Titre : Le poids des souvenirs

Auteur : Kiara

Date : 16/01/2018

Type : OS en deux parties, HPDM

Disclaimer : Merci infiniment à JK Rowling pour nous avoir offert Harry Potter.

Résumé : Depuis son enfance, Harry est poursuivi par des rêves de sa vie antérieure. D'un temps ancien peuplé de magie et de créatures fantastiques. Mais aussi de la guerre. Puis un jour, il croise la route de Draco et tombe amoureux de lui, encore une fois. Départager le passé du présent devint alors beaucoup plus compliqué.

Le poids des souvenirs

Première Partie

Les rayons du soleil tapaient sur les corps frigorifiés sans aucune pitié. Le mois d'hiver était déjà bien avancé et les fêtes approchaient, apportant avec elles l'euphorie des cadeaux. Les arbres dénués de leur manteau se tordaient vers le ciel en quête de chaleur, tandis que leurs branches nues et brisées faisaient penser à une prière désespérée.

La neige recouvrait le monde de son manteau blanc, mais sa pureté était salie par les hommes quand on arrivait en ville.

Alors, pour ne plus être confronté directement à la cruauté des hommes, il aimait se rendre dans ce parc, où la neige était encore admirée pour sa beauté. Elle recouvrait les bancs, les branches, les allées sans distinction et il était fascinant d'observer la trace qu'une quelconque âme qui s'était perdue sur ce chemin avant lui.

Mais malgré le soleil qui l'éblouissait en se reflétant sur le blanc, il faisait tout de même assez froid pour que celui-ci survive.

Il enfonça ses mains dans le fond de ses poches à la recherche de chaleur, mais son manteau était tout aussi froid que lui. Ses oreilles et son nez brulaient doucement et ses yeux piquaient désagréablement. S'il n'aimait pas autant l'hiver, il aurait surement juré contre cette foutue saison incommodante.

D'ici, on n'entendait pratiquement pas les bruits de la ville alors quand un oiseau passa près de lui en chantant il put profiter de sa mélodie. L'animal se posa sur une branche montante et la neige se mit à virevolter.

Perdu dans sa contemplation – le plumage du rouge-gorge transcendait avec la blancheur du paysage – il ne vit pas tout de suite la personne qui arrivait en face de lui, mais à peine eut-il détourné la tête que sa respiration se coupa.

Le garçon portait une épaisse écharpe argentée enroulée fermement autour de son cou pour le protéger de la morsure du froid. La couleur du tissu allait parfaitement avec la couleur du mercure en fusion qui caractérisait ses yeux. Deux yeux semblables à un gouffre de glace. Leur couleur dansait avec la luminosité, passant du métal au nuages d'orage, de l'ardoise au granit. C'était un ballet envoutant. Ses cheveux quant à eux, étaient d'un blond très clair et tombaient devant son visage.

Son souffle blanc s'éleva lentement dans les airs alors qu'il levait les yeux et plongeaient dans les siens.

Gris contre Vert.

Ardoise contre Emeraude.

Au fond du magasin, un garçon au teint pâle, le nez en l'air, se tenait debout sur un tabouret tandis qu'une femme vêtue de mauve ajustait la longue robe noire qu'il avait revêtue.

« Salut. »

Il inspira profondément. Le moment fut brisé par une nuée d'oiseaux qui virent rejoindre leur frère sur les arbres aux alentours et le jeune homme retourna à la contemplation du sol sans faire plus attention à lui. Il le suivit des yeux alors qu'il passait à côté de lui sans se presser, recouvert d'un long manteau beige, ses cheveux fins, coupés à la base de la nuque, volant délicatement derrière lui. Il lui sembla que le garçon avait volé toute la beauté de la neige, toute sa pâleur pour la glisser dans sa peau, toute son élégance pour se mettre en mouvement et son caractère insaisissable pour s'envoler au loin, lui échapper dans un souffle.

S'il avait pu réagir, il aurait tendu la main vers lui, pour l'attraper, l'enfermer, le chérir. S'il avait pu prononcer un seul mot, il l'aurait accosté, ralentit, questionné. S'il avait pu respirer, il aurait inspiré son parfum pour le graver dans sa mémoire. Si son cœur n'avait pas arrêté de battre, il se serait emballé, il serait sorti de sa poitrine pour se lover contre celle de l'inconnu et il aurait chanté toute sa passion, toute sa tendresse.

S'il s'était souvenu de cligner des paupières, les larmes n'auraient pas coulées sur ses joues, témoins silencieuses d'une peine ancienne.

Il ne reprit ses esprits que quand l'autre fut loin, loin de lui, encore une fois. Il cligna des yeux, il inspira, son cœur se remit à battre, ses doigts fourmillèrent, sa voix emplie sa bouche en un prénom dont il ne se souvenait pas.

