Deuxième partie
Dissensions Internes
Ste Mangouste
« Mais puisque je vous dis que je vais bien !
- Le médicomage Lester a été formel, répliqua posément l'infirmière à son irascible patient. Vous devez garder le lit encore une semaine.
- Mais ça fait quatre semaines que je suis là à me tourner les pouces. Ca va, je vais mieux, j'ai plus besoin d'être là.
- Ce n'est pas moi qui donne les ordres, monsieur Potter. Si vous voulez vous plaindre, faites le auprès du médicomage Lester.
- Bonne idée, mais pour cela, il faudrait encore que je puisse le voir.
- Ca suffit, Harry, dit Ginny en entrant dans la chambre de son mari, on vous entend depuis le couloir.
- Madame Potter, je…, commença l'infirmière.
- Ca va aller, mademoiselle, ça va aller, tempéra Ginny en posant le sac d'affaires sur le table. Vous pouvez aller vous occuper de vos autres patients.
- Bien, dit finalement l'infirmière, mais s'il y a un problème, vous n'aurez qu'à sonner et…
- Je sais, mais il n'y aura pas de problème.
- Bon… »
L'infirmière jeta un dernier regard de suspicion vers Harry et sortit. Ginny se tourna alors vers son époux.
« A quoi tu joues ? commença-t-elle avec une voix chargée de reproches, tu cherches quoi, à te faire attacher ?
- Tu as vu Lester ? répondit Harry sans tenir compte des paroles de sa femme.
- Oui, je l'ai vu et il refuse de te laisser sortir tant qu'il n'aura pas identifié le sort. »
Harry jura et fit les cent pas dans une chambre qui commençait à lui sortir par les yeux.
« C'est parfaitement inutile, je vais très bien.
- Tu rigoles ? Je te rappelle que tu étais à moitié mort il n'y a même pas un mois.
- Oui, il y a un mois !, répéta Harry avec colère. Mais ils m'ont soigné, bon sang. Maintenant, ca va. Je vais bien, bordel ! A part le fait que je sois enfermé ici, à prévenir l'infirmière à chaque fois que je veux pisser ! »
Avec un grognement de dépit, il se tourna vers la fenêtre et se plongea dans la contemplation de la rue. Ginny soupira. Elle savait bien pourquoi son mari était si frustré.
« Harry, dit-elle en se levant, tu n'es pas le seul Auror du ministère. Ils sont des dizaines encore en activité.
- Je devrais être là-bas plutôt qu'ici, à attendre le bon vouloir des médicomages. Je devrais être là-bas à combattre ces enfoirés de vampire. »
Ginny leva la main et prit le menton de Harry, le forçant à le regarder dans les yeux.
« Il serait dangereux pour tout le monde que tu reprennes maintenant, tu le sais. Ce… truc qui coule dans tes veines… Tu veux vraiment prendre un tel risque ?
- Non…
- Le risque de nous perdre, moi, James, Albus et Lily ?
- Bien sûr que non. »
Il la regarda droit dans les yeux. Ses pupilles marrons brillaient légèrement.
« C'est juste… J'en ai assez de rester là à tourner en rond comme un animal en cage alors que les autres risquent leur vie contre les vampires. Je trouve ça insupportable.
- Je sais, mais le meds Lester a dit que tu pourrais sortir d'ici une semaine. Et que tu pourras même reprendre du service.
- Vivement la semaine prochaine alors. »
Il lui fit un sourire et se pencha pour l'embrasser. Après un bref baiser, Ginny se recula avec un grand sourire et un air malicieux.
« Bien, maintenant que tu as retrouvé ta bonne humeur, tu vas pouvoir m'aider à choisir. J'ai toujours du mal à me décider. »
Harry regarda le sac d'affaires et comprit subitement.
Oh non, pensa-t-il, pas ça.
Mais, soucieux de garder une bonne ambiance, il fit un sourire à sa femme qui se retourna avec un air amusé vers le sac d'habits.
Harry profita de cette seconde pour jeter un dernier regard par la fenêtre. Novembre approchait de sa fin et le ciel était d'un gris uniforme. Il ressentit alors une pointe d'appréhension lui serrer le cœur. Depuis quelque temps, il avait un mauvais pressentiment, comme lorsque l'on regarde de gros nuages d'orage au loin et que l'on se rend compte qu'ils s'approchent lentement mais sûrement de l'abri où nous sommes réfugiés. Mais comme à chaque fois, il mit ça sur le compte de la dépression qui l'envahissait à force de rester cloitré ici.
Rien de bien méchant…
Et lorsqu'il se tourna vers Ginny, il avait toujours son sourire.
Au fond de lui-même, il savait que les médicomages avaient raison de vouloir le garder ici.
Surtout lorsque l'on savait dans quel état il était arrivé à Ste Mangouste.
Qualifier l'opération Franklin de fiasco aurait été un euphémisme. Non seulement leur cible était morte mais en plus le ministère avait à déplorer la perte de onze Aurors. Ce qui aurait dû être une simple arrestation avait viré au massacre. Bien qu'il ne le disait pas, Harry avait du mal à digérer la perte de son équipe. Comme tout chef qui se respecte, il n'aimait pas voir ses hommes tomber au combat. Sans compter qu'avec onze agents morts, le corps des Aurors était en train de disparaître. Le ministère saignait abondamment et en dépit de leurs efforts, ils ne pouvaient rien faire pour endiguer l'hémorragie.
Malgré tout, cela aurait pu être pire. Ils comptaient quatre survivants (dans un triste état, certes) et surtout, ils avaient l'héritage de l'allemand. Harry l'avait complètement oublié. C'était Seamus qui avait trouvé sur le corps inanimé de Harry la fiole contenant les derniers souvenirs de Hans Franklin. Leur dernière piste désormais. La fiole se trouvait désormais au Département des mystères qui se chargeait de les décrypter (étant donné qu'il était en train de mourir, Franklin n'avait pas contrôlé le transfert et les souvenirs avaient besoin d'être remaniés, nettoyés, pour être intelligibles). C'était la seule bonne nouvelle de ce désastre.
Concernant les quatre survivants, c'était un miracle s'ils étaient encore en vie aujourd'hui, Harry surtout. Il n'avait pas vu les médicomages arriver, il s'était réveillé dans sa chambre à Ste Mangouste avec Ginny à ses côtés qui lui tenait la main et une douleur sourde à la tête, au cou, dans la poitrine et dans les jambes. Outre de multiples écorchures, Harry souffrait d'une commotion cérébrale, de quatre côtes fêlées, d'un genou déboité et d'une plaie profonde au cou qui refusait de se refermer. Il ne savait pas quel poison ces maudits serpents lui avaient injecté car non seulement la plaie refusait de se refermer, mais en plus il était assailli par des visions affreuses. Ce n'était pas ses cauchemars habituels (par ailleurs, ils avaient cessé depuis son affrontement avec Janus, il ignorait pourquoi) ; c'était des images d'une violence extrême qui le traversait par moment, comme une bulle de rage qui venait éclater à la surface de sa conscience ou encore une étincelle de fureur meurtrière qui éclairait brièvement les méandres de son esprit. Il ne savait pas ce que c'était mais c'était terrifiant. Et suffisamment fort pour le jeter dans des transes violentes pouvant durer plusieurs minutes. Au fond, Harry n'en voulait pas aux médicomages de le garder pour résoudre ses crises. Surtout au vu de la semaine éprouvante qu'il avait passé à son arrivée à Ste Mangouste, une semaine où il avait alterné vision paralysante et sommeil sous acide. Il n'en gardait que très peu de souvenirs, il savait seulement que pendant tout ce temps, Ginny était à ses côtés.
Lorsque la deuxième semaine avait commencé, ses crises s'étaient un peu calmées et il avait enfin pu émerger. Le premier visage qu'il avait vu était celui de sa femme qui exprimait un soulagement immense. Portée par sa joie, elle s'était penchée et l'avait embrassé fougueusement. Harry, encore groggy, avait à peine répondu à son étreinte mais lui avait fait un grand sourire par la suite. Il lui avait demandé, avec une voix extrêmement grave (passer des jours à crier abimait forcement les cordes vocales), ce qu'il s'était passé. Emue, Ginny lui avait raconté les jours passés dans l'inquiétude, à le voir sombrer de plus en plus dans la folie, à le voir hurler et saigner abondamment. Pendant un instant, elle avait même cru le perdre. Puis les potions des médicomages avaient enfin fait leurs effets et c'était avec soulagement qu'elle avait vu l'homme qu'elle aimait ouvrir les yeux. Harry l'avait écouté avec une étrange sueur froide qui le parcourait. Il avait porté sa main à ses bandages, à son cou et sa tête, et avait senti une légère brûlure. Difficilement, il avait avalé sa salive, se sentant plus mal que jamais.
Ginny l'avait regardé avec tendresse.
« Oh, Harry, Ron et Hermione seront tellement contents de savoir que tu es réveillé. »
Le nom de son meilleur ami lui avait subitement rappelé la situation.
