« C'est quand tu n'as plus rien que la rue devient ta maison. Tu as tellement honte d'être à la vue de tout le monde que tu commences à boire pour oublier que tout le monde te voit. Tu le sais que c'est pas fort comme solution la bouteille, mais la honte, ça c'est fort en maudit. »

- Homme itinérant


LES PAPILLONS DE NUIT
Prologue - Partie 1

JaeJoong traversa la salle d'attente d'un pas déterminé, suivi de très près par une femme visiblement contrariée.

- Non, JaeJoong, tu n'as pas de droit d'entrer, c'est confidentiel!
- Je m'en fiche! C'est mon ami, m*rde!

Il contourna le bureau de l'accueil où l'on doit d'usage se présenter avant d'être orienté à travers les corridors. Il ignora la réceptionniste qui, de son côté, n'osa même pas l'apostropher. Il savait où il s'en allait et personne ne l'arrêterait. Mais la femme frustrée continuait sa poursuite.

- JaeJoong, tu peux pas tout te permettre! Fait demi-tour maintenant, sinon...
- Sinon quoi, tu vas me foutre à la porte? T'es pas ma mère!
- JAEJOONG!

Il ouvrit la porte de la salle 012 avec fracas, le bruit faisant sursauter les occupants de la pièce. Les yeux des deux amis se croisèrent, le silence régna quelques instants dans la pièce. Le seul son perceptible était la respiration agitée de Jaejoong : l'émotion et le stress avait fait monter l'angoisse en lui. Et ce qu'il voyait à présent ne le calmait guère: son ami de longue date était couvert d'écorchures, de coupures, d'ecchymoses de grandeurs et gravités différentes. Il se méritait même des points de sutures à l'arcade sourcilière gauche et à la lèvre. JaeJoong sorti de sa torpeur lorsque l'infirmière de rue se remit à l'œuvre, désinfectant et pansant les blessures de Junsu. Le nouvel arrivant finit par simplement détourner le regard.

- Je t'avais dit de ne pas monter dans sa voiture, 'su... Il n'a pas changer, il est toujours aussi violent.
- Ça je le savais, Jae. Mais j'avais besoin d'argent.
- J'espère que tu vas porter plainte contre ce sale type!
- Ah ouais, et je leur dis quoi, aux flics? Que ce con a tabassé la p*te qu'il venait de se payer?

JaeJoong arrêta de respirer, ressentant de plein fouet la douleur et la colère de cette défaite imminente. Sa question rhétorique avait brusquement mis fin à l'élan d'expression, il resta donc muet devant Junsu. Même si ce n'était pas la première fois que ce genre de choses survenait, il n'arrivait toujours pas à supporter son impuissance face à la situation.

- Tu sais bien que si je dépose une plainte, je vais devoir m'expliquer et que c'est moi qu'ils arrêteront. Après tout, c'est moi qui était en mon tort. Je savais ce que je faisais, je connassais les probabilités qu'il me batte. C'est moi le pire dans cette histoire.

JaeJoong soupira, totalement anéantie par les propos de son ami qu'il qualifierait d'« absurdes ». Combien de fois avait-il réfuté ces paroles sans que ça n'est aucun effet sur la façon de pensée de son cadet?
La femme qui avait talonné Jaejoong quelques minutes auparavant se tenait depuis de début de la conversation dans le cadre de porte, ayant renoncer à arrêter JaeJoong dès qu'il ouvrit la porte. Elle ne semblait néanmoins pas plus approuver les actions de JaeJoong qu'elle ne l'était avant l'intrusion. Junsu observa l'un, puis l'autre avant de cligner des yeux et de dire calmement:

- Jae, ta travailleuse sociale est dans le cadre de porte.
- Je sais...

Le dit nommé se tourna lentement vers elle, un air légèrement piteux perceptible sur son visage. La femme adopta un ton ferme et directif.

- J'aimerais que tu me suives jusqu'à dans mon bureau. Il faut qu'on se parle.

JaeJoong se tut et suivit l'intervenante sans ronchonner. Il savait que la rencontre allait être longue.

JaeJoong sortit du Papillon de Nuit, organisme communautaire qui intervient auprès des personnes œuvrant dans le phénomène prostitutionnel. Sa rencontre improvisée avec Cléo, sa travailleuse sociale, lui avait donné la migraine. Il était épuisé tant physiquement qu'émotionnellement, mais sa journée ne faisait que commencer: Le soleil qui disparaissait à l'horizon lui indiquait qu'il allait bientôt devoir travailler. Il soupira en regardant au loin, fixant le vide, l'air absent, pensant aux pénibles heures de travail qu'il allait devoir endurer avant d'avoir la paix.

Son regard finit par se fixer sur Junsu qui l'attendait un peu plus loin. JaeJoong hésita un moment, puis s'avança vers son ami. Il garda le silence. Junsu lui sourit tendrement. L'ainé ouvrit la bouche et la referma à plusieurs reprises sans dire une seule parole, semblant chercher ses mots pour s'exprimer avec justesse, mais rien ne sortait. Junsu posa sa main sur l'épaule de son ami.

