Date de publication : 20 janvier 2013. Dernière modification : 05 février 2015
John rentrait d'une journée éreintante de travail. Il avait repris son travail à l'hôpital, mais en temps qu'instructeur pour les futurs internes. La pensée même d'aider et de transmettre son savoir, malgré tout ce par quoi il était passé, était la seule chose qui l'empêchait de sombrer.
Cela faisait un an aujourd'hui. Tout pile un an qu'il avait vu son meilleur ami s'écraser en bas d'un immeuble. Un an qu'il pataugeait dans sa dépression, qu'il marchait avec une canne et se droguait aux médicaments pour essayer de faire cesser le tremblement incoercible qui agitait sa main lorsqu'il était seul. Et seul, bon sang, il l'était bien trop souvent.
Il avait vu ses amis essayer de l'aider puis sombrer avec lui. Et cela faisait un an que Lestrade, Mrs. Hudson et lui avaient cessé de vivre. Parce que malgré tout ce que cet enfoiré pouvait dire, il était un héros et eux, ses amis laissés derrière, le considéreraient toujours comme tel. Si l'inspecteur avait réussi à conserver son travail à grands renforts de manœuvres louches, il n'officiait plus avec la même passion et envie de justice. La justice avait laissé tomber Sherlock Holmes, dans tous les sens du terme.
En ce matin de novembre glacé, John se tenait devant son palier, au 221B Baker Street. Il n'avait pu se résoudre à déménager, d'une part parce que Mrs. Hudson avait besoin de lui, d'autre part parce que trop de souvenirs heureux le rattachaient à cet appartement. On ne lui servirait pas les conneries habituelles. Il voulait toujours se raccrocher à son bonheur perdu, malgré tout ce qu'il lui avait coûté.
Il poussa la porte et entra. L'appartement était plongé dans l'obscurité glaciale de cette fin d'année teintée de tristesse. Il n'y avait plus rien à sauver dans le cœur brisé et le corps fourbu de John Watson. Ça sentait le renfermé, le déjà respiré, ça sentait le corps en panne, ça sentait la vie en canne. John ferma les yeux alors qu'une nouvelle vague de remord le submergeait. Il aurait dû- si seulement...
Avec des « si » on ferait capituler la Reine au profit de ses chiens.
Le médecin secoua la tête et s'avança dans le salon, tâtonnant à la recherche de l'interrupteur. Il s'était habitué à l'obscurité de la pièce, mais le geste lui était familier. Pourtant ce ne fut pas lui qui déclencha le déclic en appuyant. Un léger bruissement se fit entendre et une lumière vive inonda la pièce. John écarquilla les yeux, peinant à identifier le spectacle qui s'offrait à lui.
Devant lui, dans sa chemise parfaitement ajustée, un léger sourire flottant sur les lèvres, se tenait Sherlock. En un an il n'avait pas changé. Son visage émacié n'avait pas pris une ride, ses yeux gris le fixaient toujours avec ce mélange de curiosité et d'ironie qui était propre à son ami. Il semblait juste un peu plus maigre, si c'était possible, et cela le rendait encore plus charismatique. Malgré tout, il semblait porter le poids du monde sur ses épaules.
John voulut crier, pleurer, le serrer dans ses bras et lui envoyer son poing dans la figure. C'était tout ce dont il avait envie, si seulement il avait eu le cœur et la dramatisation de le faire. Mais une idée le frappa. Sherlock était censé être mort. Sauf qu'il était là, pile à l'heure pour son anniversaire de mort.
Il avait toujours eu le goût de la mise en scène.
Sherlock ne lui avait pas dit qu'il était en vie. Il ne lui faisait pas assez confiance pour le mettre dans la confidence et pourtant, il se tenait là, tout en bravade et en effronterie. Lestrade, Mrs Hudson et lui l'avaient pleuré, ils étaient passé par tous les cauchemars pour se faire à sa mort qu'ils n'acceptaient toujours pas.
Et lui revenait comme une fleur, la baïonnette sur l'épaule et l'épi de blé entre les deux. Il revenait de sa propre guerre qu'il avait menée sans lui. John ne pouvait pas laisser passer ça. Au delà de la douleur que lui infligeaient les actes du détective, Sherlock devait comprendre pourquoi il ne pouvait pas se permettre de faire ça. Il était temps que l'élève donne une leçon au maître.
Il avait plusieurs options, mais aucune aussi satisfaisante que celle qu'il planifiait. S'énerver contre lui et l'insulter. Le frapper. Non. Aucune ne convenait. Il devait battre Sherlock avec ses propres armes. L'ironie. La méchanceté. L'hypocrisie. Le sarcasme. Le médecin tenait son idée. Le détective allait comprendre la gravité de ses actes.
John prit sa décision. Il allait l'ignorer. Se contenter des politesses d'usage. Il allait être infect. Comme Sherlock savait si bien l'être. Et alors le détective appréhendait peut-être leur douleur. Peut-être.
Parce que même si John adoptait une attitude que le brun ne pourrait pas prévoir et qui le déstabiliserait, le médecin avait des doutes. La foi qu'il portait en son cœur aux couleurs de Sherlock était depuis longtemps portée disparue.
Le détective fit un pas en avant, glissant dans une attitude nonchalante ses mains dans ses poches. John se força à ne pas plisser les yeux, même si les gestes de son ami regretté lui étaient difficiles à percevoir.
— Bonjour John, dit le brun d'une voix claire.
— Bonjour Sherlock, répondit le médecin calmement.
— Je suis vivant.
— Je vois ça.
Un silence gagna la pièce, seulement coupé par le craquement du plancher sous leurs pieds et ponctué de leur respiration unie.
— Tu ne dis rien ? demanda le détective en haussant un sourcil.
— Et que devrais-je dire selon toi ? Je devrais m'énerver ? Me réjouir ? C'est ça ?
— C'est du moins ce à quoi je m'attendais.
— Ah. Un thé ? demanda John, platement.
— S'il-te-plaît, répondit Sherlock après une hésitation.
— Je reviens, assied-toi.
Le médecin se dirigea vers la cuisine et alluma la bouilloire. Il sortit deux tasses – dont la noire aux dorures sur la poignée – du placard et la théière qu'il remplit de feuilles de thé. Quand l'eau bouillit, John la versa dans la théière et laissa infuser.
Il réfléchissait. Sherlock n'était pas mort. Il avait donc eu besoin de le faire croire. Mais pourquoi ? Il devait être recherché ou poursuivi. Il ne voyait que Moriarty et Mycroft qui lui ferait assez peur ou le menacerait suffisamment pour qu'il veuille disparaître. Vu l'état de Mycroft à l'annonce de la prétendue mort de son frère, il ne restait que Moriarty. Il se promit d'y réfléchir mieux plus tard.
Il versa le thé dans les tasses – même dans celle qu'il n'avait plus touchée depuis un an – et les apporta au salon. Il en tendit une à Sherlock qui la saisit, déstabilisé par l'attitude de John sans véritablement le montrer. Ce dernier s'assit dans un fauteuil et fixa le ressuscité d'un air neutre. Ses yeux fatigués ne perçurent pas le tremblement incoercible qui agitait la main du détective.
Je reprend enfin cette histoire laissée à l'abandon total depuis deux ans, malgré le nombre impressionnant de reviews et de soutient reçu de votre part. Chaque chapitre est revu, relu, corrigé et réécrit, en espérant me faire pardonner pour mon retard digne de la série elle-même.
Je vous embrasse,
Amako.