« Ron !, avait-t-il dit en se levant à moitié, déclenchant une douleur sourde dans son cou, il va bien ? Et les autres, ils s'en sont sortis ? Et…
- Du calme, Harry, du calme, l'avait-t-elle tempéré en posant ses mains sur ses épaules. Ils vont bien. Tous ceux qui sont revenus ont été soignés. En fait, c'est toi qui es dans le plus sale état…
- Comment ça ? Que veux-tu dire par « ceux qui sont revenus » ? Et… »
Son visage s'était fait perplexe.
« … On est quel jour ?
- On est le 4 novembre, avait déclaré une voix près de la porte, cela fait plus d'une semaine que vous délirez. »
Un homme d'âge moyen en blouse de médicomage se tenait dans l'embrasure de la porte, avec un léger sourire.
« Monsieur Potter, avait-t-il dit en s'approchant d'Harry, je suis le médicomage Andrew Lester, c'est moi qui me charge de votre cas depuis votre arrivée. A vrai dire, lorsque l'infirmière m'a dit que vous veniez de vous réveiller, j'y croyais à moitié. Mais je constate avec soulagement que c'est vrai. »
Ginny avait fait un sourire à Harry qui avait regardé le médicomage avec un air un peu perdu.
« Une semaine ?
- Oui. Vous êtes arrivé ici dans un état grave. Très honnêtement, je ne pensais pas que vous survivriez. Une commotion cérébrale qui s'est aggravée, les deux carotides perforées… Une chance que les médicomages aient agi rapidement.
- Mais… Et les autres ?
- Il est inutile de vous soucier des autres. Ils sont tous sur pied et, à une exception près, ils ont même quitté l'hôpital. Il ne reste plus que vous. »
Soulagé, Harry essaya de se redresser. Il eut l'impression de lever une tonne de plomb. Il n'eut même pas besoin de Ginny pour retomber comme une masse sur l'oreiller.
« Ginny… m'a dit que je délirais ? »
Le meds s'était fait plus grave. Nerveusement, il s'était passé une main dans son épaisse tignasse brune.
« Il semblerait… que l'on vous ait empoisonné.
- Empoisonné ? Comment ça ? »
Harry avait senti une brusque inquiétude l'envahir. Lester avait repris :
« Votre beau-frère Ronald Weasley nous a informé de la nature de vos blessures au cou. Lorsque nous avons appris qu'il s'agissait de morsures de serpent, nous avons immédiatement fait un prélèvement pour chercher toutes sortes de poisons. Peu de temps après, vous avez fait une crise si violente que votre cœur s'en ait arrêté. Nous avons réussi à vous réanimer et à calmer la crise mais… » Le médicomage avait secoué la tête. « Ce n'était que le début. Vous avez fait d'autres crises. Elles étaient moins violentes que la première mais tout aussi impressionnante. Nous étions obligé de vous droguer en permanence pour ménager votre cœur mais même cela, ça ne vous calmait pas. Et surtout, vous n'émergiez pas. Lorsque vous ne piquiez pas une crise, vous sombriez dans un coma profond. Je vous pensais perdu, pour tout vous dire. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis soulagé de vous voir ouvrir les yeux. »
Le sang de Harry s'était glacé. Mais que lui avait fait Janus ?
« Vous avez trouvé le poison ?
- Les analyses ont été terminées rapidement. Et…
- Et ?
- Et rien. Absolument rien. C'était à n'y rien comprendre. Il n'avait rien dans votre sang qui n'avait rien à y faire. »
Un temps puis :
« Mais alors, j'ai quoi ?
- Lorsque la toxicologie s'est révélée négative, nous avons effectué une analyse occulto-sensorielle. Nous ne pensions pas trouver quelque chose lorsque… Et bien, lorsqu'une chose étrange est apparue sur notre feuille d'analyses… »
Il avait sorti un parchemin de sa poche et l'avait ouvert devant Harry. Des diagrammes, des chiffres, des notes. Un vrai charabia.
« Alors ?
-Nous avons détecté un sortilège dilué. C'est comme si l'énergie pure qui compose la magie s'était retrouvée à l'état liquide et avait été injectée dans vos veines. Le sort est véhiculé par le sang jusqu'à votre cerveau, c'est probablement ce qui provoque vos crises. C'est également très faible, on a failli passer à côté.
- Et ce sort est censé faire quoi ? avait demandé Harry, craignant la réponse.
- A part vous faire souffrir, on l'ignore. Toutefois, j'ai une bonne nouvelle. Nous avons effectué plusieurs analyses ces derniers jours et il semblerait que le sort régresse. Cela pourrait expliquer votre réveil.
- Vous voulez dire… que le sort disparait ?
- Il semblerait. »
Harry avait été dubitatif. Connaissant Janus, il ne lui avait pas injecté ce truc uniquement pour le torturer, les cauchemars étaient suffisamment efficaces. Cela cachait quelque chose...
« Est-ce que Harry peut recevoir des visites ? avait demandé Ginny en se tournant vers Lester, il y a du monde qui aimerait le voir.
- J'imagine, oui, avait-t-il dit en se passant la main dans ses cheveux, j'ai même reçu une lettre du Premier Auror Goodwin, m'ordonnant de le prévenir lorsque vous vous réveillerez. Toutefois… » Il avait semblé hésiter. « Vous venez à peine de vous réveiller, et nous ignorons encore l'origine du mal qui vous ronge. Je ne sais pas si c'est très prudent… »
Mais devant le regard de Ginny, il avait fini par dire :
« Bon, d'accord, mais pas très longtemps, il est… Monsieur Potter ? »
Mais Harry n'écoutait plus. Ses yeux s'étaient révulsés et ses membres s'étaient raidis. Lester s'était alors tourné vers Ginny.
« Sortez, madame Potter, maintenant. Infirmiers ! avait-t-il alors crié vers le couloir, infirmiers !, chambre 219, il y a urgence. »
Rongée par la peur, Ginny était sortie de la chambre de son mari tandis les infirmiers s'étaient précipités pour aider le médicomage Lester.
Une seconde après, Harry avait fait une crise violente.
Harry n'avait finalement vu personne ce jour-là. Ginny n'était revenue dans la chambre que le soir pour trouver son époux plongé dans un sommeil fiévreux. Lester l'avait fait surveiller de près. Si les crises devenaient de plus en plus disparates, elles gagnaient en intensité. Il valait mieux le garder à l'œil le plus possible. Avec un soupir, Ginny avait pris la main de Harry et l'avait veillé.
La semaine qui s'écoula ensuite avait été assez pénible pour Harry. Il avait alterné période de veille et crise violente sans pouvoir prévoir quand commencerait l'une et quand finirait l'autre. Il pouvait rester une à deux heures avec toutes ses facultés jusqu'à ce qu'une pression importante lui broie la poitrine et qu'il plonge dans un tourbillon de souffrances. Il n'avait pu voir personne, Ginny étant la seule exception. Lester avait été formel, il préférait le garder en isolement afin de ne pas fragiliser une santé déjà bien atteinte. Harry pensait qu'en réalité, Lester ne voulait pas faire étalage de son état devant ceux qui tenaient à lui (les crises étaient véritablement impressionnantes) et il avait remercié le médicomage pour ça.
Malgré tout, l'état de Harry s'améliora durant cette semaine. Au début, il faisait quatre à cinq crises par jour, puis le nombre diminua, à tel point qu'à la fin de cette semaine, il en faisait à peine deux, voire une seule. Soulagée de voir que l'état de son mari s'améliorait, Ginny avait tanné Lester pour que Harry puisse enfin avoir de la visite. Le médicomage avait fini par céder et ce n'est que deux semaines après son arrivée à Ste Mangouste, le vendredi soir, que Harry put enfin voir ses proches.
Il y eut beaucoup de monde en très peu de temps (Lester n'avait accordé qu'un laps de temps relativement court). Une grande partie de la famille Weasley était là, Molly et Arthur en tête. Malgré leurs soixante-dix ans passés, ils avaient tenu à venir. Molly s'était même jetée au cou de Harry, le visage ruisselant de larmes de joie. Harry avait gardé son sourire mais il avait serré les dents pour ne pas hurler (Mme Weasley lui broyait les côtes). Lorsqu'elle l'avait enfin lâché, Arthur s'était approché de lui et lui avait serré la main avec émotion. Harry lui avait rendu sa poignée, ému par le vieil homme qu'il savait malade. Venait derrière Georges, son beau-frère amateur de farces et attrapes qui lui avait serré la main également avec un sourire typique au jumeau. Il y avait également Percy avec Audrey, son épouse, tous deux très digne, et enfin arrivant un peu en retard, Ron avec un sourire suivis de Hermione, James, Albus et Lily.
A l'instar de Molly, Hermione s'était jetée dans les bras de Harry (mes côtes, avait-t-il hurlé, intérieurement) et l'avait embrassé sur la joue.