Un garçon sans visage perché sur un balai s'élevait dans le ciel.

Pourquoi maintenant ? D'habitude, ces images n'apparaissaient que dans ses rêves. Elles ramenaient en lui une multitude de sentiments vifs et lumineux, qui se mélangeaient et le laissait pantelant au réveil.

Fascination. Joie. Amour.

Colère. Mépris. Tristesse. Haine.

Frustration. Déception. Terreur.

Sang. Mort. Larmes.

Une forêt. Une tour. Un balai. Une porte. Une arche.

Une chouette. Un serpent. Un chien.

Des lettres. Des bonbons. Une petite balle volante.

Pourquoi maintenant ? Ces éléments n'appartenaient qu'à la lune. Ils parsemaient ses rêves, le hantaient le jour, le dévoraient la nuit.

Une main pâle dans la sienne. Une radio qui chuchote. Un livre abandonné.

Une tente. Un dortoir rouge et or. Un plafond magique.

Des histoires sans nom, sans fin. Flous et vides. Sans liens. Sans logique. Fantaisistes.

L'imagination de son esprit !

Un placard. Des barreaux à une fenêtre. Un lac gelé.

Ces rêves le suivaient depuis sa naissance. Il avait vu maintes et maintes psychologues et tous lui avaient dit la même chose.

« C'est dans ta tête, Harry ! »

« Tu as vraiment une imagination débordante, Harry. »

« Tu dois te rappeler que ce sont des rêves, Harry. »

« Prend donc tes cachets, Harry. »

Il avait été drogué.

Il avait vu des visages défiler, des mains le palper, des yeux froids le dépecer, des bouches susurrer que tout cela n'était pas réel.

A chaque rêve, ils le brisaient un peu plus. Ils le cassaient encore et encore, avec leurs mots, avec leur médecine, avec leurs mains.

Alors Harry Potter n'avaient plus rien dit. Il avait menti.

Il ne faisait plus de rêves.

« Merci Monsieur, Merci Madame. »

« Grace à vous, je suis débarrassé de mon imagination. »

Il avait caché ses larmes, ravalé sa rancœur, étiré les lèvres.

Et dans ses rêves il était poursuivi par un dragon, il volait sur le dos d'un hippogriffe, il caressait un phœnix.

~ oOo ~

Aujourd'hui, les rêves s'échappaient de son sommeil. Ils surgissaient à n'importe quel moment, n'importe où, avec n'importe qui. Quand Hermione lui parlait d'un livre, quand Ron faisait une blague pourrie, quand Neville trébuchait, quand Dean et Seamus riaient. Quand un grand chien noir passait, quand un voyait un médaillon, quand il passait devant un magasin de bonbon, quand il traversait une forêt, quand il restait en apnée sous l'eau.

Alors, pour extérioriser le chaos dans sa tête, il peignait. Et c'est pour ça, à peine rentré dans sa petite chambre universitaire, en nage de sa course effrénée, qu'il jeta ses vêtements dans un coin avant d'empoigner un pinceau, un peu de couleur et se mit à peindre comme un dégénéré.

Du rouge, du gris, du blond, du vert, du noir. Un rouge sang, un gris argenté, un blond clair, du vert profond, du noir pur. L'éclat d'un sourire, la courbure d'un visage, une tache noire sur un bras. Il peignait un sentiment qui lui échappait dès qu'il cherchait à l'atteindre. C'était frustrant. Ses doigts tremblaient mais il ne pouvait pas s'arrêter. Les couleurs se mélangeaient sans former réellement une image. C'était un moment, une image vivace, insaisissable qu'il tentait de coucher sur la toile sans y parvenir.

Finalement, une éternité plus tard, il s'effondra sur le sol de sa chambre, couvert de couleur, les mains tremblantes, le souffle court. Il ferma les yeux et inspira profondément pour se calmer. L'énergie qui lui brulait les veines retomba peu à peu et il put se relever pour juger son travail.

Le corps blanc allongé dans ses draps vert émeraude lui tournait le dos. On apercevait seulement la forme d'un nez droit, les lèvres entrouvertes, un gris envoutant entourés d'une mer de cils noirs au milieu de sa chevelure pâle qui l'entourait comme l'halo d'un ange. Un étrange dessin tatoué sur son bras disparaissait au milieu des plis du tissus et le sang rouge carmin tapissait son corps en une multitude de cicatrices longues et fines sur toute sa peau.

Un garçon qui lui tournait le dos, sanglotait devant un miroir sale au milieu des toilettes.

