Chapitre 1

Le cachot était très sombre. Arcturus Fawkes aurait bien aimé un peu plus de lumière, mais il y avait une bonne raison pour laquelle les grands potionnistes préféraient les sous-sols pour leurs expériences. Il y avait toujours quelque part un ingrédient susceptible de perdre ses propriétés magiques s'il était exposé à la lumière du jour, ou encore un mélange sensible à la moindre élévation de température.

Depuis des années, Arcturus s'était résigné à passer le plus clair de son temps sous terre.

Mais il ne s'en plaignait pas.

C'était le lot de tous les bons préparateurs de potions, et il était indubitablement l'un des meilleurs.

Le Seigneur des Ténèbres lui-même avait fait appel à ses services, autrefois, pour réaliser les préparations les plus complexes des plus obscurs grimoires. Il avait passé de longues heures à travailler avec délectation sur les projets qu'il lui soumettait. Dès qu'il avait besoin d'un ingrédient rare, on le lui fournissait. Et quand il fallait tester ses mixtures, il y avait toujours un volontaire dans un des cachots du Lord.

Cependant, son ego avait été un peu malmené lorsqu'un autre potionniste avait attiré l'attention du mage noir. Un ancien Serpentard au nez proéminent, avec un certain talent, mais surtout qui partageait les idées du Seigneur Noir. Il lui avait peu à peu volé la vedette, mais alors qu'il arrivait au sommet de sa gloire, il avait trahi son maître et celui-ci avait disparu, terrassé par Harry Potter. Un retournement de situation qui ne manquait pas d'ironie.

Arcturus avait alors perdu sa principale source de revenus, mais il y avait gagné du temps — tout le temps qu'il désirait — pour retourner à ses recherches.

Depuis, il se plongeait avec délices dans les effluves de ses chaudrons, bichonnait les plantes de son jardin et consignait les résultats de toutes ses expériences dans ses précieux petits carnets noirs. C'était une vie agréable, tout compte fait.

Ce matin-là, il était particulièrement occupé à concocter un filtre de Trompe-la-mort lorsque sa clochette magique sonna, annonçant un visiteur. Le son suraigu le fit sursauter et il faillit renverser sa fiole de venin d'Acromentule, qui valait pourtant une petite fortune. Agacé, il essuya ses mains sur sa robe de sorcier et monta les escaliers quatre à quatre, la main crispée sur sa baguette magique. Il arrivait parfois que certains de ses détracteurs le retrouvent pour lui chercher querelle, et il devait se montrer prudent. Mais il pouvait également s'agir d'un client potentiel, et à l'heure actuelle, Arcturus de cracherait pas sur un peu d'or supplémentaire.

Le potionniste jeta un coup d'œil par le judas. Il fronça les sourcils en reconnaissant la chevelure blond platine de l'homme qui patientait sur le pas de sa porte.

— M. Malefoy, quel plaisir de vous voir, sourit-il en ouvrant le battant.

Bien habillé, parfaitement coiffé, Drago Malefoy se dressait de toute sa taille devant lui. Mais au premier coup d'œil, Arcturus remarqua la peau blême et les cernes sous les yeux du jeune homme.

— M. Fawkes, salua le susnommé sobrement. J'aurais besoin de vos services.

Sa voix sonna comme éraillée.

— Êtes-vous venu seul ?

Malefoy eut un geste d'agacement et son regard s'assombrit.

— Evidemment, fit-il sèchement. Bon, allez-vous me laisser entrer ou non ?

— Bien sûr, bien sûr, répondit Fawkes en s'effaçant pour le laisser passer.

Il voulut lui proposer à boire, mais son invité déclina, d'un air toujours aussi revêche. Il refusa également de prendre un siège. Malgré son port altier, son agitation transparaissait dans ses mains et dans la ligne de sa mâchoire, agitée de tics. Curieux, Arcturus attendit patiemment que Drago Malefoy lui explique le but de sa visite.

— J'ai besoin du meilleur potionniste existant, dit Malefoy au bout d'un moment.

