Coupures de journaux
Ce matin-là, Gilderoy Lockhart, ordre de Merlin troisième classe, se leva de très bonne humeur. La parution de son autobiographie Moi le Magicien venait d'être annoncée et il avait rendez-vous à dix heures et demie pour une nouvelle séance de dédicaces de ses précédents ouvrages, à Flagley-le-Haut dans le Yorkshire. Une excellente journée en perspective. Face à son immense miroir, il passa un moment à brosser ses cheveux blonds jusqu'à obtenir une ondulation parfaite, puis il descendit en chantonnant pour aller prendre son petit-déjeuner. Dans sa salle à manger spacieuse, les murs étaient tapissés de portraits de lui-même qui adressaient des clins d'œil charmeurs autour d'eux.
– Bonnie ! appela-t-il.
Son elfe de maison apparut, fit tournoyer son élégante robe fuchsia, et s'inclina d'une profonde révérence.
– Je savais qu'elle t'irait à ravir, lui dit-il avec un petit sourire enjôleur.
– Maître, elle est magnifique ! piailla-t-elle en se tournant tour à tour vers les portraits qui hochaient la tête d'un air appréciateur.
Les invités du célèbre mage s'étonnaient souvent de la présence d'une elfe correctement vêtue dans cette maison. En réalité, bien qu'il arrangeât le discours à ce sujet en fonction de son interlocuteur, il ne s'agissait pas de sa part d'un respect particulier envers les êtres inférieurs. Simplement, il tenait l'élégance comme une vertu suprême et ne pouvait donc pas envisager d'avoir un serviteur crasseux et déguenillé. Pour autant, il n'avait pas libéré Bonnie de ses engagements en lui offrant des vêtements, comme le veut la coutume. Il avait simplement acheté une petite armoire qu'il fournissait en tenues coupées sur mesure pour elle par un tailleur gobelin de renom, et elle se servait dedans à sa convenance. Ainsi, techniquement, il ne lui donnait pas de vêtement, et elle ne prenait pas le risque de se retrouver congédiée. Cette stratégie, d'ailleurs, ils l'avaient élaborée ensemble.
– Monsieur prendra comme d'habitude ? demanda l'elfe de maison.
– Oui, Bonnie. Et amène-moi les journaux.
– Vous êtes en couverture de l'hebdo, Maître. Mais la gazette, ajouta-t-elle avec un accent de dépit, vous a relégué en sixième page.
Quelques minutes plus tard, il buvait une tasse de thé en lisant Sorcière Hebdo. Son sourire ravageur emplissait à nouveau la couverture du magazine, et une double page lui était consacrée à l'occasion de l'annonce de la sortie prochaine. Comme toujours lorsqu'il s'agissait de lui-même, il lut attentivement l'article hagiographique.
« Gilderoy Lockhart. Présenter l'éminent magicien à notre lectorat nous paraît superflu. Son sourire a conquis les sorcières de tout le pays et ses multiples exploits face à diverses créatures innommables ont marqué la communauté magique tout entière. Les romans qu'il a tirés de ses expériences se sont vendus à des tirages considérables, faisant de lui le sorcier le plus lu de tous les temps. Nul doute que la plupart de nos lectrices seraient capables de citer des passages entiers de ses aventures. Mais qu'en est-il de l'homme ?
Nous connaissons, à travers ses récits, ses remarquables aptitudes. Parfois, des informations sur ses goûts et ses aspirations transparaissent. Mais son histoire personnelle, son enfance, ses joies et ses peines quotidiennes, tout cela, au grand dam de ses fans, restait un mystère. Jusqu'à maintenant.
Gilderoy Lockhart a choisi, dans un tout nouvel ouvrage à paraître à la fin de cet été, de lever le voile sur une partie plus intime de son histoire. Nul doute que Moi le Magicien sera un carton de plus en librairie. Pour l'occasion, l'éminent sorcier a accepté de répondre à quelques questions. »
S'ensuivait la retranscription de l'interview qu'il avait donné la veille à Flora Babille, la rédactrice de l'Hebdo. Il parcourut rapidement cette partie qu'il connaissait déjà avant d'écarter le magazine et d'ouvrir Quidditch Mag. Il s'attarda un moment sur les résultats sportifs, lisant attentivement l'article traitant de la victoire étriquée des Harpies de Holyhead sur les Flèches d'Appleby. L'équipe des Harpies était son équipe favorite. Exclusivement féminine, elle comptait dans ses rangs un certain nombre d'admiratrices du sorcier.
Il saisit ensuite la gazette du sorcier. La couverture titrait « Poudlard : mort étrange d'un enseignant ». Intrigué, il commença à lire. L'article concerné, au titre plus accrocheur encore : « Poudlard : décès et folles rumeurs », était signé par Rita Skeeter.