- Tu veux qu'on aille boire un café, hyung?

JaeJoong lui fit un petit sourire reconnaissant, n'étant pas capable d'en vouloir très longtemps à son ami qu'il appréciait tant. Junsu avait l'effet d'un aimant sur JaeJoong, celui étant irrésistiblement attiré par sa naïveté, son énergie et sa chaleur. Il représentait pour JaeJoong un être qu'il n'avait jamais eu auparavant : une personne de confiance qui lui exprimait inconditionnellement son amour et son affection, et ce, peu importe ce que Jaejoong pouvait faire ou dire.

Ce ne fut qu'une fois installé à une petite table au bistro du coin que Junsu repris la parole.

- Pénible, ta rencontre avec Cléo?

JaeJoong baissa les yeux. Junsu savait bien qu'elle l'avait réprimandé, il ne suffisait pas d'être une lumière pour comprendre cela.

- Oui... Elle m'a sermonné pour avoir défier son autorité et pour ne m'être pas mêlé de mes affaires...

JaeJoong arrêta de parler et fixa le petit sac à dos que Junsu venait de poser tout près de lui sur la banquette. C'était le petit sac qu'il apportait avec lui lorsqu'il travaillait. Il contenait son matériel de consommation ainsi que des préservatifs. Déjà une nette amélioration comparativement à l'année dernière où il ne prenait même pas la peine de se protéger.

- Attends, 'su. Pourquoi est-ce que tu as ton sac avec toi?

JaeJoong pointait le sac tout en regardant Junsu droit dans les yeux. Le sourire du cadet laissa place à une mine inconfortable et désolée.

- Jae... Tu sais bien que ce n'est pas quelques éraflures qui va m'empêcher de travailler...
- Quelques éraflures, tu dis? Des dizaines de contusions et de plaies, tu veux dire!
- … Bah je sais que ça ne dérangera pas mes clients habituels. J'ai pas de temps à perdre, j'ai besoin d'argent.
- … Je vais t'en donner, moi, de l'argent.

Junsu éclata de rire et secoua la tête, prenant l'offre à la légère. Il ébouriffa les cheveux de son ami d'un geste enjoué.

- Voyons, Jae, tu sais que tu en as autant besoin que moi. Tu pourras pas fournir pour deux.
- Je travaillerais deux fois plus, s'il le faut.
- Je suis responsable de mes choix et actions, je ne suis pas un enfant. Je prends mes propres décisions et je fais le choix de travailler ce soir.

JaeJoong jeta un regard noir à son ami, contrarié par ses choix.

- Je tiens à ce que tu prennes soin de toi! C'est important, tu n'as pas l'état physique nécessaire pour travailler pour le reste de la semaine!

Junsu le regarda avec scepticisme et agrippa soudainement l'un des bras de JaeJoong de ses deux mains et releva la manche de sa veste avant même que ce dernier n'aie le temps de protester. Il mit à nu la peau charcutée de l'avant-bras, constatant avec horreur le nombres d'entailles qui s'y trouvaient et la profondeur de certaines d'entre elles. Chaque coupure hurlait la détresse de l'androgyne.

- Viens pas me déblatérer des conneries du style « prendre soin de moi » et que je ne suis pas état physique pour travailler. Je vais te répéter ce que Cléo te répète sans cesse, Jae, commence par prendre soin de toi avant de penser à aider les autres.

JaeJoong retira d'un coup sec son bras de la poigne de son ami et ne commenta pas. Troublé d'avoir ainsi été confronté, il déposa le montant dû pour son café et quitta le bistro dans les plus brefs délais.

Junsu ne fut pas froissé par la fuite soudaine de l'androgyne. Il s'était habitué à ses petites crises, il connaissait JaeJoong depuis plusieurs années déjà. Il avait toujours été farouche et distant, tentant de fuir les malaises et l'angoisse que certaines situations pouvaient lui imposer. Il n'était pas prêt à toucher ses maux profonds et Junsu le savait. Chose sûre, c'est qu'il serait là lorsqu'il en aurait besoin. Il fera tout pour lui, comme JaeJoong l'avait fait pour lui le jour de leur rencontre...

Junsu paya le reste de l'addition et sortit calmement du restaurant. Il fit quelques pas, puis se tourna vers le coucher de soleil qui lui était permis de voir à l'horizon. Il s'étonna à le trouver beau en ce jour qui fut si gris pour lui. Malgré le froid de septembre et le vent glacé qui lui fouettait le visage, cette vision de lumière allumait dans son cœur un brin de chaleur. Il parla à voix haute, comme s'il s'adressait au soleil:

- Que ces si faibles rayons suffissent à me donner le courage de survivre une nuit de plus...

Il partit dans l'obscurité des rues où le crime, l'horreur et le désespoir régnaient en omniprésence. Pour une nuit de plus.


Fin de la Prologue (1ère partie)