eh bien le timing est manqué et on en ressort frustré et ce n'est pas mon but!
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Je me rends compte que je parle beaucoup trop pour pas grand chose, peut-être suis-je un peu nerveuse malgré la légèreté, presque l'insouciance de ce petit projet? Je l'ignore, mais il est inutile de m'attarder plus que nécessaire à mon avis. Alors il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture!
Partie 1: Ivresse.
Il faisait une chaleur étouffante et moite dans le bar où ils avaient élus domicile ce soir-là, une lumière jaune ocre emplissait l'espace et provenait uniquement d'un immense lustre rappelant ceux des bars de western, une odeur de transpiration mêlée à de l'alcool s'élevait dans l'air en même temps qu'un air de musique jazz le tout entrecoupé de quelques éclats de rire semblables à des coups de fusil : graves, rauques, imbibés de liqueur et certainement d'une multitude d'expériences troublantes ou illégales, le genre d'endroit où quiconque d'un peu trop naïf ou imprudent ne pouvait pas faire plus de trois pas avant de se faire descendre ou au moins accosté par quelques types un peu trop protecteurs de leur territoire. D'ailleurs le ton commençait à monter près d'une table de 6 où l'un des membres, visiblement contrarié d'avoir perdu sa mise au poker était actuellement en train de provoquer le vainqueur et contrairement à ce que le bon sens ou la prévention voudrait dans une société encadrée, ici chacun laissait faire soit par désintérêt ou même amusement comme si voir deux types régler leurs comptes dans le bar ou la rue à cause d'un désaccord avait quelque chose de divertissant surtout s'il s'agissait du gars contre qui vous aviez déjà perdu une partie de carte.
Chuuya adorait cet endroit, son ambiance jazzy oscillant entre le classieux et le morbide d'un roman noir, ce siège au comptoir qu'il martyrisait à force de le bidouiller pour qu'il soit à sa taille, les verres à vin gravés de deux B entremêlés : l'un blanc l'autre bleu, rappelant le nom de l'établissement, établissement qui d'ailleurs honorait son titre avec de nombreux tableaux ou photographies représentant divers races d'ours : du ridicule à lunette en passant par l'énorme grizzly, tout y passait à tel point que même l'abominable homme des neiges avait le droit à sa peinture… Juste à côté des toilettes.
Et, trônant fièrement au dessus des bouteilles de vin, whisky et autre liqueurs plus ou moins fruitées, une sculpture reprenant de façon très réaliste la géométrie faciale de cet animal à l'exception peut-être des poils bleus qui agrémentaient ce travail pourtant minutieux et détaillé. Le Blue Bear était l'essence même de pourquoi le jeune homme était satisfait de sa vie de mafieux : un job bien payé qui le logeait et le nourrissait sans trop de contrainte, la possibilité de gravir les échelons et de se retrouver dans les petits papiers des politiciens alors qu'il avait à peine le droit de vote, le respect des autres membres et de ses rivaux avec un pouvoir aussi puissant que le siens et puis le luxe de pouvoir poser son cul chaque soir sur une chaise trop petite pour découvrir un nouveau vin en compagnie de son partenaire et d'une bonne musique jazz, le tout sans se faire emmerder par qui que ce soit pour le sang sur ses gants ou la clope qu'il portait au bec. Tout cela avait quelque chose de jouissif pour lui qui se sentait un peu comme un enfant qui découvrirait des tas de plaisirs pour la première fois après qu'on l'ait forcé à grandir.
C'était presque glaçant de vérité et donc à mourir de rire pour lui qui, aujourd'hui, se sentait vraiment important. Et en vie.
-Eh George, un autre verre ! Beugla-t-il à l'encontre du barman qui essuyait le comptoir avec son torchon.
Ce dernier ne lui accorda pas un regard et lui en resservi un presque dans la seconde, habitué qu'il est à voir défiler divers poivrots ou autres jeunes comme lui prêts à consommer sans forcément avoir l'âge.
-Tu devrais ralentir sur le vin mon petit Chuuya, ça va te monter à la tête plus vite que tu ne le penses.
Le tableau de la soirée aurait put être parfait s'il n'y avait pas eu cet abruti de Dazai assis sur la chaise à côté de la sienne, ses grandes jambes croisées et sirotant son scotch en faisant tinter les glaçons dans son verre avec un petit sourire satisfait, le même qu'il avait à l'encontre de ses victimes suppliantes. Si cela n'avait tenu qu'à lui jamais Chuuya ne l'aurait invité, après tout l'autre était un peu le petit chouchou du boss de la pègre depuis qu'ils étaient gosses, toujours à le mettre en avant et à louer ses incroyables capacité comme si c'était une qualité de ne ressentir aucune émotion en tuant dès l'âge de 9 piges… Le brun pouvait aisément se payer ses verres lui-même et les partager en compagnie de qui il voulait, que ce soit les lèches-bottes prêts à tout pour se faire bien voir en omettant le fait que le poulain de la mafia portuaire s'en contre-foutait sévèrement de leur gueule ou même de femmes dont il avait pu goûter les caresses il y a déjà quelques années. La faute à sa belle gueule sans doute : avec ce sourire en coin qui lui donnait un air d'ange farceur contrastant avec son unique œil aux reflets incendiaires, l'autre camouflé derrière des bandages parfaitement noués autour d'une tignasse brune hirsute oscillant même quelque fois sous un drôle de roux auburn, presque mystérieux.
D'aucun pourrait penser que Chuuya éprouvait une certaine forme de jalousie à l'égard de son collègue et connaissance de toujours, mais si autrefois cela avait déjà pu lui traverser l'esprit (quand il était encore un adolescent triste et en proie à ses émotions) désormais ce dernier ne lui inspirait plus qu'un agacement très prononcé saupoudré de mépris et, il fallait bien le reconnaître, d'une certaine forme de nostalgie mêlée à de l'incompréhension. Le genre de type qui éveille en vous des sentiments contradictoires sans que vous ne vous en rendiez compte ou l'assumiez.
Non, clairement, s'il avait pu se passer de son rictus moqueur et de ses commentaires à deux balles, croyez-le chers lecteurs que notre ami en aurait été bien satisfait.
-Toi la grande perche je t'ai pas sonné, estime-toi déjà heureux que je te paie le verre ! Répliqua Chuuya, vexé que ce dernier l'ait renvoyé à sa petite taille et à sa mauvaise gestion de l'alcool.
Dazai rit, tout en portant la boisson à ses lèvres non sans lui adresser un énième sourire transpirant le foutage de gueule, en même temps qu'est-ce qu'il espérait : il s'agissait du gars qui passait son temps à sauter du haut des gratte-ciels pour « voir ce que ça faisait », pas étonnant qu'il soit peu impressionné même par ses colères pourtant réputées pour être particulièrement terrifiantes.
-J'avoue… Répondit-il finalement après avoir prit une gorgée, je te trouve bien gentil avec moi aujourd'hui, normalement c'est moi qui aurait du te le payer après ce que tu as fait et d'ailleurs pourquoi tu l'as fait ? T'as eu très peur pour moi ?
Il mima une tête de chiot en même temps qu'il terminait sa phrase et cela agaça encore plus le rouquin.
-Tu rêves abruti, c'est juste pour que le patron me lâche un peu la grappe, à t'envoyer sur des missions dangereuses tout en pensant que t'es en sucre et il était hors de question que je prenne pour tes conneries de tout à l'heure sur le pont.
-Dois-je comprendre que tu as eu peur que je meure ?
-Non au contraire j'aurais bien aimé ! Par contre le patron beaucoup moins et alors là ça me serait retombé sur la gueule, fais pas comme si t'ignorais que t'étais sa petite poule aux œufs d'or qui canarde tout le monde.
-Très jolie métaphore, t'es sûr de pas avoir manqué ta carrière ?
-Va te faire foutre.