— Je suis celui qu'il vous faut alors.

Malefoy eut une grimace.

— Celui qu'il m'aurait fallu, c'était Severus Rogue. Sans vouloir vous offenser, il était le meilleur et j'avais toute confiance en lui. Mais à présent…

— Il est mort, finit Arcturus sans la moindre compassion.

— Et vous êtes davantage versé dans les actes expérimentaux, conclut Malefoy en dardant sur lui un regard perçant. Si vous acceptez de m'aider, je paierai largement et vous procurerai tout ce dont vous aurez besoin, quel que soit le prix.

Arcturus se redressa légèrement, de plus en plus intéressé. De telles promesses étaient alléchantes, mais c'était surtout les mots « actes expérimentaux » qui avaient retenu son attention. Il adorait expérimenter.

— J'attends de vous que vous vous abandonniez tous vos projets en cours pour vous concentrer exclusivement sur moi, reprit Malefoy. Je suis… je veux des résultats rapides, et bien sûr, une totale discrétion de votre part.

— Personne n'a jamais eu à se plaindre de mes services, assura Arcturus. Et je suis disposé à me pencher sur votre problème, si celui-ci est suffisamment intéressant pour justifier que j'y consacre tout mon temps.

— Si celui-ci est suffisamment intéressant ? siffla Malefoy, soudain agressif. Il l'est, je vous l'assure.

Il lui lança un regard haineux, si chargé de colère que cela raviva la curiosité de l'ancien Mangemort. L'étincelle de folie qu'il vit dans ses yeux lui réchauffa les entrailles et un frisson d'excitation parcourut son échine. Arcturus avait presque oublié la sensation grisante du danger, promesse de longues incursions au sein de la magie noire.

— Expliquez-moi, exigea-t-il.


Installé dans le laboratoire du maître de potions, Drago Malefoy fixait ardemment son interlocuteur, dont le regard était perdu dans les volutes de fumée qui s'échappaient du chaudron bouillonnant sur le feu.

— Cela n'a encore jamais été fait, lança le jeune homme, qui avait bien compris sur quelle corde appuyer pour appâter le potionniste. Vous serez le premier, et sûrement le seul.

— Vous êtes fou, M. Malefoy, répondit tranquillement Fawkes.

Pendant un instant, ils se regardèrent en silence.

— Peut-être, rétorqua finalement l'homme blond. Mais un fou prêt à payer tout ce qu'il faudra. Ma famille est riche, l'avez-vous oublié ?

— Ce n'est pas le problème. Ce que vous me demandez est impossible.

— Impossible n'est pas sorcier.

Arcturus se figea, reconnaissant dans ces mots la maxime qu'il prêchait si souvent à l'ancien Seigneur des Ténèbres. Son regard se porta sur le petit compartiment réfrigéré magiquement, que Malefoy avait posé sur son bureau.

— Vous êtes le seul qui ait une chance de réussir, insista Malefoy, qui jetait lui aussi de petits coups d'œil fréquents sur son bien.

— C'est impossible, répéta Arcturus.

Mais cette fois, son ton manquait de conviction. Son esprit était déjà parti, échafaudant mille hypothèses, listant les ingrédients et les matériaux qui pourraient l'aider à transcender les lois de la nature. Mais à chaque fois qu'il envisageait un nouvel angle d'attaque, il se heurtait à un nouveau problème, une nouvelle complication. Drago Malefoy se contentait de le regarder, semblant suivre le cours de ses pensées. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres.

— Vous allez le faire, affirma-t-il.

— Vous risquez d'en mourir.

Malefoy haussa les épaules, impatient. Arcturus la voyait de nouveau : la folie, imprimée dans les prunelles du jeune homme. A l'évidence, il était déterminé, et aucun des arguments qu'il pourrait soulever ne le ferait changer d'avis.

— Un enfant… murmura-t-il. J'espère que vous savez ce que vous faites, M. Malefoy.

