Bon alors qu'est-ce que j'ai encore foutu ? Bah écoutez après le socialisme en Allemagne en 1875 et la Drôle de Guerre qui cependant n'a fait rire personne (#perlesdubac), la logique a voulu que je m'attaque à la Seconde.

Cette histoire est TRÈS longue alors je l'ai coupée en quatre parties. Je publierais tous les samedis.

Ceux qui ont lu ma fanfiction Le crépuscule avant la nuit se rendront compte que c'est exactement la même histoire mais complètement différente parce qu'elle n'est pas du même point de vue. Vous n'êtes pas obligés d'avoir lu les deux.

Ensuite, petit avertissement parce que le rating M est pas là pour décorer le sapin de Noël : Y a des sujets sensibles, style la guerre, l'antisémitisme, les problèmes psychologiques style culpabilité/suicide et la déportation des juifs, et surtout un avertissement pour le langage (vous vous attendiez à quoi avec Romano en personnage principal ?)

Enfin, pour le petit discours habituel, Hetalia ne m'appartient toujours pas.

Concernant les pairings, ce sera un bon gros GerMano en LARGE DOMINANTE. Ensuite, beaucoup trop pour être énumérés parce que vous allez voir, y a du monde, votre OTP sera forcément dans la liste.

Alors pour mettre les choses au clair, voici, par ordre d'apparition :

Chiara = Nyo Romano

Lucie = Monaco

Romeo = Rome (oui bah on sait jamais)

Felicia = Nyo Italie

Francesca = 2p Nyo France

Lizzie = Surnom de Elizaveta, et donc Hongrie

Alicia = Britannia

Burkhard = Germanie

Anneliese = Nyo Autriche

Gabriel = Luxembourg

Emma = Belgique

EUH ATTENDEZ FUYEZ PAS. Même si vous n'aimez pas les Nyos, oubliez l'univers canon d'Hetalia. Laissez-leur une chance de vous plaire.

Et enfin, je vous laisse tranquilles avec votre pop corn et vos lunettes 3d. Bonne lecture.


25 août 1944

Chiara soupira en sortant de l'appartement, se confrontant à la rue sauvage, qui n'attendait qu'un signe pour que tout le monde se jette sur tout le monde. L'air était lourd et chaud, et pourtant, la jeune femme avait enfilé des collants, la veste de son frère Francis par dessus sa robe et avait posé un mouchoir en dentelle contre son nez et sa bouche. Bon réflexe. Les allemands étaient partis et la Résistance s'était emparée de la ville pendant la nuit, et elle avait entendu des coups de feux jusqu'à cinq heures du matin. Des groupements de cadavres miliciens (dont son frère Francis ne faisait pas partie, ce qui lui tira un soupir de soulagement), de collabos et même de soldats allemands gisaient sur le sol et contre les murs, entourés de mares de sang plus ou moins conséquentes. La chaleur augmentait les mauvaises odeurs des cadavres, ce qui expliquait que l'italienne ait pris la précaution d'emporter un mouchoir.

Et pourtant, même si le calme semblait être revenu, elle ne se sentait toujours pas en sécurité. Mais ça faisait maintenant une semaine qu'elle restait enfermée chez elle sans rien faire, il fallait qu'elle sorte, qu'elle respire, qu'elle marche, putain de merde, Lucie n'allait pas la garder prisonnière toute sa foutue vie.

Des cris sur sa droite la firent brusquement sursauter. Un nouvel attroupement de gens s'était formé, autour d'une seule et même victime, visiblement pour la frapper. Et sans pouvoir s'en empêcher, Chiara se sentit bouillir de colère et accourut pour intervenir. Le régime de Vichy était tombé et la guerre était finie, bon sang. Elle n'acceptera jamais qu'une femme se fasse maltraiter de la sorte parce qu'elle était seule et faible, et son mari sûrement mort ou prisonnier quelque part.

« Eh, bande de bâtards ! Relâchez-la tout de suite !

- C'est une collabo, lui répondit une voix enjouée de petite fille qui participait visiblement au lynchage avec entrain, ce qui affligea encore plus l'italienne. Son regard croisa celui de la victime, en position fœtale sur le sol, les bras enroulés autour de sa tête pour se protéger des coups, tremblante. Chiara repoussa violemment un homme qui s'apprêtait à lui donner un coup de matraque.

- Non mais vous allez pas bien ou quoi ?! Vous avez de la merde dans les yeux ? Foutez-lui la paix ! Vous avez aucun honneur pour vous attaquer à une femme sans défense.

- Eh mais c'est Chiara Vargas Bonnefoy ! S'exclama une voix vers l'arrière du groupement.

En sentant tous les regards se tourner vers elle puis s'assombrir, Chiara se sentit tout de suite mal, comme si elle allait passer un sale quart d'heure. La femme qui se faisait martyriser quelques temps plus tôt se releva brusquement, dirigeant son regard vers Chiara et la poussant en arrière.

