Les événements qui se sont déroulés dans le Gévaudan (ancienne province située en actuelles Lozère et Haute-Loire) entre 1764 et 1767 ne sont pas une légende. De nombreux documents historiques en attestent. Les interprétations et hypothèses à propos des faits sont en revanche nombreuses et variées, de la plus rationnelle à la plus farfelue. J'y reviendrai à la fin du récit.
J'ai fait quelques recherches pour coller un maximum à ce qui s'est passé, hormis bien entendu le parti pris "fantastique" de cette fic. J'espère n'avoir pas commis trop d'anachronismes et d'approximations géographiques. N'hésitez pas à m'en faire part si vous en repérez. Tout autre commentaire est le bienvenu également!


Un appétissant fumet de rôti charma les narines d'Aziraphale dès qu'il poussa la porte de l'auberge du Mouton Blanc. Il avait prévu de gagner directement sa chambre, mais un bon repas atténuerait un peu son découragement.

Il avait passé l'après-midi en compagnie de Denis Diderot dans un salon d'intellectuels auprès de qui il espérait diffuser ses idées abolitionnistes. Malgré l'intérêt de leur conversation, l'ange avait plus d'une fois intérieurement grincé des dents face à l'athéisme borné dont certains faisaient preuve. Mais il n'avait pas vraiment le choix. En France, c'étaient les seules personnes en qui il voyait encore un espoir de faire changer les choses. Malheureusement, les mentalités n'évoluaient que lentement et Aziraphale savait que la fin de l'esclavage ne serait pas pour demain.

Il fit signe à l'aubergiste qui lui apporta une assiette copieuse puis, à sa demande, un pichet de vin, qu'il changea en un meilleur cru sans même y penser après l'avoir goûté.

Il mangea lentement en songeant que ses supérieurs avaient sans doute raison. L'esclavage n'était pas une pratique nouvelle. Il avait existé de tout temps. On l'avait toujours vu d'un mauvais œil, Là-Haut – Dieu n'avait pas créé les Hommes pour qu'une partie d'entre eux considère les autres comme des marchandises dépourvues d'âmes – mais Aziraphale n'avait jamais été mandaté pour tenter d'y mettre fin. Quand il avait posé la question, quelques siècles auparavant, le Métatron lui avait répondu d'un ton guindé que ce n'était pas à l'agenda du Plan Ineffable avant un bon moment, que les humains n'étaient pas encore prêts, que cela relevait de leur libre arbitre, etc.

Cependant, la traite des Africains vers les Colonies avait pris des proportions effarantes un siècle plus tôt et Aziraphale en avait fait une affaire personnelle depuis que certains se servaient de la Bible, plus précisément du passage sur la malédiction de Cham, pour justifier ces pratiques honteuses. Il avait donc obtenu l'autorisation d'intervenir – enfin, de pousser les Hommes à intervenir, rapport au libre arbitre - tant que cela n'interférait pas avec ses missions officielles et qu'il s'en occupait durant son temps libre.

Il devait bien avouer qu'il n'avait pas obtenu de résultats spectaculaires. Il avait tenté la méthode traditionnelle : une apparition angélique auprès des souverains des principaux pays responsables de la traite pour leur faire part du désaccord divin. Mais les sommes colossales en jeu avaient manifestement plus de poids que la foi du portugais Joseph Ier, de l'anglais George III et du français Louis XV. Et agir directement auprès des négriers était sans effet : dès qu'il parvenait à en convaincre ou à en effrayer un, l'homme était aussitôt remplacé par un autre. Aziraphale avait donc résolu de faire changer l'opinion publique. Mais là aussi, nombreux étaient les citoyens qui s'enrichissaient grâce au commerce des esclaves ou qui ne voulaient pas risquer de payer plus cher les produits du Nouveau Monde.

Il y avait un peu plus de quatre ans, l'ange avait même cru discerner un soupçon de raillerie dans la voix du Métatron qui, avant de lui confier la tâche d'encourager les belligérants à trouver une solution diplomatique à la Guerre de Sept Ans, lui avait demandé : « Et alors, cette histoire d'abolition de l'esclavage ? Toujours au même point ? » Mais Aziraphale n'était pas certain que le porte-parole de Dieu soit capable de se montrer narquois. Peut-être était-ce seulement lui qui devenait trop susceptible.

