Cela faisait déjà plusieurs mois que Guenièvre avait été couronnée Reine de Camelot. Le roi Arthur et la reine Guenièvre ! Depuis ce jour, le royaume de Camelot n'avait pas eu à subir d'attaques, que ce soit de la part de Morgane qui avait disparu dans la forêt, ou bien que ce soit d'un royaume voisin. C'était une période paisible. Merlin était toujours au service d'Arthur mais depuis que Gwen était devenue reine, il devait bien reconnaître qu'il avait moins de travail. La reine avait demandé à deux autres serviteurs de l'aider et de le seconder. Merlin avait donc désormais deux valets pour l'aider. Il leur donnait toujours les tâches ingrates comme polir l'épée d'Arthur, nettoyer son armure ou bien ranger sa chambre. Il pouvait ainsi passer plus de temps auprès de Gaius ou de ses amis chevaliers.
Arthur prenait son rôle de roi très à cœur. En quelques mois il avait beaucoup appris et désormais il était un roi bon et juste. Mais il restait malgré tout assez réticent vis-à-vis de la magie car il n'a pas oublié que c'est à cause de la magie que son père est mort et que Morgane est devenue si cruelle. Fréquemment il partait avec ses chevaliers pour affronter une créature mystique dans le royaume. Il avait d'ailleurs pour habitude de dire : « J'ai déjà affronté un griffon, des gargouilles et un dragon. Aucun monstre ne me fait peur ! ».
Quand aux chevaliers Elyan, Perceval, Gauvain et Léon, ils ne se séparaient quasiment jamais. Messire Léon était désormais le commandant en chef des armées de Camelot et il servait de conseiller à Arthur. Elyan et Perceval étaient deux chevaliers très droits, toujours prêts à aider leur roi. Quand à Gauvain… disons que malgré son nouveau statut de chevalier, la taverne restait malgré tout son lieu favori.
D'ailleurs c'est là que notre histoire commence.
L'auberge du Grand Dragon était pleine à craquer. Située juste à l'entrée de Camelot, elle était le lieu de passage des voyageurs mais aussi l'endroit où l'on pouvait boire le meilleur hydromel du royaume. Une jeune femme, portant une grande cape et un lourd sac de voyage arriva alors à Camelot à la tombée de la nuit. Elle était accompagnée d'un cheval noir comme un corbeau mais qui pourtant ne portait aucun harnachement. Ni selle, ni lanière, rien. Et pourtant le cheval la suivait comme un chien suit son maître. Elle arriva devant l'auberge et demanda au cheval de rester là, de ne pas bouger. Aussi étrange que cela puisse paraître, le cheval obéit. Elle entra alors dans l'auberge. C'était plein ! Elle s'approcha du comptoir et demanda au tavernier :
- Est-ce que vous avez une chambre de libre ?
- Ah non ma p'tite dame, je suis désolé. On vient de donner la dernière qu'on avait.
- Ah. Sauriez-vous où je pourrai passer la nuit alors ?
- Bah on a bien un peu de place dans les écuries, mais ça m'étonnerait qu'une belle jeune femme comme vous accepte de dormir au milieu des chevaux.
- Ce sera parfait. J'ai moi-même un cheval que je dois mettre à l'écurie.
- Bien, dans ce cas, suivez-moi, c'est par là.
L'aubergiste mena la jeune femme jusqu'à une petite cour située juste derrière l'auberge. Là il y avait les écuries avec deux chevaux et un âne. La jeune femme remercia l'aubergiste et posa son gros sac à côté de l'âne. Elle attendit que l'homme soit retourné à l'intérieur de l'auberge avant de siffler avec ses deux doigts sur les lèvres. Quelques secondes plus tard, son cheval noir apparut.
- Regardes Petit Frère, on va dormir là cette nuit. Pour toi c'est le luxe, hein ? Tu vas même pouvoir te faire des amis, regardes.
Le cheval alla s'allonger au fond d'un box et se cala au milieu de la paille fraîche. L'âne et les deux autres chevaux le regardaient bizarrement. La jeune fille déballa alors son sac et en sortit deux épées, de tailles plus petites que des épées normales mais plus légères également, ainsi qu'un long fouet en cuir noir. Elle ôta sa cape de voyage qui révéla ses vêtements. Elle était habillée avec un pantalon assez moulant, pour pouvoir monter à cheval plus facilement. Elle portait également une chemise en tissu bleu pâle, un peu trop grande pour elle. C'était une tenue assez masculine, il fallait bien le reconnaître mais qui étrangement, la mettait plutôt en valeur. Puis elle prit une grande couverture et l'étala à côté de son cheval.
