Ma chère amie Dekado a émis l'idée saugrenue que nous écrivions un texte sur Prison Break, dont l'un serait le reflet de l'autre. Une semaine plus tard, voilà le résultat: je me suis glissée dans la peau de l'agent Mahone, au moment où il espère coincer Scofield. Le point de vue de Michael, écrit par ma comparse Dekado, se trouve à la suite...

Disclaimer: les personnages ne sont pas à nous... à notre grand regret à toutes les deux !

Notes: spoilers saison 2 jusqu'à l'épisode 9. Clairement AU après...


Mon autre chemin

Agent Alexander Mahone

L'agent Lang, assise à côté du chauffeur, se retourna vers moi.

- Nous y serons bientôt, monsieur. Plus qu'un mile.

Je hochai la tête en silence. Son empressement n'en fut pas refroidi, elle insista avec un sourire que j'aurais volontiers effacé d'une gifle si je n'avais voulu éviter de nouveaux ennuis avec mes accès de violence :

- Dans deux minutes, nous mettrons la main sur Scofield et Burrows. La mission sera achevée. Vous devez être content ?

- Ne vendez pas la peau de l'ours.

J'aurais voulu trouver quelque chose de plus cinglant mais mes yeux firent apparemment passer le message. Elle se détourna, pincée. Depuis le temps qu'elle travaillait sous mes ordres, elle n'avait toujours pas appris à cesser ses bavardages insipides. Les seules paroles que je tolérais étaient « Oui monsieur » et « Voilà ce que vous aviez demandé ». Cela ne demandait pourtant pas un effort démesuré de mémoire. Les femmes étaient les plaies du Bureau. Son collègue Wheeler s'en sortait beaucoup mieux, il avait vite compris que j'exécrais l'incompétence.

Huit détenus s'évadant d'un quartier de haute sécurité, cela atteignait des summums d'incompétence. J'espérais bien entendre sonner le glas de la carrière du directeur. Cela ne valait rien d'autre. Il avait laissé la lie de la société arpenter les mêmes rues que les citoyens innocents ; les mêmes rues que mon fils. Dont un homme condamné à la peine capitale et d'autres qui la méritaient dix fois.

Ce fut exactement mon raisonnement lorsque j'ordonnais à mes hommes d'ouvrir le feu, à plusieurs reprises. En échappant à leur juste punition, ces hommes avaient perdu le droit à être traité humainement. Ceux qui n'étaient pas à la morgue croupissaient en cellule. Je prenais plaisir à être le bras armé de la justice. Je devais même convenir que je ne détestais pas ouvrir le feu moi-même. Il y avait comme un déclic orgasmique à presser la détente et à voir le corps se tordre sous l'impact. J'aimais lire la peur dans les yeux des hommes contraints de lever les bras face à moi.

Même Scofield avait ressenti cette peur lors des brèves secondes où nous nous étions croisés…

Il ne manquait plus que lui et Burrows, et la traque prendrait fin. Je savais où ils se trouvaient, je savais ce qu'ils faisaient, je savais ce qu'ils pensaient en cet instant précis. J'étais même certain qu'ils étaient vaguement angoissés, songeant que je leur tendais peut-être une embuscade comme par le passé. Rien ne pouvait être plus vrai.

Je faisais peur à Scofield.

Mon cœur se mit soudain à cogner violemment dans ma poitrine. J'avais failli oublier : douze heures depuis la dernière gélule, mon corps dépendant réclamait sa dose. De mes mains déjà tremblantes, je dévissai discrètement mon stylo pour prendre ma drogue. Ce qui est un médicament sur ordonnance devient une drogue en l'absence de papier tamponné. De la valeur morale d'un cachet officiel…

Avant l'évasion de Fox River, je pouvais me contenter d'une prise toutes les vingt-quatre heures. Scofield avait bousillé mon fragile équilibre à coups de pied.

Lorsque je reprochais son incompétence au directeur de Fox River, j'étais profondément injuste. Personne ne pouvait deviner ce que Scofield avait en tête avant de le voir à l'œuvre. Ce garçon était un authentique génie. Son esprit était organisé, quadrillé comme une carte militaire. Il avait programmé l'évasion, la cavale, les impondérables et les revers de fortune. Il avait même prévu l'imprévisible.

Découvrir les méandres de sa réflexion ressemblait à une chasse au trésor, où chaque indice renvoyait à l'étape suivante, à un jeu de piste sans fin. J'oscillais entre la rage et l'excitation en démêlant l'écheveau. Je me prenais au jeu, je tentais de me glisser dans sa peau pour anticiper ses mouvements.