Il soupira et reposa ses couverts dans son assiette. Il s'apprêtait à se lever quand l'aubergiste s'approcha, une missive à la main.

« Monsieur Ziraphale, j'avais oublié : cet après-midi, j'ai trouvé ceci à votre nom. Quelqu'un a dû le déposer sur le comptoir pendant que j'avais le dos tourné. »

L'ange remercia, puis décacheta la lettre. N'y figurait qu'un seul mot : « Viens », au-dessus d'une carte sommairement dessinée. Aucun nom ni paraphe. Il reconnut instantanément l'écriture anguleuse de Crowley. De toute façon, l'absence totale d'explication ou de considération pour ce que lui, Aziraphale, pouvait être en train de faire constituait une signature en soi.

Il se demanda comment le démon avait su où envoyer son message. Ils n'avaient plus été en contact depuis au moins douze ans, et cela ne faisait qu'un mois que l'ange était à Paris, après avoir séjourné dans divers pays d'Europe. La deuxième question qu'il se posa fut : pour quelle raison Crowley faisait-il appel à lui ? C'aurait été tout à fait le genre du démon de le sommer de le rejoindre, comme si un problème majeur était survenu, alors qu'il cherchait juste un peu de compagnie. Tellement son genre qu'il l'avait déjà fait, en réalité. Au XIIIème siècle, Aziraphale avait reçu de sa part un courrier si alarmant qu'il avait cru la Fin du Monde sur le point d'advenir. Quand il était arrivé à Kiev, après un périple interminable et épuisant, il avait été accueilli par un « Enfin ! Je m'ennuyais à mourir ! Sers-toi un verre et raconte-moi ce que tu fais, ces temps-ci ». Sans l'Accord, l'ange l'aurait volontiers désincorporé.

Il regarda la carte plus attentivement. Ah. Le Gévaudan. Le nombre de morts et la description de la Bête avaient éveillé son attention, quand l'affaire avait commencé à faire du bruit, à la fin de 1764 si ses souvenirs étaient exacts. Mais il n'avait pas reçu l'ordre de s'en charger et il estimait que sa croisade personnelle était trop importante pour perdre du temps en se rendant dans cette région reculée de France afin de vérifier si ce n'étaient pas seulement des exagérations de bergers hystériques. Après tout, des attaques de loups, il y en avait sans arrêt. Savoir que Crowley se trouvait là-bas apportait un éclairage nouveau à cette histoire. Il aurait dû s'en douter.

Une troisième question s'imposa naturellement à lui : pourquoi ce message lui parvenait-il maintenant ? Après les échecs successifs de messieurs Duhamel et d'Enneval, le Roi, lassé d'être la risée de la presse européenne, avait envoyé sur place son propre lieutenant des chasses, monsieur Antoine. Celui-ci était parvenu à tuer la Bête, un énorme loup, à la fin de l'été 1765, mettant ainsi fin à son triste palmarès de plus de soixante victimes, majoritairement des enfants et des femmes. Il y avait encore eu quelques attaques le mois suivant, faisant seulement des blessés, mais elles avaient cessé quand le chasseur avait éliminé la portée de la Bête. Louis XV avait déclaré le problème réglé.

Que faisait donc Crowley – ou que faisait-il encore – dans ces montagnes au milieu de nulle part un an et demi plus tard ? L'ange soupira. Mettons que le démon avait effectivement une raison valable de le faire venir. Le problème était-il urgent ? La lettre n'était même pas datée. En voiture de messagerie, le voyage serait épouvantablement long. Encore fallait-il en trouver une qui aille dans ce coin isolé. Même à cheval, vu l'état des routes, il mettrait bien une dizaine de jours à faire le trajet entre Paris et Nozeyrolles, le village dont le nom était souligné sur la carte dessinée par Crowley.

