Dans ses yeux
Lorsqu'enfin, Odin était revenu de la guerre, lorsqu'il avait placé dans les bras de son épouse le minuscule bébé sur lequel elle discernait la magie cachant sa véritable apparence, lorsqu'il lui avait annoncé que cet enfant était un géant des glaces et qu'ils l'élèveraient comme leur propre fils, Frigga avait tout d'abord cru que son seigneur et maître venait de perdre la tête.
Un géant des glaces parmi les Ases, élevé à Asgard parmi les ennemis jurés de son peuple d'origine ? L'idée était si grotesque qu'elle n'en était même plus drôle.
D'accord, Frigga désirait un deuxième enfant depuis un certain temps déjà, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui vienne ainsi.
Au début, elle n'avait touché le nouveau-né que lorsqu'elle ne pouvait faire autrement, car peu importait le camouflage magique, il s'agissait d'un jotunn. Un enfant de l'ennemi, dans leur propre maison, dans la maison où grandissait Thor.
Avec le recul, son comportement était ridicule. Loki n'avait été qu'un bébé, et un bébé était incapable de sortir tout seul de son berceau pour vous trancher la gorge en pleine nuit. Un bébé se contentait de pleurer quand il avait faim, de vous vomir dessus quand il buvait trop vite son lait et de dormir pendant presque toute la journée.
Loki n'avait été qu'un bébé, se conduisant comme n'importe quel bébé. Il était juste un tout petit peu moins bruyant que Thor au même âge.
C'était en grandissant que les différences entre les deux princes s'étaient faites criantes.
Même s'il ne le formulait jamais à haute voix, il était plus qu'évident qu'Odin considérait Thor comme celui qui lui succéderait sur le trône. Il s'agissait de son premier-né, après tout… et aussi de son fils par le sang.
Ce qui laissait Loki à Frigga, puisque l'éducation de Thor était assurée par le Père de Toute Chose lui-même.
Frigga n'aurait pas pu imaginer un enfant qu'elle aurait plus aimé que Loki. Oh, bien sûr, elle aimait son premier fils, mais elle ne se faisait pas d'illusions : c'était Loki son préféré. Loki toujours le nez plongé dans un livre, Loki et sa langue trempée dans l'acide qui savait si bien manipuler autrui, Loki le petit sorcier dont les pouvoirs s'annonçaient exceptionnels depuis son plus jeune âge.
Au fil des années, elle avait fini par oublier qu'elle n'avait pas mis au monde le second de ses fils. Non, elle n'avait pas porté Loki pendant neuf mois, elle ne lui avait pas donné vie dans la douleur et le sang.
Mais elle lui avait appris la magie, elle l'avait rassuré quand il pleurait à cause d'un cauchemar, elle l'avait encouragé quand il doutait de lui-même, elle l'avait félicité pour ses succès.
Et surtout, elle l'avait aimé. Elle l'avait aimé au-delà des mots, au-delà des beaux projets, au-delà des prévisions. Elle l'avait aimé plus que n'importe qui d'autre, plus que sa propre vie.
Elle l'aimait.
Parce qu'elle était sa mère.
« Ne suis-je donc pas ta mère ? »
« …Non. »