Une violente migraine le déchira en deux et il gémit en empoignant son crane de ses doigts tachés de rouge. En titubant, la vision floue, son cœur battant dans ses tempes, une envie de vomir au fond de l'estomac, il se traina jusqu'à la cuisine. Là, il empoigna le petit flacon blanc, le maudit flacon blanc qu'il haïssait de tout son être et pourtant qui lui apportait le repos. Les petits cachets ronds roulèrent sur le plan de travail, dans l'évier, sur le sol. Par miracle, ses doigts lui obéirent assez pour empoigner une bille bienfaitrice et l'amener à sa bouche. Il l'avala sans même boire et se laissa glisser sur le sol. Lentement, lentement, son corps se détendit. La douleur se calma. Son cœur reprit un rythme normal. Il ne resta comme preuve de la crise, que les médicaments qui tapissaient la minuscule cuisine.

Le noir l'envahit.

Il était assis sur les épines des sapins, adossé à l'un deux. Il fixait l'horizon. Le soleil se levait, colorant les feuilles et les épines de rouge orangé. Il plissa des yeux, éblouit. C'était un spectacle magnifique, et pourtant il l'observait seul.

Derrière lui, une tente bleue.

A son cou, un —

« HARRY ! »

Il ouvrit les yeux avant de grogner. Son corps entier était courbaturé. Agar, il observa un peu autour de lui avant de se rendre compte qu'il était dans sa cuisine. Pourquoi dormait-il dans la cuisine ?

« Harry ! Tu vas bien ? » demanda doucement Hermione Granger avant de passer un linge humide sur son front.

Il regarda ses yeux noisette inquiets, ses cheveux bouclés attachés à la va-vite avec un chouchou, son sac à main jeté dans l'entrée.

« Ça va 'Mione… » grommela-t-il en se relevant avec une grimace.

La jeune fille le laissa faire avant de l'aider à se mettre debout. Elle l'accompagna jusqu'à son lit, où il s'avachit sans aucune grâce. En soupirant, elle se mit à ranger le bazar ambiant. Les tubes de gouache ouvert et abandonnés à même le sol, la peinture sur les murs et le planché, les pinceaux dérivants dans des bouteilles d'eau.

Comme toujours.

Une fois la chambre un minimum nettoyée, elle s'arrêta devant l'œuvre.

« C'est magnifique » murmura-t-elle.

« Hmm… »

Elle s'approcha à nouveau du lit, où elle s'assit doucement avant de caresser les cheveux noirs jais du jeune homme. Il émit un son d'approbation et elle gloussa. Au bout d'un moment, il releva la tête des oreillers et elle put admirer ses yeux d'un vert profond si particulier qui la fixait avec reconnaissance.

« Merci. »

« De rien. »

Toujours les mêmes mots. Il ne comptait plus le nombre de fois où sa formidable amie l'avait ramassé, l'avait bordé, l'avait rassuré après une crise. Ils étaient constamment fourrés ensemble, avec Ron Weasley, si bien qu'elle possédait elle aussi un petit flacon blanc.

Aussi loin que remontait ses souvenirs, Ron et Hermione étaient là. A sa droite et à sa gauche, leur main dans les siennes. Ensembles. Envers et Contre le monde. Ils avaient grandi ensemble. Ils avaient déjoué les règles ensembles. Ils avaient été dans les mêmes classes, dans les mêmes groupes, dans les mêmes lieux. Comme si une force plus ancienne encore que leur amitié les poussait à être liés ensemble.

3 petits doigts accrochés, pour sceller une promesse.

Tant que Ron et Hermione serraient à ses côtés, Harry pourrait aller jusqu'au bout du monde. Oui, leur amitié était l'un des piliers de sa vie.

Ensembles.

Ils se battraient contre un Troll.

Ils affronteraient un chien géant à trois-tête.

Ils lutteraient contre les Détraqueurs.

Ils partiraient à la recherche de bijoux maléfiques.

Ils échapperaient à une horde de Mangemorts.

Ils livreraient bataille même s'ils devaient en mourir.

Ils étaient plus fort que quiconque s'ils étaient ensembles. C'était leur force.

Hermione, Harry et Ron.

Harry, Ron et Hermione.

Ron, Hermione et Harry.

Il ne savait pas s'il pouvait exister sans eux. Sans les conseils d'Hermione ou le soutient sans failles de Ron, sans l'attention de la jeune fille ou les étreintes fraternelles de son meilleur ami. Ils étaient une partie d'un tout. Les trois côtés d'un triangle.

Elle lui sourit.

« Tu as un nom ? »

Il regarda un instant son tableau.

La forme du corps. La couleur des cheveux. Les prunelles mercure.

Le rouge qui tachait le vert, comme un champ de roses.

Le sang qui se perdait dans l'eau, s'échappant sans s'arrêter du corps de leur propriétaire.