L'ange se leva et sortit sur le pas de la porte. Il leva la tête. Comme il le pensait, c'était la nouvelle lune. Il pourrait voler discrètement, en s'orientant grâce aux étoiles, et atteindre Nozeyrolles le lendemain, au pire le surlendemain après s'être reposé dans une auberge pendant la journée. Evidemment, cela voulait dire se passer de bagages. C'était contraire à ses principes, mais pour une fois, il matérialiserait le nécessaire sur place.

Sa décision prise, il monta dans sa chambre, empaqueta ses affaires et rédigea une lettre à l'attention de Diderot pour le prier de les garder jusqu'à son retour. Il confia le tout au fils de l'aubergiste, qu'il rétribua de quelques pièces.

D'un pas pressé, il parcourut plusieurs rues à la recherche d'un fiacre pour gagner la périphérie de Paris, d'où il pourrait prendre son envol sans être vu.

Dans quoi le démon était-il encore allé se fourrer ?


Aux premières lueurs de l'aube, Aziraphale se posa dans une clairière. Il ne devait plus être très loin, d'après ses estimations. Il fit disparaître ses ailes et sortit du bois. Du ciel, il avait aperçu une grosse bâtisse carrée qui ressemblait à un relais. Il l'atteignit après une demi-heure de marche. Le tenancier s'étonna de le voir arriver de bon matin, sans cheval, et son regard se fit encore plus suspicieux quand l'ange demanda une chambre pour la journée.

Aziraphale s'allongea sur le lit quelques heures. Il n'avait pas besoin de dormir, mais il se sentait fourbu. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas volé sur une aussi longue distance. Un peu avant midi, il entendit du bruit provenant de la salle à manger et il descendit. Quelques voyageurs faisaient halte pour déjeuner. Il s'assit à une table voisine, demanda lui aussi un plat du jour et prêta l'oreille. Un homme interpella l'aubergiste :

« Quelles nouvelles pendant que j'étais à Orléans ? Il y a encore eu des attaques de la Bête depuis le début du printemps ? »

« Treize, pour ce que j'en sais. Deux vieilles, des filles, et un petit gars de même pas dix ans. Egorgés et à moitié dévorés. Si c'est pas malheureux ! »

« Où ? »

« Du côté des trois Monts. Elle en bouge plus trop, ces derniers temps. »

L'homme soupira.

« Au moins, c'est pas près de chez moi. »

Aziraphale se mêla à la conversation :

« Excusez-moi. Je n'ai pas pu m'empêcher de vous entendre et je suis surpris. J'arrive de Paris et, là-bas, tout le monde pense que les attaques ont cessé depuis que monsieur Antoine a éliminé la Bête. »

L'aubergiste grogna.

« M'étonne pas. Paraît que le Roi a déclaré qu'y avait plus de problème. Alors, y a plus de problème, pas vrai ? » finit-il avec un ton sarcastique.

Le voyageur expliqua à Aziraphale :

« Depuis que la Bête a été officiellement tuée, nous ne recevons plus aucune aide. Soi-disant qu'il n'y a plus de morts, ou que ce sont des victimes de loups ordinaires. La vérité, c'est qu'on a été tranquilles pendant à peu près un mois après le départ d'Antoine. Tout le monde était soulagé, vous pensez. Mais les attaques ont repris ensuite. Un an et demi plus tard, on en est à… je dirais… presque trente de morts en plus. Hein, Jean ? »

« Au moins ça. Sans compter les blessés. »

« Et vous êtes certains qu'il s'agit du même animal ? » s'enquit l'ange.

« Animal, animal… une créature du Malin, oui ! »

Ils se signèrent.

« Même si l'évêque dit que c'est Dieu qui l'a envoyée pour nous punir de nos péchés. »

Aziraphale pesta intérieurement. Parfois, il ne pouvait que partager l'avis de Crowley concernant toutes les imbécillités que les représentants de l'Eglise avaient déjà professées.

« Depuis que ça a commencé, à l'été 64, tous ceux qui en ont réchappé disent la même chose. C'est pas un loup ordinaire. C'est plus gros, plus grand, plus rapide. Plus malin, aussi. Et plus cruel. »

« Son poil est rouge, avec une bande noire tout le long du dos, » ajouta le dénommé Jean.