Dazai eut un rire presque cristallin, trop innocent pour lui, comme si le fait qu'il ai frôlé la mort i peine deux heures n'était rien de plus qu'une routine, ce qui au sein de la mafia n'était pas totalement faux mais tout de même, il dégageait une sorte d'euphorie presque malsaine dans ce monde qui se voulait de noirceur, une aura à la fois lumineuse et pourtant si… Etrange, si mystérieuse qu'elle le rendait fascinant. Depuis qu'ils étaient gosses, Chuuya avait toujours eu l'impression que son camarade portait un masque : aussi bien lorsqu'il s'amusait à tirer sur des cibles avec son premier Colt M1911 qu'en l'utilisant pour faire un trou dans la tête de quelqu'un, constamment, avec qui que ce soit et dans n'importe quelle situation, le rouquin avait toujours eu le désagréable sentiment que ce dernier n'était pas honnête et qu'il cachait quelque chose dans les tréfonds de son âme, quelque chose dont même lui n'avait peut-être pas conscience.
Il se souvenait bien de toutes les remarques qu'il avait entendu à son égard pendant l'enfance, quand lui faisait de la peine par ses colères ou ses crises de larmes, Dazai dégageait déjà cette aura obscure du haut de ses 1m30 avec son bandage sur l'œil, sa peau pale et cette façon qu'il avait de dévisager tout le monde comme si tout cela constituait pour lui une attraction dont il avait saisi le mécanisme sans en posséder les rouages. Une sorte d'enfant aussi bête que savant, qui savait tout mais ne comprenait rien et qui pouvait aussi bien passer une journée entière à faire de la balançoire qu'à s'appliquer pour trancher correctement la chair avec un couteau suisse. Qui se penchait au dessus des fenêtres et poussait un cri d'exaltation en se demandant ce que ça ferait s'il chutait : s'il crierait ou si au contraire il resterait muet jusqu'à l'impact… Et d'ailleurs quel bruit ça pourrait bien faire, celui de la rencontre entre son corps et le bitume 30 mètres plus bas? Et qu'est-ce qu'il ferait, lui, si c'était le cas ?
Chuuya avait beau le détester cordialement depuis des années et ne jamais manquer une occasion de lui cracher dessus, force était de constater que sa présence faisait quand même partie de son paysage personnel depuis plus de 10 an : pour lui, Dazai avait toujours été là, avec ses sourires moqueur et ses bandages sur la tronche. Et s'il avait déjà pu le voir piquer une tête dans le fleuve ou sauter du toit de quelques immeubles, jamais il n'avait songé à la possibilité qu'un jour toutes ses tentatives portent leurs fruits, ayant l'intime conviction que toute cette fascination pour le suicide n'était rien de plus que de la mise en scène pour faire son intéressant et de surcroît susciter chez lui des sensations fortes qu'il avait toujours peiné à éprouver.
Il se rappelait bien de son regard lorsqu'ils avaient 10 ans, quand le sien était souvent brouillé de larmes de rage ou de tristesse, celui de son comparse semblait perpétuellement vide de toutes émotions, comme s'il ne ressentait rien ou plutôt comme si tout ce qui se trouvait autour de lui n'avait jamais eu le moindre intérêt ou sens. Même lorsqu'il riait et faisait preuve de sa légendaire excentricité, il y avait toujours cette drôle d'impression, un peu amère, que Chuuya ne pouvait s'empêcher de ressentir comme si rien de tout cela n'était réel à ses yeux et qu'il aurait eu exactement la même devant un film ou un livre.
Pour lui qui avait toujours été spontané, à la limite de l'hyper émotivité à tout le temps réagir par la colère, les insultes et les coups, cela relevait presque du mythe.
Un truc incompréhensible, qui hantait certainement bien trop ses pensées.
C'en était là de ces pensées, alors qu'il observait à la dérobé son partenaire tout en terminant son verre de rouge d'une traite. La boisson vint titiller chaudement sa gorge avec délice avant de se loger dans son estomac, y provoquant une brûlure indescriptible qu'il lui tira un petit rire en même temps qu'un tournis : il le savait, que malgré son amour immodéré pour les bonnes bouteilles il ne tenait pas l'alcool et que deux ou trois verres suffisaient généralement pour le rendre saoul : la faute à son gabarit ingrat principalement, lui qui avait grandit si vite et qui s'était finalement comme arrêté en cours de route pendant que tous les autres finissaient par le dépasser pour le surplomber complètement une fois adultes….
Dire qu'i peine 5 ans c'était lui qui mettait sa tête sur celle de Dazai pour lui ébouriffer les cheveux en le traitant de microbe, aujourd'hui ce dernier pouvait bien se servir de lui comme d'un accoudoir sans que cela n'ai l'air choquant outre mesure. Et cela l'énervait. Prodigieusement.
Son début d'ivresse aidant, le jeune homme aux cheveux roux ne put s'empêcher de ressentir une pointe d'amertume et de mélancolie après s'être remémoré toutes ces choses ayant façonné leur enfance, une bien étrange période finalement dont il tirait autant de souvenirs morbides et déplaisants que funs et plutôt uniques. Ce qu'ils avaient pu faire comme conneries quand même étant ado… Et puis leurs premières missions en partenariat aussi, dès l'âge de 15 ans, la naissance du double noir, quant ils furent chargés de kidnapper un riche homme d'affaire étranger pour lui soutirer 1000 Yens : aujourd'hui cette somme aurait de quoi provoquer l'hilarité chez eux en comparaison de ce qu'ils pouvaient détourner désormais, mais comme première vraie mission en duo pour la Mafia Portuaire tout cela avait quelque chose d'assez drôle et, il n'oserait jamais le verbaliser, de touchant également.
Et Chuuya se prit à espérer, alors que le vin se mêlait petit à petit à son sang, que Dazai en pense la même chose. C'était bête mais après tout, le brun était ce qui se rapprochait le plus pour lui d'un ami d'enfance. … Il n'en revenait pas de toutes les conneries que l'ivresse parvenait à lui faire ressentir. Et malgré le fait qu'il sente la pente de ses pensées devenir glissante, cela ne l'empêcha pas de recommander un autre verre sous l'œil faussement moralisateur de Dazai.
-Je te préviens je te porte pas jusqu'à chez toi, si tu finis par terre tu pourras te démerder pour rentrer ! S'exclama-t-il en commandant lui aussi un autre verre.
Chuuya faillit recracher sa gorgée d'Alps Wine, soudain saisi d'une sourde colère.
-T'es qu'un putain d'ingrat ! Je t'ai sauvé la vie y'a à peine 2 heures et c'est comme ça que tu me remercie ? Si j'avais su je t'aurais laissé faire trempette dans le fleuve les mains et les pieds attachés, ça m'aurait évité d'entendre tes remarques à la con et de te voir siroter ton putain de… De truc là !
-C'est du whisky.
-On s'en fout, je suis ton sauveur tu devrais être en train de me lécher les bottes à l'heure qu'il est espèce de débile suicidaire.
Dazai eut une moue qu'il jugea horripilante, alors qu'il lui prenait les mains et s'exclamait d'un ton niais, la bouche en cœur :
-Ô grand Chuuya, mon très cher partenaire, merci beaucoup pour m'avoir libéré de ces effroyables chaines qui entravaient mes pieds et mes mains, grâce à toi je suis libre de pouvoir déguster ce verre qui je le sais ne pourra jamais être détrôné dans mon cœur tant il représente la vie que tu as pu me redonner en tuant ces trois types avant qu'il ne me balance dans le fleuve ! Sache que désormais je ne cesserai de te remercier pour ton extrême gentillesse et que je ferais preuve…
-Mais tu vas la fermer oui ?!