Et je découvrais que j'y parvenais, que j'endossais ses habits avec une familiarité déconcertante.

Michael Scofield, c'est moi.

L'agent Wheeler gara la voiture.

- Nous y sommes, monsieur.

Je sortis, tirai machinalement sur ma veste. Je réalisai que mon front était en sueur. Pourtant je n'étais pas en manque de mon tranquillisant, je venais de le prendre. Toucher au but me rendait nerveux.

Je savais depuis longtemps que j'étais un chasseur dans l'âme. Et bien entendu je jouissais plus de la chasse que de l'hallali. Pendant la traque, plus rien d'autre n'existait, j'étais à ma mission corps et âme. Cependant il n'était pas question de prolonger le plaisir par des scrupules de conscience. Ils étaient huit évadés et il me tardait de rayer leurs visages l'un après l'autre ; voire même de les rayer aussi de cette planète.

Abruzzi fut le premier. Je savais qu'il ne se rendrait pas, je savais qu'il faudrait ouvrir le feu. Merci à lui de ne pas m'avoir déçu. J'ai été l'arme de la justice, la vengeance des victimes. Le gamin, Apolskis, fut le second. Aucune excuse pour moi dans ce cas, aucun noble sentiment dont je pourrais arguer pour ma défense. Juste les menaces qui pesaient sur la vie de mon fils si je n'obéissais pas. Entre mon fils et ce détenu, je n'hésitai même pas une seconde.

Je n'avais plus envie de compter. J'en avais assez.

Je n'avais pas envie de tirer sur Scofield et Burrows. Abattre Scofield, ce serait vandaliser une œuvre d'art. Un esprit aussi exceptionnel devait encore s'exercer, être utile aux autres au lieu de ne servir que le crime. J'avais envie de lui laisser une chance d'apprendre cela.

Comme Robert Mitchum dans « La nuit du chasseur », j'étais tiraillé entre l'amour et la haine.

Les tireurs de la police locale étaient déjà en position. J'avais douloureusement conscience de leurs fusils à lunettes pointés sur la grange. Si j'échouais, ils en feraient usage. Si les deux frères ne se résignaient pas, les balles pleuvraient.

C'est la fin, Michael. Je te tire mon chapeau d'être arrivé jusque là, mais c'est terminé.

Wheeler m'apporta le porte-voix. J'avais horreur de cet engin qui me donnait l'impression d'être le shérif d'un mauvais téléfilm. Ma voix était plus persuasive dans un face-à-face en salle d'interrogatoire. Mon face à face avec Scofield, je l'aurais si tout se passait sans anicroche.

- Scofield ! Burrows ! C'est le FBI. Sortez les mains en l'air.

Aucun signe de vie, mais je refusais de douter. Ils étaient là. D'après les plans du plus jeune, ils ne pouvaient pas être ailleurs. J'en étais si convaincu que j'avais entraîné tous les renforts mobilisables avec moi. Si je me plantais, je pouvais partie en pré-retraite. Wheeler et Lang me regardaient déjà du coin de l'œil, l'air angoissé. Ils attendaient l'explosion de fureur, la crise de violence qui ne manquerait pas de survenir lorsque l'on me contrariait.

Je vous fais peur, Wheeler ? Il est vrai que vous avez encore la trace de mes doigts autour de votre cou.

- Mahone, c'est vous ?

J'étais si perdu dans mon monologue intérieur que j'avais failli ne pas entendre. J'identifiai la voix de Scofield, étouffée par la distance et les murs de bois. Entendre mon nom dans sa bouche m'arracha un frisson. J'eus soudain la certitude irrationnelle qu'il avait pris des renseignements sur moi, qu'il avait cherché à me connaître pour me contrôler. Juste retour des choses.

Qu'avait-il découvert ? Avait-il pensé que mon C.V. ne correspondait pas à ma mission ? Mon doctorat rentrait mal dans le profil du chasseur. Il s'était peut-être dit que je devrais avoir un emploi de direction dans les bureaux au lieu d'être sur le terrain. Je me disais assez moi-même. Avait-il deviné mon amertume devant mes ambitions brisées, ma carrière réduite à néant par des manœuvres politiques ? J'espérais que non. A la pensée qu'il me considère comme un être médiocre, un goût de bile envahit ma gorge.

- C'est bien moi. La petite balade s'achève ici. Sortez désarmés tous les deux.