« Sectumsempra »

Le regard d'Hermione se troubla sur la peinture. Elle parut prête à dire quelque chose mais les mots s'évaporèrent et elle referma les lèvres. Elle se releva.

« Je passais te demander si tu voulais venir ce soir, les garçons de STAPS organisent une petite fête chez eux à 21h. Tu es partant ? »

Il se redressa à son tour. Son corps était encore un peu lourd mais beaucoup moins douloureux. Il passa une main dans ses cheveux, avant de se rendre compte qu'ils étaient couverts de peinture, de même que ses doigts. Il soupira.

« J'ai besoin d'une bonne douche. » Il lui sourit. « Je vous rejoint là-bas ? »

Elle hocha la tête avec satisfaction.

« Môsieur Ron daigne me conduire ! »

Ils éclatèrent de rire. Puis la jeune fille l'embrassa sur la joue avant de quitter l'appartement. En partant elle n'oublia pas de lui rappeler de finir son devoir de biologie avant après-demain et il rit de nouveau. Bien entendu qu'il ne l'avait même pas commencé ! Les habitudes ne se perdent pas !

~ oOo ~

Il avait repensé à lui alors que la peinture rouge dégoulinait sur son corps pour disparaître avec l'eau. Il avait repensé à lui alors qu'il s'habillait, glissant un tee-shirt noir sur son torse ainsi qu'un jean troué aux genoux qui tombait sur ses hanches. Il avait repensé à lui alors qu'il roulait à vive allure sur sa moto. Il avait repensé à lui alors qu'il sonnait à la porte de l'immense appartement que possédait le père de Seamus Finnigan et qu'il partageait avec son ami d'enfance et petit-ami, Dean Thomas.

Il n'avait pas de nom, alors il l'avait intérieurement surnommé Angel. Oui, il était beau. Pur. Insaisissable. Il avait peur de le toucher, de le désirer et pourtant qu'il ne pourrait s'en empêcher. Attiré, irrésistiblement, tel un papillon par la lueur des flammes. Il en brulerait. Il donnerait tout pour le revoir, pour connaître son nom, le gout de sa peau, le parfum de ses cheveux.

Il n'avait encore jamais ressenti ça pour quiconque. Il avait même cru à un moment être incapable d'aimer autrement que d'amitié, qui que ce soit. La plus jolie fille, le plus mignon des garçons, aucun n'avait su faire bruler son âme.

Il était déjà lié.

Et pourtant, en une seule seconde, Angel l'avait l'embrasé. Il avait retrouvé l'autre partie de son cœur, ce qui comblerait ce froid glacial qui l'étouffait. Tout son être hurlait « Retrouve-le ! Retrouve-le ! ».

Il le retrouverait.

Et cette fois-ci…

Et cette fois-ci…

« Harry ! C'est cool de te voir mec ! Il ne manquait plus que toi ! » s'exclama le propriétaire en l'attrapant par les épaules.

Il l'entraina à l'intérieur, vers la musique qui faisait trembler les murs, l'alcool qui coulait à flot, les corps qui se collaient sans pudeur. Il sourit. Rien de mieux qu'une petite fête made-in-Seamus pour se vider la tête.

Il ne le laisserait plus repartir.

~ oOo ~

Il avait une musique dans la tête. Elle était passé deux jours plus tôt à la soirée et ne voulait plus le quitter. Inconsciemment, il se mit à la fredonner en attendant que le feu passe au vert. Le ronronnement de sa moto était apaisant. Soudain, un rire bruyant, grave et chaud, attira son attention sur les piétons qui traversaient devant lui. L'origine du rire était un grand garçon – ou plutôt un jeune homme – noir qui marchait avec entrain, un sac tapant au rythme de ses pas sur ses flancs, un manteau hors de prix sur le dos.

Il sursauta violement.

A côté de celui-ci, Angel. Emmitouflé dans son écharpe, ses mains gantées de noir repoussant le noir qui cherchait à lui ébouriffer les cheveux, un air grognon sur le visage.

Le temps s'arrêta.

La pâleur de la lune éclairant des cheveux blonds au détour d'un couloir.

Il le regarda passer, s'abreuvant avec empressement de sa vision, gravant dans le marbre la forme de son sourire en coin, le plissement de son nez quand il boudait, la rougeur de ses oreilles.

Il passa devant lui sans le voir. Au dernier moment, alors que ses pieds embrassaient le trottoir, il se retourna et leurs regards se croisèrent à travers la visière de son casque.

Gris contre Vert.

Ardoise contre Emeraude.

Chaos.

Tempête.

Un corps qui tombe dans ses bras, couvert de sang. La vie qui s'évade, s'évade. Deux yeux déjà vides au milieu d'un visage pâle.

