Voici une nouvelle fic un peu différente d'habituellement. Je sais que le prologue peut être énigmatique et pas nécessairement limpide… Mais avec la suite, il devrait prendre de la consistance, ne vous en faites pas. Je sais où je vais, ça fait un bon bout de temps que je songe à cette fic et que je l'avance dans mon coin, donc voilà…

Je préviens juste qu'elle ne sera pas d'une gaieté folle, mais bon je pense que ce prologue suffit à le démontrer…

Prologue

Son pied évita de justesse une flaque d'eau, mais ce n'était qu'un pur hasard : il ne prenait pas garde à ce qui pouvait bien se trouver devant lui. Il faut dire qu'il y avait peu de monde dans les rues, étant donnée l'averse qui venait de tomber quelques minutes plus tôt. L'air était encore chargé d'humidité, le ciel était gris et tout laissait présager une seconde averse sous peu. Le léger froid réussit néanmoins à le sortir de sa torpeur et à lui faire prendre conscience qu'il devait rajuster son col, afin d'empêcher le vent de s'engouffrer dans ses vêtements. Une fois que ce fut fait, il pressa l'allure, se sachant bientôt arrivé à destination. Mais avant de tourner au coin de la rue, son portable sonna. Sa main était déjà dans sa poche, il le sortit donc aussitôt et souleva le clapet après avoir lu le nom qui s'affichait :

Oui, Yukki ?

Salut ! J'espère que tu n'es pas à pieds ou si c'est le cas, que tu as un parapluie, parce que ça va sûrement tomber à nouveau !

T'inquiète, je survivrai.

Tu en viens ou tu y vas ? demanda Yukki, plus gravement.

J'y vais.

Ok… Tu lui passes le bonjour pour moi ? J'irai la semaine prochaine, mais de toute façon je le lui avais dit.

Pas de problème.

Tu as une petite voix… constata-t-il après une minute de silence.

La tienne n'est pas mieux.

Dis, Ken-chan… J'ai un peu de temps tout à l'heure… Alors si ça te dit, de m'accompagner…

J'en sais rien, Yukki… Ca devient de plus en plus dur… et je…

La fin de la phrase ne vint pas. De toute façon, quelle importance ? Mieux que personne sans doute, Yukki savait ce que Ken ressentait. Pour la simple et bonne raison qu'il éprouvait la même chose. Ce qu'ils faisaient tous les deux n'était pas une obligation : ils y tenaient, ils ne voyaient pas les choses autrement… Mais est-ce que cela les rendait faciles pour autant ? Certainement pas. Là où allait Ken en ce moment, c'était un endroit dans lequel il n'avait plus pensé remettre les pieds depuis une époque assez lointaine et dont il se serait bien passé… Et là où voulait l'emmener Yukki un peu plus tard, c'était un lieu qu'il détestait peut-être encore davantage. Encore que le lieu, pas tellement… Mais ce qu'il y verrait lui briserait le cœur… Et honnêtement, cela devenait de plus en plus difficile à gérer.

Je sais, mais on ne peut pas l'abandonner.

Ecoute, je suis arrivé, trancha Ken. On se retrouve tout à l'heure à l'endroit habituel ?

Ok… Mais il serait content de te voir, tu sais, tenta de nouveau l'ex-batteur.

Il ne sait même pas qui je suis, répliqua Ken d'une voix cassée.

Il le sent. Quelque part en lui, il le sait. Laisse-lui juste du temps…

Je préfère qu'il ne se souvienne pas. La réalité serait insupportable.

Ken-chan… Tu m'as promis de ne pas craquer.

Ouais ouais, ben j'ai ma dose aussi, figure-toi… s'agaça-t-il, haussant le ton d'un cran.

Tu ne peux pas non plus le voir dans cet état d'esprit. Tu ferais mieux de rentrer chez toi, fit Yukki.

C'est bon, je suis arrivé, je te dis. A tout à l'heure.

A plus tard.

