Affolement. Elle se précipite vers le berceau, les mains se tendent vers son fils. Elle l'aime tellement fort, elle l'aime plus que tout au monde. En bas, le sol craque sous le poids d'un corps qui chute. James. Non, elle n'a pas le droit, pas le droit de pleurer, pas le droit de s'en vouloir, pas le droit... Harry est là, elle essuie les larmes qui ont coulé sur les petites joues d'enfant, joues rondes, pommettes douces. Il ressemble à James. Ne pas y penser, c'est son mantra. Mais elle sait que de toute façon, elle ne pourra rien y changer, elle ne peut qu'essayer de sauver son fils, leur fils, leur petit trésor, cet enfant si aimé, si chéri.

Cette fois c'est le plancher derrière elle qui craqua et la voix du Seigneur des Ténèbres s'éleva dans la petite chambre d'enfant. Elle se tourna face à lui. Face à Voldemort. Elle n'avait plus rien à craindre, elle qui allait mourir, alors la peur de son nom s'effaça, ne laissant que le désir de sauver son enfant, son petit Harry. Alors c'est ça être face à l'inévitable. L'horrible visage est caché par une capuche mais les yeux rougeoient dans la pénombre.

"Non, pas Harry, je vous en supplie, tuez-moi si vous voulez, tuez-moi à sa place... "

Elle serait prête à tomber à genoux, à tuer en son nom, à donner sa chair, sa main, son sang, tant que le fruit de ses entrailles serait épargné. Mais la main blanche se tend, la baguette semble d'os et la Mort elle-même aurait été fière de l'image horrible et difforme qu'il donnait à ce moment là.

"C'est mon dernier avertissement... "

La voix siffle, comme s'il parlait fourchelangue alors qu'il n'en est rien, alors que ce n'est qu'illusion. Mais cette fois Lily comprend, son cœur se serre. Ils ne sont pas une autre famille. Ils ne sont pas de nouveaux soldats, de nouveaux Mangemorts à joindre à ses rangs. Non, ils ne sont rien, qu'un obstacle, et c'est une évidence, Dumbledore avait raison, il est venu pour lui, il est venu pour Harry... Et elle qui s'était surprise à souhaiter le malheur de cette autre famille, à souhaiter que ce soit leur enfant qui doive affronter ce destin tragique, elle comprend qu'elle va périr comme elle l'avait souhaité à eux, à ces inconnus dont l'enfant est né au bon moment lui aussi...

"Non, pas Harry ! Je vous en supplie... Ayez pitié... Ayez pitié... Pas Harry ! Pas Harry ! Je vous en supplie... Je ferai ce que vous voudrez... "

Mais la main qui porte le coup n'a pas pitié et la lumière verte emplit la pièce, au même moment que l'enfant dans le berceau se met à pleurer. Et elle tombe, elle s'écroule, un dernier cri s'échappe d'entre les lèvres désespérées. Les ténèbres l'envahissent et elle hurle, elle hurle à s'en arracher la gorge, mais il est trop tard. Et pendant quelques secondes elle reste accrochée à sa chair par un fil invisible, un lien qui n'est pas encore entièrement brisé, elle contemple son corps étendu à ses pieds avant de lever les yeux. Elle voit la main se lever, le sourire apparaître, les mots "Enfin seuls..." glisser dans le silence pesant. Elle entend le rire, cruel, satisfait, le rire du Mal incarné, le rire du démon de tous les temps. Si elle aurait encore eu des larmes, elle se serait noyée sous leur torrent. Mais rien ne subsiste de son humanité, elle ne peut que contempler alors que la main se lève une nouvelle fois pour ôter la vie de son enfant. Elle ferme les yeux alors que la lumière éclate, mais lorsqu'elle les rouvre, l'enfant est toujours là, Harry est toujours là, ses grands yeux verts fixés sur la silhouette écroulée au sol. Et Lily entend un cri, un hurlement qui lui arrache un hoquet de surprise, alors que des mains la saisissent par les épaules et l'entrainent dans l'obscurité, l'entrainent loin de son corps. Elle se débat mais les mains deviennent griffes et crocs, son essence gémit et se déchire et le lien avec la vie se détruit, s'effondre, disparaît et s'écroule enfin, surfait, dépassé, déjà oublié. Et Lily se dissipe, Lily Evans, Lily Potter. Lily s'efface, oubliant, s'endormant. Ses souvenirs se délitent, effervescents, sa mémoire s'occulte toute seule, l'essence devient particules séparées, qui sans connexions ne forment plus rien, plus aucune existence, plus aucune personne. Et les ténèbres engloutissent la matière qui s'offre à eux, envahissent le vide créé par les défunts, murmurent leur satisfaction dans les pleurs de ceux qui sont toujours en vie. Mais les atomes appellent les atomes, les électrons doivent se reformer pour être positifs de nouveau, et certains souvenirs reviennent et des voix se font entendre dans la nuit, des bribes de douleur car la souffrance est l'émotion la plus tenace même lorsque la vie est perdue depuis longtemps.

"Je ne suis pas un monstre. C'est horrible de dire ça. "

Une voix, la sienne ? Une voix d'enfant, tremblante, blessée, une voix étrangement familière.

"En tout cas, c'est chez eux que tu vas. Une école spéciale pour les monstres. Toi et ce petit Rogue... Des cinglés, voilà ce que vous êtes, tous les deux. Heureusement qu'on vous sépare des gens normaux. C'est pour notre sécurité à nous. "

La rancœur, la douleur, et elle s'éveille. Un visage, pas très joli, ce n'est pas le sien, elle en est certaine. Mais les ténèbres guettent, attaquent, il ne peut y avoir d'échappatoire, personne n'a le droit de reprendre ce qui n'existe plus.

Pourtant Lily résiste, Lily se débat, Lily crie, Lily se déchire encore. Elle veut revenir, elle doit revenir, elle ne peut pas l'abandonner.

"Harry, maman t'aime... Papa t'aime lui aussi..."