- Je vais nous chercher à manger à l'intérieur Petit Frère. Ne bouge pas, je reviens.
A l'intérieur de l'auberge, il y avait foule. Quasiment que des hommes. Ils étaient tous rassemblés et formaient un cercle. La jeune femme s'approcha de l'aubergiste et lui demanda :
- C'est quoi ce cercle ? Ils font une cérémonie ou quoi ?
- Non pas du tout. C'est Messire Gauvain, un habitué des lieux. Il vient souvent ici. C'est un chevalier vous savez ?
- Ah. Et ?
- Il vient et il organise des petits combats à mains nues. Si son adversaire arrive à tenir plus d'une minute, Messire paye une tournée générale de cervoise. Si son adversaire le bat, alors Messire lui offre à manger et à boire, ainsi que 10 pièces d'or.
- Hum… intéressant.
- Mais vous savez ? Personne n'a jamais réussi à battre Messire Gauvain. C'est un chevalier, vous savez ?
- Oui je sais, vous me l'avez déjà dit. En parlant d'argent, combien vous dois-je pour cette nuit ?
- Oh bah vu que vous dormez à l'écurie, ce sera seulement 8 pièces d'or. Et si vous voulez manger, ce sera 8 de plus. Donc 16 pièces en tout !
- Je n'ai que 10 pièces. Je vous paye la nuit et tant pis pour la nourriture.
A ce moment-là, les hommes en cercle poussèrent un hurlement de joie. Apparemment l'adversaire du chevalier venait de réussir à tenir une minute et une tournée générale venait d'être offerte. Le chevalier s'écria alors :
- Qui sera mon prochain adversaire ? Oh allez faîtes pas les timides, je veux pouvoir boire moi ! Et pour ça, je dois me battre. Allez, que quelqu'un se dénonce.
- Moi j'accepte !
Tout le monde se retourna vers la jeune femme qui venait de lever la main en disant cela. Puis les hommes éclatèrent de rire.
- Ah désolé, jolie dame, je n'affronte jamais les jolies filles.
- Pourquoi ? Parce que vous avez peur ? Ou parce que vous pensez que les femmes ne savent pas se battre ?
- Disons que je ne veux pas abîmer un si beau visage.
- Je veux me battre. Je n'ai pas le choix. Il faut bien que je gagne de quoi manger ce soir et de quoi nourrir mon cheval.
- Oh et bien dans ce cas-là. Aubergiste ! J'offre le repas à cette demoiselle. Servez-lui une assiette et à boire. Ainsi que de quoi nourrir sa monture.
L'aubergiste obéit. Le chevalier s'approcha alors de la jeune femme et l'invita à s'asseoir face à lui à une table pour manger le rôti de porc qu'on lui servait.
- Alors, quel est votre nom jeune damoiselle ? Et que venez-vous faire à Camelot ?
- Je m'appelle Jynn et je suis venue pour devenir chevalier !
Gauvain éclata de rire et dut faire preuve de beaucoup de détermination pour réussir à reprendre son sérieux.
- Haha, vous avez le sens de l'humour au moins. C'est bien. Voilà qui change des servantes du château qui sont toutes coincés comme des vieilles biques. Haha. Une femme chevalier…
- Je suis très sérieuse. J'ai l'intention de demander audience auprès du roi demain.
- Haha. Je tiens juste à vous prévenir. Arthur est quelqu'un de très à cheval sur la chevalerie. Il ne voudra jamais qu'une femme devienne chevalier.
- Et pourquoi pas ? Avant c'était réservé aux nobles, maintenant tout le monde peut devenir chevalier. Pourquoi pas les femmes ? Je croyais qu'à Camelot tout le monde était égaux !
- Oui, oui. Sauf pour ça. Haha, une femme chevalier. La bonne blague. Et c'est pour ça, que vous vouliez m'affronter tout à l'heure ? Pour prouvez que vous êtes aussi forte qu'un chevalier. Haha, laissez-moi rire !
Vexée Jynn prit son assiette et se dirigea vers les écuries, sous le regard amusé de Gauvain qui continuait à rire. La jeune fille s'installa à côté de son cheval et lui tendit des carottes et une pomme. Puis elle s'enveloppa avec la couverture et s'endormit, blottie contre sa monture à qui elle adressa un « Bonne nuit Petit Frère ! ».
Le lendemain matin, réveillée par la lumière du soleil, Jynn rangea ses affaires et se dirigea vers le château. Elle demanda à être reçue par le roi Arthur. On la mena à la salle du trône où Arthur recevait un à un toutes les personnes qui voulait lui parler. La plupart du temps, il s'agissait de paysans qui venaient proposer une partie de leur récolte au roi. Lorsqu'Arthur était absent du château, c'était Guenièvre qui se chargeait de les recevoir.