« Ses crocs sont énormes. »

« Et ses yeux rouges luisent dans la nuit. »

Les deux hommes hochèrent la tête. Aziraphale se remémora les descriptions colportées par les journaux. Hormis quelques exagérations de journalistes – la Bête crachait du feu, ses griffes étaient longues comme des couteaux – elles concordaient. Il y avait pensé à l'époque. Puis, absorbé par ses préoccupations, il avait un peu trop facilement accablé la crédulité et la superstition paysannes. Il s'en voulut.

Un molosse infernal décimait probablement la région depuis bientôt trois ans.


Les chiens des enfers appartiennent aux démons d'un certain rang, qui s'en servent pour tourmenter les âmes des damnés et pour asseoir leur position dans la hiérarchie d'En-Bas. Quelques molosses à vos côtés dissuadent généralement vos rivaux de vous attaquer pour essayer de prendre votre place. Les légendes de loups-garous laissent supposer que certains démons lâchent aussi leurs bêtes sur des humains, à l'occasion, sans doute en guise de divertissement. Mais Aziraphale n'avait jamais assisté personnellement à une telle chose, et il était difficile de faire le tri entre les récits fantastiques, les délires d'ivrognes, les tentatives de se rendre intéressant et les témoignages de rencontres avec des fauves inconnus mais bien terrestres. Si c'était bien ce qui se passait ici, il voyait mal l'intérêt d'une telle boucherie étalée sur une si longue période. Et surtout, il ne comprenait pas quel rôle Crowley pouvait y jouer.

Il eut tout loisir d'élaborer des hypothèses en parcourant la petite dizaine de lieues[1] qui le séparait encore de Nozeyrolles. Il avait hésité à attendre la nuit pour voler jusqu'au village. Mais, d'une part, en forçant un peu l'allure du cheval, il pourrait y être juste avant le soir et, d'autre part, il avait intérêt à ne pas sembler sortir de nulle part. L'attitude soupçonneuse de l'aubergiste – qui avait refusé de lui louer un cheval mais lui avait vendu à prix d'or une petite monture qui, selon lui, grimpait comme un cabri – ne serait rien en comparaison de celle de villageois terrifiés depuis trois ans qui ne verraient sûrement pas d'un bon œil l'arrivée d'un parfait inconnu ayant l'air, c'était le cas de le dire, de tomber du ciel.

Aziraphale songea qu'il serait d'ailleurs peut-être temps d'inventer une raison plausible à sa présence. Vérifiant qu'il n'y avait personne pour le voir, il matérialisa un modeste bagage attaché à la selle et changea sa tenue de voyage en habit de prêtre. La foi catholique était très fervente dans la région et cette identité lui permettrait de gagner la confiance des gens. Il fit appel à ses connaissances géographiques pour choisir une paroisse assez proche pour avoir envoyé un prêtre comme aide spirituelle supplémentaire contre la Bête, mais assez éloignée pour que personne ne s'étonne de ne pas le connaître. Vu l'isolement des villages et la difficulté des communications, nul n'irait vérifier son histoire.

Comme le soir tombait, il fut soulagé d'arriver en vue de ce qui était manifestement Nozeyrolles. Le village, dont l'entrée était marquée d'une croix de granit, abritait tout au plus cinquante maisons de pierres grises, aux toits de lauzes ou de chaume, et une petite église entourée d'un cimetière.

Il croisa quelques habitants, qui le fixèrent d'un air tantôt intrigué, tantôt un peu méfiant, mais qui lui rendirent son salut. En tant que prêtre, il devait logiquement commencer par aller voir le curé. Aziraphale espérait que celui-ci ne connaissait pas son homologue dans la paroisse dont il allait se réclamer et qu'il ne poserait pas trop de questions. Mais l'homme d'église, passé sa surprise première, fut ravi d'avoir un peu de compagnie et de soutien. Il proposa au nouveau venu de partager son repas et de loger chez lui durant son séjour. Il était manifeste qu'il était secoué par le décès de ses paroissiens, d'autant qu'il avait baptisé lui-même presque toutes les victimes issues du village. S'il se montrait confiant devant la population, il semblait soulagé de pouvoir s'ouvrir de ses craintes et de ses doutes auprès d'un confrère.