Les joues rouges de colère et de honte, Chuuya dégagea rapidement ses mains de celles brûlantes de Dazai alors qu'il sentait les regards de quelques clients sur eux, certains même avaient un sourire moqueur ou carnassier qu'il eut la furieuse envie de leur faire ravaler à coup de manipulation de gravité mais il n'en fit rien, se concentrant sur la saveur piquante du vin en ruminant contre cet abruti qui lui servait de partenaire, hilare. Ce qu'il pouvait le détester quant il faisait ça, à agir comme un authentique illuminé qui ne saisissait pas l'atmosphère et qui de surcroît emportait les autres avec lui dans ses délires qui se révélaient parfois même bien plus problématiques que juste gênants, combien de fois s'était retrouvé à devoir l'accompagner dans des soirées ou des missions qui dégénéraient à cause de son attitude provocatrice quand ce n'était pas lui-même qui se créait ces situations tout seul. Bizarrement (et assez inquiétant d'ailleurs), Chuuya remarquait qu'il se trouvait très_trop_ souvent embarqué dans ses plans foireux sans qu'il n'ait son mot à dire ni même la possibilité d'y couper.
Il devrait songer à être plus ferme la prochaine fois en lui mettant directement son poing dans la tronche.
Mais à l'instant, le jeune mafieux était bien trop concentré sur la saveur épicée du vin sur son palais pour vraiment y trouver l'énergie, sans doute avait-il encore dans son dos la brûlure du regard des autres clients et pour lui qui accordait beaucoup d'importance à la façon dont il pouvait apparaître devant les autres, se faire ridiculiser par Dazai qui de surcroît parvenait par on-ne sait quel moyen à se faire respecter malgré son attitude de gamin avait quelque chose de terriblement agaçant.
Et alors qu'il reprenait une énième gorgée en se pourléchant les lèvres, Chuuya se rendit compte que ses pensées tournaient en rond… Autant que sa tête lui tournait. Cet imbécile de Dazai allait le rendre fou et il ne supporterait pas une singerie de plus de sa part.
-T'es complètement con ! Lui cracha-t-il alors que ce dernier sirotait tranquillement son verre, imperturbable, et t'as même pas l'air d'être si affecté que ça à l'idée de…
-De mourir ?
Dazai l'avait coupé assez brutalement mais d'un ton très doux, alors que ses idées et ses propos devenaient de plus en plus décousus, lui avait l'air parfaitement maître de ses moyens et son unique œil le fixait d'un air aussi brûlant que plein de clarté. Et alors qu'il se penchait légèrement vers lui, le sourire aux lèvres, Chuuya se fit la réflexion qu'il avait l'air de quelqu'un de tout sauf sain d'esprit, de complètement déglingué même… Mais qui semblait parfaitement à l'aise avec ça et qui en jouissait même. Plus glauque tu meurs. Et justement en parlant de ça…
-En quoi ce serait si grave ? J'aurais bien aimé voir ce que ça faisait, j'ai jamais manqué de mourir en étant enchaîné.
Chuuya sentit son estomac se nouer devant sa déclaration si calme, pragmatique. Il se demanda soudainement ce qui n'allait pas chez lui, comment cela se faisait que son partenaire soit à ce point obsédé par sa propre mort quand il avait démontré à de nombreuses reprises se foutre complètement de celle des autres et même de celles qu'il provoquait. Même un rire dément au moment d'exploser le crâne de quelqu'un aurait été plus rassurant finalement, car on aurait pu simplement le caser dans la catégorie des psychopathes confirmés et traiter son cas en conséquence, mais là… Rien. Les seules fois où le rouquin avait pu observer une émotion sincère et spontanée chez lui était lorsqu'il faisait des conneries comme précédemment et que ça le faisait marrer ou qu'il se mettait lui-même en danger au point de finir parfois couvert de blessures très graves quand il ne risquait pas tout bonnement et simplement sa vie en se jetant du trentième étage.
Il se souvenait d'une journée étant gosses, ils devaient avoir quoi… 10 ans peut-être ? Ils s'étaient amusés à voler la moto d'un citoyen lambda et avaient roulés dans la ville en ne respectant aucunes règles de sécurité si bien qu'ils avaient finis par avoir un accident en percutant les barrières d'une zone industrielle et projetant leurs corps sur plusieurs mètres : pour lui qui conduisait le choc aurait du être bien plus violent mais il avait limité les dégâts en se servant de son pouvoir sur la gravité et s'en était sorti avec quelques égratignures tout au plus et une grosse frayeur. Dazai en revanche avait été projeté sur le côté pendant le dérapage du bolide et avait roulé sur plusieurs mètres de bitume avant de percuter des caisses métalliques. L'image était inscrite dans la tête de Chuuya comme de l'encre sur du papier. Elle le hantait encore en rêve aussi, parfois. Mais lorsqu'il s'était précipité vers lui, des larmes plein les yeux en voyant sa bouche et son front ensanglantés et son bras droit tordu dans un angle improbable, Chuuya avait assisté à la scène la plus dérangeante qui lui ai été donné de voir, et encore aujourd'hui, il ne pensait pas avoir vu chose plus malsaine : Dazai, allongé par terre, son visage enfantin et angélique couvert de son propre sang, le bras tordu et l'un de ses os formant une grosse bosse en dessous de sa peau, les yeux humides de larmes… Et son rire clair, presque innocent. Il pleurait de rire. A s'en étouffer. Alors qu'il venait de subir un violent choc physique et émotionnel, alors qu'il venait d'échapper à une mort douloureuse et brutale, son ami riait jusqu'à en laisser couler des larmes. Chuuya se rappelait s'être dit, durant cet instant, qu'il ne l'avait jamais vu aussi heureux. Et à 18 ans, avec un coup dans le nez et du jazz tournant dans ses oreilles, le jeune homme savait que c'était toujours le cas.
Il soupira, reportant son regard sur son verre pour se donner du courage et constata avec dépit qu'il était déjà presque vide. Sans qu'il ne sache si cela était du à ses souvenirs ou à l'alcool (il lui en attribuerait l'entière responsabilité plus tard), Chuuya se tourna vers lui pour lui souffler, l'air presque triste :
-Je te jure... Des fois je te comprends pas.
L'autre releva la tête, l'air presque surpris.
-On se connait depuis qu'on est gosse mais je sais pas, j'arrive pas à voir ce que tu cherches, pourquoi tu fais tout ça ? Pourquoi est-ce tu tiens à ce point à provoquer ta propre mort ? T'es pas malheureux non, t'as tout ce qu'on voudrait tous et t'es clairement le plus fort dans la mafia alors pourquoi tu… Il eut un hoquet, pourquoi tu cherches… ça ? Et puis c'est quoi ce truc justement ?
Sa dernière question n'avait pas vraiment de sens et pourtant, Dazai l'avait parfaitement comprise comme si elle s'était révélée aussi claire que de l'eau de roche. Et bien malgré lui la question l'amusa autant qu'elle lui provoqua un léger trouble. Que recherchait-il exactement? Essayait-il de prouver quelque chose et si oui à qui? A lui-même? Se prouver qu'il était bien vivant, mais si oui pourquoi faire ? Le jeune homme n'avait jamais trouvé d'intérêt particulier à vivre, il ne comprenait pas ce qu'il pouvait bien faire dans ce monde, dans cette ville, dans cette organisation… Quel était son but, avait-il au moins une quête, quelque chose à accomplir ?
Pourquoi lui était-il vivant plutôt qu'un autre et pourquoi tout le monde sauf lui semblait craindre la mort ? La mort… Une bonne amie qui ne voulait pas de lui comme amant. Cette entité aux pouvoirs immenses qu'il n'avait jamais pu qu'effleurer lui-même tout en lui faisant des milliers d'offrandes. Qui le fascinait, l'obsédait mais qui en aucun cas ne le terrifiait. Depuis qu'il était tout petit, Dazai rêvait de voir la mort, dans ses rêves elle se présentait sous la forme d'une créature splendide au regard envoûtant et à la silhouette hypnotique et il avait mit du temps à comprendre qu'i n'avait jamais été le seul à la percevoir de cette façon. Longtemps, il s'était cru étrange, différent, tout en se demandant pourquoi sa propre interprétation lui semblait si claire et pleine de sens. Avant de se demander si finalement, ce n'était pas les autres qui s'aveuglaient à cause de leur crainte insensée, entretenue par le reste du monde : un peur viscérale nourrie depuis la nuit des temps et qui pour il ne savait quelle raison avait prit de plus en plus d'importance, au final, Dazai s'était mit à penser que ce qu'ils trouvaient étrange ou dérangeant chez lui renvoyait à leur propre peur, une peur que lui n'avait pas et qui nourrissait la leur.