Ce jour-là, c'était bien Arthur mais Guenièvre était également présente, ainsi que Merlin, Gaius et certains chevaliers. Lynn entra dans la salle principale et salua son roi et sa reine. Elle aperçut Gauvain, debout à côté de Sir Léon. Gauvain tentait de ne pas rire, mais c'était plus fort que lui. Chaque fois qu'il regardait Jynn, un rictus apparaissait sur son visage.
- Que puis-je pour vous jeune fille ? demanda Arthur.
- Monseigneur, je suis venue ici pour vous servir.
Gauvain se mit à ricaner.
- Ah. Vous voulez devenir servante ? demanda Arthur.
Gauvain recommença à rire.
- Euh… non pas exactement. Je suis venue ici dans le but de devenir chevalier de Camelot. Je sais que je suis prête, je veux servir Camelot et ses citoyens.
Gauvain riait de plus en plus. Arthur, lui, regardait Jynn avec étonnement. Tous les autres chevaliers présents se regardaient entre eux, surpris. Merlin et Gaius s'interrogèrent du regard puis ils sourirent. Guenièvre se tourna vers son mari, curieuse de sa réaction. Arthur reprit son sérieux et répondit à la demande de la nouvelle venue.
- Jeune fille, je suis au regret de vous dire que seuls les hommes peuvent devenir chevaliers. Cela a toujours été ainsi.
- A moins que je me trompe Messire, aucune loi ne stipule que seuls les hommes peuvent devenir chevaliers. Et même si c'était le cas, les lois peuvent être changées. Il y a quelques temps, seuls les nobles pouvaient être chevaliers. Et regardez aujourd'hui ! Un simple paysan peut entrer dans la chevalerie. De plus il me semble que vous avez dit vouloir construire un royaume où nous serions tous égaux. Si nous sommes tous égaux, pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas faire ce que font les hommes ?
Gauvain éclata de rire. Arthur agaçé lui lança alors :
- Messire Gauvain, veuillez cesser s'il vous plaît !
- Pardonnez-moi Sire, s'excusa le chevalier.
- Pour en revenir à vous, jeune fille. Ce n'est pas à cause de lois ou de traditions que aucunes femmes n'est chevalier. C'est plutôt sur le plan physique. Une femme ne peut physiquement pas se battre, courir ou monter à cheval comme un homme. Une femme ne peut pas participer à un tournoi et encore moins affronter un monstre gigantesque.
Guenièvre lança un regard réprobateur à son époux mais ne dit rien.
- Monseigneur, reprit Jynn. Je peux vous prouver qu'une femme peut affronter un homme. Je peux affirmer, et vous êtes tous témoin, que je suis une archer plus adroite que vous tous. Pour ce qui est de monter à cheval, je suis bien meilleure cavalière que n'importe qui ici ! Et je ne me vante pas.
- Faîtes attention à ce que vous dîtes jeune fille ! s'emporta Arthur. Vous pourriez dire des choses que vous regretteriez. Ma patience a des limites.
- Mais laissez-moi au moins une chance ! Si j'arrive à vous prouvez que je peux faire aussi bien voir mieux, que vos hommes, accepteriez-vous de me nommer chevalier ?
- Non et de toute façon, cela n'arrive pas. Maintenant sortez, j'ai d'autres personnes à recevoir ce matin. Nous avons déjà perdu assez de temps.
Deux gardes s'approchèrent de la jeune fille pour la reconduire dehors. Mais celle-ci, vexée et énervée, se débattit et partit seule, la tête haute. Au moment de quitter la salle, elle se retourna une dernière fois vers le roi et lui dit : « Vous verrez, un jour, vous serez obligé de reconnaître que j'avais raison. ». Puis elle quitta la pièce. Gaius se pencha vers Merlin et lui dit en chuchotant :
- Cette petite a du cran !
- Oui et je suis sûre qu'elle est meilleure cavalière que Arthur. De toute façon ce ne doit pas être très dur !
- Je t'ai entendu Merlin ! lui lança le roi.
- Euh… désolé.
Un peu plus tard dans la journée, Gaius et Merlin discutaient de la jeune fille qui voulait devenir chevalier.
- Vous pensez que c'est possible Gaius ? Je veux dire, vous pensez qu'une femme peut être aussi forte qu'un homme ?
- Merlin, aurais-tu oublié que nos adversaires les plus redoutables furent des femmes ?