La soupe et le pain avalés, Aziraphale demanda à emprunter une lampe pour faire un petit tour de reconnaissance.

« Vous n'allez pas sortir dans le noir ! » s'exclama le curé.

« Je ne quitterai pas le village. »

« Ca n'arrête pas la Bête ! Elle vient parfois s'emparer des enfants jusque devant les maisons, en plein jour. »

« Je suis un peu plus gros qu'un enfant, » le rassura l'ange.

Le curé se résigna et lui tendit un gourdin qui trônait juste à côté de l'entrée.

« Prenez ça, au moins, c'est plus prudent. »

Les rues, peu nombreuses, étaient désertes, tout comme la petite place. Les habitants se calfeutraient derrière d'épais volets de bois. Aziraphale longea le mur du cimetière. La grille de celui-ci était entrouverte. Il y pénétra. A la lueur de sa lampe, il lut les inscriptions sur les tombes les plus récentes. Il y avait un nombre inhabituellement élevé d'enfants et de jeunes filles. C'était tristement logique : c'étaient à eux qu'incombait la tâche de surveiller les bêtes au pâturage, ce qui en faisait des proies toutes désignées.

Le fond du cimetière abritait quelques monuments funéraires plus élevés. Aziraphale avait beau s'y attendre, il ne put s'empêcher de sursauter quand il vit deux yeux jaunes briller dans l'obscurité. Il serra son bâton dans un réflexe. Une silhouette longiligne se détacha du caveau contre lequel elle était adossée un instant plus tôt.

L'ange dit d'un ton cassant :

« J'ai utilisé mon aura pour m'annoncer, tu aurais pu avoir la politesse de faire de même. »

« J'aurais pu. Mais ç'aurait été moins drôle, » répondit Crowley en découvrant ses dents en un léger sourire.

« Tu as toujours eu un faible pour les apparitions théâtrales. »

Le démon haussa les épaules.

« Tu as mis le temps. »

« J'ai reçu ton message hier soir, » fit Aziraphale, exaspéré.

Crowley soupira.

« Ce qui me chagrine, c'est d'avoir dû t'envoyer une invitation pour que tu daignes venir voir ce qui se passe. »

« J'étais occupé. »

« Dis-moi où tu vas, la prochaine fois. Tu sais le mal que j'ai eu à retrouver ta trace ? Ca fait plus de deux ans que j'ai lancé des diablotins à ta recherche. »

« Quel dommage que nous ne soyons pas capables de communiquer par la pensée ! » répliqua l'ange avec humeur.

« J'ai eu le temps de le regretter, depuis que je suis coincé ici. » Les yeux du démon se plissèrent et il sourit à nouveau. « Ce serait amusant. »

Aziraphale frémit à l'idée de Crowley déversant directement ses commentaires et réflexions sarcastiques dans sa tête n'importe où et n'importe quand. Il rétorqua :

« N'oublie pas que ça marcherait dans les deux sens. »

Le sourire du démon disparut aussitôt.

« Tu comptes m'expliquer ce que tu fais et, par conséquent, ce que je fais ici ? » reprit l'ange.

« Ca risque de prendre un moment. Je ne tiens pas à rester dans le village trop longtemps. Et puis, on va s'inquiéter de votre absence, mon Père, » dit Crowley avec un regard amusé vers le vêtement noir à col blanc d'Aziraphale. « Il y a une bergerie abandonnée, plus haut dans la montagne, au lieu-dit du Bois Noir. C'est à une bonne heure de cheval d'ici. Sois-y demain matin. Je te raconterai. »

Le démon rabattit la capuche de son manteau noir et s'éloigna. Aziraphale l'interpella :

« C'est un molosse infernal, n'est-ce pas ? »

Crowley répondit d'un ton moqueur, sans se retourner :

« Je vois que tu n'as rien perdu de tes fabuleuses capacités de déduction. »


[1] La lieue était une unité de mesure différant légèrement selon les époques et les régions mais équivalant à environ quatre kilomètres.