« Oh, Harry, on s'était fait tellement de soucis, » lui avait-t-elle avec un sourire soulagé.
Harry n'avait rien répondu. Il avait regardé tout ce monde autour de lui, ses enfants plus particulièrement, que Flitwick avait dû autoriser à quitter Poudlard pour venir le voir. Il avait alors senti une émotion étreindre sa poitrine. Pour la première fois depuis son arrivée à l'hôpital, il avait vraiment été heureux. Heureux de les voir, tous, autour de lui. Ses amis, sa famille, ses enfants, tous ceux qu'il avait failli perdre dans le repaire de Janus.
Il avait senti ses yeux le picoter et avait dit pour cacher ses larmes :
« Merci à tous d'être là. Vraiment, ça me fait très plaisir. »
Et aux autres de lui répondre que ce n'était rien, que c'était bien normal, etc… La suite avait furieusement ressemblé à une réunion de famille. Ca discutait, ça braillait par moment (à tel point qu'une infirmière était venue trois fois pour leur demander de baisser le volume), en clair, on aurait presque pu se croire au Terrier. Harry avait un grand sourire et pendant un temps, il en avait oublié ses soucis.
La visite avait duré presque une demi-heure. Lester était alors entré et avait dit :
« Je crois qu'il vaut mieux laisser Mr Potter se reposer, maintenant. »
Les autres avaient un peu rechigné mais avaient fini par écouter le docteur et étaient partis. Il ne resta plus que Ron, Hermione, Ginny et les enfants.
« Bien, il est temps pour nous de rentrer à Poudlard, avait dit Hermione en se tournant vers James, Albus et Lily, dites au revoir à votre père, nous avons une longue route. »
Les enfants s'étaient avancés l'un après l'autre et avaient embrassé Harry. Il leur avait fait un léger sourire et leur avait dit de ne pas faire de bêtises à l'école, que s'il apprenait qu'ils avaient encore fait des siennes, il viendrait lui-même les arrêter. Il plaisantait, naturellement, et les enfants l'avaient compris. Hermione s'était alors avancé et avait de nouveau pris Harry dans ses bras en le serrant moins fort. Elle l'avait embrassé sur la joue et lui avait dit qu'elle viendrait le voir dès que possible. Ron s'était alors avancé et lui avait tendu la main. Harry l'avait serré et avait dit à sa femme :
« Ginny, demande à Lester si Ron peut encore rester quelques minutes. J'ai… quelque chose à lui demander.
- Et… ça ne peut pas attendre ?
- Non.
- Bien. »
Ginny était sortie. Harry s'était tourné vers Hermione.
« Vous pouvez attendre dehors, s'il vous plait ?
- Euh… oui, mais…
- Ce sera pas long. »
Hermione était sortie à son tour, perplexe, entrainant derrière elle les enfants.
Ron s'était tourné vers lui, avec un sourire.
« Tu sais qu'elle finira pas savoir de quoi on a parlé.
- Je m'en doute.
- J'imagine que si tu as fait sortir Ginny avec une excuse aussi bidon, c'est qu'elle t'a interdit de poser des questions.
- Tu vas sans doute me dire qu'elle ne t'a rien dit ?
- C'est vrai, convint-il, il ne faut pas te fatiguer apparemment. »
Il avait fait apparaitre une chaise et s'était posé dessus nonchalamment. Un bref instant, Harry avait vu l'éclat argenté des prothèses de Ron.
« Encore désolé pour tes doigts.
- Oh, c'est rien, il faudra juste m'y habituer, avait-t-il dit en agitant tristement ses faux doigts, ma première grosse blessure… Moi qui pensais arriver à la retraite avec tous mes membres.
- Ouais, dés…
- Ce n'est pas la peine de l'être. Je connaissais les risques lorsque j'ai commencé ce métier. »
Harry avait eu envie de lui répliquer que rien n'aurait pu les préparer à la Confrérie de Minuit lorsqu'il avait enchainé :
« Bon, j'imagine que tu as envie de me questionner sur ces enfoirés de la Confrérie. Je t'écoute. »
Harry n'avait aucune idée de ce qui se passait depuis que les serpents de Janus lui avaient transpercé la gorge. Il avait alors posé la question qui lui dévorait l'esprit depuis quelque temps :
« Comment sommes-nous arrivé ici ? On s'est échappés comment ? »
Le visage de Ron avait pris l'expression typique de ceux qui remuent un mauvais souvenir et il avait commencé son récit.
Après avoir fui la Salle aux Orbes, Ron avait erré dans les couloirs sans chercher à s'orienter. Dans son esprit fiévreux, il n'avait cherché qu'à mettre le plus de distance possible entre lui et les vampires volants. Il avait fini par arriver dans un couloir clos, uniquement percé par une double-porte. Il avait essayé de l'ouvrir, en vain. La porte était verrouillée et le métal de la poignée était gelé. Sans chercher à comprendre, il avait fait demi-tour et s'apprêtait à reprendre sa course lorsqu'il avait entendu une voix crier derrière la porte. Il n'en était pas sûr, mais il avait cru reconnaitre Morgane.
Ron avait alors sorti sa baguette et avait lancé un sortilège de déverrouillage sur la porte, sans même la faire tressaillir. Il s'était acharné une bonne dizaine de minutes sans parvenir ne serait-ce qu'à l'entrouvrir. Ce n'est qu'après un énième « alohomora » que la porte avait volé en éclat et que Ron s'était retrouvé devant une scène surréaliste.
Harry et Janus étaient en l'air, à une dizaine de mètres du sol. Janus était dans le dos de Harry et des serpents jaillissaient de ses manches, serrant l'Auror impuissant dans leurs anneaux. Morgane gisait inconsciente un peu plus loin, le visage en sang. Soudain, Harry avait hurlé. Les serpents avaient enfoncé leurs crochets dans le cou de Harry. Ron avait levé sa baguette et avait hurlé Stupéfix. Le sort avait tranché net les reptiles et Harry s'était écrasé par terre. Ron s'était précipité vers lui et l'avait trouvé à genoux, les mains plaquées sur son cou, du sang perlant entre les doigts. Janus avait brièvement disparu et se trouvait maintenant devant lui, à une vingtaine de mètres. Derrière lui venait d'apparaitre une cohorte de vampires, des vrais, pas ces copies contre lesquels ils s'étaient battus.
Tout cela s'était déroulé en une poignée de secondes et Ron s'était dit qu'il n'en faudrait pas plus pour les achever.
A cet instant, il n'avait plus rien compris à ce qui se passait.
Alors que les vampires allaient se jeter sur eux, Janus les avait arrêté et leur avait ordonné de les renvoyer tous les quatre de là où ils venaient. Il s'était ensuite mis à siffler comme un serpent et tout était devenu noir. Lorsque la lumière avait reparu, ils se trouvaient dans les tunnels de Windermere, entourés de sorciers et de médicomages. Puis ils étaient arrivés ici, tous dans un état pitoyable.
Voilà tout.
Harry était resté songeur un moment.
« Je te dois la vie, avait-t-il dit finalement.
- Oublie, avait répondu Ron avec un sourire, disons plutôt que c'est moi qui allège ma dette envers toi, ok ?
- Si tu veux… » Il s'était subitement rappelé un détail. « Minute, tu as dit qu'il nous avait renvoyé tous les quatre. Les autres sont devenus quoi ? »
Ron s'était fait grave. Harry connaissait la réponse mais il avait besoin de l'entendre.
« Désolé, Harry, tous les autres sont morts. »
Ron lui avait alors raconté le combat qui s'était déroulé dans la Salle aux Orbes, face aux vampires ailés, comment tous les Aurors étaient tombés les uns après les autres. Coermann, Norman, Hailey, Rank et Vriss. Et Cole qui avait bien failli être ajouté à la liste des morts.
« L'américain a eu le bras fracassé, ajouta-il, et une côte fêlée. Morgane avait plusieurs écorchures plus une coupure profonde à la joue. Moi, je n'avais rien, à part ma main diminuée. Le pire, c'était toi. Beaucoup pensait que tu ne survivrais même pas au voyage. »
Harry se tut un moment avant de lâcher un « bordel » dépité. Ron l'avait rassuré :
« Ne t'inquiète pas, on s'est tous remis, même toi, tu seras bientôt sur le terrain, tu verras. Il n'y a plus que toi et Morgane à être encore ici.
- Morgane ?
- Oui, la lame qui l'a défigurée était emprunte de magie noire et la plaie peine à se refermer. Les médicomages préfèrent la garder encore un peu. Et puis… »
Il avait un peu hésité.
« Quoi ?