- Oui mais c'était des magiciennes ! Elles usaient de leurs pouvoirs.
- Ah moins que je me trompe, Morgane était plus douée que toi à l'épée même sans pouvoirs magiques. Et Morgause fut l'une des rares à vaincre Arthur en combat singulier à l'épée et sans magie. Non, non, je pense qu'une femme peut vraiment faire armes égales avec les hommes.
- Oui mais et pour ce qui de monter à cheval ? Cette jeune fille a affirmé être une meilleure cavalière que nous tous.
- Et bien, tant que nous n'avons pas de preuves, nous ne pouvons que la croire, non ?
- Oui c'est vrai.
- Tiens, au lieu de discuter, descends-donc au marché et ramènes moi trois potirons. Je dois préparer une soupe pour mélanger un médicament que m'a demandé le duc de Montebourg.
Merlin s'exécuta. Il sortit du château et rejoignit le bourg. Il déambulait dans les rues, cherchant des potirons sur les étalages. Il fut soudain surpris, en apercevant devant la jeune fille qui était venue le matin-même voir Arthur. Il la suivit discrètement et finit par arriver à l'auberge du Grand Dragon. Il entra et aperçut la jeune fille qui se dirigeait vers la cour extérieure, derrière l'auberge. Il continua de la suivre. Dans la cour, il se cacha derrière un tonneau de vin et observa. Il fut étonné de voir la jeune fille en train de parler… à un cheval !
- Bon Petit Frère, on va devoir y aller. Je n'ai pas assez d'argent pour rester une nuit de plus ici. Et puis de toute façon, ils n'ont pas voulu de moi au château. Ils disent que « seuls les hommes peuvent devenir chevaliers ». N'importe quoi. Je leur prouverai un jour que je suis à la hauteur. N'est-ce pas Petit Frère ?
A ce moment-là Merlin trébucha et le tonneau tomba à la renverse dans un grand fracas. Jynn se retourna vivement, pris ses deux épées et s'approcha de l'endroit d'où venait le bruit. Merlin sortit alors de sa cachette avec un grand sourire.
- Désolé. Je ne voulais pas te déranger.
- Qui es-tu ? demanda la jeune fille soupçonneuse.
- Je m'appelle Merlin. Je suis le valet du roi Arthur et aussi l'assistant de Gaius, le médecin de la cour.
- Ah oui, je te reconnais. Tu étais au château ce matin. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je t'ai vu au marché alors je t'ai suivi. Et je t'ai vu parler avec… ton cheval ?
- Oui. Je présente Petit Frère. C'est mon cheval. On a grandi ensemble. C'est pour ça que je l'appelle comme ça.
- Tu sais que la magie est toujours interdite dans le royaume ? Si on te voit parler à un cheval, on pensera que tu as des pouvoirs magiques et on te fera arrêter.
- Haha je n'ai aucun pouvoir. C'est juste que, comme je viens de le dire, j'ai grandi avec ce cheval. On a appris à vivre ensemble. Il m'écoute et je l'écoute. Ce n'est pas un simple cheval. Je le considère vraiment comme mon petit frère. Je montais sur ce cheval avant de savoir marcher debout !
- C'est pour ça que tu disais que tu étais meilleure cavalière que les autres ce matin ?
- Oui. En partie. Mais de toute façon, ça ne change rien. Ton roi ne veut pas de moi dans la chevalerie.
- Tu sais, je suis sûr qu'Arthur se trompe. Il faut juste que tu lui prouves ta valeur.
- Et comment je fais ça moi ? Il a refusé que je montre quoi que ce soit.
- J'ai une idée. Enfin si tu te sens capable d'y arriver. Mais si tu veux devenir chevalier, c'est le meilleur moyen de prouver ta valeur. Fais-moi confiance, répondit le jeune sorcier avec un grand sourire.
Le magicien expliqua son idée à Jynn qui écouta avec attention. L'idée était un peu risquée, mais elle savait qu'elle en était capable. En attendant Merlin lui proposa de loger au château, chez Gaius. Mais il fallait qu'elle reste cachée car si le roi ou un chevalier découvrait qu'elle était encore au château, son plan tomberait à l'eau. Petit Frère logerait aux écuries royales. Il y avait tellement de chevaux là-bas que personne ne remarquerai un cheval de plus. Jynn suivit le jeune magicien qui semblait vouloir vraiment l'aider. Elle n'avait pas l'habitude d'avoir des amis et c'était tout nouveau pour elle. Elle s'installa chez Gaius, un vieil homme très gentil et prévenant et continua de discuter avec Merlin à propos du plan qu'ils avaient décidé de mettre en place.