Yukki avait raison. Comme souvent, d'ailleurs. Il arrivait à garder la tête froide à tel point que Ken s'en trouvait parfois relativement admiratif. L'ex batteur avait les épaules plus larges que lui et il était mieux à même d'encaisser les choses, cela ne faisait pas le moindre doute. Sous ses airs rudes, Ken était plus sensible qu'au premier abord… Et il avait du mal à gérer le côté plus psychologique des choses… Cela le touchait tant qu'il en perdait toute notion d'objectivité. Il souffla un bon coup tandis qu'il se laissait guider dans les couloirs sans aucune lumière… couloirs qu'il commençait à connaitre et qui l'oppressaient un peu. Et encore : il ne voyait que la meilleure partie du lieu. Il entra dans une pièce où déjà, quelques personnes étaient assises… Suivant les indications de son 'guide', il alla s'asseoir à son tour, et il commença à fixer la grande vitre devant lui. Il n'eut pas à attendre longtemps que de l'autre côté, une porte s'ouvrit et une silhouette apparut derrière son gardien, avant de venir s'asseoir sur le siège en face de Ken, la vitre les séparant. Pourtant… Ken aurait donné bien des choses pour le serrer dans les bras.

Salut… Tetsu… réussit-il à articuler.

Salut… Tu es venu…

Tu dis ça à chacune de mes visites…

C'est que je me dis qu'un jour, tu ne viendras plus.

Je t'ai déjà dit que non.

Ce n'était pas facile. Comment ça aurait pu l'être ? Comment aurait-il pu s'y faire ? Le voir dans cette tenue, menottes aux poignets… voir ce gardien au bout de la pièce, scruter ses occupants et se tenir prêt à agir comme s'il s'agissait d'un monstre… Comme s'il pouvait s'habituer à la vision d'un Tetsu qui n'avait jamais été plus maigre, plus fatigué… De larges cernes bleutées se dessinaient sous ses yeux, lui donnant l'air plus vieux que son âge… Ses poignets étaient horriblement squelettiques, sans parler de ses mains aux doigts longs et fins qui ne faisaient qu'amplifier cette vision. Chaque fois qu'il bougeait, les menottes teintaient légèrement… Ken ne pouvait pas se faire à ce bruit qui signifiait tant de choses. Tetsu n'était plus que l'ombre de lui-même. Parfois dans ses souvenirs, Ken revoyait son vieil ami sautiller, sourire à s'en fendre les joues, rire facilement… Cette image le faisait toujours sourire un bref instant, avant que le cafard ne s'empare de lui. Comment en étaient-ils arrivés là, tous ?

Comment va Yukki ? demanda la voix cassée de l'ancien leader. Je l'ai vu en début de semaine… Et Sakura ?

Il va bien. Quant à Yukki, il repassera la semaine prochaine. Il va bien aussi. Il… est un peu fatigué, mais il va bien.

Tu as l'air fatigué, toi aussi…

C'est rien, je n'ai pas bien dormi.

On vous en fait voir, hein ? souffla Tetsu en jouant avec la chaîne de ses menottes. Quoiqu'avec un peu de chance, dans mon cas ce sera bientôt terminé…

J'aime pas quand tu parles comme ça, gronda Ken, la gorge nouée.

Et moi je pense que ce serait mieux pour tout le monde.

Tetsu…

Tu sais, je n'arrive même plus à supporter mon reflet… J'ai l'impression d'avoir en permanence du sang sur les mains… Je pourrai les polir jusqu'à l'os, que ça ne partirait pas. Je suis un tel monstre…

Ce n'est pas vrai.

J'ai tué un homme, Ken-chan. Et tu veux savoir le meilleur ? Si c'était à refaire, je le referai. Sans la moindre hésitation.

Un rire sans joie éclata dans la pièce, résonnant dans un bruit sourd aux oreilles de Ken, qui frissonna. Il le savait parfaitement, tout cela. Il n'en doutait pas une seule seconde. Mais… Aucune des attitudes que Tetsu pouvait avoir ne le mettait à l'aise. Certains jours, il ne parlait pas, ne demandait rien. C'était surtout au début, cela. D'autres jours, il semblait se rapprocher de celui qu'il était avant : plaisantant comme si de rien n'était, oubliant pour un temps où il était et pourquoi… Et d'autres, comme aujourd'hui, il était d'une ironie mordante, presque angoissante… Et rien de tout cela ne faisait plaisir à Ken. Il en perdait les mots à chaque fois et honteusement, il souhaitait en finir au plus vite pour pouvoir partir d'ici et se soustraire à ce dur moment.

Je… Je…

Je regrette, parce que j'ai perdu tout ce que j'avais et que je ne peux plus me regarder en face. Mais je ne regrette pas ce que je lui ai fait. Il le méritait. Tu es d'accord ? demanda-t-il, les yeux brillant d'une lueur mauvaise.

O… Oui…

Bon.