Une peur grotesque, pathétique. A en crever de rire.
Au fond, le jeune homme se plaisait à penser qu'il ne craignait rien ni personne et surtout pas cette entité supposément maléfique, après tout qu'avait-elle de si horrible que ça, pourquoi fallait-il à tous prix l'éviter ? Qu'ils aillent dire ça aux dépressifs qui ne pensaient qu'au jour où leurs cœurs cesseraient de battre pour mettre fin à leurs souffrances par exemple ! Dazai lui n'était pas dépressif, non, il ne ressentait pas suffisamment d'émotions pour ça. Il en éprouvait même tellement peu qu'il cherchait désespérément chaque jour une raison de continuer à vivre. Etait-ce par simple provocation vis-à-vis de la mort, comme pour jouer au jeu de celui qui craquerait le premier et irait dans les bras de l'autre ? Etait-ce pour ces quelques instants de rire et d'ivresse qu'il partageait avec Chuuya, Rango ou Odasaku le soir, autour d'un verre et d'une musique jazz ? Qu'importe, l'essentiel était que pour l'instant, il se sentait… Presque satisfait d'être en vie. Et puis, ça aurait quand même été dommage de manquer la tronche du rouquin à ses côtés alors qu'il attendait désespérément une réponse avec l'air d'un chaton curieux. Pour un peu, Dazai le trouverait presque mignon.
Il avait toujours adoré le provoquer, depuis qu'ils étaient gosses le brun avait très vite cerné la personnalité impulsive et caractérielle de son partenaire : susceptible, rancunier, vulgaire, revanchard et combatif qui se couvrait toujours la tignasse avec un chapeau trop grand pour lui et ne manquait jamais une occasion de distribuer des coups ou d'au moins piquer une grosse colère… Pas de doute il y avait chez lui ce petit quelque chose d'excitant à titiller, surtout pour un malicieux comme lui.
Et nul doute qu'il en avait parfaitement conscience, c'est d'ailleurs pour cela qu'il anticipa une moquerie de sa part en beuglant :
-Et sois sérieux deux minutes ! C'était une vraie question donc me sors pas une réponse de merde comme t'en as l'habitude.
Dazai eut un drôle de sourire, que ni l'un ni l'autre ne comprirent vraiment. Puis il s'étira en faisant craquer ses muscles dans un roulement d'épaules avant de finalement lâcher, presque avec un pessimisme paresseux :
-Parce que comme ça je me sens vivant.
Il leva son verre qu'il n'avait toujours pas terminé et dont les deux derniers glaçons se battaient en duel au fond de sa liqueur ambrée, y noyant son regard et du même coup les sens de Chuuya. Ce dernier ne comprenait pas trop ce que Dazai essayait de lui dire avec cette phrase, peut-être parce qu'il n'était pas en pleine possession de ses moyens mais cette révélation lui paraissait aussi évidente qu'insensée… Digne de son partenaire en quelque sorte.
-Mettre une balle dans la tête de quelqu'un, détourner de l'argent, annuler les pouvoirs d'une personnage un peu trop dangereuse, faire des rapports au boss de la mafia après m'être soigneusement lavé les mains… C'est juste une routine finalement, j'ai beau faire des choses que les gens jugent horribles ma vie est pas plus passionnante que celle d'un employé de bureau : tout se ressemble, tout est pareil et les missions ont beau être dangereuses elles finissent toujours plus ou moins de la même manière.
-Mais… Qu'est-ce que tu voudrais de plus ? Je sais pas t'as… Chuuya se lécha les lèvres en signe de réflexion, nos missions sont quand même vachement variées et pas vraiment de tous repos, t'as l'air d'oublier facilement toutes les merdes dans lesquelles on s'est foutu et pas plus tard qu'il y a quelques heures.
-Je savais que tu viendrais me sauver.
-Non mais même ! Et puis, t'es chargé de l'entrainement d'un gosse prodige, grâce à toi il va devenir un des membres les plus influent de notre organisation, tout le monde a pas cette chance hein…
Il gardait toujours cette petite pointe d'amertume dans la gorge à l'idée que le boss lui faisait assez confiance pour former double-noir et faire des missions à hauts risques mais pas pour former un apprenti. Dazai eut un léger soupir.
-Akutagawa ? Il a encore beaucoup à apprendre, c'est un gosse sensible. Il en est même pas au quart de son potentiel.
-Bah justement, je te signale que c'est ton rôle de lui enseigner tout ça monsieur je-sais tout mieux que tout le monde.
-Ouais mais…
Il bailla à s'en décrocher la mâchoire.
-ça me fatigue.
Chuuya crut qu'il allait s'étrangler avec sa propre salive devant une telle absurdité ou le frapper tellement il était insupportable.
-Tu te fous de ma gueule ? Tu te plains que ta vie est pas passionnante et deux secondes plus tard tu me sors que quand t'as des responsabilités et des trucs importants à faire ça te fait chier ! Mais tu..
-Bah quoi ? Je vois pas ce qu'il y a de mal à avoir la flemme de travailler.
-T'es qu'un gosse immature ! Franchement je sais pas ce qui me retient de te casser la gueule depuis tout à l'heure alors que tu le mériterais espèce d'abruti.
-Le fait que ta notion d'équilibre soit assez limitée à l'heure actuelle et que tu risques probablement de te faire mal tout seul en essayant de me toucher ? Le taquina Dazai en penchant la tête sur le côté d'un air goguenard.
Chuuya se sentait au bord de la crise de nerf, les disputes avaient pourtant toujours été fréquentes entre eux et ce, depuis plus de dix ans, mais ce soir l'attitude de son partenaire le mettait dans une rage folle : cette éternelle nonchalance, cette façon qu'il avait de tout prendre à la légère même ses questions les plus sérieuses et sincères, le fait qu'il dise ne pas parvenir à se sentir vivant autrement qu'en risquant sa vie… Bordel avait-il seulement conscience que lui était un pilier de l'existence de beaucoup de monde ? Que le môme qu'il entraînait avec une sévérité proche du désintérêt ne cessait de s'entraîner pour tenter de briller à ses yeux ? Chuuya le croisait parfois dans les salles d'entraînements privées de la mafia portuaire et clairement le gosse lui faisait peur : non pas qu'il se sente en danger avec lui bien au contraire, mais Akutagawa ne semblait pas tenir compte de sa santé fragile et passait des heures à taper dans des sacs de sable ou à perfectionner son pouvoir à un niveau tel qu'il s'en rendait malade.
Le jeune homme n'était pas du genre à prendre les faibles en pitié et si le jeunot n'était pas capable de mesurer ses pouvoirs et son admiration pour Dazai et bien c'est qu'il n'avait pas sa place parmi eux et jamais Chuuya ne viendrait prendre la défense d'un miséreux en train de chouiner parce qu'il n'avait pas assez d'attention de la part de son mentor. Cependant… Comment Dazai pouvait-il dire qu'il n'avait pas l'impression de vivre, d'exister ?
C'était à n'y rien comprendre.
Et lui dans tout ça ? Chuuya ne savait pas trop où se placer par rapport à son partenaire de toujours, il avait beau l'insupporter et lui donner de furieuses envie de meurtre 364 jours par an, force était de constater que malgré ses coups de gueule… Double Noir restait un duo dans lequel il était fier d'être et formait en tout une aventure dont, bien malgré lui, il était devenu dépendant. Il s'amusait bien plus aux côtés de Dazai durant leurs missions à hauts risques et responsabilités que lorsqu'il était envoyé en reconnaissance ou pour aller exécuter sommairement quelqu'un d'un peu dérangeant pour leurs affaires. Là au moins Chuuya se sentait utile, les responsabilités ne lui faisaient pas peur bien au contraire et puis… Il y avait quelques fois où le rire et l'adrénaline primait sur les engueulades. Ils formaient plutôt une bonne équipe… A leur manière.