- Fuyez ! J'ai été obligée de vous dénoncer, ils vous feront pas de cadeau… Partez… »

Elle se refit brusquement frapper et termina à nouveau au sol, au bord de l'évanouissement, alors que Chiara eut un mouvement de recul. La panique commença à faire surface. Elle n'avait rien fait de mal, pourtant, de quoi avait-elle pu être dénoncée ? Alors qu'elle tournait les talons pour s'enfuir, un homme l'attrapa violemment par les cheveux. Elle se débattit aussitôt.

« Lâchez-moi putain, vaffanculo, figglio di puttana !

La gifle violente qu'elle se prit la propulsa au sol. Elle foudroya son agresseur du regard, se tenant la joue. Le type en question s'agenouilla devant elle avec un sourire mauvais au coin des lèvres.

- Tu sais qu'il nous a donné du fil à retordre ? Ton frère, Francis. Un vrai connard de milicien, il a arrêté ma tante, ma mère et ma sœur et tu sais pourquoi ? Parce qu'on est juifs. Est-ce une raison suffisante, selon toi ?

- Je… Je comprend rien à ce que vous dites putain…

- Ta gueule.

Un coup de pied bien placé dans le ventre plia l'italienne en deux, et elle consentit finalement à se taire pour laisser parler ce gros stronzo.

- Je l'ai cherché partout pour lui faire payer ses monstruosités. Sauf que quelqu'un le protège mais t'en fais pas, je tarderais pas à savoir qui c'est. Et devinez sur qui je tombe, ce matin ? Chiara Vargas Bonnefoy, sa chère sœur bien aimée.

Il cracha au sol, près de la tête de Chiara, avant d'ajouter :

- La pute de Ludwig Beilschmidt. Le jackpot. »

Puis il l'obligea à se relever, la prenant brusquement par l'épaule, sous les cris euphoriques des autres. Et c'est là que Chiara devina sans problème qu'elle était dans la merde jusqu'au cou. C'était donc ça, la fameuse chose horrible dont elle avait été accusée. Sa liaison avec Ludwig.

Reprenant ses esprits, elle se débattit encore plus violemment, malgré les coups qu'on lui mettait aléatoirement dans la tête, le ventre, les jambes, pour la calmer. Lorsqu'elle termina à bout de forces, épuisée et du sang coulant de son nez et sa bouche, on l'obligea à s'asseoir à même le sol avec l'autre femme.

L'attroupement de leurs persécuteurs s'écarta ensuite pour laisser passer un autre homme. Avec des ciseaux. Et un rasoir.

« Non… Putain… »

Elle sentit les larmes dévaler ses joues, sous l'effet de l'humiliation, la honte, la fatigue, la peur. Quand les premières mèches de ses beaux cheveux tombèrent au sol, elle ferma violemment les yeux.

Là tout de suite, elle voulait juste mourir.


10 juillet 1939

Chiara n'avait jamais aimé les vacances en famille, dans son village de naissance au sud de la Sicile. Notamment parce qu'elle y retrouvait sa sœur jumelle, Felicia. Une boule de bonne humeur et d'énergie, mais dont la complicité avec sa jumelle avait été, au fil du temps, ébranlée puis rayée par la jalousie, le favoritisme et la rancoeur. Felicia était de loin la petite préférée de leur grand-père Romeo. Pour les beaux yeux de la plus rayonnante des deux sœurs, il donnait tout. Il lui avait payé ses études en Toscane, du primaire jusqu'à la bourse monstrueuse de l'Académie des Beaux Arts de Venise. Surnommée la disciple de Michel-Ange à cause de son style particulier, Felicia peignait bien, et son talent était reconnu. Chiara avait toujours vécu dans l'ombre de cette sœur trop parfaite ; trop mauvais caractère pour plaire à la gente masculine, trop nulle en arts pour faire des études, trop asociale pour vivre avec les autres.

Dans la joyeuse famille Vargas Bonnefoy, il y avait aussi les aînés : Francis et Lucie. Les quatre enfants étaient issus de la même mère mais d'un père différent ; français pour les deux premiers enfants, et italien pour les jumelles. Et là aussi, Francis et Lucie évoluaient, faisaient la fierté de Romeo qui les avait pris sous son aile et excellaient ; Lucie faisait des études de médecine pour être infirmière de guerre et Francis allait succéder à son père dans la vente de vin, au domaine de la branche Bonnefoy de la famille. Seule Chiara en savait pas quoi faire de sa vie. Elle n'avait aucun talent, ou si elle en avait un, elle n'en savait rien et on en la poussait pas à l'exploiter.

Voilà pourquoi ce pique nique familial, elle n'avait pas, mais alors pas du tout envie d'y assister. Mais elle se forçait. La petite famille était réunie au bord d'un lac dans une jolie forêt près de la luxueuse propriété des Vargas. Chiara aidait Lucie à déplier la nappe pour l'étendre au sol afin qu'ils puissent y déposer le repas, et Felicia sautillait partout en babillant. C'était son mariage à venir avec un type quelconque issu de la principauté de Seborga qu'on fêtait.

Lorsqu'ils furent tous assis sur la nappe, Francis s'appliquant à découper des parts de pizza égales, Romeo releva brusquement la tête pour s'intéresser à Chiara.

« Et toi, mia bambina, quand est-ce que tu nous ramèneras un homme à la maison ?