Oh que non, Ken n'aimait pas ça. Il souhaitait vraiment être ailleurs, à cet instant précis. Mais il s'accrochait. A quoi ? Peut-être à l'illusion. Pour tous les souvenirs, tous les bons moments entre eux quatre, tout ce temps qui, s'il lâchait prise, ne signifierait plus rien… Parfois, cela semblait si loin et si différent que Ken se demandait s'ils avaient été si heureux que cela, ou bien si aujourd'hui était tellement noir qu'il embellissait le passé ? Yukki disait que vraiment, cela avait été les meilleures années de sa vie, professionnellement et personnellement… Que même si c'était fini à jamais, cela avait été. Et que c'était au moins cela qu'on ne lui prendrait pas. Cela réchauffait le cœur de Ken à chaque fois.

Dis-moi…

Hm ?

Comment va-t-il ? demanda Tetsu en regardant sur le côté.

Toujours pareil…

Je vois.

Il reste assis toute la journée, à regarder par la fenêtre… expliqua Ken en déglutissant avec peine, et toujours ses crises violentes, de temps à autres… Mais parfois…

Oui ?

C'est comme s'il nous reconnaissait… Parfois, je sens… Dans son regard, comme si… comme si on lui disait quelque chose. Quelquefois même, il nous sourit.

Il sait qui vous êtes. Il sait qu'il peut avoir confiance. C'est un instinctif, murmura doucement Tetsu, un vrai sourire se dessinant sur ses lèvres.

J'ai pensé… que peut-être… comme ça fait longtemps… tu voulais une photo ?

Yukki avait dit que ce n'était pas forcément une bonne idée. Ken était sûr du contraire, et l'ancien batteur avait dit qu'il ne savait pas, au final. Alors Ken avait pris sur lui. Il plongea la main dans la poche intérieure de son manteau et en sortit un portefeuille qu'il ouvrit… Il en tira une petite photo qu'il leva en l'air pour avoir l'approbation du gardien, qui acquiesça. Alors il la plaqua contre la vitre, face à Tetsu, qui décolla du dossier et s'approcha, attiré comme un aimant par le visage certes terne et absent, amaigri aussi… Mais c'était quand même lui. Il y avait tous les éléments, tous ces détails qui faisaient qu'il était lui. Il manquait juste le regard… La flamme constante dans ses yeux, l'excitation, l'envie… Ce regard là était vague, sans expression… Mais Tetsu s'accrocha aux paroles de Ken, signes d'amélioration apparemment.

Elle a été prise il y a deux jours, pour son dossier… expliqua Ken.

C'est une gentille attention. Je la veux bien. Enfin… si j'y ai droit. Merci…

Tout en parlant, Tetsu n'avait pas pu quitter l'image des yeux. Si Ken l'avait bougé sur la vitre de gauche à droite ou de bas en haut, sûr que Tetsu aurait suivi le mouvement automatiquement. Et Ken ne pouvait se détacher du sourire de son ami… Un sourire si lumineux, si apaisé… Il avait bien fait de prendre cette initiative. Au bout d'un moment, il posa la photo devant lui, promettant d'aviser un gardien juste après pour que Tetsu l'ait en mains propres. Et comme on lui avait ôté tout ce qui avait un intérêt, Tetsu se recula aussitôt dans le fond de sa chaise et ses épaules s'affaissèrent, comme à son arrivée. En le voyant ainsi, Ken se mordilla la lèvre en pestant rageusement :

Comment on a pu en arriver là, merde ?

Désolé. C'est ma faute. Tu n'avais pas besoin d'ennuis supplémentaires.

C'est pas toi le responsable. Mais même comme ça… J'arrive pas à comprendre pourquoi.

Pour moi… C'est simple. Tu sais, c'est drôle… dit-il pensivement. Quand on était jeunes, un soir, on avait pas mal bu… et Hyde, que l'alcool rend plus bavard comme tu le sais, ne cessait de me remercier d'être présent pour lui, etc… Et moi en riant, aussi saoul que lui, j'ai dit que je ferai n'importe quoi pour lui ! Je ne m'imaginais pas qu'un jour, je le penserai sincèrement. Que j'en penserai chaque mot et agirait en conséquence, termina-t-il les yeux brillant et le sourire énigmatique.

Tetsu, nous on sait bien ce que tu ressentais pour lui… murmura Ken d'une voix hachée, mais pourquoi tu ne lui as jamais dit avant ?