Alors entendre de la bouche de ce même partenaire qu'il ne trouvait pas sa vie passionnante, malgré tout ce qu'ils vivaient chaque jour, lui laissait un goût amer et poids sur la poitrine autrement plus lourd que celui du vin. Et dont il refusait d'admettre la signification. La connaissait-il vraiment au fond ? Avait-il seulement songé à ce bain d'émotions contraires qui flottaient dans son cœur ?
Ses propres pensées lui donnèrent envie de vomir. Ou peut-être était-ce le trop plein d'Alps Wine qu'il avait descendu à une vitesse indécente… Oui, c'était probablement juste ça. Dans les deux cas le reconnaître serait une humiliation alors… Autant partir sur quelque chose qu'il avait déjà pu vivre et dont il était presque habitué plutôt qu'un territoire inconnu et terrifiant, dont il ne maîtrisait aucun code. Encore moins si le visage à moitié momifié et étrangement fascinant de son partenaire venait d'y faire une place.
Ce dernier sembla remarquer son trouble car il haussa les épaules et balaya l'air d'une main presque comme s'il souhaitait chasser cette discussion trop sérieuse pour lui et son immaturité constante, il posa son verre non finit, remis sa veste sur ses épaules et se dirigea vers la sortie non sans lui rappeler d'un air malin :
-Oublie pas de payer.
Non, définitivement, Dazai était le type le plus insupportable et incompréhensible qui pouvait exister.
(…)
Lorsqu'il poussa non sans une certaine maladresse la porte du Blue Bear, la rue était déserte. Les flaques d'eau se brouillaient sous les quelques gouttes de pluie qui s'écoulaient du ciel et étaient éclairées par les lampadaires et leurs lumières trop criardes, un pauvre chien galeux faisait les poubelles du resto d'en face et l'on entendait au loin les sirènes hurlantes de la police de Yokohama, rappel d'une ville et d'une criminalité ne dormant jamais. Et aucune trace de Dazai.
Ce dernier s'était semble-t-il volatilisé, aucune trace de pas sur le bitume, pas même l'odeur flottante d'une cigarette fraichement grillée, rien. C'était comme si son partenaire avait disparu. D'aucun aurait pu croire qu'il s'était éclipsé comme un voleur après leur discussion et que ce dernier en avait tout de même été perturbé malgré son masque d'insouciance et son insolence à lui en claquer une en pleine tête et c'était certes l'hypothèse la plus probable étant donné qu'il était passé maître dans l'art des coups en douces et autres décisions surprises, prenant les autres totalement au dépourvu. Lui-même s'était déjà fait avoir plusieurs fois. Mais bon, aussi bourré soit-il, Chuuya gardait quand même dans un coin de sa tête le nombre de fois où Dazai lui avait joué de sales tours et clairement, celui n'était pas le plus original de son répertoire.
-Tu peux descendre le macaque ? Ou je dois appeler la fourrière pour qu'ils t'embarquent et te fassent passer la nuit en cellule en compagnie de tes animaux préférés ?
-T'oserais pas ! Entendit-il au dessus de sa tête qu'il venait juste de recoiffer de son fidèle chapeau.
-Je vais me gêner !
S'avouant vaincu, Dazai sauta du toit de l'enseigne pour atterrir souplement sur ses pieds juste à côté de lui en éclaboussant son pantalon, la mine boudeuse.
-C'est bon on peut y aller ou t'en as d'autres encore des tours comme celui-là ?
-C'est pas juste ! Comment t'as fait pour deviner que j'étais là haut ?
-Je suis peut-être ivre mais pas débile comme toi pauvre tâche ! Cette blague tu me l'as déjà faite y'a 2 semaines tu pensais que j'allais pas m'en souvenir ?
-Bah…
En réponse à sa provocation, Chuuya lui flanqua un coup de coude dans les côtes, appréciant de l'entendre geindre sous la douleur.
-T'es pas sympa… -Non, maintenant ferme-là et file-moi ton briquet.
Ce dernier se renfrogna mais lui tendit néanmoins l'objet qu'il se dépêcha de saisir pour allumer sa cigarette : c'était probablement la chose qui le détendait le plus après une telle succession d'évènements et d'émotions, il ne se souvenait plus très bien quand est-ce qu'il avait commencé mais il se rappelait en revanche de la façon dont il avait obtenu sa première cigarette, en compagnie de Dazai encore une fois Ils s'étaient amusés à ramasser les mégots pour en récolter les feuilles de tabac restantes avant de les assembler pour former une espèce de roulée qu'il avaient ensuite allumé avec une misérable allumette : le goût avait été infect et ils avaient tous deux vomis leur bile après ça mais ils avaient tellement ris de leur bêtise que Chuuya rangeait directement cet évènement dans la catégorie des bons souvenirs. Est-ce que Dazai le considérait également comme tel ? Après leur étrange conversation de tout à l'heure il n'osait pas le lui demander… Lui qui n'hésitait pourtant pas à l'insulter et lui foutre une ou deux peignes en pleine poire se voyait totalement désemparé à l'idée de simplement poser une question sur leur première clope… Il allait bel et bien finir par se demander si le problème ne venait pas de lui finalement. Déjà que leur communication oscillait entre la fluidité et l'absence de connexion… Attend, venait-il vraiment de comparer leur façon de dialoguer avec un réseau internet ou téléphonique ? Ok, il avait vraiment besoin de dormir et de dessaouler rapidement.
Ils marchaient depuis au moins 5 bonnes minutes dans le désert de la rukelle quand soudain, Dazai se mit à pousser un petit cri plaintif en s'approchant de lui :
-Tu me laisses en tirer une ? S'il-te plaaaaaaaaaîîîîît…
Il avait posé sa tête sur son épaule pour le regarder avec des yeux de merlans frits et les lèvres faussement tremblantes en signe de quémande, ses mains jointes en signe de prière, il ressemblait à un mélange entre un chiot abandonné et une drama-queen. Il le fit dégager d'un mouvement tout en lui tendant la cigarette de sa main gantée, ignorant la légère chaleur qui avait prit place sur ses joues.
-Arrête tes conneries un peu, tu peux pas demander simplement comme tout le monde ou t'es toujours obligé d'en faire des tonnes?
A croire qu'il allait faire un malaise s'il ne faisait pas au moins 3 fois par jours une blague vaseuse, une imitation des plus parodique ou même des actions complètement hors-sujets et de surcroît souvent inappropriées voire totalement débiles. Ce dernier capta la réelle interrogation derrière l'apparent agacement et lui répondit, tout en soufflant lentement la fumée grise hors de ses lèvres pour qu'elle se fonde avec les quelques gouttes de pluie :
-Si je faisais ça, je serais rien de plus qu'un homme ordinaire comme le monde en possède des milliers d'autres rien que dans Yokohama.
-En quoi c'est si mal d'être ordinaire et de pas avoir de caractéristiques bizarres ?
-Je vois pas l'intérêt de vivre alors, si t'existes pas un peu différemment aux yeux des autres ou de toi-même quel est l'intérêt de continuer à te réveiller tous les matins ? Autant avaler une boite de somnifères tout de suite.
Il lui avait répondu avec un tel naturel, la fumée de la cigarette l'enveloppant presque comme une étreinte alors qu'un sourire quasi mystique s'était imprimé sur ses lèvres et que son profil était masqué par les bandages, que cela en devenait presque terrifiant. Presque autant que le constat qui s'imposait à lui : il n'avait rien à répondre, pour contre-argumenter sur ce discours si étrange.
Si…. Logique.
Alors il se contenta de lui reprendre la clope du bec, pour tirer dessus à son tour et tenter d'oublier que toutes ces élucubrations de maniaque suicidaire lui étaient apparues presque sensées le temps d'une seconde. Il avait vraiment besoin de dormir… Et de prendre un dernier verre avant pour être sûr de s'assommer et d'oublier tout ça.