J'avais presque envie de prier pour qu'ils obéissent. Il me sembla entendre un curieux son, comme un rire hystérique.

- Si nous sortons, vous savez ce qui nous attend, Mahone. Je sais que vous avez travaillé pour eux. Ils ne nous laisseront pas en vie. Nous ne pouvons pas nous rendre.

- Si vous ne vous rendez pas, c'est moi qui ne vous laisserais pas en vie.

- Mon frère Lincoln n'a pas tué le frère de la Présidente !

Je serrai les mâchoires, haïssant la tournure que prenaient les événements.

- Je ne suis pas là pour refaire l'enquête, Scofield. Vous vous expliquerez devant un juge.

Bien sûr il avait raison. Mais moi aussi. Il ne pouvait pas croire, il ne pouvait pas espérer que je lui laisserai une porte de sortie. Ou alors son génie avait définitivement basculé dans la folie !

La rage me prenait.

- C'est ma dernière sommation ! Sortez ou nous ouvrons le feu !

Une voix, l'autre voix :

- Nous allons sortir.

Je me détendis quelque peu. Ma main était blanche d'avoir trop serré le porte-voix. Mon tranquillisant me manquait. Mais il était trop tôt, onze heures et demi trop tôt.

Ils devaient se rendre, ils n'avaient pas d'autre choix. Ils lèveraient bientôt les mains, réduits à l'impuissance par la force des armes. Il y avait quelque chose de tragique à voir l'intelligence se soumettre à la force.

Mais je n'étais pas assez ridiculement sentimental pour m'apitoyer sur Scofield. L'ingénieur qui prostituait son savoir au monde du crime méritait d'être humilié. D'ailleurs la partie la plus mesquine de mon caractère ricanait intérieurement : la vengeance était douce.

Scofield m'avait tenu au bout de son arme, quelques jours auparavant, tandis que Bagwell glapissait à côté de lui :

- Tue-le ! Tue-le !

C'était un souvenir cuisant, qui me mettait encore les nerfs à vif. Je ne me souvenais pas d'avoir vraiment eu peur, plutôt un sentiment d'irréalité. Scofield, les traits tirés, semblait plus nerveux que moi. Il m'avait épargné, ne provoquant aucune gratitude de ma part, seulement du ressentiment mêlé de honte. Je jurai d'être celui qui le coincerait, dussé-je y consacrer des mois. Par chance, cela avait mis beaucoup moins de temps, avant que cette chasse ne devienne obsessionnelle.

Evidemment je me mentais à moi-même. La chasse était depuis longtemps obsessionnelle…

Les voilà.

Curieusement je ne ressentis pas le triomphe escompté. Ils levaient les bras. Les policiers se ruèrent sur eux, les fouillèrent brutalement en les jetant à terre. Il me sembla bien que quelques coups de pied s'égaraient du côté de leurs côtes. Je restai les bras ballants, encombré de ce stupide porte-voix. Burrows fut traîné vers la voiture, tête basse, décomposé. Personne n'échappait aux griffes du Cartel, capable de placer tous ses pions (agents, flics, hommes politiques) sur l'échiquier à l'endroit stratégique. Pourtant ce grand gaillard avait failli réussir. Sa musculature paraissait soudain fondre sous le poids du destin.

Scofield, lui, avançait tête haute, arrogant jusqu'au bout. Il me chercha du regard et lorsqu'il m'eut localisé, il ne me lâcha plus. Ses yeux avaient le tranchant d'une lame. Je clignai des paupières et me détournai. En marchant à pas lents vers ma voiture, je sentais sur moi le poids de son attention. Ce n'était pourtant pas comme s'il me suppliait. Il n'exprimait rien, il était parfaitement impassible.

J'eus un haut-le-cœur et je demandai précipitamment de l'eau pour faire passer la nausée. Pendant que je buvais, un officier s'approcha :

- Monsieur, je les conduis à l'aéroport ?

- Quoi ?

- Ben ouais, on a reçu un coup de fil de… d'un agent Kellerman. Il a dit que dès qu'on les avait, il fallait les fourrer dans le premier avion pour Chicago.

- Qui donne les ordres ici, vous ou moi ? aboyai-je. Il est hors de question de les transférer tant que je ne l'ai pas ordonné spécifiquement. Emmenez-les au poste et traitez-les comme n'importe quel inculpé.

- Ils ne sont pas n'importe qui, quand même… Cent mille dollars de récompense…

- Dont vous ne verrez pas la couleur, je puis vous l'assurer !

