La dernière chevauchée de Zorro.

Chapitre1 : Une réunion qui tourne mal

L'effervescence régnait à l'hacienda De la Vega en ce début de juillet de l'an 1821. Don Alejandro donnait des ordres à en perdre la tête tandis que Diego aidait à la préparation de la réunion. Il est vrai que ce n'était pas tous les jours que l'hacienda recevait le Gouverneur et le vice-roi en même temps. Cette réunion n'était pas le fruit du hasard ou une idée de don Alejandro, non point du tout.

Le vice-roi, resté contact avec les De la Vega depuis l'affaire Monastario, avait de mauvaises nouvelles à évoquer et un choix à faire concernant non seulement Los Angeles, mais aussi La Californie toute entière et la sagesse lui disait que ce choix ne lui appartenait pas. De ce fait et en accord avec Don Alejandro, mais sans en expliquer le pourquoi, il avait décidé d'organiser une rencontre avec les principaux propriétaires terriens de Los Angeles, le gouverneur et l'alcade ; et ce, chez les De la Vega, pour plus de « sécurité ».

Bien que la réunion n'ait été ébruitée à Los Angeles que le jour même, les citoyens sentaient bien que quelque chose se tramait. Rien qu'au cuartel les manœuvres se faisaient plus nombreuses, et le sergent Garcia prenait à cœur son rôle de commandant suppléant, plus que de coutume. Depuis le début de l'année, les agressions et les vols semblaient avoir diminué et la sécurité semblait assurée à Los Angeles. Il y avait bien quelques heurts entre citoyens bien éméchés ou avec des étrangers, mais rien de méchant en général.

Même Zorro ne s'était pas montré depuis l'enquête qui avait suivi l'agression de Don Diego en janvier dernier. Ce dernier avait retrouvé la trace des bandits et les avait menés au pueblo avec un conseil pour le sergent. Il fallait qu'il se prépare et qu'il prépare ses hommes car ces deux bandits n'étaient que la partie visible d'un plus grand complot. Le sergent avait appris à suivre les conseils du hors-la-loi et il ne doutait pas que ce dernier était encore sur cette affaire.

Ce jour là, le sergent devait assurer la sécurité à l'hacienda à la demande du vice-roi. Bien entendu le sergent avait accepté avec ferveur sans chercher à comprendre ce qu'il se passait. Mais lorsqu'il voulut en apprendre davantage, il s'inquiéta un court instant, doutant de la capacité de ses hommes. La veille, Don Diego lui avait remonté le moral, lui faisant comprendre qu'il ne fallait pas qu'il doute de ses hommes et qu'ainsi tout irait bien… Le sergent donna ses ordres au caporal Reyes qui allait devoir tenir le cuartel en son absence… Puis il fit passer le mot aux autres lanciers, leur expliquant le but de la manœuvre, ce, sans se douter qu'une paire d'yeux bienveillants l'observait depuis une diligence.

— Êtes-vous certain qu'il soit prudent de faire assurer la sécurité par le sergent Garcia ?

— Voyons, gouverneur… Il n'en a pas l'air ainsi, mais le sergent est un bon élément, expliqua le vice-roi

— Mais le capitán pourrait… tenta le gouverneur.

— Le capitán n'a pas encore officiellement reprit son service à Los Angeles, l'interrompit le vice-roi.

— Je ne reprends mon poste que demain, souligna celui-ci souriant. De plus, je partage l'avis du vice-roi… Le sergent Garcia est un peu lent à comprendre certains faits, mais c'est un bon soldat.

— Un bon soldat qui n'a jamais arrêté Zorro ! râla le gouverneur.

— Croyez-vous réellement que Zorro soit un hors-la-loi ordinaire ? interrogea le vice-roi surprenant le capitaine tandis qu'il toquait à la paroi pour faire partir la diligence.

Au même moment le sergent fit partir ses hommes et ils suivirent la voiture.

— Pour ma part, intervint l'officier, Zorro protège le peuple à sa façon. C'est un homme avisé, rusé et sage.

— Sage ? Ce hors-la-loi ! Est-ce sage que de refuser une amnistie ? demanda le gouverneur.

Refuser une amnistie ? songea le vice-roi.

— Que voulez-vous dire ? questionna le capitán

— Il y a quelques temps, Zorro était à Monterey… Je lui ai proposé une amnistie contre laquelle il devait se démasquer et arrêter ses agissements. Ainsi libre, il aurait très bien pu fonder une famille...

— Et il a refusé, dites-vous, s'étonna le capitán.

— Tout à fait, mais j'ignore ses motivations.

— Ensuite, que s'est-il passé ? demanda le vice-roi voulant en apprendre davantage.

— Lorsque le délai fut passé, Zorro arriva. Et bien sûr, les lanciers l'ont alors poursuivi un temps… Quant à ses actions, je n'en sais pas plus. Il semble qu'il soit retourné sur Los Angeles.

— Le sergent vous a-t-il fait des rapports négatifs à son sujet ? interrogea le vice-roi.