Alors qu'il marchait le jeune homme se laissa happer par le bruit de ses pas résonnant sur le bitume, les quelques éclaboussures que cela provoquait parfois lorsqu'il ne remarquait pas une flaque d'eau et l'écho qui se répercutait dans toute la rue lorsque son talon entrait en contact avec le sol : c'était à la fois un son relaxant et quelque peu terrifiant : en effet, ainsi concentré sur le seul bruit qu'il produisait il occultait tout le reste et semblait ainsi seul au monde, dans ce quartier, dans cette rue, dans sa vie aussi finalement.
Car les mafieux avaient beau faire équipe entre eux et entretenir un semblant de vie sociale, leur métier ne leur permettait pas de construire une quelconque stabilité relationnelle que ce soit amicalement ou sentimentalement parlant : la plupart de ses connaissances étaient des collègues que Chuuya ne pouvait se résoudre à appeler des amis et quant aux sentiments cela faisait un certain temps qu'il n'avait pas fréquenté de femmes et d'ailleurs les rares relations qu'il avait entretenu par le passé n'avaient jamais duré bien longtemps et s'étaient souvent limitées à des corps à corps passionnés plus qu'à un partage de sentiments. D'ailleurs cela faisait combien de temps qu'il n'avait pas senti la brûlure d'un baiser sur ses lèvres ou sa peau ? Le contact de quelqu'un effleurant son corps autrement que par des coups ? L'Alcool aidant, le jeune homme se sentit soudain en manque, de ces petites choses qui vous faisaient vous sentir beau, désirable, brillants et peut-être même important aux yeux de quelqu'un. Il doutait sincèrement qu'un jour une tierce personne ai pu éprouver de l'amour à son égard, du genre à vous faire éclater le cœur rien qu'à la vue de l'être qui l'occupait nuit et jour, lui-même d'ailleurs n'avait jamais éprouvé cela pour personne et bien qu'il n'en éprouve pas particulièrement l'envie, parfois, ces petits désirs venaient le titiller et lui rappeler cette solitude à laquelle il était condamné de par son statut social et son métier.
Sans en être triste, cela lui fit néanmoins un petit pincement désagréable à l'estomac dont il se sentit légèrement honteux. Il était un mafieux et un criminel merde, pas une collégienne en attente du prince charmant ! Est-ce que Dazai éprouvait ce genre de chose lui aussi ? Vu son amour pour les jolies filles il avait déjà du se sentir en manque de gestes de tendresse ou de désir mais pour ce qui était de l'amour, avait-il déjà envisagé sa vie auprès d'une femme qui l'aimerait et dont il comprendrait les sentiments ? Sans pour autant parler d'amour après tout il s'agissait de Dazai, le type incapable de faire la différence entre le bien et le mal, qui s'amusait à se jeter d'un pont au moins deux fois par jours et qui était d'un égoïsme absolu… Le genre incapable de tomber amoureux de qui que ce soit mais qui pouvait pourtant faire preuve d'un romantisme presque fleur bleue auprès de certaines demoiselles, combien de fois l'avait-il vu s'extasier sur le charme d'une femme y compris dans des gangs rivaux ou même des policières ?
Est-ce que lui aussi, parfois, éprouvait-il ce genre de faiblesse typique du genre humain et dont il n'avait jamais eu l'air d'être entièrement rattaché ?
Lorsque son regard croisa malencontreusement celui de son acolyte alors qu'il lui repiquait sa cigarette d'un air moqueur, Chuuya réalisa soudain qu'il pensait beaucoup trop à lui et à ses sentiments, pourtant il ne se souvenait pas y avoir réfléchit plus que cela auparavant et ce malgré les très nombreux soirs où il avait finit au bar en sa compagnie avec un coup dans le nez. Il ne comprenait pas trop ce qu'il y avait de si spécial pour que son esprit embrumé ne cesse d'y revenir depuis ces quelques heures. Dazai se sentait d'ailleurs étourdit d'amusement, il ne savait pas exactement ce qui se tramait dans la tête de son partenaire mais une chose était certaine : il était troublé et pas qu'à cause de l'alcool, à force de le voir et le revoir ivre depuis leurs 15 ans le suicidaire savait reconnaître les émotions qui pouvaient le traverser lorsqu'il picolait un peu trop, généralement ce dernier s'énervait encore plus rapidement qu'à l'accoutumée et cela finissait en bagarre avec lui ou un type quelconque dont il n'avait pas digéré une remarque, très souvent d'ailleurs il se retrouvait à l'arrêter avant qu'il ne perde le contrôle de ses pouvoirs, non pas que cela ne soit pas amusant de voir Chuuya tout défoncer en poussant des beuglements de rage envers la terre entière avec des insultes comme ponctuations pour chacune de ses phrases mais il ne tenait pas spécialement à repasser derrière lui pour réparer ses conneries après coup et puis au fond, le rouquin ne méritait quand même pas de finir dans un tel état, l'humiliation était déjà suffisante selon lui.
Et surtout quel intérêt ? Il lui assurait déjà pleinement le spectacle en tenant à moitié debout ou en baragouinant des phrases sans aucun sens tout en pestant contre lui et son sourire moqueur.
Au fond Dazai n'avait pas vraiment besoin de plus pour s'amuser.
Ils marchèrent en silence pour le reste du trajet, se laissant l'un comme l'autre bercer par le bruit des quelques gouttes s'écoulant sur les dalles de la ville tout en savourant la chaleur réconfortante des lampions éclairant les quelques enseignes encore ouvertes, un peu comme des phares au milieu d'une tempête en mer, celle perpétuellement agitée qu'était Yokohama, le berceau du crime où nageaient bon nombre de requins prêts à tout pour servir leurs intérêts et s'enrichir, tuant sans pitié les quelques malheureux poissons se trouvant sur leur route.
La métaphore avait de quoi faire sourire et pourtant elle était on ne peut plus véridique : combien de types y compris des camarades s'étaient noyés ou fait dévorés par gourmandise, à cause de leur appétit pour l'argent, la gloire ou le crime leur ayant fait oublier que quelle que soit leur soif ils n'iraient pas bien loin s'ils ne savaient pas bien nager dans les eaux troubles de la ville si particulière. Une ville pourrie, puante, où l'on ne devait pas sortir une fois la nuit tombée si l'on tenait à la vie et où certains quartiers étaient carrément devenus des sanctuaires infranchissables où l'on devait au minimum payer de sa vie pour en sortir, une ville où l'on ne sortait jamais vraiment de ses profondeurs en fin de compte, on survivait en inspirant parfois de grandes goulées d'air en espérant un jour atteindre des eaux plus douces.
Pour eux deux comme tant d'autres criminels, la solution s'était rapidement imposée à eux comme une évidence : quitte à rester à jamais embourbé dans cet enfer, autant faire en sorte d'en maîtriser les moindres courants et d'ainsi, en toute discrétion et subtilité, s'y faire souverain. Il faudrait être aveugle ou stupide pour ne pas savoir que c'était la mafia qui gérait Yokohama, des trafics alimentaires en passant par les combats clandestins, la drogue ou la prostitution leur organisation n'était jamais bien loin et si dans leurs cas ils étaient assez bien placés dans l'organisation pour éviter de prendre en charge les affaires les plus dégradantes ou indignes de leurs talents, pour beaucoup d'autres qui n'avaient pas trouvé d'alternatives ils se voyaient embarqués dans des affaires criminelles infâmes mais payées suffisamment pour pouvoir s'assurer un appart avec de l'eau et de l'électricité et le tout pendant 3 mois avant qu'ils ne se fassent buter et qu'on ne les remplace. C'était ainsi que la machine avait toujours fonctionné et avait été semble-t-il construite en même temps que la ville, elle en était au final le rouage principal et c'était ironiquement son fonctionnement qui la faisait tourner le tout dans un subtil jeu d'équilibre.
Le bruit de son mécanisme semblait bercer chaque soir les habitants, agrémenté de pas solitaires résonnant sur des dalles humides comme les leurs en ce moment. Ce soir, seuls dans les rues éclairés par quelques lanternes crépitantes, leurs longs manteaux humides de pluie et la poitrine brûlante à cause de l'alcool, ils nageaient dans ces eaux troubles avec une aisance presque naturelle. Grisante.