- C'est surtout son état psychologique qui les préoccupe. Elle… Elle va mal. Les psys ont diagnostiqué un traumatisme majeur. Pourtant, elle… Enfin, je ne comprend pas, elle était à Remlet il y a trois ans et c'était au moins aussi terrible que ce que l'on a enduré il y a deux semaines. Alors… Je…
- Tu n'as pas affronté Janus, l'avait interrompu Harry avec une touche acerbe, tu n'as aucune idée de ce qu'il est capable de faire. Sans compter qu'elle a perdu Davis. »
Ron s'en était trouvé un peu penaud. « Je sais, mais je pensais… Tu crois que ça pourrait avoir un rapport avec sa blessure ? Les lames, et tout… Tu ne crois pas que ça pourrait avoir un rapport avec…
- J'en sais rien. C'est possible, voir probable. J'irai la voir lorsque les meds m'autoriseront à quitter cette chambre. »
Il y avait eu un moment de silence. Harry avait songé à tous ses équipiers morts, ce jour-là.
Onze au total. Furieux, il avait juré que la Confrérie leur paierait au centuple ce qu'elle leur avait fait. A eux, et à tous ceux qui avaient déjà perdu la vie dans cette folie.
« Harry… »
Ce dernier avait regardé Ron. Son regard était sérieux.
« Aucun de nous n'aurait dû survivre. C'est incompréhensible que Janus nous ait épargnés. »
Harry s'était fait la même réflexion. Pourquoi, alors qu'ils étaient à leur merci, Janus les avait-il renvoyés ? C'était inconcevable. Harry avait beau se creuser la tête, il ne comprenait pas la manœuvre de l'ennemi. Cela avait-il un rapport avec ce sortilège qui coulait dans ses veines ? Possible.
« Je sais. Je me suis fait la remarque aussi et… »
Une brusque contraction lui avait coupé le souffle. Le prélude à une nouvelle crise.
Non, pas maintenant.
« Ca va ? », avait demandé Ron, perplexe.
Harry avait lâché un « oui » étranglé et avait rapidement enchainé avant que la douleur ne se transforme en torture.
« On n'a plus beaucoup de temps avant que Ginny ne revienne avec Lester. Quelles nouvelles de la Confrérie ? Y a du nouveau ?
- Pas grand-chose pour le moment, avait répondu Ron qui voyait bien que Harry souffrait, tu ferais mieux de poser ces questions directement à Goodwin. Etant donné que tu vas mieux, tu vas sûrement le voir débarquer demain.
- Goodwin, en personne ?
- Ouais, après tout, tu es l'un de ses meilleurs éléments. Et surtout, il attend impatiemment ton rapport sur Janus.
- Morgane ne peut pas leur donner ?
- Elle n'est pas en état. Le seul nom de ce salaud suffit à la terrifier. Et excepté elle, tu es le seul à l'avoir affronté et à avoir survécu. »
Un temps puis :
« Autrement, je peux te dire que Flitwick est désormais le directeur officiel de Poudlard, et non plus un remplaçant. La décision a été prise la semaine dernière, le cas de McGonagall ne s'étant malheureusement pas amélioré. Au moins, on n'a pas à s'en faire de ce côté. Poudlard est entre de bonnes mains. De plus, l'élection du nouveau ministre aura lieu à la fin du mois. Mes équipes surveillent les favoris en ce moment. Je te ferais parvenir les rapports dès que possible. »
Ron était l'un de ceux que Harry avait placé à la surveillance des candidats et à ce qu'il voyait son ami avait fait un bon travail. Une dernière question lui avait traversé l'esprit :
« En parlant de McGonagall, on a du nouveau sur l'empoisonneur ?
- Malheureusement rien. La piste en soi ne donne rien et on a de moins en moins d'Aurors pour l'étudier. Ces saletés de vampires sont en train de nous décimer. »
Ca, Harry s'en était rendu compte. Une nouvelle contraction abdominale l'avait forcé à écourter la conversation.
« Bon, merci Ron, tu ferais mieux de y aller. Hermione doit s'impatienter. Et vaut mieux pas que Ginny nous trouve en train de parler boulot.
- Oui, j'm'en doute. Bon, à plus, Harry, et repose toi. J'essaierai de te faire parvenir les rapports au plus tôt. »
Ils s'étaient serrés la main et Ron était sorti de la chambre. A la porte, il avait croisé Ginny qui revenait. Elle avait demandé à Ron ce qu'il faisait et comme il avait esquivé en emmenant prestement sa femme et ses neveux, elle s'était tourné vers Harry :
« Vous faisiez quoi ?
- On discutait, rien d'autre.
- Et de quoi ?
- De Quidditch, avait répondu Harry avec aplomb, Ron pense que les Canons de Chudley vont atteindre la deuxième division cette saison après son excellent match contre les Eclairs de Manchester. J'ai beau lui dire que cette équipe est mauvaise mais tu le connais…
- Harry…
- Quoi ?
- Arrête de te foutre de moi.
- Mais c'est vrai, avait lancé Harry avec un sourire qu'il n'avait même pas essayé de réprimer.
- Harry, bon sang, tu es convalescent !
- Je vais bien, avait-t-il répliqué en espérant que son sursaut de douleur soit passé inaperçu, de toute façon, des Aurors devraient passer demain. Alors autant… Autant que je… Je… »
La douleur lui coupait le souffle par saccade. Ginny avait immédiatement compris et avait appelé les infirmiers. Harry avait passé le reste de la soirée dans un délire fiévreux.
Le lendemain, comme prévu, Goodwin, accompagné de Cole et Seamus, était venu lui rendre visite en début d'après-midi. Ginny s'était retirée afin de laisser les Aurors entre eux (bien qu'elle désapprouvait la visite, vu l'état encore fragile de Harry).
Des trois, Cole était le plus amoché. Comme lui avait dit Ron, l'américain avait le bras gauche dans le plâtre mais ne semblait nullement en souffrir. Le fait qu'il soit là devait même signifier qu'il était de nouveau en service. Admirable.
« Alors, Potter, comment allez-vous ? avait demandé le Premier Auror d'un ton bourru, vous vous remettez ? »
Harry décida de passer outre la crise légère du matin et avait dit :
« Mieux, oui. J'espère être de retour sur le terrain très bientôt.
- Forcez pas, Potter, et écoutez les médicomages. On peut se passer de vous, vous savez. »
Harry avait eu un petit rire. « C'est marrant, Ron m'avait dit la même chose.
- Et il n'a pas tort, Harry, avait alors dit Seamus, d'ailleurs, c'est pas plus mal ; au moins, certains n'ont pas à supporter tes sautes d'humeurs.
- Le digne héritage de Callaghan, avait renchéri Goodwin, avec un demi-sourire.
- Si c'est pour vous fou… », avait commencé Harry avant d'être stoppé par une douleur à la poitrine qu'il commençait à trop bien connaitre.
Cole s'était avancé légèrement, la mine indéchiffrable.
« Vous avez eu des blessures terribles, Potter. Evitez de trop forcer.
- Merci du conseil, l'américain, avait répliqué Harry le souffle court, vous en avez eu pour votre compte, vous aussi.
- Oh, je m'en remettrais. Sûrement plus facilement que vous.
- Ca, c'est sûr. »
La douleur était passée et Harry avait retrouvé un souffle normal.
« Ron m'a également dit pourquoi vous êtes là. Ca vous dérange si je vous donne mon rapport à ma sortie d'hôpital ? »
Les trois Aurors avaient échangé un regard. Harry avait eu un doute.
« La situation est si terrible que ça ?
- Bien au contraire, avait répondu Cole, et c'est justement pour ça que l'on a besoin de vos informations.
- Comment ça ?
- Les vampires ont cessé leurs assauts, avait enchainé Seamus, cela fait maintenant trois semaines qu'ils n'ont plus fait de victime. »
Harry n'en avait pas cru ses oreilles.
« Comment ça, ils n'attaquent plus ? Ils ont disparu ?
- Non, ils ont simplement cessé de se battre. » Goodwin s'était placé devant la tête du lit. « Ils se sont retranchés dans leurs repaires et se contentent de se défendre si l'on s'approche d'un peu trop près. Nos équipes les surveillent à bonne distance. Mais à moins qu'ils disposent de portails similaires à celui que vous avez traversé, ils ne bougent plus. »
Harry était resté songeur quelques secondes et avait demandé :
« Selon vous, pourquoi ils ont cessé les hostilités ?
- Aucune idée. Mais selon Cole, cela pourrait avoir un rapport avec votre aventure dans le repaire principal de la Confrérie.
- C'est-à-dire ? »
C'était Cole qui avait répondu. « Ils attendent. A mon sens, notre passage là-bas a changé quelque chose. Une chose qui a probablement modifié les plans de Janus. A-t-elle modifié son action, ou au contraire l'a-t-elle accéléré ? Impossible à savoir. Quoi qu'il en soit, les vampires ont un comportement typique. On dirait une armée dans l'attente d'une bataille. Ou plutôt d'une invasion.
- Invasion ? Ils sont si nombreux que ça ?
- On a détecté des repaires un peu partout en Angleterre. La plupart sont le long de la frontière écossaise mais d'autres se trouve aux abords des grandes villes. Liverpool, Manchester, Birmingham, Exeter, New Castel… Il y en a même un à vingt kilomètres à peine de Londres. Ils sont partout. »
Cela donnait le tournis. « Et il est impossible de les déloger ?