La brune se mordit la lèvre et baissa la tête, se sentant rougir lorsque tous les regards, surtout celui insistant de Felicia, furent tournés dans sa direction. Elle l'aurait envoyé chier avec plaisir, si ça avait été quelqu'un d'autre. Mais son grand-père, elle lui devait le respect, et ce dans n'importe quelle circonstance.

- Non… Toujours pas.

- J'ai vu beaucoup d'hommes lui faire des avances, à Paris, mais elle fait fuir tout le monde avec son sale caractère.

- Francis ! S'exclama Lucie, offusquée, donnant un taquet derrière la tête de son frère qui roula des yeux. La distraction fut suffisante pour que Romeo dirige son attention sur son fils aîné.

- Oh j'oubliais presque, mio grande ragazzo ! Il me semble que tu m'avais parlé d'une certaine Jeanne.

- Je ne suis plus avec elle, répondit simplement Francis en haussant les épaules.

- Bof. Une de perdue, dix de retrouvée. »

Les deux hommes rirent de bon coeur et trinquèrent avec ce qu'ils avaient sous la main, autrement dit leurs parts de pizza. Chiara leva les yeux au ciel, au même titre que Lucie, alors que Felicia affichait toujours un sourire béat et heureux. Francis et Romeo étaient tous les deux des véritables Don Juan ; les femmes leurs tombaient naturellement dans les bras, et ils ne restaient généralement pas plus de quelques jours avec elles.

« Oh et j'ai trouvé un nouveau gars pour travailler avec moi au domaine. Il s'appelle Ivan Braginski, c'est un ami d'enfance, il vient d'URSS.

- Bien, tu pourras le présenter à Chiara avant qu'il soit trop tard et qu'elle devienne une vieille fille. »

Là tout de suite, si Chiara n'avait pas perçu le regard étrangement intéressé de Francis à la mention de ce dénommé Ivan, elle aurait pété une durite, hurlé contre son grand père et serait partie immédiatement. A la place, elle se contenta de serrer les poings jusqu'à ce que ses ongles pénètrent sa chair, et afficha un sourire crispé.

« Je n'aime pas les russes. En revanche, je pense que Francis est très intéressé. »

Sa remarque acerbe fit mouche. Romeo fronça les sourcils, Francis afficha un air mi-furieux mi-apeuré comme si elle avait deviné quelque chose qu'elle n'était pas sensé savoir et un silence gênant s'installa, que personne n'osa briser. Même Felicia semblait avoir compris qu'il fallait se taire.

Satisfaite, Chiara se servit à son tour dans l'assiette de pizza.

Le calme avant la tempête.


27 août 1944

« Bonjour monsieur, désolée de vous déranger. Je voudrais retrouver un soldat allemand. Il travaillait en Pologne depuis avril 1944 et je soupçonne que l'armée russe l'ait parqué dans un camp sur le territoire soviétique. Il s'appelle Ludwig Beilschmidt. Non… ? D'accord, merci quand même… »

« Oui bonjour monsieur, je voudrais savoir s'il y a un certain ''Ludwig Beilschmidt'' dans la liste des prisonniers de guerre soviétiques de… Oh, d'accord. »

« Bonsoir, oui je sais qu'il est tard putain, ça va… Est-ce que quelqu'un dans ce foutu pays est capable de me dire où ont été transférés les soldats allemands qui travaillaient à Auschwitz, en Pologne ?… Putain mais c'est pas vrai ! »

« Comment ça vous connaissez pas Auschwitz ?! C'est une putain de ville polonaise ! Mais vous servez à quoi à l'ambassade polonaise si vous êtes pas foutus de connaître la géographie de votre propre pays ?!… Cazzo, il a raccroché. »

Chiara reposa le téléphone sur son combiné avec la délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine et soupira bruyamment. Elle était épuisée. Depuis son expérience traumatisante dans la rue où elle s'était faite frapper puis raser grossièrement les cheveux, elle restait cloîtrée dans l'appartement de Lucie avec un foulard autour de la tête pour cacher son crâne. Ça faisait des mois qu'elle était à la recherche de son amant allemand, persuadée qu'il était prisonnier de guerre en Pologne ou en URSS, et elle faisait le tour des ambassades pour essayer de le retrouver. Hors de question qu'il pourrisse dans ce genre d'endroit et meure dans l'horreur et l'indifférence.

Elle sentit une main se glisser dans la sienne et trouva juste assez de force pour l'enserrer légèrement, juste histoire de dire qu'elle ne s'endormait pas, elle était toujours d'attaque, quoi qu'il arrive.

« On va le retrouver, t'en fais pas. Il a pas pu disparaître comme par magie, fit la voix d'Ivan, qui se voulait rassurante. Depuis que le russe travaillait pour Francis, il s'était plus ou moins lié d'amitié avec Chiara. Et depuis la libération de Paris, puisqu'il voulait être utile et qu'il connaissait l'URSS comme sa poche, il l'aidait dans ses recherches.

- Tu as appelé l'ambassade de Bulgarie ? Soupira-t-elle, se servant une énième tasse de café pour rester éveillée, au moins encore quelques heures.

- …Pas encore.

Elle se redressa et repoussa sa main, visiblement contrariée.