Unique. Qui leur appartenait et dont ils osaient même être fiers.
Chuuya glissa sur une flaque et Dazai lui attrapa le bras pour l'empêcher de tomber, étrangement le rouquin se sentit en paix à l'idée de savoir son acolyte auprès de lui pour le retenir. Il ne sut d'ailleurs vraiment pourquoi mais ce dernier ne le lâcha que quelques mètres plus loin, l'empêchant ainsi de retenir cette drôle de fièvre montant à ses joues et jusque dans son crâne.
-Tombes pas, lui souffla le brun d'un ton moqueur près de son oreille, ça m'embêterait de te reconstruire la face.
-La ferme.
Perdait-il l'esprit ? Venait-il vraiment de sentir ses reins le brûler en écoutant sa voix dont l'écho semblait se répercuter à l'infini contre ses tympans ?
Je suis ivre… Se disait-il pour la centième fois au moins.
Il était ivre oui. Certainement. Mais pouvait-il affirmer que cela lui avais déjà effleuré l'esprit les quelques cinquantaines de fois précédentes ?
Il n'osait pas tenter d'y répondre et de toute manière son esprit était bien trop brumeux pour ça. N'empêche… Dazai avait le sourire de celui qui a une idée derrière la tête et souvent c'était aussi celui où s'apprêtait à lui jeter un sale tour. Il n'aimait pas ça.
-Tu me parles mal Chuuya… Moi qui suis pourtant si gentil.
-Le jour où t'entendras quelque chose de sympa de ma part et surtout pour toi je veux que tu me butes, ça voudra dire que ma santé mentale se sera trop détériorée. Tu voudras bien faire ça pour moi ?
-Ce sera avec plaisir.
Tous deux s'esclaffèrent après ce pacte mine de rien assez lourd de sens tout en titubant à moitié : même si Chuuya était clairement en état d'ébriété assez avancé et que sans Dazai il n'aurait probablement pas retrouvé le chemin de son appartement, ce dernier devait tout de même ressentir les quelques légers effets de l'alcool sur son organisme, ce qu'il embrassait d'ailleurs avec joie : il aimait bien cet entre-deux, où l'on n'était pas encore bourré mais plus très sobre non plus, encore conscient des détails de chaque chose et assez éclairé pour tenir une conversation pleine de sens mais néanmoins légèrement euphorique, léger et presque porté tendrement comme du coton. Une drôle de sensation intermédiaire que le suicidaire chérissait de tout son cœur et qu'il se faisait un plaisir de provoquer avec une certaine maîtrise à chaque fois qu'il se rendait au Blue Bear, sachant d'avance que son partenaire franchirait copieusement la ligne avant même de le comprendre.
Ils passèrent devant une enseigne et Chuuya lui dit d'un ton cynique :
-Tu te rappelles quand on avait 14 piges et qu'on a aterrit dans ce karaoké moisi ?
-M'en parles pas, je veux plus jamais retourner là-dedans !
-Pourquoi on y avait été déjà ?
Dazai pouffa.
-L'alcool te rends sénile en plus d'être con ? On s'était fait engueuler parce qu'on avait foiré une mission et on avait voulu boire un verre pour oublier mais aucun bar n'a voulu de nous même ceux en lien avec la Mafia, alors on a été ici et on a chanté des génériques de séries télés ringardes.
-Mouais, j'crois plutôt que j'ai voulu l'enlever de ma mémoire tu vois ?
Chuuya n'avait aucune envie de se rappeler une telle humiliation pour eux, les ados promis à un grand avenir au sein de la pègre et finissant leur soirée dans un karaoké pour geek...On aurait vraiment dit le début d'une mauvaise blague. Celui-là il le rangeait donc selon sa propre logique dans la catégorie des souvenirs… Mitigés, était-ce un souvenir rendu drôle avec le temps ou toujours aussi naze ? Il ne saurait le dire et pourtant, il ne put retenir un sourire presque nostalgique que son acolyte partagea également.
Ni l'un ni l'autre ne protestèrent donc lorsque Dazai se mit à chantonner un air de dessin animé dont ils auraient été chacun incapables de dire le nom mais qui, sur l'instant, leur parut être la meilleure musique du monde. Tantôt ils restaient bas, tantôt ils s'amusaient à pousser quelques notes de façon plus aigüe et bien évidemment assez fausses non sans accompagner le tout de quelques éclats de rire complètement stupides. Ils se cognèrent dans une poubelle et la renversèrent en plein sur la route, ce qui augmenta leur hilarité et finit par réveiller un voisin qui leur beugla depuis sa fenêtre :
-Eh c'est pas bientôt fini ce boucan ? Fermez-la ou je viens vous faire bouffer ces déchets !
-Cause toujours papy ! Le provoqua Dazai en ne daignant même pas relever la tête pendant que Chuuya dressait son majeur dans sa direction.
Ils se sentaient comme des adolescents, des gosses qu'ils n'avaient au fond pas vraiment eu le temps d'être.
C'était bien. Un peu triste au fond, mais bien. Grisant même. Unique.
Finalement, ce n'est qu'au terme de cette incroyable reprise qu'ils réussirent à atteindre l'immeuble du rouquin, ce dernier habitait un petit quartier discret où se battaient en duel trois pauvres enseignes dont deux gérées par la mafia et qui abritaient toutes sortes de pratiques douteuses, le dernier étant un restaurant très fade mais qui par chance faisait livraison à domicile et qui par conséquent lui avait déjà sauvé la mise un paquet de fois. Après avoir passé les derniers mètres à rigoler en sa compagnie, Chuuya se sentait plus léger : néanmoins les interrogations qui l'avaient habité ce soir-là restaient présentes dans son esprit et le malaise qu'il avait ressenti à certains moments ne s'était pas dissipé et sembla lui revenir violemment à la figure alors qu'ils s'apprêtaient à clore cette virée entre acolyte… Il avait l'impression d'avoir passé un moment unique cette fois-ci alors qu'ils avaient déjà finis leurs soirées de cette manière un nombre incalculable de fois (quand Dazai ne le laissait pas simplement cuver à même le sol), peut-être était-ce à cause de son assassinat qu'il avait avorté quelques heures plus tôt et dont il avait vu le plaisir dans les yeux du brun, peut-être parce que ce dernier lui avait confié brièvement ses ressentis vis-à-vis de la mort et à quel point il en était fasciné, obsédé même, presque autant que son désir d'être unique et de vivre dangereusement qui se situait à la limite de l'étrange voire du dérangeant.
Et puis tous ces souvenirs, toutes ces choses qu'ils s'étaient rappelés… Tout ce que Chuuya avait oublié d'omettre, encore une fois à cause de l'alcool évidemment… Il se sentait... Perdu, un peu confus même et une étrange amertume vint s'abattre sur lui en même temps qu'une sensation indescriptible de légéreté.
-Tu vas réussir à monter tes marches tout seul ?
Putain, il en ratait vraiment pas une ce con.
-Tu me prends pour qui sale merdeux? Lui cracha-t-il dessus.
-Pour un rouquin trop petit avec un grand chapeau ridicule et qui a un petit coup dans le nez !
Son rire était moqueur, plein de vice et de farces un peu comme celui d'un arlequin et pourtant, durant quelques secondes il sonna aux oreilles de Chuuya comme une mélodie très claire. Puis son amour propre prit le dessus, rendu peut-être encore plus à fleur de peau à cause du vin… Peut-être.
-Mon chapeau n'est pas ridicule !
-Tu veux rire t'as vu la tête que ça te fais ? Tu peux pas vraiment aimer ces trucs là, si ?
-Et pourquoi pas?
- Ca doit forcément cacher quelque chose, tu perds déjà tes beaux cheveux roux ?