Ultime confession au cœur de l'ultime bataille.

Larmes.

Le feu passa au vert. On klaxonna vivement derrière lui mais il n'entendit pas. L'autre garçon bouscula son ange et le contact fut brisé.

Harry démarra au quart de tour.

Fuir.

Fuir le plus vite possible, loin des rêves sombres, loin de la mort et du sang.

Fuir, fuir avant les cachets blancs, avant la peinture et le chaos.

Paix. Tourment.

Joie. Peur.

Amour. Haine.

Angel était dangereux, car il faisait tout ressortir.

Le bon et le mauvais, le soulagement et l'angoisse. Les rêves et les cauchemars.

Qu'est-ce qui était réel ? Qu'est-ce qui ne l'était pas ? Il pouvait sentir le vent frapper ses cuisses, et l'odeur du sang qui imprégnait ses vêtements.

Il arriva enfin à sa Fac de Bio, où l'attendaient Ron et Hermione mais il passa devant eux sans les voir, et s'enferma dans les toilettes les plus proches. Il se laissa glisser contre la porte. Les mains sur ses oreilles pour ne plus entendre la voix qui riait, riait, riait. Les yeux fermés pour ne plus voir la robe noire déchirée voler au gré du vent, tachée de sang et de larmes. Il ne voulait pas savoir, il ne voulait pas voir, il voulait rester dans cette forêt paisible, sur ce balai qui lui apportait la liberté, dans ce dortoir qui comptait tellement, à cette table remplie de victuailles de tous les horizons. Il ne voulait pas connaître la guerre.

Pourtant… se dit-il en retirant ses mains, en ouvrant les yeux, la guerre fait partie de l'histoire.

« Harry ? Harry, tu vas bien ? Tu as besoin de tes cachets ? » retentit la voix inquiète d'Hermione derrière la porte.

Il inspira fortement puis expira doucement, se releva, frotta sur son pantalon, se recoiffa rapidement même s'il n'y aurait aucune différence. Enfin, il ouvrit la porte et lui offrir un pâle sourire.

« Désolé. Tout va bien, juste une forte migraine. »

« Chiant. » grimaça le rouquin aux côtés de la jeune fille.

Il se laissa emporter par l'accolade de Ron, puis embrassa Hermione avant de les suivre jusqu'à l'amphi de leur premier cours. Ils n'en parlèrent plus même si Harry sentit que Hermione se posait beaucoup de questions. Il était rare qu'il subisse deux crises si proches l'une de l'autre. D'habitudes, il fallait attendre pratiquement un mois.

Mais il se taisait.

Encore.

C'était son secret. Son fardeau.

Alors il fermait la bouche, et retenait les mots qui cherchaient à s'évader, les images derrière ses paupières, les battements de son cœur, le feu dans ses veines.

Une baguette brandie par une main tremblante et hésitante au sommet d'une tour.

~ oOo ~

Pour financer leurs études, tous les étudiants du groupe formé les années passées ensembles au collège et au lycée avaient obtenu un petit boulot. Hermione travaillait tous les soirs et les week-ends dans une librairie, où elle était dans son élément. Ron lui préférait se salir les mains dans un petit garage en périphérie de la ville. Harry, par son attrait de la peinture et de l'art, bossait dans une galerie d'exposition en centre-ville. Là-bas, il avait parfois l'extrême honneur de pouvoir exposer quelques toiles, quand la patronne était d'accord, et se faire encore plus d'argent s'il les vendait. Il appréciait énormément l'endroit : l'entrée était ouverte sur la rue avec d'immenses baies vitrées qui faisait rentrer la lumière. Les murs blancs rendaient les pièces encore plus grandes et amenaient la luminosité de part et d'autre de la galerie. La porte était constamment ouverte, même en plein hiver, comme pour inviter les passants dessués par la vie à venir se ravitailler en beauté dans ce petit cocon chaleureux.

Harry avait rapidement fait parler de lui, dans la galerie marchante. Non seulement les œuvres qu'il exposait était particulièrement magnifiques, mais en plus son sourire charmeur, ses yeux verts si expressifs et son apparence de top-modèle attiraient la foule au moins autant que les tableaux exposés. Il était calme et posé mais aussi joyeux et confiant, il savait tenir une conversation sur n'importe quel sujet. Il était capable de capter la moindre subtilité sentimentale d'une œuvre.

Mais aujourd'hui, Harry était distrait. En fait, il l'était souvent depuis quelques semaines. Il se perdait souvent, le regard dans le vide, observant sans les voir les passants pressés. Plusieurs fois, on lui fit une réflexion, alors il souriait, s'excusait, discutait un moment, puis s'éloignait de nouveau.

A chaque chevelure blonde aperçue, son cœur faisait un bond.