Une chose m'insupportait presque autant que l'incompétence : les individus mus uniquement par l'appât du gain. J'avais eu des mots violents avec le gardien-chef de Fox River, Bellick ; j'avais tout de suite senti à qui j'avais affaire. Les êtres corrompus me rendaient malade.

J'interrogerai les frères ici, pas à Chicago. C'était ma récompense : je la voulais maintenant, sans délai. Sans compter que je savais pertinemment ce que Kellerman avait en tête…

La voiture qui emmenait Scofield passa devant moi. Son regard, encore.

Je titubai, me sentant vide et épuisé. Et j'ignorais si je devais l'attribuer aux gélules, à l'hypoglycémie ou aux soubresauts de ma mauvaise conscience.

Scofield était assis, menotté, face au miroir sans tain. Dire que ces petits postes du sud avaient encore ces miroirs. Ailleurs, la modernisation exigeait des caméras numériques ; plus besoin de témoins directs et donc meilleure utilisation des effectifs.

- Vous êtes sûr qu'il n'est pas vétuste, votre miroir ? demandai-je sottement à un policier.

- Sûr, monsieur.

J'avais l'impression que Scofield me regardait droit à travers.

Il me restait à pénétrer dans la pièce, à prendre sa déposition et à signer les papiers du transfert. Fin de l'histoire. Un autre dossier m'attendait à Chicago. C'était un joli succès à mon actif, même si le public considérait que la cavale n'avait que trop duré. Mon supérieur, à qui je venais de parler, m'avait félicité et m'avait enjoint de rentrer rapidement.

Rentrer chez moi dans une maison vide.

Je n'arrivais pas à m'arracher à la vitre derrière laquelle Scofield m'attendait. Aucune affaire n'avait autant mobilisé mes facultés que celle-là. Je m'y étais investi jusqu'à la moelle. J'avais dû abdiquer ma personnalité pour me glisser dans celle de Scofield, prévoir ses manœuvres, anticiper ses solutions. Je devais doucement revenir à moi. Pourtant il me semblait que ce n'était pas terminé ; que nous n'allions pas nous quitter ainsi.

Qu'allait-il me dire ? Croyait-il que je faisais partie de ceux qui avaient juré la perte de son frère au nom d'intérêts supérieurs ? Il me semblait que non.

Les intérêts supérieurs. J'avais eu la naïveté d'y croire…

- Monsieur, vous voulez que j'interroge Scofield ?

L'agent Lang, toujours à contre-courant, et beaucoup trop empressée.

- Non. J'y vais.

- Vous êtes sûr ? Moi je crois que vous devriez prendre déjà du recul avec ce dossier. Sinon vous serez dans le même état qu'après Oscar Shales.

J'en restais soufflé. Comment osait-elle ?

L'impudente créature soutenait calmement mon regard. Alors que je m'apprêtais à lui signifier son renvoi de mon équipe et du FBI sur ma lancée, la vérité me frappa sèchement sur l'épaule. Lang avait raison.

Oscar Shales, une cavale qui avait mal tourné. Pour lui, pour ses victimes, pour moi. Alors que nous le poursuivions, il avait disparu dans un bain de sang, et j'avais eu la faiblesse de le croire mort. Toutes les évidences plaidaient pour cela, excepté l'absence de cadavre. Et pendant que je remplissais la paperasse, il avait tué de nouveau. J'avais du sang sur les mains moi aussi. Peu importait que j'eusse rectifié mon erreur, le sang était toujours là pour moi, comme la tâche indélébile de Lady Macbeth.

J'avais sombré dans un « état dépressif alimenté par la culpabilité d'une responsabilité mal assumée, induisant des accès de violence autodestructrice » comme disait le psy du FBI. Shales avait fait une victime indirecte : mon mariage. Et professionnellement… Les affaires internes m'avaient soupçonné d'avoir abattu Shales de sang-froid mais n'avaient pas pu freiner ma carrière, qui était déjà mutilée depuis longtemps. J'aurais eu tort de me gêner.

Scofield n'était pas Shales. Pourtant je l'avais pourchassé avec un acharnement comparable. Nulle surprise que Lang eut reconnu les symptômes.

Il était temps de parler à Scofield. De m'apercevoir qu'il était affreusement ordinaire, que je l'avais surestimé et que nous étions fort différents. Alors je pourrais tourner la page.

Time, gentlemen.

Je ne l'avais pas surestimé.

Lorsque je franchis le miroir sans tain, j'eus la sensation de me trouver devant un miroir d'une autre sorte.