— A bien y réfléchir, le seul rapport négatif à son sujet est celui qui concerne la mort du capitán Felipe Arrellanos.

— Je suppose que vous n'avez pas ce rapport avec vous.

— En effet, capitán. Mais sans doute pourrez-vous lire l'original demain dans les quartiers du comandante. Cela s'est passé il n'y a pas si longtemps. J'étais en convalescence chez les De la Vega et le capitán Arrellanos me remplaçait durant mon repos. Ma fille, Doña Leonar, était avec nous. D'après elle, Zorro m'aurait sauvé la vie et le capitán aurait été mêlé à une sombre histoire.

En ce cas Zorro ne devrait pas être mal perçu… Il faudrait que j'éclaircisse cette histoire. Sans doute le sergent n'a pas eu tous les éléments en mains, songe le vice-roi.

— Qui avez-vous sommé pour la réunion ? interrogea le gouverneur changeant de sujet.

— Les principaux propriétaires terriens de Los Angeles, l'alcade… Je ne suis rentré dans les détails de la réunion avec aucun d'entre eux. Le sujet de discussion est trop important pour tenter les personnes malveillantes qui intercepteraient les lettres. Don Alejandro De la Vega connaît bien tous les autres propriétaires, c'est pourquoi j'ai souhaité que cette réunion ait lieu chez lui.

— Le sergent est-il au courant de la situation ? questionna l'officier.

— Non. Le seul ordre de mission qu'il ait reçu est la protection des dons chez le señor De la Vega. Il sait aussi que vous serez là, gouverneur. Par contre, il ignore la présence du capitán aujourd'hui.

— Ne serait-il pas préférable qu'il participe lui aussi à la réunion ?

— Le sergent sera mis au courant de la situation en temps voulut, capitán, soutint le vice-roi.

La diligence s'arrêta devant l'hacienda des De la Vega et le sergent arrêta ses hommes. Sitôt pied à terre, il alla ouvrir la porte de la diligence et les salua.

— Vice-roi, Gouverneur, capitán Toledano… Capitán ! répéta-t-il surpris et bouche-bée.

— Voyons, sergent, fermez-moi cette bouche, vous allez avaler les mouches, ironisa le capitán. Vous auriez dû le prévenir, Vice-roi, dit-il ensuite souriant tandis que le sergent reprit son sérieux, au garde à vous plus que nécessaire.

Don Alejandro vint alors les accueillir et les conduisit dans le salon où se trouvaient déjà Don Cornelio et Don Nacho. Lorsque la señorita De Castillos arriva, ce fut la surprise pour le vice-roi et le gouverneur.

— Salena ! s'exclama Diego l'accueillant à bras ouverts avant de lui faire un baisemain.

— Buenas tardes, Diego, Señores, dit-elle en faisant la révérence.

— Señorita, rétorqua le vice-roi avant de se tourner vers Don Alejandro.

— Vice-roi, Doña Salena représente la famille De Castillos. Elle a pris la suite de son père après sa disparition.

— Sa disparition ? Le señor De Castillos serait décédé ? s'étonna le gouverneur.

— Si, votre Excellence. Mon père a été assassiné… Ce que Don Alejandro ne vous a pas dit c'est qu'il est actuellement mon tuteur et le copropriétaire.

— Est-ce vrai ? demanda le vice-roi surpris.

— Tout à fait… Mais Doña Salena a bien repris l'affaire de son père. Je ne fais que superviser les opérations principales. Elle reste tout autant concernée, que nous autres propriétaires, par ce qui arrive.

Le vice-roi sourit au commentaire tandis qu'il remarquait l'échange de regards complices entre la señorita et Diego. Lorsque les derniers dons arrivèrent, chacun prit place autour de la table.

— Señores, Señorita, je vous remercie d'avoir répondu présent à mon appel. Je suis certain que la plupart d'entre vous se posent des questions sur cette réunion tout comme d'autres doivent se douter du sujet… En principe, celui-ci est censé rester entre mes mains… Mais la situation est trop grave et la décision ne m'appartient pas.

Les dons le regardèrent avec plus ou moins d'étonnement.

— Vous n'êtes pas sans savoir que Mexico est secoué par la révolte et celle-ci se propage comme une traînée de poudre.

— Nous sommes assez loin de Mexico, fit remarquer un don.

— L'armée mexicaine est menée par le général Santa Anna. Nul besoin de vous préciser de qui il s'agit ou ce dont il est capable.

Soudain à l'extérieur…

— Lanciers aux armes ! s'écria le sergent sabre en main tandis que des bandits envahissaient le patio.

Tous étaient masqués. Celui qui devait être le « leader » arborait une barbiche. Il désarma le sergent sans difficulté et sans lui faire de mal. Puis il continua son avancée vers l'hacienda.

— Que se passe-t-il dehors ? s'exclama le gouverneur.

— Señores, préparez-vous à sortir vos armes ! s'exclama Don Alejandro en se levant, imité par Diego, suivi de Salena.