- On a essayé de détruire le repaire proche de Londres avec l'aide des troupes françaises. On a rien pu faire. L'endroit était protégé par une protection magique quasi-inviolable. Une sorte de repousse-moldu appliqué à nous mêmes. Et si l'on parvient à la traverser, on se retrouve devant une cinquantaine de monstres armés jusqu'aux dents. On a perdu vingt hommes dans l'opération. Crois-moi, ils sont bien installés.
- La situation est la même partout ?
- Oui. »
Un temps puis :
« Nous profitons de cette accalmie pour essayer de prendre l'avantage, avait déclaré Goodwin. Et pour cela, il nous faut connaitre l'ennemi. Ces… choses qui vous ont attaqués dans le repaire nous inquiètent fortement. Elles sont… différentes. Et aussi dangereuses que les soldats que nous avons affronté jusqu'ici. On commençait à connaitre notre adversaire et voilà qu'il nous attaque avec une nouvelle arme. Si l'on veut s'en sortir, il nous faut connaitre cette arme. Cole et Weasley nous ont déjà informés de ces vampires ailés et de leurs fouets meurtriers. Par contre, on ignore tout de ce qui s'est passé de votre côté, quels ont été vos adversaires et où vous vous trouviez. Weasley a dû vous le dire, Mandola n'est pas en état. Il ne reste plus que vous. Qui avez-vous affronté ? A quoi ressemblait la salle où vous vous trouviez, cela pourrait peut-être nous aider à localiser l'endroit. Et bien sûr, dites nous tout de Janus. Ses pouvoirs, son comportement… Tout ce qui pourrait nous être utile. »
Harry avait regardé les trois Aurors et avec un soupir de fatigue avait commencé son récit. Il leur avait parlé des colosses à la faux, de la salle gigantesque avec ses lustres de fers, ses piliers monumentaux et son autel à la gloire d'un seigneur vampire antique… enfin, il leur avait parlé de Janus. Il avait évoqué ses terrifiants pouvoirs basés sur la manipulation mentale, sa puissance grandiose qui lui permettait de se passer de baguette et pour finir, sa cruauté et son sadisme sans bornes qui avaient réduit en cendres le malheureux Dan Davis. Harry n'était pas trop entré dans les détails (le simple fait de revivre ces heures sombres le glaçait) mais cela avait suffi à ses collègues. Seamus avait tout noté sur un parchemin à l'aide d'une Plume à Papote et lorsque Harry avait fini, une bonne longueur était noircie d'encre. D'un geste, Seamus avait enroulé le précieux document et l'avait rangé dans sa poche.
« Bien, Potter, nous allons vous laisser. Reposez-vous bien. Je le répète, on peut se passer de vous. »
Les trois hommes s'étaient détournés. Harry les avait arrêtés :
« Attendez. »
Goodwin s'était retourné à moitié. « Qu'y a-t-il ? »
Harry avait froncé les sourcils. Un détail l'intriguait depuis tout à l'heure.
« Seamus, tu as respecté le protocole à Windermere ? »
Ce dernier avait eu un sourire mi-amusé, mi-contrarié.
« Tu me prends pour qui, Harry ? Bien sûr que je l'ai respecté. »
Lorsqu'une équipe d'Auror disparaissait et qu'une autre se trouvait sur place à ce moment-là, cette dernière devait envoyer un patronus au ministère afin d'enclencher les Traqueurs sur les disparus. Ainsi, on pouvait plus facilement les retrouver. Ces nouvelles règles avaient été appliquées peu de temps après la conception des artefacts.
« Alors ?
- Alors, rien. Que dalle.
- Impossible, les Traqueurs repèrent n'importe qui, même derrière un champ de protection puissant. Vous auriez dû nous trouver, surtout si les sortilèges étaient à fond…
- Oui, sauf que les Traqueurs ne vont pas plus loin que les frontières du pays, relations internationales obligent… »
Il y avait eu un bref instant de flottement puis Seamus avait achevé la conversation :
« Je ne sais pas où vous étiez, Harry. Mais ce que l'on sait, c'est que ce n'était pas en Angleterre. »
Le reste de cette troisième semaine avait été très ennuyeuse pour Harry. La raison en était très simple. Il était désormais contraint de rester dans sa chambre et il tournait en rond comme un animal en cage.
Inexplicablement, ses crises avaient cessé.
Il en avait eu une dernière dans la matinée du dimanche mais à partir de lundi, plus rien.
Lester avait refait des tests occultes et en était arrivé à la conclusion que le sort avait en partie disparu. En partie seulement, car le médicomage détectait toujours quelque chose et préférait de ce fait, le garder ici. Une situation très vite insupportable pour Harry qui n'aimait pas rester là à rien faire. D'autant plus qu'il se sentait bien, maintenant. Ses plaies cicatrisaient très bien, ses côtes étaient remises en place et avaient cessé de le faire souffrir, son crâne avait retrouvé toute son intégrité, bref, il pouvait sortir, il était aussi dispo qu'avant son arrivée.
A une exception près, néanmoins.
Une impression ne le lâchait pas depuis que ces crises avaient disparu. Une impression à la fois dérangeante et curieusement rassurante.
L'impression de ne jamais être seul.
Lorsqu'il se retrouvait à priori seul dans sa chambre, la nuit par exemple, il avait l'impression tenace qu'on l'observait. Que quelqu'un, ou quelque chose, le surveillait d'un quelconque recoin de sa chambre. Mais étrangement, il n'en avait pas peur, il sentait que la présence ne lui voulait pas de mal, comme si elle veillait sur lui. Cela restait toutefois très dérangeant et Harry fouilla plusieurs fois la chambre sans rien trouver. Il en avait d'abord parlé à Ginny qui en avait touché un mot à Lester. Ce dernier avait eu une réaction très intéressante. Son regard s'était allumé et il avait posé de nombreuses questions sur cette impression. Mais Harry ne lui avait rien appris de bien passionnant, la présence se contentant de le surveiller, c'était tout. Toutefois, le médicomage ne semblait pas déçu.
« Vous avez une idée sur ce que c'est ? »
Lester n'avait pas répondu tout de suite.
« Nous sommes en train d'analyser ce fragment étrange qui n'a pas disparu de votre organisme, avait-t-il fini par dire, et nous nous sommes rendus compte qu'il s'agissait d'un sortilège, mais d'un autre type que celui qui vous a tourmenté ces derniers jours. C'est… C'est prodigieux (Lester avait du mal à cacher son enthousiasme). De la très belle magie. Enfin, quand je dis belle, je veux dire vraiment bien faite. A priori, ce sort n'agit pas sur vous mais il est possible que l'on se trompe. Voyez vous, Mr Potter, les sortilèges du type « malédiction psycho-physique », comme celui que vous avez subi, agissent sur différents plans tant au niveau physique que spirituel. Selon le degré de puissance du sort, certains plans vont être touchés et d'autre non. Et plus le sort est intense, plus le nombre de plans touchés seront importants. Les Lois de Wingrall définissent 8 plans physiques et 11 plans spirituels. Les plans portant les plus hauts numéros sont les plus basiques et les plus simples à atteindre. Pour exemple, ce que vous avez enduré était un sortilège touchant les plans physiques 8 et 7 ainsi que le plan spirituel 11. C'est là que ça devient intéressant. Le sortilège s'est ensuite modifié. Voilà pourquoi vous vous êtes réveillé et pourquoi les crises disparaissaient peu à peu. Le sortilège ne se dissipait pas, comme nous le croyions, il changeait. Il est passé à d'autres plans, plus profonds et plus difficiles à atteindre. Et c'est…
- Attendez, l'avait interrompu Harry qui essayait de suivre (il aurait aimé qu'Hermione se trouve là à ce moment), vous dites que plus le sort est important, plus il y a de plans de touchés, c'est ça ?
- Exact, avait répondu Lester avec l'expression de celui qui voyait avec satisfaction que son élève commençait à cerner le problème.
- Donc le sortilège devrait toujours agir sur les plans que vous avez cité tout à l'heure, c'est ça ? (Lester opina de nouveau.) Dans ce cas, pourquoi mes crises ont stoppé ?
- Voilà, vous avez compris le problème, s'était exclamé le meds, c'est pour ça que c'est de la très belle magie. La malédiction ne se contente pas de s'étendre, elle voyage, passant d'un plan à un autre, sans agir, sans laisser de traces. Les crises ont disparu parce que les plans qui les enclenchent ne sont plus sollicités. A l'heure actuelle, on estime que le fragment occulte qui n'a pas disparu agit sur les plans physiques 5 et 4 et sur les plans spirituels 7 et 6. On n'en est pas tout à fait sûr, il est possible qu'il soit plus étendu. Quoi qu'il en soit, c'est vraiment très bien fait. Très pointu, très précis. Il est rare que ce sort soit si maîtrisé. Celui qui a fait ça est un maître. »
Harry n'avait pas relevé le compliment fait au vampire en chef de la Confrérie et avait demandé :
« Tout ça, c'est bien beau, mais que fait ce sort ? Connaissant Janus, je doute que ce soit pour me faire du bien. Avez-vous une idée sur son action ?