Malefoy leva ses yeux gris acier vers lui et son visage se tordit en un rictus.

— Je veux ce bébé. Je veux le porter et le sentir grandir en moi, peu importe ce que cela coûte.

Arcturus faisait les cent pas devant Malefoy, réfléchissant tout haut.

— Chaque étape est une gageure à elle seule. Rien que la première étape… Concevoir un enfant à partir de la semence de deux hommes, rien que cela risque d'être très difficile. Pourquoi ne pas trouver une femme qui…

— Pas question, coupa vivement Malefoy, les yeux fous. Il faut que ce soit ce sperme. Et le mien.

Agité de tremblements nerveux, pâle comme la mort, il posa une main fébrile sur le compartiment réfrigéré.

— A qui appartient-il ? demanda encore Arcturus.

— Ça ne vous regarde pas, trancha le blond. Ça ne change rien à ce que je vous demande de faire.

Le potionniste fit la moue, mais n'insista pas. Agitant sa baguette magique, il ouvrit le récipient et jeta un coup d'oeil à l'intérieur.

— Il n'y en a que très peu.

— Je sais, mais c'est tout ce que j'ai à ma disposition. Impossible d'en avoir davantage, alors il n'est pas question d'en gâcher.

Arcturus se tourna vers lui, arborant son visage le plus affable.

— M. Malefoy, vous savez que je ne suis pas un homme très moral. Pas moral du tout, aux dires de certains. Mais j'aimerais tout de même avoir la réponse à cette question : l'homme à qui appartient ce sperme est-il au courant de ce que vous voulez en faire ?

Malefoy se leva brusquement, envoyant du même geste une fiole se fracasser sur le sol. Peu impressionné, Arcturus se contenta de hausser un sourcil et de regarder le liquide transparent se répandre entre les dalles de son laboratoire. Au moins, il ne s'agissait pas du venin d'Acromentule.

— Vous ne savez rien ! hurla Malefoy, soudain empli de fureur. C'est… ça m'a été donné. Il me l'a donné de son plein gré ! J'en fais ce que je veux à présent !

— Calmez-vous, M. Malefoy, intima Arcturus, avec un geste apaisant de la main. Je comprends.

Drago Malefoy se détourna et se mit à faire les cent pas, les mains serrées dans son dos, cherchant visiblement à contenir sa colère. Il lui fallut plus d'une minute pour se recomposer une expression neutre.

— Si je vous ai choisi vous, un ancien Mangemort, c'est justement pour ne pas subir de questions indiscrètes. Je croyais que nous avions déjà établi les règles.

— Bien sûr, bien sûr, approuva Fawkes.

Il considéra le sorcier devant lui. Apparemment, le sujet était délicat. Peut-être l'homme en question était mort pendant la guerre, ou qu'il avait rompu à cause de l'implication des Malefoy avec le Seigneur des Ténèbres. Ou les deux.

— Y a-t-il un risque pour que le propriétaire de la semence ou un de ses proches viennent interférer avec le processus ?

— Aucun risque, répondit brusquement Malefoy.

Dans ses yeux, Fawkes entraperçut un éclat de tristesse, aussitôt remplacé par cette même colère brûlante. La magie s'échappait de lui dans des vagues désordonnées, heureusement trop faibles pour provoquer des dégâts. Cependant, il jugea plus sage d'abandonner le sujet. Après tout, Malefoy était un ancien Mangemort, aguerri à la magie noire, et il n'avait pas envie de se prendre un sort dans les dents.

— Pour ce qui est de porter le bébé vous-même…

— J'y tiens absolument, coupa Drago.

— J'avais compris. Mais ce sera la partie la plus délicate du processus. Vous risquez de souffrir atrocement. Vous risquez même de mourir.

Fawkes eut un petit rire.

— Nous autres, hommes, ne sommes pas vraiment faits pour ça, plaisanta-t-il.

Malefoy n'avait pas cillé, ni souri, mais Arcturus ne s'en formalisa pas. Il avait l'habitude des clients difficiles.