Lorsque la porte de l'hacienda s'ouvrit, le capitán Toledano sortit son arme, les dons se levèrent et Diego fit reculer Salena. Le bandit masqué localisa sa proie rapidement malgré le monde. Il remarqua le jeune De la Vega dans un coin, faisant mur devant une charmante señorita. De la Vega senior chargea sans attendre, mais un second bandit s'interposa, permettant à son « chef » de continuer de son côté.

Le « chef » s'approcha vivement du vice-roi, prêt à le pourfendre. C'était sans compter sur la réaction du capitán Toledano qui intervint alors. D'autres bandits entrèrent et occupèrent les dons. Diego mourait d'envie de disparaître pour mieux réapparaître de noir vêtu. Mais le temps jouait contre lui et la situation n'était pas à son avantage.

Salena ressentit la tension de son ami et posa ses mains sur son dos pour mieux disparaître derrière lui, lui faisant ainsi comprendre qu'il devait rester là, impassible alors que le « chef » des bandits se démenait contre le capitán. La joute était serrée, féroce.

— Vous vous défendez bien, Señor, s'exclama le bandit masqué.

— Je vous retourne le compliment, Señor, sourit le capitán.

Dans le même temps, Don Alejandro s'était débarrassé de son adversaire et s'approchait de son fils.

Zorro ? questionna-t-il du bout des doigts.

— Difficile, Père, rétorqua Diego en indiquant le monde dans le salon.

Le bandido, grièvement blessé par Don Alejandro, se releva, pistolet en main tandis qu'il se tenait le torse. Il localisa le don et sourit malgré sa douleur.

Je ne serais pas le seul à partir aujourd'hui, songea-t-il.

Diego perçut le danger, mais plaquer son père au sol, c'était offrir Salena en guise de cible et, ça… Il en était hors de question. Son père était devant lui, à sa gauche, il pouvait très bien le bousculer vers sa droite, mais en restant sur place cela paraissait improbable…

Parallèlement, l'adversaire du capitán Toledano aperçut lui aussi le danger qui menaçait le señor De la Vega. Sans changer son jeu, il fit en sorte de « subir » les assauts du capitán pour mieux se rapprocher de son « collègue ». Lorsqu'il parvint à ses côtés, il le bouscula « involontairement », mais le coup de feu partit tout de même et résonna dans l'hacienda.

Don Alejandro, que Diego avait réussi à faire bouger en continuant de lui parler, se tourna et vit le tireur qui s'effondrait, son arme déjà à terre. Il remarqua ensuite le capitán et son adversaire. Salena avait senti Diego se crisper lors du tir et ce dernier ressentait une douleur naissante dans son bras gauche.

— Diego… Il faudrait songer à mettre un terme à la mascarade. Les temps changent, tu ne devrais plus avoir à te cacher… Le Renard devrait pouvoir agir légalement et ouvertement, soupira Don Alejandro en un murmure et sans se retourner, avant d'aller prêter mains fortes à ses amis.

Une fois son père un peu plus loin, Diego se retourna vivement vers Salena.

— Tout va bien, Salena ? interrogea-t-il avec une pointe d'inquiétude en la dévisageant.

— Oui, mais vous… rétorqua-t-elle en lui indiquant sa blessure.

— Ce n'est que superficiel… Dieu merci la balle ne vous a pas atteint… J'avais peur qu'elle ne continue son chemin.

— Diego… Votre père a raison. Vous ne devriez plus vous cacher.

— C'est une situation compliquée, Salena. Vous le savez tout aussi bien que lui.

— Diego ! s'écria subitement Salena tandis qu'un bandit s'approchait d'eux dangereusement.

Au même moment, les lanciers encore en état entrèrent à leur tour dans l'hacienda et les bandits se retrouvèrent en sous effectif.

Diego attrapa un tisonnier et s'en servit pour parer les attaques de son adversaire.

— De la Vega, siffla-t-il de rage devant l'impertinence des mouvements du jeune don.

Diego fronça les sourcils, il connaissait son agresseur, à n'en pas douter, mais d'où ? Puis optant pour une autre stratégie, Diego changea le tisonnier de main et porta un direct du droit au visage de son adversaire qui tomba en arrière.

Le « chef », qui venait enfin de désarmer Toledano, songea qu'il était plus prudent de sonner la retraite et fit signe à ses hommes de se retirer. Toujours face au capitán, et le gardant à la pointe de son épée, l'homme à la barbiche, le « chef », observa ses adversaires et s'attarda sur Don Diego dont il remarqua la blessure. Puis, il prit le temps de signer sur la veste du capitán et sortit de la pièce avant de se faire prendre au piège, bousculant dons et lanciers sur son chemin.

Lorsque le bandit que Diego avait frappé se releva, il remarqua la fuite de ses acolytes et râla de plus belle. Il suivit le mouvement de retraite et passa par la fenêtre pour prendre la poudre d'escampette.

Malgré la cohue, les lanciers parvinrent à capturer des bandits, mais d'autres réussirent à s'enfuir


NdA: Merci à Gwenetsi pour sa patience et ses corrections.