- Très vague. Pour l'instant, on ne peut rien dire de très définitif tant que l'on n'aura pas déterminé jusqu'où il s'étend. Selon le degré de précision, l'action peut être tout autre. Le seul élément dont on soit sûr, c'est que le sort, disons… s'échappe de vous.
- Pardon ?
- On a effectué une détection AOV c'est-à-dire, aura occulto-vaporeuse. En clair, on regarde les fluctuations de la magie qui s'échappent de votre corps par le biais d'un artefact appelé Ovaryscope. En soi, ça n'a rien de surprenant. Tous les sorciers ont cette particularité, c'est même ce qui fait le propre de notre nature. Habituellement, les sorciers ont un taux de perte de 0,119 mu/ol avec des variations de 0,02 à 0,07. Mais vous, monsieur Potter, vous atteignez un taux de 1,989 mu/ol ! C'est incroyable ! Jamais un sortilège n'a généré autant de perte. Il faut l'avouer, c'est quasiment unique. »
Décidément, le cas de Harry ne l'intéressait pas, il le passionnait.
« Ecoutez, meds Lester, j'aimerais savoir clairement ce que c'est que cette chose. Pourquoi est-ce que je ne ressens rien ? C'est pas normal. Et… (Une idée venait de lui traverser l'esprit) Ce sort, pourrait-il être à retardement ? »
Lester avait regardé Harry avec un sourire amusé tandis que Ginny l'avait regardé avec inquiétude.
« Sincèrement, je ne sais pas. Mais ce n'est pas à exclure. C'est pour ça que nous vous gardons ici. Quand au fait que vous ne ressentez rien, cela est peut-être dû à la nature même du sort. Peut-être n'est-il pas fait pour vous faire souffrir, qui sait ? (le médicomage secoua la tête) On manque de recul dans ce domaine. Dans nos archives, nous n'avons qu'un cas de malédiction occulto-psychique plus poussé que le votre. Il date d'il y a quarante ans et le malheureux en est mort. Le sort était si puissant qu'il l'a rendu fou et profitant d'une minute d'inattention des infirmiers, il s'est ouvert la gorge avec une cuillère en plastique taillée en pointe. Mais le pire, c'est que dans un autre éclair de démence, il a essayé de se recoudre avec une aiguille et du fil. Je ne vous dis pas le sang… »
Lester s'était arrêté, se rendant compte qu'il divaguait et que les deux adultes en face de lui étaient pétrifiés par l'horreur.
« Mais ce n'est pas votre cas, monsieur Potter, rassurez vous. Je vous l'ai dit, je ne pense pas que ce sort-là soit conçu pour vous faire souffrir. De toute façon, vous serez surveillé attentivement par le personnel infirmier, vous n'aurez rien à craindre. Et si le fragment se dissout, on ne sait jamais, alors vous pourrez sortir et rentrer chez vous. Vous voyez, on a pris toutes les précautions.
- Mouais, avait répondu Harry, m'en veuillez pas si je ne saute pas de joie à l'idée de devenir votre rat de laboratoire, Lester. »
Harry ne savait pas pourquoi il avait dit ça, d'autant plus que le ton employé était dur. Le meds avait semblé accuser le coup et avait répliqué, avec un sourire un peu figé :
« Je sais que le temps peut paraitre long enfermé ici. Mais nous ferons notre possible pour vous soigner au plus vite, ne vous inquiétez pas. (Lester avait sorti une montre de sa poche et avait ajouté) Bon, je dois aller voir mes autres patients. Je repasserais vous voir ce soir. Madame Potter, avait-t-il salué Ginny.
- Merci meds Lester, avait répondu cette dernière. Bonne journée. »
Le médicomage lui avait rendu son sourire et était sorti de la chambre. Ginny s'était tournée vers Harry avec un regard de reproche.
« Pourquoi lui-as-tu parlé comme ça ? Il ne t'avait rien dit de mal. »
Harry était resté silencieux une seconde avant de dire :
« J'en sais rien. C'est sorti tout seul… »
Durant cette semaine et celle qui avait suivi, Harry s'était plié à toute les exigences de Lester. Il avait fait les tests sans rechigner, avait pris toutes sortes de potions et de gélules sans chercher à comprendre ce que c'était… Bref, il avait tout fait pour sortir d'ici au plus vite. Car à l'exception de ces tests, il restait dans sa chambre à s'ennuyer ferme.
Harry était également devenu plus irascible. On aurait pu mettre ça sur le compte de son enfermement si Harry lui-même ne savait pas pourquoi il s'énervait ainsi. Par moment, il était parfaitement normal ; à d'autres moments, il pouvait se mettre en colère au point de tout casser. Il avait eu des disputes avec quasiment tout le monde : les infirmiers, les médecins, le personnel nettoyant… Même Ginny qui en était partie rouge de colère et n'était pas revenue avant deux jours. Harry essayait de se dominer, il n'était pas comme ça habituellement, c'était même quelqu'un de plutôt patient. Mais là, il n'y pouvait rien, c'était comme si quelqu'un d'autre le forçait à faire ça, bien que dans son esprit maladif, il ne s'en était pas fait la remarque.
Il eut plusieurs visites lors de ces semaines durant lesquels, heureusement, il restait lui-même : la famille, bien sûr, mais également d'anciens camarades de Poudlard comme Dean Thomas ou Neville ainsi que plusieurs membres de l'armée de Dumbledore aujourd'hui dissoute : Michael Corner, Terry Boot, Angelina Johnson et bien d'autres. Cho Chang était même venue le voir, à sa grande surprise, et Harry était content que Ginny ne soit pas là à ce moment-là.
Mais la visite qui le marqua le plus survint le jeudi de la troisième semaine, deux jours après sa discussion avec Lester.
Harry se trouvait seul dans sa chambre à ce moment-là, en train d'étudier les dossiers que Ron lui avait apporté sur les affaires en cours. La porte s'était alors ouverte. Harry avait à peine levé les yeux, pensant qu'il s'agissait de Ginny. Mais ce n'était pas elle. Dans l'encadrement de la porte se tenait une jeune femme brune avec un bandage qui lui cachait la moitié gauche du visage. Lorsqu'il la reconnut, il avait levé complètement les yeux :
« Morgane… »
Harry avait exigé de Lester qu'il puisse aller et venir à sa guise dans l'hôpital afin que le temps soit moins long. Le meds avait accepté, plus pour avoir la paix qu'autre chose, et la première chose qu'avait fait Harry à ce moment-là avait été de se rendre dans l'aile psychiatrique pour voir la jeune femme. Mais à son arrivée, il avait appris que Morgane avait finalement quitté St Mangouste il y a quatre jours. Un peu déçu, il était reparti dans sa chambre et lui avait envoyé un patronus, lui demandant simplement comment elle allait. Il avait pensé qu'elle lui répondrait de la même façon, aussi avait-t-il été agréablement surpris de la voir devant lui, bien que son air triste et ses yeux rouges l'aient un peu alarmé.
« Bonjour, Harry. Je ne te dérange pas ? », avait-t-elle demandé d'une voix timide que Harry ne lui reconnaissait absolument pas et qui l'avait inquiété encore plus.
« Non, bien sûr, avait-t-il répondu en fermant le dossier qu'il lisait, je t'en prie, entre. »
Morgane était entrée et s'était postée devant le lit sur lequel Harry s'était assis. Il lui avait proposé une chaise mais elle avait préféré rester debout.
« Alors, comment vas-tu ? »
Harry sentait les fêlures dans la question. Elle semblait prête à pleurer.
« Je vais mieux, physiquement du moins. Les meds me gardent à cause d'un sort qui refuse de partir. Mais à mon avis, je devrais sortir bientôt d'ici.
- C'est bien, avait-t-elle dit un peu absente, en caressant une feuille du bouquet qui se trouvait sur la table de chevet de Harry, je suis contente que tu ailles bien. »
Elle semblait vraiment sur le point de craquer. Doucement, Harry avait dit :
« Morgane…
- Je vais bien, s'était-t-elle empressée de répondre à la question muette du Survivant, ne t'inquiètes pas, je vais m'en remettre. La coupu… plaie est profonde mais elle cicatrise bien, tu sais. Les meds disent que la cicatrise sera à peine visible…
- Morgane… »
Harry l'avait regardé droit dans les yeux.
« Dis-moi comment tu te sens ?
- Je viens de te le dire, je…
- Je ne parlais pas de tes blessures. »
Morgane s'était mordue la lèvre et avait fermé les yeux, ne pouvant empêcher une larme solitaire de couler. Harry s'était redressé un peu plus et lui avait pris la main qu'elle avait posée sur la table de chevet.