Comment ?

« Effrayé Potter ? »

Comment ?

Comment avait-il pu l'oublier ?

Son Ange. Son amant. Son opposé. Sa Némésis.

Ils se battaient constamment.

Et dans le noir, leurs baisers avaient le gout de l'interdit.

Comment, comment ?

Il était un pilier indispensable. Le refrain d'une chanson, les murs d'une maison, les nuages du ciel. Irréductiblement présent.

Ce n'étaient pas des rêves.

Ce n'était pas son imagination.

C'étaient des souvenirs.

Le garçon qui peuplait ses nuits, le garçon du parc, le garçon du passage piéton. Ils existaient. Ils étaient réels. Les cachets ronds ne le fera pas disparaître. Il n'était pas fou.

Un petit groupe entra dans la boutique et Harry sortit de sa rêverie pour les accueillir. Aujourd'hui il avait déposé trois toiles tout au fond : « Poudlard », « Forêt Interdite » et « Quidditch ». Il ignorait le sens de certains mots mais ils étaient venus avec les couleurs alors il avait accueilli le tout avec servitude.

Deux jeunes filles, un grand jeune homme à la peau noire, et…

Un ange aux cheveux blonds et aux yeux orage.

Des draps argent, des rideaux verts.

Serpentard.

Le stylo qu'il tenait roula sur le sol, en un tintement alertant. Le groupe sursauta et derrière, l'autre se figea à son tour.

Gris contre Vert.

Ardoise contre Emeraude.

L'éclat d'un sourire.

La grimace de la colère.

Un clignement de paupière plus loin, le contact était de nouveau brisé. Mais cette fois-ci, ni chaos ni tempête et il en fut soulager. S'enfuir en courant ferait très certainement fuir à leur tours les clients. Il sourit et s'approcha un peu.

« Bonjour ! Bienvenue. Si vous avez envie d'un quelconque renseignement ou de faire un achat, venez me voir. »

Les filles gloussèrent et le noir le remercia. Ils passèrent devant lui sans plus lui accorder d'attention, trop occupés à scrutés les tableaux exposés. Cependant, Angel lui jeta un dernier coup d'œil avant de disparaître dans autre salle. Harry regarda longtemps l'entrée de la pièce, encore sous le choc.

Il l'avait revu.

Il l'avait retrouvé.

Enfin !

A quelques pas de lui, se tenait son—

« Oh Blaise, Draco regardez ! » s'exclama une des filles d'une voix criarde et désagréable.

Son cœur rata un battement.

Draco.

Draco.

Draco.

« Quand la guerre sera finie… tu n'aurais plus à haïr cette horrible marque sur ton bras car nous trouverons un moyen de l'effacer. Je te le promets, Draco. »

Draco !

Comment un nom, un simple nom, pouvait faire bondir son cœur ainsi ? Son sang bouillonnait et il ne voyait plus nettement. Une migraine sifflait dans ses oreilles. Il était si proche… Si proche de connaître la fin de l'histoire… Pour l'instant il ne possédait que des brides de souvenirs décousus sans chronologie distincte. Que des sentiments oppressants qui se mélangeaient chaque nuit, que des pressentiments sans logiques qui ressortaient face à des objets ou des mots. Il y avait la guerre et il y avait la paix. Les amis et les ennemis. La sécurité et le danger. Le repos et la fuite.

Etaient-ils morts pendant la guerre ? Mais quelle guerre ? Comment expliquer les baguettes, les dragons, les sirènes ? Le monde de ses souvenirs possédait la magie. Ce monde-ci en était dépourvu. Passé ? Avenir ? Univers parallèle ?

« Pitié, pitié. Je vous en supplie ! Laisse-nous recommencer… »

Mais dans ce cas comment avaient-ils fait le voyage ? Comment les morts pouvaient-ils être encore en vie ?

« C'est mon unique souhait…Mon unique regret… Les revoir… Recommencer différemment… »

Il avait fait un vœu. Une demande au ciel, au monde, à la magie.

En face de lui, un tableau d'un peintre inconnu représentait la Mort sous la forme d'une femme nue en train de danser. Sa peau blanche faisait ressortir les ténèbres qui l'entourait. Elle paraissait paisible et pourtant elle dégageait une certaine énergie.

Dans ses bras, un corps.

Devant lui, un corps transformé en poussière.

Tout autour, des corps.

Dans sa poitrine, un cœur sur le point de s'arrêter.

Il en avait le pouvoir…

La Mort dansait, insensible au monde. Elle dansait avec les âmes, avec les cœurs, avec les prières. Elle veillait sur le monde comme une mère, elle contrôlait l'équilibre.

Une baguette puissante.

Une pierre miraculeuse.