- Mais qu'est-ce que t'as foutu hier pour même pas avoir le temps de passer un coup de téléphone ?

- Comme je te l'ai dit, je cherche à libérer Francis.

- C'est mort pour lui… Y a aucune pitié pour les miliciens. Il sera pendu dans la semaine.

- Pas tant que je serais en vie. »

Le regard furieux de l'italienne fut rapidement balayé par la peine devant l'obstination du russe. Même si personne n'était sensé être au courant, ni même Lucie, Felicia et elle-même, Chiara avait rapidement deviné les sentiments que le russe portait à son frère. Et ce, depuis bien avant que la guerre commence. Et même si son amour ne lui était pas rendu, même s'il avait déjà essayé d'aller voir ailleurs, il n'y parvenait pas. Son amour pour Francis était trop fort et rien ne semblait pouvoir l'ébranler, même quand il avait vu avec dégoût et déception l'homme qu'il aimait revenir après deux ans en prison allemande vêtu de l'uniforme milicien. Alors que lui, il avait choisi de rejoindre la Résistance. Chiara ne pouvait que comprendre. Elle aurait tout donné si ça lui donnait une chance de revoir Ludwig. Même s'il était sensé être son ennemi.

Finalement, Ivan qui était tout aussi fatigué qu'elle s'étira, et repoussa le café loin de lui.

« Mieux vaut qu'on dorme. On sera plus efficace demain après une bonne nuit de sommeil, surtout pour supporter les types des ambassades et toute leur paperasse. »

Chiara se surprit à obéir. Et plus tard, dans la nuit, elle repoussa carrément les couvertures de son propre lit pour se glisser dans celui du russe. Elle l'avait déjà fait dans le passé, quand elle faisait des cauchemars à cause des bombardements. En fait, ça avait toujours été une habitude de se glisser dans les draps de ses frères et sœurs parce qu'elle détestait dormir seule, jusqu'à ce que Felicia parte à Venise et que Francis et Lucie la rejettent sous prétexte qu'elle était ''trop vieille pour ces bêtises''. Ivan, lui, il ne disait rien. Il l'accueillait, tout simplement. Lorsqu'il sentit le matelas s'affaisser à côté de lui, il se retourna vers elle, l'air déjà ensommeillé, et entoura le petit corps de Chiara avec son bras. Elle se blottit tout de suite contre lui, laissant s'échapper les larmes qu'elle avait retenues toute la semaine.

Et elle s'endormit ainsi, dans les bras de cette âme aussi brisée que la sienne, vidée de toute énergie.


12 mai 1940

Finalement, la guerre avait atteint les frontières de la France. Enfin, c'était surtout une certaine armée de patates allemandes qui était passée par ces putains d'Ardennes, à côté de cette putain de Ligne Maginot. Alors Francis avait enfilé son uniforme militaire et partait botter le cul des boches. Dans quelques minutes, Ivan allait l'accompagner à la gare. Et même si Francis était quand même un sacré connard parfois, Chiara sentait une petite boule d'angoisse se former au creux de son ventre. Elle… S'inquiétait pour lui. Cependant, elle n'était pas restée pour lui dire au revoir, au risque de fondre en larmes. Par fierté, elle était sortie se planquer sur le toit de l'appartement, les jambes dans le vide.

Sauf que Francis la connaissait assez bien pour savoir où elle était et pourquoi elle jouait les ermites solitaires. La jeune femme retint un soupir bruyant en entendant la fenêtre de toit grincer, signe que quelqu'un la rejoignait là haut. Son frère vint s'asseoir à côté d'elle, silencieusement, laissant un léger espace de distance entre eux. Mais son sourire était tendre et la main qu'il posa sur son bras était tendre, rassurante.

« Je vais revenir, tu sais ? C'est juste histoire de repousser ces sales schleus jusqu'à la frontière et je serais de retour dans deux semaines. Ne t'inquiète pas.

- Vaffanculo, je ne m'inquiète absolument pas pour toi.

- Oh, vraiment ?~ »

Devant l'absence de réponse et la moue boudeuse de Chiara qui voulaient tout dire, Francis éclata de rire et passa son bras le long de ses épaules pour la rapprocher de lui.

« Quand je reviendrais, j'espère que tu l'auras épousé.

- De qui tu parles ?

- Bah Antonio, le type qui vient acheter du Bordeaux toutes les semaines alors qu'il déteste ça rien que pour te voir ! Romeo est d'accord avec moi pour dire que vous allez super bien ensemble.

Chiara soupira et ramassa un morceau de tuile qu'elle jeta sur le toit d'en face. Il ne fallait pas se fier à l'avis de son grand-père. Aux yeux de Romeo, même une poubelle irait bien avec elle.

- Pas mon style.

- Il est gentil, beau et c'est un bon parti. Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?

- C'est un crétin, il est collant et un casse-pied.

- Okay j'abandonne ! C'est vrai qu'il est casse-pied » Lâcha finalement Francis en riant, toujours amusé d'entendre Chiara énoncer tous les défauts de ses prétendants.

« Tu seras sage en mon absence, hein ? Ajouta-t-il cependant.

- Ça dépend de ce que tu appelle sage.