« Morgane, ce que nous avons vécu était terrible… Et nous tous, toi, moi, Ron et Cole, ça nous a tous touché… Et gardez ça pour toi n'arrangera rien, crois moi. »
Morgane s'était dégagée violement et avait regardé Harry avec des yeux larmoyants.
« Oui, la bonne blague. Il faut croire que vous l'avez mieux supporté que moi. Vous, vous n'avez pas passé les jours qui ont suivi à moitié catatonique, à chialer sur son sort, comme une gamine. Vous… vous arrivez à passer outre, à aller de l'avant. Bordel, Cole est déjà sur le terrain. Moi, on m'interdit de reprendre. Trop fragile, qu'ils m'ont dit. Trop fragile ! »
La colère se disputait au chagrin. Harry s'était carrément levé et l'avait prise par les épaules :
« Morgane, c'est normal de ressentir ça…
- Non, Harry, ce n'est pas normal, avait-t-elle crié en se dégageant d'un coup d'épaule de l'étreinte de Harry, je suis une Auror, membre de la Section des Inspecteurs, j'ai fait Remlet, j'ai combattu ces salauds en Ecosse, ça devrait pas me toucher comme ça, je devrais être pouvoir mieux gérer, je ne devrais pas me morfondre au point de ne plus vouloir me lever le matin, je devrais être au-dessus de ça. »
Les larmes coulaient désormais sur les joues de la jeune femme.
« Arrête, avait répliqué Harry, ce que tu ressens n'est pas une honte.
- Toi, tu n'es pas dans le même état que moi.
- J'ai 38 ans, merde ! Je fais ce travail depuis près de vingt ans, j'ai appris depuis longtemps à supporter cette horreur. Toi, ça fait même pas six ans que tu es Auror.
- Cole a 20 ans et ça lui fait ni chaud ni froid, apparemment.
- Qu'est-ce que t'en sais ? Qui te dit que Cole ne souffre pas comme toi de ce qui est arrivé ?
- Ca m'étonnerait, ce type est un bloc de glace. Et j'aimerais en être un parfois. »
Harry avait secoué la tête. « Ne résonne pas comme ça, Morgane. Si tu cherche vraiment à devenir ce que tu viens de dire, alors tu ne vaudras pas mieux que ces saloperies de vampires. Tu ne vaudras pas mieux que Janus. »
Elle s'était retournée vers lui avec un éclair de haine. « Je t'interdis de prononcer son nom, tu m'entends ? Je te l'interdis. Et qu'est-ce que t'en sais d'abord, sur ce que je veux faire ?
- Je te connais, Morgane. Tu as été mon élève, mon amie, et je sais que c'est la colère et le chagrin qui parlent.
- Si c'est ce que tu crois, alors tu te trompes.
- Dans ce cas, celle que je connaissais est morte devant Janus.
- Connard », avait-t-elle craché avec véhémence.
Harry l'avait regardée sans sourciller. Il sentait la peur, la colère et surtout le chagrin derrière cet air bravache. Elle ressemblait à une petite fille qui piquait sa crise pour ne rien laisser paraître de sa détresse et cela fendait le cœur de Harry. Il l'avait vu tant de fois.
Dans un geste quasi-théâtral, elle avait plaqué ses mains sur son visage et avait murmuré :
« J'aurais mieux fait de ne pas venir… »
Et sans plus attendre, elle avait avancé vers la porte. Harry l'avait attrapé par l'épaule.
« Attends.
- Lâche-moi ! »
Mais Harry avait tenu bon.
« Je sais ce que cela fait que d'être seul, avait-t-il commencé doucement, pendant une grande partie de mon enfance, je l'étais. Je vivais avec mon oncle et ma tante mais, à leurs yeux, je n'étais qu'une bête curieuse qu'il avait hâte de voir disparaitre. Crois-moi, j'ai connu la solitude, je sais à quel point c'est difficile, de ne pouvoir sur reposer sur personne lorsque l'on souffre. Puis j'ai rencontré Ron, Hermione et Ginny, et j'ai trouvé plus que des amis, j'ai trouvé une famille, des gens sur qui je peux compter et pour lesquels je ferais tout y compris donner ma vie. Je sais ce que tu endures, Morgane. Et je sais qu'il ne faut pas tout garder pour soi. Ca te rongera comme du poison et tu connaitras un mal effroyable que rien ne pourra soulager. » Harry avait pris l'autre épaule de Morgane et la tourna vers lui. « Parle-moi, Morgane. Tu as été touché plus durement que moi, Ron ou Cole, et au fond de toi, tu le sais. M'en parler te fera du bien. Cela te soulagera, crois moi. Si tu me parles de Dan…
- Ne me parle pas de lui. »
Elle s'était dégagée et était venue se poster devant la fenêtre. Harry n'était pas bougé.
« Il y a une semaine, avait-t-elle dit après un long moment, les parents de Dan sont venus me voir dans ma chambre. »
Harry n'avait rien répondu. Elle s'était alors tournée vers lui :
« Ils… Ils étaient venus voir comment j'allais… Ils… Ils se demandaient si… Si j'allais m'en tirer… Et ils… Ils étaient heureux que j'aille bien… Ils m'ont souri… Mme Davis a… Elle a même posé sa main sur mon épaule… Puis… puis elle m'a parlé de Dan… Mr Davis est sorti, le visage en larmes… Elle m'a annoncé qu'ils avaient fait une cérémonie… pour l'enterrer, pour faire le deuil… Et elle m'a demandé… elle m'a demandé si… si Dan n'avait pas trop souffert… si… »
Sa voix s'était brisée sur un sanglot déchirant. Harry avait dégluti difficilement, l'émotion lui serrant le cœur. Il ne savait que trop bien ce qu'avait ressenti Morgane, ayant lui-même fait cette horrible expérience.
« Et qu'aurais-je pu lui dire, hein ? avait hurlé Morgane le visage ruisselant, que son fils avait souffert le martyr, brûlé au point de finir en cendres ? Hein, Harry, qu'est-ce que j'aurais pu dire ? Que leur fils était un crétin, qu'il fallait vraiment avoir une case en moins pour attaquer seul un véritable démon, que cet idiot n'avait pas été foutu de l'éviter et qu'il nous avait laissé en plan, tous ? Pourquoi, Davis, pourquoi, espèce de connard, es-tu aussi bête ? Pourquoi a-t-il fallu que tu tombes aussi stupidement dans les griffes de ce monstre et que tu me laisses ? Pourquoi, connard ? Pourquoi ? »
Harry s'était approché d'elle avant qu'elle ne tombe à genoux et l'avait serrée contre lui. La gorge nouée, il l'avait réconfortée du mieux qu'il le pouvait. Elle avait crevé l'abcès et tout son désespoir, tout son malheur, s'était déversé de sa bouche avec la force d'un torrent. Morgane s'était agrippée à lui, comme à une bouée de sauvetage, le corps agité de lourds sanglots.
Ils restèrent dans cette position un long moment. Harry caressait lentement les cheveux de Morgane qui se calmait peu à peu. La mort de Dan ne cesserait jamais de la hanter mais maintenant qu'elle avait partagé sa douleur, elle pourrait la supporter, elle pourrait vivre avec. Et c'était tout ce qui comptait.
Malgré tout, Harry se sentit coupable. Il ne disait pas toute la vérité à la jeune femme. Son mal est bien plus profond encore que la perte de celui qu'elle aime. Ce mal, avec les lames…
Chairs déchirés, os broyés, crânes pulvérisés… Et cachée au fond d'un placard…
Non, ne pas penser à ça… Pas maintenant…
Il avait juré, ils avaient tous juré, de ne jamais rien révéler à Morgane. Et lui vivant, il comptait bien respecter sa promesse. A jamais.
Morgane s'était alors détachée de son ancien mentor et l'avait regardé dans les yeux.
« Merci. », avait-t-elle dit d'une toute petite voix.
Harry n'avait pu que hocher la tête, ne trouvant rien à dire qui ne soit pas creux.
« Il… Il faut que j'y aille. J'imagine que tu vas avoir besoin de soins bientôt.
- Oui, probablement… »
Harry s'était mordu la lèvre pour avoir sortit une réponse aussi stupide. Alors que la jeune femme allait sortir, il attrapa son bras.
« Morgane…
- Hum.
- Si tu as encore besoin de… Tu sais où me trouver. »
Elle l'avait regardé avec tristesse mais également, au plaisir de Harry, une lueur d'apaisement.
« Oui, merci. »
Elle s'était retournée sans rien rajouter, laissant Harry ému, la gorge serrée par des larmes qu'il avait appris depuis longtemps à réprimer.
Aussi insensible que les vampires…
Devenait-il vraiment comme ça ?
Merlin fasse que non… S'il vous plait…
Minerva respirait doucement. S'il n'y avait pas eu tous ces artefacts autour d'elle, ni tous ces symboles sur sa peau, on aurait pu croire qu'elle dormait. Mais la situation était tout autre.