Une cape invisible.

Elle l'avait pris dans ses bras…

« Monsieur ? »

Il sursauta violement. Le garçon à la peau mate se tenait devant lui, le fixant d'un air inquiet.

« Vous allez bien ? »

Harry se rendit alors compte que des larmes recouvrait ses joues. Il s'empressa de les essuyer puis de sourire.

« Excusez-moi. Je peux vous aider ? »

L'autre sembla hésiter, avant de décider de laisser tomber et lui expliqua brièvement qu'ils souhaitaient des informations avant de faire un achat. Le brun le suivit et ils traversèrent plusieurs salles avant de rejoindre la dernière. Devant « Poudlard », le groupe discutait vivement. Du moins, les filles se disputaient et Angel fixait la toile sans emmètre le moindre son. A son arrivée, elles se calmèrent mais le blond ne le regarda pas.

« Est-ce que vous connaissez un peu l'artiste ? Ses œuvres sont vraiment singulières. »

« C'est moi. »

Les filles arrondirent les yeux et Blaise émit un sifflement admiratif. Angel-Draco se retourna vers eux pour le fixer avec intérêt.

« Wouaou mec ! Tu es vraiment doué ! Tu as fait ces deux-là aussi ? » demanda-t-il en pointant « Quidditch » et « Forêt Interdite ».

« Oui. »

« Pas mal ! » Il se tourna vers son ami. « Draco aimerait l'acheter. »

Harry l'observa brièvement avant de se concentrer sur le commerce. Ce n'était pas le moment de perdre la tête. Il hocha la tête en cachant ses mains tremblantes dans son dos, un sourire professionnel et agréable sur le visage.

« Pas de soucis. Toutes les œuvres exposées ici sont à vendre. Vous avez une proposition de prix ? »

« Le prix n'est pas prédéfini ? » s'étonna Blaise.

« Seulement sur certaines œuvres. Là, il ne s'agit que des miennes et je ne suis qu'un artiste amateur alors c'est aux acheteurs de proposer un prix de départ puis nous négocions. »

« Oooh… »

« Veuillez me suivre à la caisse je vous prie. »

Il regarde son visage déformé. Il l'a reconnu, il le sait. Ses yeux gris brillent. Ils peuvent enfin se revoir, mais dans quelles conditions ? C'est une mise à mort.

« Ce n'est pas lui. »

A la caisse, le brun annonça le prix minimum. Après tout il avait dû payer la peinture et la toile. Draco offrit deux fois plus puis lui demanda son numéro de portable. Pour qu'il le prévienne s'il exposait d'autres toiles. Leurs mains se frôlèrent et un frisson violement les déchira en deux mais ils ne montrèrent rien, ne dirent rien.

Gris contre Vert.

Ardoise contre Emeraude.

Un sourire fugace, un cœur qui s'emballe.

« A bientôt. »

~ oOo ~

Ron et Hermione regardèrent Harry avec intérêt. Celui-ci ne cessait de triturer son téléphone depuis quelques jours. Après un harcèlement actif et permanant, ils avaient enfin pu savoir qu'il était amoureux mais ils ignoraient tout de l'heureux élu. Le garçon soupira pour la trentième fois de l'heure avant de déverrouiller son téléphone et vérifier ses messages.

Rien.

Le silence.

Le vide.

Puis… Enfin… Une vibration qui avait la mélodie du bonheur. Il fut tellement surpris qu'il lâchât presque l'appareil. Une réponse à une proposition. Quelques mots, tout simplement. Mais… soudain le monde lui parut plus lumineux.

"Je passerais chez toi ce soir. 19h ?"

Il sourit. Un sourire gigantesque, presque encore trop petit pour interpréter son cœur qui s'envolait. Angel allait venir chez lui. Pour admirer ses tableaux certes, mais chez lui tout de même ! Ils pourraient parler, ils pourraient se toucher. Se perdre dans l'orage. Se laisser engloutir par les nuages. Se noyer dans le mercure. Enfin… Enfin…

Il le séduirait. Doucement, tendrement. Avec patience. Il se plongerait sans son cœur et détruirait toutes les barrières. Ils s'aimeraient. C'était inscrit dans leur âme. Il lui parlerait du passé, de la guerre, des baisers glacés échangés sous des draps argent.

Doucement, doucement.

Il l'aimerait. Sans aucune limite, sans aucune contrainte, sans aucun danger. Il l'aimerait en plein jour, dans la foule, face au monde. Il l'aimerait tout le temps, partout, toujours. Il l'aimerait avec cette liberté qu'ils n'avaient pas eu la première fois.

Il connaissait toute l'histoire maintenant. Il n'aurait plus besoin de cachet blanc.

Ils avaient tout leur temps.