- Ivan aura besoin d'aide, faudra être gentille avec les clients et éviter de raccrocher au nez de papy Romeo quand il dit quelque chose qui te plaît pas.

- …Je ferais de mon mieux mais je te promets rien.

- Merci. Et oublie pas que je t'aime. Et je suis fier de toi. »

Il déposa un léger baiser sur le front de sa sœur, avant de se relever pour rejoindre Ivan, à l'étage d'en dessous. Chiara, trop abasourdie et touchée par sa déclaration, en pensa même pas à le repousser, ni lui dire au revoir.


22 juin 1940

« Ils veulent quoi, les bâtards aux patates ? »

Étrangement, Ivan avait l'air soulagé que Chiara intervienne, même si elle était clairement intimidée par les grosses berlines noires garées sur la putain de pelouse et les soldats allemands qui poussaient comme des champignons toxiques. Pour résumer, Francis était porté disparu avec une partie du reste de l'armée française, et l'armée allemande avait atteint le Maine-et-Loire en quatre jours alors que Radio Paris avait prédit au moins deux semaines.

Ligne. Maginot. De. Merde.

Putain. De. Guerre.

Ivan s'était donc généreusement sacrifié pour sortir accueillir les allemands qui venaient d'entrer dans la propriété. Chiara avait jusqu'à maintenant observé la scène de loin sans se risquer à intervenir mais, finalement, sa curiosité avait été plus forte que son appréhension et elle avait fini par faire son entrée en scène avec cette phrase à laquelle Ivan s'empressa de répondre :

« Chiara, ma puce, tu peux emmener ces hommes jusqu'aux chambres des domestiques ? Celles avec un petit bureau en annexe. »

La mâchoire de Chiara manqua de tomber de sa bouche. Il était sérieux, là ? Ils allaient accueillir ces putains de patates allemandes chez eux ? Vu le regard désolé et embarrassé d'Ivan, ce n'était pas une blague.

Les allemands en question, ils étaient deux. Chiara les jugea rapidement de haut en bas ; le premier était un simple sergent de la Wehrmacht, elle reconnaissait les grades par le biais des uniformes depuis qu'elle avait aidé papy Romeo à réparer le sien et qu'il lui avait exposé quelques connaissances dans le domaine militaire. Ce type avait un physique assez atypique, avec des cheveux trop blancs, une peau trop pâle et une lueur rouge assez inquiétante dans les yeux. L'autre homme était un capitaine de la Waffen-SS. Un général, un grade beaucoup plus élevé, avec une apparence beaucoup plus banale ; grand, musclé, blond aux yeux bleus. Et à force de le fixer comme une sans gêne, elle se rendit compte qu'un regard bleu particulièrement glacial et inexpressif s'était posé sur elle. Chiara frémit et se détourna. Ces deux-là la mettaient mal à l'aise.

« Kesesesese, bonjour mademoiselle ~, la salua le sergent avec un accent à couper au couteau, affichant un grand sourire, et ne récoltant en retour de sa tentative de drague qu'un haussement de sourcil de la part de Chiara, un facepalm de la part de son frère et un regard noir de la part de Ivan. La jeune italienne ne se laissa cependant pas démonter, même si elle était intimidée pour des raisons évidentes.

« Ta gueule, toi. Suivez-moi, et grouillez votre cul parce que je vous attendrais pas. »

Et elle leur tourna sèchement les talons pour retourner à l'intérieur de la propriété, jouissant de la mine désabusée du sergent. Si elle les avait regardés un peu plus longtemps, elle aurait même remarqué le petit sourire discret de son collègue.

Tandis qu'elle les guidait jusqu'aux chambres que Ivan lui avait indiquées, sans daigner jeter un regard en arrière pour être sûre que les allemands la suivaient, elle apprit que le sergent s'appelait Gilbert, le capitaine Ludwig et qu'ils étaient frères avec, inévitablement, le même nom de famille : Beilschmidt. Le dénommé Gilbert tenta quelque fois de lancer la conversation avec elle, la draguant déjà beaucoup trop lourdement, mais l'italienne garda les lèvres pincées, essayant de se retenir de lui hurler des injures au visage pour qu'il la laisse tranquille. Heureusement qu'elle avait une éducation.

« C'est ici. »

Lâcha-t-elle sèchement, leur donnant les clés des deux chambres, au deuxième étage au fond à gauche du couloir. Des grandes chambres avec un bureau et des toilettes, comme l'exigeait la convocation des deux frères. Gilbert se rua dans la chambre en manquant de la bousculer, se jetant sur le lit pour sauter dessus à pied joint, balançant sa valise par terre.

« Ludwig! Komm, es ist großartig hier ! » (traduction : Ludwig ! Viens, c'est génial ici !)

Son frère ne le rejoignit pas tout de suite. Alors que Chiara s'apprêtait à partir rejoindre Ivan, ne voulant surtout pas rester une seconde supplémentaire ici, elle sentait qu'on l'attrapait par le bras et se dégagea aussitôt, fusillant le dénommé Ludwig du regard. L'allemand avait retiré son couvre-chef et son veston, et bizarrement, Chiara devait faire un effort pour ne pas laisser son regard dévier sur la forme du torse de l'envahisseur, qu'on devinait sous sa chemise blanche.