Michael Scofield, c'est moi, plus que jamais.

Il me regardait tranquillement, bien qu'il sache ce que j'avais fait aux autres. Je n'aurai pas la satisfaction de voir la peur, cette fois. Il apparaissait plus sûr de lui entre ces quatre murs que pendant sa cavale. Il contrôlait moins les choses, probablement, et il adorait tout contrôler. Penserait-il encore qu'il contrôlait tout si je sortais mon arme ? J'étais dangereux, il le savait, j'étais imprévisible, même à mes propres yeux… Ou alors croyait-il pouvoir prévoir cela aussi, depuis qu'il avait enquêté sur moi ? Il était temps que nous parlions, tous les deux…

Bientôt, la tristesse et l'écœurement m'opprimèrent comme une chape de plomb. Je comprenais enfin son raisonnement pour Lincoln de A à Z. Qui pourrait dire qu'il n'en ferait pas autant pour un être cher ? Et je m'apprêtais à le livrer à ses bourreaux.

Je savais qu'il n'aurait plus l'occasion, pas plus que Burrows, de fréquenter l'univers carcéral. Tous les deux n'atteindraient pas vivants leurs cellules. Ils avaient déployé trop d'ingéniosité, ils refusaient d'être les sacrifiés de l'histoire. Pouvais-je le leur reprocher ?

Scofield n'avait rien d'une victime expiatoire. Ses yeux défiaient le monde entier, même maintenant.

- En raison des crimes commis par Theodore Bagwell pendant votre cavale, vous risquez la peine de mort, vous en avez conscience ?

- Je ne suis pas responsable des actes de T-Bag. Lorsqu'il était en ma compagnie, j'ai toujours fait en sorte qu'il se tienne tranquille.

- Quelle prudence admirable ! En le choisissant comme complice, vous preniez aussi la responsabilité de relâcher dans la nature un violeur et un assassin d'enfants. Vous saviez qu'il récidiverait. Mais cela n'a aucune importance à vos yeux. Seul compte le sort de votre frère, au diable les dégâts collatéraux, n'est-ce pas ?

Il pâlit affreusement. Touché.

Il n'y avait rien de pire que les dilemmes moraux : accomplir son devoir (ou ce que l'on croyait son devoir) malgré sa mauvaise conscience. Comme si je n'étais pas coutumier du fait…

Il ne me dit rien que je ne sus déjà. Il confirma que j'avais correctement suivi son raisonnement : le plan de la prison obtenu par le biais de son entreprise, le butin de D.B. Cooper, le chemin d'évasion balisé jusqu'au Mexique. Et bien sûr le gigantesque plan, le résumé de tout, tatoué sur son torse et son dos, dont je n'avais vu que des photos.

Malgré moi, mes yeux se posaient avec insistance sur sa chemise, sale et déchirée après son combat épique pour la liberté.

- Vous voulez le voir ? osa-t-il, les lèvres retroussées.

Je gardai le silence, hypnotisé.

- Je pourrais enlever ma chemise mais je suis menotté.

C'était un défi, un véritable appel aux armes.

Le plan. Ce plan qui m'avait procuré des sueurs froides et des poussées d'adrénaline ces derniers jours, tant je m'acharnais à le déchiffrer. Bien sûr je mourrais d'envie de le voir. C'était le symbole de ma réussite éclatante.

Ses yeux s'arrimèrent aux miens.

Tu crois avoir tout compris, mais j'ai toujours un coup d'avance.

La ville frontalière était codée sur son abdomen. Elle était prévue sur son parcours. Avait-il aussi prévu que le poste de police n'était qu'à quelques centaines de mètres du no man's land où les rangers n'avaient pas juridiction ?

Quelque chose me disait que si je lui ôtais ses menottes, j'aurais la réponse.

Derrière le miroir sans tain, Lang téléphonait pour réserver un jet vers Chicago. Un vol vers l'échafaud. Kellerman serait à l'arrivée, si le jet arrivait à destination.

Combien de morts paveraient le chemin du Cartel ? Combien de pions seraient utilisés puis sacrifiés alors qu'ils se berçaient d'illusion sur leur rôle bénéfique ? Peut-être même se considéraient-ils comme le bras armé de la justice quand les tranquillisants leur montaient à la tête ?

Je tendis la main vers les menottes.

FIN


Pour le point de vue de Michael sur les mêmes événements, vous pouvez aller lire le texte de Dekado... et la féliciter de ses idées biscornues !