~ oOo ~

Au tout début, leur relation était violente. Souffrir pour avoir la preuve d'être toujours en vie. La douleur était leur bouée de sauvetage. Alors ils se blessaient, ils se brisaient mutuellement. La haine était leur oxygène.

Blesse-moi. Tue-moi.

Vivre.

Après une énième bagarre, un énième coup, un énième cri de haine, ils s'étaient embrassés.

Comme ça, sans logique.

A la manière d'un coup de poing, d'une lame de poignard, d'un mot cruel.

Ils avaient continué le reste de leur cinquième année dans le noir des couloirs vides, dans le silence des vestiaires, dans le froid d'une salle de classe abandonnée.

Je te hais.

Je te hais.

Je te hais.

Vivre.

Mais petit à petit, ils avaient découvert une autre manière de se sentir vivant.

Être aimé.

C'était incroyable à quel point cette étrange chaleur pouvait faire disparaître les ténèbres qui engloutissait leur âme, leur corps, leur cœur.

Le sexe devint plus doux, plus tendre.

Les marques de morsures et de griffures avaient disparu.

Les bleus et les suçons ensanglanté n'apparaissaient plus.

Des baisers doux et attentifs naquirent.

Des regards inquiets de faire du mal, de faire couler le sang.

Le sommeil paisible dans les bras de l'autre.

Chaleur.

Vivre.

Leur sixième année fut marquée par la frustration.

Leur relation reprit un tournant plus violent, plus brut.

Ils voulaient se faire payer.

L'un sa mission, l'autre son appartenance.

Toujours, toujours, dans la tendresse ou la violence, une marque noire et une cicatrice rouge pour leur rappeler le futur.

Ils n'avaient pas le droit d'être ensemble.

Et pourtant.

Chaque moment passé ensemble était une trahison. Une confession. Un choix.

Le prix à payer…

Pour continuer à vivre, pour protéger…

Un cri de détresse silencieux.

Le sommet d'une tour.

La fin des caresses.

Fuir.

Il ne resta plus que la douleur pour vivre lors de la septième année. Plus que les souvenirs pour réchauffer leur corps, plus que les promesses qu'ils s'étaient murmurés pour tenir face à l'Enfer.

Fébriles.

Attente.

Danger.

La trahison de l'un, ses sentiments, pourraient l'emmener à la mort sans que l'autre ne puisse y faire quoi que ce soit.

S'accrocher à l'espoir, à leur fin heureuse, à l'idée qu'ils pourraient se retrouver bientôt.

Fermer les yeux, serrer les lèvres, boucher ses oreilles pour ne pas voir, ne pas hurler, ne pas entendre. Obéir puis vomir. Le sang sur les doigts, les bras, les manches. Les douches glaciales pour effacer les marques.

Chercher, avec frénésie, les morceaux à détruire pour enfin terminer cette guerre meurtrière. Lutter contre l'envie de tout foutre en l'air. Apprendre à se battre, à tuer. Attendre, espérer, prier.

Insomnies.

Souffrance.

Et enfin.

Le vert dans le gris, l'émeraude dans l'ardoise.

Mensonge.

« Ce n'est pas lui. »

Hurlements. Mort. Sacrifice. Il n'y avait pas qu'eux. Les autres faisaient partit du prix à payer.

Ultime bataille.

Ultime trahison.

Ultime confession.

Un corps jeté devant un sort pour le protéger.

Le vert dans le gris, l'émeraude dans l'ardoise.

Le sang rouge qui s'écoule.

La chaleur qui s'en va.

La vie qui s'envole.

Mourir.

Vide.

Peine.

Larmes silencieuses, secret sur le bout des lèvres.

Pourquoi ?

Pourquoi ?

Pourquoi maintenant ?

Ces mots qu'ils ne s'étaient jamais dit.

Ces mots derrières ses yeux fermés, derrière ce dernier sourire, cet ultime sacrifice.

Haine.

Tuer, tuer, tuer, tuer.

Vengeance !

Pas besoin de baguette, sa haine est telle qu'elle l'entoure, magie vengeresse.

Mais pas de fin heureuse.

Des corps partout.

Voldemort en poussière.

Poignard dans le torse.

Mourir.

Ouvrir les yeux, hurler.

Une unique prière.

Un unique souffle.

Une unique larme.

« C'est mon unique souhait…Mon unique regret… Les revoir… Recommencer différemment… »

« Pitié, pitié. Je vous en supplie ! Laisse-nous recommencer… »

Une baguette puissante.

Une pierre miraculeuse.

Une cape invisible.

Le Maitre de la Mort.

Qui accorda à son Maitre le cri déchirant de son âme.

Elle le prit dans ses bras.

Et le temps se disloqua.

Nouveau monde.

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