-Je t'emmerde tête de con ! S'écria-t-il rageur en l'attrapant par son imper tout en se mettant sur la pointe des pieds avec déséquilibre, t'es qui pour juger mon style vestimentaire avec ton sparadraps sur la tronche? On dirait une momie qui a pas finit son rituel alors t'as rien le droit de dire sur comment je m'habille, donc tes remarques de merde tu les gardes pour ta sale gueule et tu laisse mon chapeau et mes cheveux tranquilles compris!?
Sa réaction était exagérée et complètement ridicule, il le savait, seulement à l'instant Chuuya avait l'impression de n'avoir jamais été aussi vexé et blessé par une remarque sur son physique et pourtant Dazai passait son temps à se moquer de lui et de sa passion pour les chapeaux, mais ce soir étrangement la remarque n'était pas parvenu à dépasser le stade d'amertume au fond de sa gorge. Ce dernier était d'ailleurs au bord de l'implosion, il avait beau tenter de se pincer les lèvres le rouquin devinait aisément qu'il se retenait de ricaner comme une hyène, de plus, il ne quittait pas son regard des yeux et cela le troublait plus qu'il ne voulait bien l'admettre. Car Dazai avait toujours eu un regard perçant, c'était un fait avéré depuis qu'ils étaient gosses : le brun de ses yeux presque noirs donnait à son regard un ton très profond, abyssal presque, dans lequel on avait l'impression de se perdre si l'on y restait fixé trop longtemps. Et là, Dazai semblait visiblement vouloir communiquer via cette arme, l'une de ses plus grandes d'ailleurs.
Ils se regardèrent en chien de faïence avec pour seule musique le bruit des gouttes se fracassant depuis le ciel, lui toujours énervé et son comparse le sourire aux lèvres, cependant quelque chose se dégageait de ce dernier, quelque chose de différent, comme si l'atmosphère avait changé. Soit il délirait complètement soit Dazai avait perdu l'esprit, mais ce sourire était inhabituel et même un petit peu gênant.
-Qu'est-ce que t'as à me sourire comme ça ?
Le brun le dévisagea un petit moment, quelques secondes tout au plus mais qui lui semblèrent des heures : son regard s'était fait noir et pourtant une drôle de lueur y brillait comme si les quelques lanternes présentes dans la rue avaient élu domicile au fond de ses yeux, il avait ce fameux sourire en coin désagréable avec cette fossette un peu capricieuse qui venait titiller sa joue gauche et déformait son bandage trop serré autour de son crâne, les quelques gouttelettes qui s'écrasaient sur leurs vestes et chantonnaient de leur léger clapotis sur le bitume donnait à l'instant une atmosphère un peu étrange.
Ses oreilles bourdonnaient.
-Dazai ?
Ce dernier eut un petit rire et pendant un instant Chuuya crut que cela allait marquer la fin de cette entrevue légèrement inhabituelle. Puis sans qu'il ne comprenne réellement ce qui se passe, il le vit se pencher vers lui et capturer avec avidité ses lèvres.
Abasourdi, comme paralysé, le jeune homme se sentait emprisonné dans une toile infiniment collante et chaude alors que dans une passion presque tendre le brun caressait ses lèvres des siennes, les humidifiant en les parcourant de sa langue au goût amer, piquante et étrangement pleine d'autres saveurs dont il ignorait l'existence. De sa bouche jusque dans ses reins, Chuuya sentait comme une nuée d'insectes lui chatouiller le corps, galoper dans son ventre pour se nicher au creux de ses reins, une sorte de fourmillement bizarre dont il aimerait se défaire sans pour autant en avoir la force, ni même une réelle envie. Et sans qu'il ne comprenne pourquoi, absorbé par la chaleur et la douceur que provoquait le baiser que son acolyte lui offrait, Chuuya entrouvrit les lèvres. La langue de Dazai vint immédiatement trouver sa jumelle alors qu'il saisissait en même temps son visage en coupe, l'entourant comme pour approfondir leur contact, il s'amusa à provoquer celle passive du rouquin en la titillant, la caressant et en lui mordillant même le bout des lèvres parfois, goûtant la saveur du vin encore présente pour y mêler celle du scotch, ils se laissaient porter par le désir de sentir plus et de découvrir l'autre, celui de ne former qu'une entité paumée, brûlante éclairée par trois pauvres néons, rendue humide par la pluie et avide d'assouvir ses pulsions les plus primaires, brutales, sauvages, incohérentes… Mais aussi charnelles, et nécessaires. Doucement mais avec fermeté, Dazai pressa plus fortement ses lèvres contre les siennes, les agrippant entre ses dents tout en apaisant la seconde d'après cette brûlure avec la caresse de sa langue, il menait entièrement ce ballet sensuel que Chuuya essayait désespérément de comprendre, à défaut d'avoir la force de le repousser.
Puis il sourit contre ses lèvres lorsqu'il se mit à gémir.
Aspiré dans ses filets et absorbé par cette onde de désir qui électrifiait leurs corps, Chuuya ferma les yeux. Savourant chaque secondes avec un plaisir mêlé de honte, coupable mais exalté. Brûlant de désir.
La pluie sonnait à ses oreilles comme un tambour battant au même rythme que son cœur dans sa poitrine, il n'entendait plus rien, ne sentait rien d'autre que la caresse de Dazai sur sa bouche comme si elle se propageait partout en lui, jusque dans ses orteils, ses entrailles, ses os, sa chair. Son âme. L'instant passa comme quelques secondes d'éternité situées hors du temps avant que lentement, comme à regret, le brun ne se détache de lui en prenant bien soin de laisser l'empreinte brûlante de ses lèvres contre les siennes. Sans jamais quitter son regard, il se les humidifia avec de murmurer d'un ton rauque :
-Fais de beaux rêves… Partenaire.
Puis il disparut. D'un coup, son imper noir humide plaqué contre son corps, Chuuya observa sa longue silhouette se fondre parmi les ombres pour s'y engouffrer totalement, disparaissant tel un spectre mystérieux, angoissant et fascinant à la fois. Désormais, le jeune homme se trouvait seul au milieu de la nuit et de la rue, avec l'impression de sortir d'une transe.
Il avait du mal à respirer, ses lèvres le brûlaient et il avait l'impression qu'un nœud s'était formé dans son ventre en même temps que le bas de son dos s'éveillait pour chatouiller ses sens. Ses jambes semblaient faites de coton. Et son sang de lave. Sa poitrine, elle, restait irrémédiablement comprimée, alors qu'il restait planté là, à attendre une réponse ou un retour qui ne viendrait jamais. Seul, au milieu des gouttes de pluie, des lanternes et des poubelles. Perdu.
(...)
Cette nuit-là, Chuuya fit un rêve.
Il avait chaud et se sentait flotter dans une bulle d'ivresse aux parfums bruts, sauvages, puissants. Les parfums de la luxure. Une musique jazz tournait dans sa tête en même temps qu'elle se couplait à des soupirs d'extase. La fièvre parcourait son corps en sueur, aussi légère que la caresse souple d'un amant mais avec la puissance du désir charnel, animal. Celui qui, souvent tabou, s'éveillait le soir pour jouir d'une liberté qu'il n'avait jamais eu le luxe d'acquérir et que personne ne souhaitait lui offrir.
Ses lèvres avaient le goût de l'alcool... Du whisky.
J'aime beaucoup Chuuya, c'est un personnage que je trouve très attachant dans ses réactions et sa façon très spontanée de parler et d'agir! :3 Je le trouve presque adorablement mignon à tenter de s'imposer du haut de ses 1m60 et de son grand chapeau (d'ailleurs même comme ça il arrive à être sacrément sexy c'est fou)!
En tout cas c'est l'un de mes personnages favoris de l'animé (même si rien ne détrônera jamais mon Ranpo chéri... 3) et puis Dazai bah... C'est Dazai, personnage fascinant avec une fanbase longue comme le bras (ne mentez pas les gens je sais que vous êtes là... ;), j'adore écrire sur lui.
Bref, on se retrouve très bientôt pour la partie 2, j'espère que cet avant-goût vous a plu et je vous embrasse tous!
Misytarrow.
