Dans une petite chambre, un jeune homme profitait des dernières minutes de son sommeil. Le rideau troué laissait passer la lumière du jour qui se levait. Lorsque le soleil vint caresser son beau visage, il grommela quelque chose et ouvrit doucement ses grands yeux encore endormis. D'un geste, il rejeta la couverture trop fine qui le couvrait et s'assit sur le bord de son lit. Le garçon passa sa main dans ses cheveux blonds mi long avant de s'étirer pour achever de se réveiller.

« Kenny! Viens voir! »

La voix légèrement cassée de sa mère résonna un moment dans son esprit embrumé. Il se leva, frissonna au contact du carrelage froid sous ses pieds nus et s'habilla rapidement. Il descendit l'escalier en trombe pour rejoindre sa mère dans la cuisine, rejetant une fois de plus la capuche de son anorak orange qui masquait ses cheveux d'or et ses jolies lèvres.

Il sursauta lorsqu'une voix masculine parvint à ses oreilles, son père était assurément encore en train d'éponger la tournée des bars de la veille, et son frère devait déjà être au travail. Il serra le poing à cette pensée, il détestait d'être né si tard, et avait hâte de pouvoir aider son frère à rapporter un peu d'argent. Il secoua la tête, chassant ces idées noires et pénétra dans la cuisine.

Il eu un mouvement de recul lorsqu'il vit l'homme le dévisager de haut en bas. Et en réponse, il se mis à le scruter lui aussi, comme dans un idiot combat de regards. Les cheveux ras, le menton carré, une cicatrice lui barrant la joue, de durs yeux marrons, une casquette kaki dans l'une de ses larges mains et les médailles brillantes sur son veston, il analysa tout de ses yeux bleus. Sa voix rauque vint confirmer ses hypothèses.

« Je viens pour engager votre fils dans l'armée. » annonça-t-il posément.

Les yeux de Carol s'agrandirent, et les larmes menaçaient de s'en échapper.

« Mais… Mais… bredouilla-t-elle, Il n'aura 16 ans que dans 3 mois! »

« Peu m'importe, c'est le capitaine lui-même qui a fait demander Kenneth »

« Pourquoi…? Pourquoi lui? »

« Parce qu'il ne peux pas mo- »

Il fut coupé par le jeune blond qui se jeta sur lui, avec une telle force qu'ils en tombèrent presque à la renverse. Plaquant sa main sur la bouche du militaire, il lui demanda avec désinvolture « Me feriez vous l'honneur d'une conversation en privée? » tout en le poussant presque contre son gré dans la pièce voisine.

Il referma la porte derrière lui et repris avec plus de calme.

«Ma mère ne supporte pas d'aborder le sujet de mon immortalité. Ici, c'est une chose qui se sait mais qui ne se dit pas, je suis d'ailleurs étonné que l'armée soit au courant. Mais passons, nous allons nous arranger d'homme à homme. »

Carol, la mère de Kenny restée dans la cuisine, se tordait les mains, n'osant pas interrompre les négociations agitées dont quelques bribes lui parvenaient à travers la porte lorsqu'ils haussaient la voix. Enfin, elle les vit revenir et s'asseoir autour de la table, elle pris une chaise elle aussi et attendit le verdict.

« Maman… sa voix tremblait légèrement, je vais partir dans l'armée. » Il baissa les yeux pour ne pas voir les larmes qui commençaient à rouler sur les joues pâles de sa mère et posa sur la table une grosse liasse de billet de 100. « C'est le dédommagement, vous en avez besoin ici, et moi ça ira, je serai logé, nourri… » Il releva la tête et essayait de la garder haute, mais sa voix se cassait à mesure qu'il parlait. « Dis à Kevin de ne pas en faire trop, il peut même arrêter de travailler un moment avec cet argent. Et surtout, fait bien attention à Karen! Soyez forte, je reviendrai vite c'est promis! » Il se leva et couru dans sa chambre pour rassembler quelques affaires, ne pouvant plus supporter le regard désemparé et embué de pleurs de sa mère.

Il jeta dans un sac quelque habits, un Playboy, sa brosse à dents et d'autres bricoles… Il s'apprêta à redescendre lorsque son regards s'arrêta sur la photo que lui avait offert ses amis pour son quinzième anniversaire. Ils étaient tous là, et chacun avait laissé un petit mot au dos. Il la sortit délicatement de son cadre et la rangea dans son sac, un poids de plus pesant sur son cœur, ils allaient incroyablement lui manquer…

Il passa devant la porte de la chambre de Karen et hésita à aller dire au revoir à sa petite sœur. Mais rien que l'idée de la faire pleurer lui était insupportable, il devait partir avant de changer d'avis, sa famille avait besoin de la grasse somme d'argent qu'il avait réussi à obtenir en échange de son départ.

Il descendit les marches d'un pas lourd, voulant repousser tant que possible le moment de laisser sa famille, ses amis, sa ville…

Il pris une dernière fois sa mère dans ses bras, lui répétant une fois de plus de faire attention à elle puis monta, le cœur serré, à l'arrière de la voiture de l'officier.