« Je vous interdis de me toucher.

- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous offenser… Vous alliez partir tellement vite, alors que je voulais vous dire quelque chose.

- Et bien allez-y, parlez ! Soupira-t-elle bruyamment, croisant les bras.

- Je voulais juste vous remercier de nous avoir accueilli. Je sais à quel point cela doit être pénible pour vous, je respecte beaucoup la France. Et sachez qu'on fera notre possible pour que notre présence soit imperceptible, vous ne serez pas dérangés.

Visiblement lui, malgré son accent encore persistant, il avait fait des études de français, comparé à son frère. Chiara en resta un peu déroutée.

- Je et bien, euh… D'accord. Ah, et interdit pour vous d'aller sur le toit ou au premier étage, ok bastardo ? Se reprit-elle rapidement, reprenant un air furieux qui arracha un sourire à Ludwig. Et putain, il se foutait visiblement de sa gueule, pourquoi ça ne lui donnait pas envie de l'encastrer dans le mur ? Elle se ramollissait, ou quoi ?

- Aucun problème, mademoiselle Vargas-Bonnefoy. Encore merci. Et bonne nuit. Oh, et excusez mon frère, même s'il peut être lourd et maladroit parfois, il est très gentil. »

C'est vite dit. ''C'est un con'', dira Ivan pour décrire Gilbert quelques dizaines d'années plus tard.

Chiara se contenta d'acquiescer, avant de lui tourner froidement le dos. Mais avant de partir, elle ne put s'empêcher de marmonner timidement à Ludwig :

« Bonne nuit à vous aussi… »


La relation entre Chiara et Ludwig prit un autre tournant, à peine deux semaines plus tard. Depuis que les deux frères étaient à la maison, Ivan était de plus en plus tendu. Dès le lendemain de son intrusion, en parlant de Gilbert, il disait déjà que « c'est un con », comme quoi le courant avait vraiment du mal à passer entre eux. Chiara aussi était à cran. Lorsque Antonio était venue chercher sa bouteille de Bordeaux comme à son habitude, elle n'avait même pas eu le courage de faire semblant de sourire et décliner gentiment quand il lui avait proposé de dîner avec lui. Elle l'avait envoyé chier, purement et simplement. Maintenant, elle s'en voulait un peu parce que quand même, Antonio avait toujours été excessivement gentil avec elle et Francis lui avait fait promettre d'être agréable avec les clients. Mais elle se sentait trop honteuse pour aller s'excuser.

Ludwig avait tenu sa promesse, finalement : Les deux frères faisaient leur possible pour être invisibles. Ils n'étaient presque jamais au domaine, passant presque toutes leurs journées en ville où à la Kommandantur de Contigné. Et quand Ivan et Chiara devaient supporter leur présence, Gilbert passait son temps à bavarder, faire l'imbécile et piquer des bouteilles de vin – il en avait le droit puisque son armée était victorieuse, le salaud. Ludwig, il s'intéressait aux quelques livres qui étaient entreposés dans sa chambre ; du Baudelaire, du Rimbaud principalement et même du Sade ; Francis était friand des poètes maudits et de la littérature libidineuse ou érotique. L'allemand faisait également du piano et parfois, depuis le premier étage ou le rez-de-chaussée, Chiara l'entendait jouer. Et elle trouvait ça beau. Cet instrument avait coûté un bras à Romeo qui l'avait offert à Lucie pour son quinzième anniversaire. Elle avait essayé de prendre des cours pour faire plaisir à son papy mais s'était rapidement lassée. Elle n'avait pas la patience pour ça. Depuis, le piano abandonné prenait la poussière, et avant que Ludwig y touche, Chiara n'avait jamais soupçonné qu'un instrument si encombrant puisse faire des sons si mélodieux et légers. Bach, Mozart, Beethoven, disaient les partitions de Ludwig, qu'elle avait déjà trouvées par hasard et lues. La curiosité est un vilain défaut mais tant pis.

Un soir, Ivan était parti en réunion avec ses camarades de la Résistance communiste et Gilbert travaillait de nuit alors Chiara s'était retrouvée seule avec Ludwig. Elle était dans la cuisine en train de faire les comptes de la vente de vins quand elle avait entendu de la musique depuis l'étage. Et pas celle du piano, celle de la radio qui était cassée depuis deux ans. La seule qui fonctionnait toujours, Ivan l'avait emmenée au siège du Parti. Ils s'en foutaient un peu d'avoir la radio, ils n'écoutaient ni Radio Paris, ni Radio Londres de toute façon.

Elle laissa tomber cette paperasse administrative qui lui donnait mal à la tête et monta les escaliers, trouvant Ludwig assis au bureau qu'on lui avait attribué, entouré de pièces mécaniques et d'un verre de cognac, réparant la vieille radio. Il releva la tête en voyant Chiara arriver, affichant un petit sourire qui fit battre son cœur plus vite… Ouais non, ça devait être à cause de la chaleur, impossible que ce soit ce boche qui lui fasse de l'effet.

« Comment vous avez fait ? Mon fratello n'est jamais parvenu à la réparer.