Harry regarda son visage paisible. Il était seul dans la chambre de l'ancienne directrice, espérant une réaction de sa part, réaction que même les médicomages avaient cessé d'attendre.
La chambre se situait dans l'aile des patients de longue durée et était meublé dans cette optique. Armoire avec vêtements, pièce éclairée d'apparence chaleureuse… Tout était fait pour que le malade puisse se sentir à l'aise, bien que pour Minerva, c'était très contradictoire étant donné qu'elle ne verrait probablement jamais à quoi ressemblait cette chambre. Ces constantes ne bougeaient plus, les vita-flammes restaient stables. A droite de la vieille femme se trouvait un artefact appelé Ydergypse, ou plus communément, Chandelier de Vie. C'est un appareil médical en forme de chandelier à quatre branches aux hauteurs décroissantes dont les facultés étaient reliées au malade. Sur chaque branche, quatre flammes. La première, sur la plus haute branche, était bleue, elle traduisait l'état général du malade. On l'appelait généralement Flamme de Situation. La deuxième, la verte, était la Flamme du Corps, qui traduisait l'état précis dans lequel il se trouvait physiquement. La troisième était orange, c'était la Flamme de l'Esprit, centrée sur l'état mental du patient. Enfin, en dernier, la flamme rouge, ou Flamme de Vie, qui ne montrait qu'une chose, à savoir que le patient était encore vivant. Si elle s'éteignait, le patient n'était plus. Pour Minerva, elle était toujours là mais faible. En effet, les médicomages disposaient d'un autre artefact pour lire précisément les différents stades que pouvaient avoir les flammes, ce qui les renseignait de manière précise sur l'état du patient. Et si les médicomages avaient abandonné pour la directrice, c'est que sa Flamme de l'Esprit était presque éteinte. Même si son corps était encore en état, son esprit se désagrégeait. Il ne restait que peu d'espoir.
Harry s'était souvent rendu dans la chambre de son ancien professeur, espérant une amélioration, ne récoltant que déception. Il fallait se rendre à l'évidence, Minerva n'était plus. Le poison avait été traité trop tard et avait pénétré trop profondément dans son corps.
Aujourd'hui, ce n'était plus qu'une coquille vide. Bien que son esprit lui criait ces vérités, Harry refusait d'y croire. Il en était sûr, les médicomages trouveraient un remède. Neville paraissait même confiant le soir où Harry l'avait croisé dans l'hôpital et sa vague expression d'abandon ne pouvait être que dûe à la fatigue, non ? Harry se voilait la face, car il savait la vérité et refusait de l'admettre.
Sa famille à elle, par contre, avait déjà commencé à faire son deuil. Harry avait fait leur connaissance par hasard. Il avait alors appris que Minerva avait des neveux et des nièces, enfants de feu son frère, qui eux même étaient déjà parent et grand-parent. Harry s'éclipsait lorsqu'il voyait qu'ils étaient avec leur tante, il ne voulait pas s'imposer. Mais un jour, l'une d'eux, une femme d'environ cinquante ans, nommé Alestia, était allée le voir pour qu'ils viennent avec eux veiller sur la malheureuse. C'est là que Harry les rencontra, famille très digne et très émouvante, qui, Harry le voyait bien, avait abandonné tout espoir. Ils attendaient le cœur brisé qu'elle parte, la mort étant préférable à cet état comateux effroyable. Harry en avait eu l'âme peinée, et il leur avait assuré qu'il ferait tout pour trouver celui qui avait fait ça à leur tante. Ils lui avaient souri à ce moment-là, un sourire triste, et l'avaient remercié du fond du cœur, ce qui avait assuré Harry dans sa détermination. Depuis ce jour, il venait la voir dès qu'il le pouvait. Il ne revit plus la famille McGonagall. La vision de celle qu'ils aimaient dans un état pareil leur faisait trop mal.
Pour Harry, c'était la dernière fois qu'il viendrait la veiller. Lester avait enfin signé les papiers qui l'autorisaient à partir. Apparemment, le sortilège parasite dans le corps de Harry semblait diminuer et n'agissait vraisemblablement pas. Les médicomages n'y comprenaient rien (Harry non plus) et comme Harry était désormais en parfaite santé, ils n'avaient plus aucune raison de le garder. Lester, toutefois, avait insisté pour le garder encore une matinée afin de lui faire passer des derniers tests. Harry avait accepté mais les tests en question ne lui apprirent rien de plus sur son cas. Visiblement déçu (un comble), Lester accepta de le laisser partir en début d'après-midi. Harry était désormais impatient de retrouver sa famille, sa maison et son travail. D'autant que son moral s'était amélioré depuis qu'il s'était rendu compte d'une chose, dont il n'avait parlé à personne, étant donné que ce n'était pas grave, mieux, que c'était même bénéfique.
Ses cauchemars avaient totalement cessé.
Depuis qu'il dormait sans l'appui d'une drogue (les médicomages l'avaient au passage guéri de l'addiction naissante à la potion de Vogel), il n'avait pas fait un seul cauchemar. Cela avait-il un rapport avec ce sort qui l'avait rongé pendant trois longues semaines ? Avec le fait que la Confrérie était en stand-by ? Probable, certain même. Mais Harry ne s'en plaignait absolument pas, trop content de s'être débarrassé de la figure cauchemardesque de Janus.
Perdu dans ses pensées, il remarqua à peine le nouvel arrivant qui entrait discrètement dans la pièce. Lorsque la porte claqua, Harry se tourna vers lui avec une légère surprise. C'était un vieillard, au moins aussi vieux que Minerva, qui tenait un bouquet de fleurs et regardait la directrice avec tristesse.
Un doute traversa Harry. La tendresse, les fleurs, le même âge à peu près…
Minerva McGonagall avait-elle un amant ?
« Euh… Bonjour… » commença Harry, incertain.
Le vieillard détacha son regard de la malade et regarda Harry avec une lueur étrange indéchiffrable.
« Bonjour. »
Le vieillard avait une voix un peu chevrotante mais très assurée malgré tout. Lentement, il s'approcha de Minerva et mit les fleurs dans un pot qu'il fit apparaitre avec sa baguette.
Harry le regarda faire. Ses gestes précis et vifs vraisemblablement démentaient son apparente vieillesse. Il était intriguant.
« Vous… reprit Harry, de plus en en plus incertain, vous êtes de la famille ? (Harry ne l'avait pourtant jamais vu.)
- Oh non, répondit le vieillard avec un sourire contrit, mais j'étais un ami proche de Minerva.
- Je suis désolé, monsieur.
- Ne le soyez pas, monsieur Potter, ce n'est pas votre faute. »
Harry ne lui demanda même pas comment il connaissait son nom. « Vous étiez très proche de Minerva ?
- Dans le passé, oui. Mais beaucoup de choses ont changé depuis. Beaucoup de choses… » Il eut un air perdu en regardant la vieille femme puis brusquement, il se tourna vers Harry : « Voudriez vous sortir, monsieur Potter. J'aimerais… J'aimerais être un peu seul avec Minerva. »
Harry regarda la directrice avant de fixer le vieillard et de répondre : « Oui, je comprend.
- Merci. »
Harry fixa encore un peu cet homme étrange, un nouveau doute le traversant.
Cette expression… Je la connais…
Puis il se détourna et avança vers la porte. La main sur la poignée, il entendit le vieillard l'apostropher. Harry se tourna à demi.
« Oui ? »
Il ne répondit qu'à retardement. « Soyez prudent, monsieur Potter. »
Harry fronça légèrement les sourcils. « Que voulez vous dire ?
- On vit une époque troublée. Faites attention à vous. C'est tout ce que je voulais vous dire. »
Harry aurait voulu lui poser d'autres questions mais le vieillard lança un « au revoir » définitif et Harry jugea bon de sortir, laissant les deux amants (il en était sûr) entre eux. Il ne se retourna, disant mentalement « au revoir » à celle qui fut autrefois son professeur.
S'il était retourné dans la chambre à ce moment-là et, s'il avait vu la scène étrange qui s'y déroulait, les évènements qui allaient suivre en auraient été profondément changés. Mais, grâce à Dieu, Harry n'en fit rien, trop intrigué par ce curieux personnage qu'il ne reverrait jamais plus.
En début d'après-midi, Harry alla voir Lester, ses bagages à la main, et tendit avec un sourire la main pour prendre les papiers qui l'autorisaient à partir. Le médicomage rechigna un peu mais lui donna quand même les papiers, après avoir arraché la promesse à Harry qu'il viendrait le voir pour une consultation le plus tôt possible.
Harry se retrouva enfin dehors, sous l'air froid de cette fin novembre. Avec un sourire, il alla rejoindre Ginny qui l'attendait devant l'immeuble avant de transplaner pour Godric's Hollow.
Les médicomages l'ignoraient mais en laissant sortir Harry Potter de Ste Mangouste, ils venaient de faire la plus grosse erreur de leur vie.
