Adieu

« Il lui reste au mieux quelques semaines à vivre.

Inutile de la bouger de son lit, cela l'épuisera que plus.

Sur ce, passez de bonnes fêtes monsieur. »

Une fois l'homme en blouse blanche partit, le vieil homme s'écroula.

Pour la première fois, il ne put retenir ses larmes.

Ces dernières, semblait-il, être intarissables.

Il était usé, trop fatigué pour bouger, trop fatigué pour sécher la pluie qui s'écoulait de ses yeux, trop fatigué pour hurler son désarroi, mais surtout épuisé d'aimer tant.

D'aimer si fort, qu'on supplierait la faucheuse de prendre son du avant l'heure.

Car si, elle, était dans la maladie de l'oubli, lui, en avait contacté une toute autre.

La maladie d'aimer, cette maladie si puissante et dévastatrice. Autrement appelé la maladie du miroir, celle qui réfléchit la détresse, et l'agonie de l'être aimé.

Elle qui est la plus incurable, elle qui est la plus détestable, elle est qui est la plus insatiable, elle qui est aussi sublime que mortelle.

Elle est aussi la maladie du vide, de la mélancolie, elle extrait toute envie de vivre.


Puis, un cri strident survint tout à coup dans la chambre conjugale, il était évident qu'il provenait d'elle.

Sans crier gare, le vieil homme se leva et alla rejoindre son aimée.

Depuis combien de temps son corps était-il si fin ? Depuis quand, avait-elle des attraits d'une poupée abîmée ? Quelle était la dernière fois où elle n'avait pas pleuré, où elle n'était pas affolée par tous ces gens.

Quand était-ce ? Quand était-ce ?!

-Madeleine, prends ma main. Madeleine, c'est moi. Madeleine, cesse de pleurer, je suis là. Madeleine, s'il te plaît, regarde moi.

Cependant, toutes les supplications du vieil homme furent vaines, comme la fois précédente, ou encore la fois auparavant, ou toutes les autres fois.

Là encore, il se tenait debout dans cette pièce froide, à tenir la main de celle qui l'aimait.

Il lui semblait que personne au monde pouvait comprendre son désespoir.

Quand tous priés pour que le calvaire de cette femme prenne fin au plus vite, lui, ne voulait qu'être un peu plus longtemps à ses côtés.

Était-ce un désir égoïste ? Ça, nul ne peut le juger.


Puis au lendemain de Noël, tous, le savaient, c'était l'heure.

La dernière petit flamme qui animait son être allait s'éteindre.

Leurs regards s'unirent, dans un commun accord, ils sortirent de la chambre et laissèrent le vieil homme, avec elle.

Étonnement, il ne pleura pas, à la place, il emmena une petite table et dressa le couvert, il prit deux verres qu'il remplit d'eau.

Puis s'installa sur la chaise face au lit d'hôpital où était bordée sa moitié.

Son regard se fit intense puis il déclara : -Je n'imaginais pas ce repas comme ça.

Seul le bruit des couverts, suintant l'air, était présent, le silence était des plus religieux.

-Madeleine, tu es resplendissante.

Cela faisait trop longtemps que je ne te l'avais pas dit. A mes yeux tu as toujours été mon Soleil.

Pour moi, aujourd'hui, comme avant, ta beauté n'a pas d'égal.

Sans cérémonie, il se leva et tenta de lui faire boire de l'eau.

La manœuvre fut vaine car elle se clôtura par un refus catégorique.

Normalement, il aurait insisté ou même fulminé face à son impuissance, mais pas cette fois.

Cette fois-là, il se contenta juste de poser le verre, et de serrer la main de son alter ego.

La respiration de la vieille femme se fit moins prononcée, son rythme cardiaque décèlerait.

Jusqu'à ce qu'elle ne fut plus.

Une larme s'écoula péniblement de l'œil du vieil homme pour s'échouer sur la main qu'il tenait.

Puis plusieurs autres, dans un souffle entrecoupé par les pleurs, il susurra.

-Madeleine, je t'aime, ça fait si longtemps que je ne te l'ai pas dit..

Quelques jours après, les prédictions de l'homme à blouse blanche se concrétisèrent, le couple fut de nouveau unit.