- Il fallait juste changer l'ampoule et elles coûtent très cher », expliqua Ludwig en tournant le bouton de la radio, à la recherche d'une fréquence. Lorsqu'une musique de piano résonna enfin, ainsi que des paroles en allemand, le regard du soldat s'illumina.

- Connaissez-vous cette chanteuse ? Il s'agit de Greta del Torres*, l'une des artistes les plus renommées d'Allemagne.

- Non je ne la connais pas…

- Dansez avec moi. »

Chiara écarquilla les yeux, abasourdie par cette demande sortie de nulle part. Ludwig eut la décence de rougir, avant de baisser la tête et s'expliquer.

« Je… Excusez-moi. C'est juste que je n'ai pas eu la moindre occasion de danser depuis le début de la guerre, et c'est ma chanson préférée… Je ne voulais pas vous choquer ni vous offenser, je…

- D'accord. »

Chiara eut le réflexe de se mordre la lèvre, gênée, ne croyant pas à ses propres paroles, alors que Ludwig qui se rapprochait d'elle semblait hésiter à poser ses mains sur elle. C'était presque ridicule qu'ils soient aussi timides et gênés alors que ce n'était qu'une simple danse. Finalement, l'italienne prit les choses en main, attrapant la main gauche de l'allemand pour la poser sur sa hanche et gardant la droite dans la sienne, alors que les premières notes résonnaient.

Mein kleines Herz

Schlägt nur für dich

Zählt die Stunden bis du wiederkehrst,

Dann umarmst du mich

« Pardon ! S'exclama Ludwig lorsque son pied écrasa malencontreusement celui de Chiara. Je suis moins maladroit d'habitude, je vous le promet… »

L'italienne lui fit comprendre d'un simple geste de tête que ce n'était pas grave. Et même s'il risquait de lui écraser les pieds à nouveau s'il restait aussi déconcentré, elle ne s'éloigna pas de lui. En fait, elle n'aurait échangé sa place pour rien au monde.

Mein kleines Herz

Träumt schon vom Glück

In der Heimat wartet es auf dich

Und weiß du kehrst bald zurück

Au fil de la danse, les deux jeunes gens se détendirent un peu plus. Chiara se décrispa complètement, et Ludwig laissa sa main glisser de la hanche de la jeune femme, jusqu'à venir se positionner dans son dos pour rapprocher son corps du sien. Chiara sentit son coeur rater un battement mais ne protesta pas, relevant la tête pour ancrer son regard dans le sien. Celui de Ludwig était glacial, d'habitude. Là, il lui semblait qu'il était aussi brûlant que le feu.

Liebevoll schaust

Du mich dann an

Unsere Lippen finden sich ganz sanft und ich weiß du bist mein Mann

Lorsque Ludwig baissa sa tête dans le creux du cou de l'italienne et qu'elle sentit son souffle brûlant sur sa gorge, elle frissonna mais ne le repoussa toujours pas, et eut même le réflexe de pencher la tête pour lui faciliter la tâche. Elle sentit la grande main du soldat remonter le long de son dos, jusqu'à s'enfouir dans ses cheveux. Elle-même lâcha sa main pour enrouler ses bras autour des larges épaules qui lui faisaient face, rapprochant encore plus leurs deux corps.

Mein kleines Herz

Kommt nicht zur Ruh

Es hält mich wach die ganze Nacht,

Und klopft immer tuck tuck

Finalement, Ludwig releva la tête après avoir apposé un baiser dans le creux de son cou, où elle dut se mordre violemment la langue pour ne pas réagir. Il colla son front contre le sien et la main qui se trouvait dans les longs cheveux de sa partenaire glissa jusque contre sa joue. Quand ses lèvres frôlèrent les siennes, cependant, Chiara sembla revenir sur terre et déchanta.

Mein kleines Herz

Sehnt sich nach dir

Kennt die Antwort wenn du mich dann fragst:

Ja, ich gehöre zu dir

Ja, ich gehöre zu dir

Ludwig ne sembla pas remarquer sa gêne soudaine. Alors que la chanson se terminait, l'allemand voulut poser ses lèvres sur les siennes mais elle le repoussa brusquement, haletante, les joues rouges d'avoir été si près de lui pendant un laps de temps aussi long.

« Que… Qu'est-ce que vous faites ? Souffla-t-elle, comme si sa voix ne parvenait pas à s'élever au-delà du murmure.

Ludwig sembla finalement se rendre compte qu'il était allé trop loin. Il retira ses mains et se recula, l'air sincèrement désolé.

- Excusez-moi, je ne sais pas ce qui m'a pris. »

Et d'un seul coup, dans la tête de Chiara, c'était le gros bordel. Mais putain, qu'est-ce qui lui prenait ? Qu'est-ce qui tournait pas rond chez elle, en fait ? Comment elle avait pu autant se laisser aller, se faire avoir comme ça ?… Et le pire, c'est qu'elle avait vraiment eu envie qu'il l'embrasse. Elle ne se souvenait pas avoir déjà ressenti quelque chose de semblable pour qui que ce soit d'autre… Merde… Elle était quand même pas en train de tomber amoureuse d'une putain de patate ?