« La Gazette du sorcier a l'immense tristesse de vous annoncer le décès de Quirinus Quirrell, professeur de Défense Contre les Forces du Mal à l'école de sorcellerie Poudlard. Le professeur Quirrell, qui avait enseigné l'étude des Moldus avant de prendre une période sabbatique pour entreprendre un long voyage, avait été embauché de nouveau par le directeur Albus Dumbledore au début de cette année scolaire. La chaire de Défense Contre les Forces du Mal lui avait été proposée et il avait accepté de relever ce défi, malgré les risques inhérents à ce poste. On pourrait presque se demander si Dumbledore voulait en fait se débarrasser du brillant Quirrell, tant on sait que cette fonction est considérée comme maudite, aucun professeur n'ayant tenu plus d'une année depuis bien longtemps. Mais nous conviendrons que c'est la première fois que la mort frappe l'enseignant, même si le professeur Crondike, en son temps, n'en était pas passé bien loin.
Toujours est-il que le professeur Quirrell est mort avant-hier soir dans l'enceinte de l'école, et c'est à peu près la seule chose que nous, à la gazette, tenons pour certaine. Son corps atrocement brûlé a été fourni aux autorités médicales, sans que l'origine de ces brûlures, ni même le fait qu'elles soient la cause directe de la mort, puissent être déterminés. Un sortilège qui aurait mal tourné ? Une potion expérimentale instable ? Quelque chose d'encore plus inavouable ? L'histoire ne le dit pas, même si, comme souvent, d'étranges rumeurs circulent dans l'établissement.
Des rumeurs les plus sérieuses aux plus fantaisistes, toutes convergent en tout cas sur un point : le célèbre Harry Potter, le survivant, serait mêlé à ce décès. Il semblerait qu'en compagnie de deux de ses amis, il aurait franchi avec succès un certain nombre de protections magiques au cœur même du château, et que ce soit à cet endroit-là que le professeur Quirrell aurait trouvé la mort. Que gardaient ces protections ? Mystère. Personne ne semble disposé à donner une réponse valable. Que s'est-il réellement passé ? Un élève nous a dit que Quirrell s'apprêtait à commettre l'irréparable et que Harry Potter l'aurait empêché, ce qui reviendrait à dire que Harry Potter aurait tué l'enseignant. Cela nous paraît peu vraisemblable. Un autre élève conjecture que Quirrell serait mort en tentant de sauver Potter d'un piège mortel, mais ne semble pas plus au courant. En tout cas, nous pouvons résumer ainsi ce que nous avons recueilli de vraisemblable : Harry Potter s'est retrouvé à un endroit où il n'aurait pas dû être, avec le professeur Quirrell. Quirrell y est mort, et Harry Potter a survécu. Tout le reste n'est que pure spéculation.
Une de ces spéculations fantaisistes mérite cependant d'être citée. Un élève nous a dit qu'il aurait entendu le directeur prononcer le nom de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom et en tirait des conclusions. L'histoire se serait-elle répétée ? Harry Potter aurait-il à nouveau survécu au terrible mage noir alors que son professeur serait mort ? Cela nous semble très tiré par les cheveux. Après onze ans d'absence, on le retrouverait au cœur de Poudlard ? Cela nous a fait rire jaune, tant ce genre de rumeur stupide peut être dommageable pour la tranquillité de notre communauté.
Et comme souvent, le mot de la fin ne sera pas pour le directeur de l'école. Interrogé à ce sujet, il s'est contenté de répondre : Je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez. Il est vrai qu'à son grand âge et avec ses facultés qui diminuent, on peut même se demander si le pauvre Dumbledore avait même compris la question. Ou plus probablement, très embarrassé d'avoir perdu un des ses employés dans des circonstances en tout cas hautement suspectes, il a préféré se taire plutôt que d'admettre qu'il est sur une pente plus que descendante. »
Gilderoy replia pensivement le journal. Le jeune Harry Potter faisait encore parler de lui, se retrouvait à nouveau sur le devant de la scène, sous le feu des projecteurs. Il songea qu'il allait falloir le rencontrer. C'était dans l'ordre des choses. Il pourrait l'aider dans sa carrière et en retour avoir son nom associé à celui du survivant.
Il était sur le point de partir à sa séance de dédicaces quand un bruit retentit soudain à la fenêtre. L'elfe bondit, l'ouvrit et laissa entrer un hibou gris au regard féroce. L'oiseau vint lâcher un courrier sur la table avant de repartir à tire d'aile. Gilderoy décacheta la lettre et lut une très courte missive.
Cher Gilderoy,
Votre ami vient de revenir de Scandinavie. Il passe divers contrôles ici au ministère et devrait être de retour chez lui en début d'après-midi.
C'est tellement aimable de votre part d'aider de futurs talents à exprimer leur potentiel !
Nous déjeunons ensemble la semaine prochaine ?
Votre Douce Lorette
Gilderoy sourit franchement à cette lecture. Décidément, cela promettait d'être une excellente journée. Et il pourrait faire d'une pierre deux coups dans le Yorkshire.