« …Je ferais mieux d'aller dormir. Je… Je crois que j'ai une migraine.

- O… Oui, bien sûr. Allez-y, je ne vous retient pas, vous êtes chez vous. »

Cette nuit, comme c'était rarement le cas, elle dormit seule, dans son grand lit froid – de toute façon, Ivan n'allait pas rentrer avant le lendemain matin. Mais elle ne trouva pas le sommeil. Elle pensait à Ludwig, à son propre comportement et putain, depuis quand elle était devenue aussi faible ? Valait mieux qu'ils arrêtent de passer du temps ensemble.

Fallait pas oublier que, avant tout le reste, il était son ennemi.

(* : Juste une petite NDA pour préciser que Greta del Torres n'existe pas. Il s'agit d'un personnage qui chante la chanson « Mein kleiner Herz » dans le magnifique film Unsere Mütter, unsere Väter que je recommande chaudement.)


17 septembre 1944

A partir du moment où elle avait accepté d'aller déjeuner avec Antonio, Chiara avait tout de suite su qu'elle allait le regretter. Mais voilà. Après avoir appelé toutes les ambassades possibles et inimaginables d'Allemagne et d'Europe de l'Est, après avoir contacté tous les contacts d'Ivan en URSS, après avoir ratissé la Pologne toute entière, impossible de retrouver Ludwig. Alors elle s'était faite à l'idée, à cette possibilité qu'elle s'obstinait à refuser, une réalité cruelle mais crédible qu'elle n'avait jamais pensé à envisager : Peut-être qu'il était mort, après tout. Il était introuvable dans les camps et les prisons, et s'il avait essayé de s'enfuir, Ivan l'aurait su, il avait des yeux partout. Alors cette possibilité avait éclaté à la figure de l'italienne, comme une horreur cachée aux yeux du monde depuis toujours. Elle en avait pleuré, crié, cauchemardé pendant des jours, avant l'acceptation.

Et la déprime ne s'arrêtait pas là ; la fiancée de Francis était morte suite à son accouchement. Le bébé aussi. Son frère était inconsolable, s'isolait et il fallait constamment le surveiller et gérer leurs dépressions respectives, les tentatives de suicide de Francis et la jalousie rageuse de Ivan. Alors qu'elle était au bord de la crise de nerfs, Antonio, gentil comme à son habitude malgré le rejet violent dont il avait été victime la dernière fois, lui avait proposé une nouvelle fois un rendez vous. Et à sa plus grande surprise, Chiara avait accepté. Comment pouvait-elle refuser quelqu'un qui l'acceptait alors qu'elle se sentait hideuse avec ses putain de cheveux trop courts qui mettaient trop de temps à repousser, alors qu'elle était la risée de tout le département au même titre que les collabos, et alors que tout le monde autour d'elle était semblable à une loque dépressive ? Il fallait qu'elle refasse sa vie. Qu'elle tourne la page de cette guerre atroce, et qu'elle se remette dans le droit chemin de la vie normale.

Et maintenant, alors qu'elle était assise sur une chaise face à Antonio en train de manger des tomates farcies – qui venaient sans aucun doute du marché noir, impossible de se procurer des tomates ailleurs avec l'inflation et le manque de matières premières – elle regrettait d'avoir accepté. C'était un type bien, pourtant, Francis n'avait pas lésiné sur les compliments pour le refourguer à sa soeur. Antonio était originaire de la tristement célèbre commune de Guernica, parti au casse-pipe au 1936 pour repousser l'invasion ennemie, fuyant en catastrophe en France en 1939 à cause de son républicanisme et ayant participé à l'élaboration de Cette. Putain. De. Ligne. Maginot. Ouais, il en avait bavé, comme eux tous. Puis il était sympathique, il aimait bien les tomates (très bon point), il pouvait même se montrer parfois marrant. Mais Chiara ne parvenait pas à se projeter avec lui. A chaque fois qu'elle essayait d'imaginer un futur avec lui, Ludwig lui apparaissait comme une évidence. Et elle n'arrivait pas à l'oublier.

Lorsque la porte du restaurant claqua, la faisant sursauter, elle fronça les sourcils en voyant Ivan arriver rapidement vers elle, un grand sourire aux lèvres, mais se calmant aussitôt en voyant Antonio.

« Oh pardon. Je dérange ?

- Pas du tout. Qu'est-ce que tu veux ? Répondit immédiatement Chiara avant que l'espagnol puisse dire quoi que ce soit, trop contente qu'une âme charitable la sorte enfin de cette situation, même si c'était pour annoncer une mauvaise nouvelle.

- …Je peux te parler en privé ? Ça ne prendra que quelques minutes. »

Devant l'hésitation du russe qui zieutait entre elle et Antonio comme si l'espagnol n'avait rien à faire ici, Chiara soupira et acquiesça en comprenant l'urgence de la situation, suivant Ivan hors du restaurant, devant l'entrée. Curieuse, mais pas inquiète. Sans se douter de la bombe qui lévitait au-dessus de sa tête, à deux doigts d'éclater et foutre ses bonnes résolutions en l'air.

Et là, boum.

« J'ai retrouvé Ludwig. »


Tintintiiiin. A suivre samedi