Je n'en avais pas besoin. Et je ne voulais pas lui poser de problèmes ni gâcher notre amitié… Tant qu'il souriait, moi ça m'allait. C'est le jour où il n'a plus souri, que je n'ai pas pu… Et puis quand j'ai fini par le lui dire, il ne pouvait déjà plus m'entendre...

Il partageait sûrement tes sentiments. Je le pense, répliqua Ken avec conviction.

Peut-être. Ca n'a plus aucune importance maintenant, soupira Tetsu.

Si tu étais resté avec lui… Qui sait…

Je n'aurais pas pu le faire revenir. Et puis vous êtes là. J'ai confiance en vous. Prenez bien soin de lui, d'accord ?

Même sans que tu le dises…

Je sais que ça te peine, de le voir comme ça… et que tu n'y es pas allé hier ni aujourd'hui…

Comment tu… ?

Je connais mon Ken-chan, fit Tetsu en souriant affectueusement. Trop sensible. Mais tu dois y aller. Il a besoin de toi, aujourd'hui plus que jamais. Et je te le demande. Je te demande ce service : veiller sur la personne la plus importance pour moi. Jusqu'à ce qu'il revienne.

Tu parles comme si tu étais sûr qu'il allait guérir… Et comme si tu l'étais tout autant que je sois l'homme de la situation…

Exactement. Tu es solide et Yukki est là aussi, je sais qu'il t'aide beaucoup. Sakura est présent en permanence. Vous ne le laisserez pas tomber. Et lui… Il a de la ressource. C'est impossible que quelqu'un débordant de vitalité comme lui, reste dans cet état… Il a toujours été comme un enfant : il a peur, alors il se cache. Et quand il a apprivoisé la peur, alors il se réveille et balaye tout sur son passage. Il va se réveiller.

Il se peut qu'il reste ainsi, Tetsu. Les médecins ont…

Les médecins ne le connaissent pas, le coupa-t-il durement. Ils ne l'ont jamais vu saisir les choses à bout de bras, les empoigner, les amener à lui et en faire ce qu'il voulait… Ils ne savent rien de son tempérament volcanique ni de sa détermination. Et tu ferais mieux de croire en lui toi aussi.

Mais même comme ça… Sans toi, ça n'a plus de sens. Comment tu crois qu'il se sentira quand il apprendra ce que tu as fait par sa faute ? fit Ken, au bord des larmes.

Avec de la chance, je ne serai plus là quand il reviendra. Alors vous mentirez. Pour qu'il ne se sente pas coupable.

Ca ne va pas non ? Il doit savoir ce que tu…

Je dois retourner dans ma cellule, murmura Tetsu en se levant, le gardien arrivant à lui.

On en reparlera !

Cette discussion est close.

Je ne crois pas, non ! s'écria Ken.Tu ne décides pas tout seul ! Et regarde-moi quand je te parle !

Et bien voilà. Je commençais à me demander où était parti mon Ken-chan, souffla Tetsu en souriant.

Tu…

A moi aussi, tu me manques. Dis-le aux autres aussi.

Et Yukki, Ken fut bien heureux de le trouver devant la porte de la prison, à l'attendre dans le froid. Il inspira bruyamment pour ravaler les larmes naissantes, car il savait que cela inquiéterait davantage Yukki. Il avait eu de l'intuition en venant, comme il sentait que Ken n'avait pas le moral ces jours-ci, alors il expliqua :

J'ai préféré venir te chercher là. Je me suis dit que tu aurais le cafard.

Ca va.

Tu as donné la photo ?

Oui. C'était une bonne idée.

Tu as eu une bonne intuition.

Tous deux se rendirent ensuite à l'autre lieu de visite habituel. Yukki avait hésité : voyant que Ken n'avait pas forcément la forme, ça ferait peut-être beaucoup pour la journée. Mais tout de même… Il avait demandé, et l'ex guitariste avait acquiescé. Il avait eu un peu honte quand Tetsu avait deviné qu'il allait moins souvent le voir ces jours-ci. Il devait se montrer plus fort que cela. Ayant leurs habitudes, ils saluèrent les employés qu'ils croisaient au passage et même certains patients qui leur étaient familiers. Enfin, ils arrivèrent dans une grande pièce remplie de lumière, le soleil ayant fini par percer. Accroupi par terre, un grand bonhomme tout de noir vêtu, lunettes de soleil dans les cheveux pour les retenir un minimum, tendait une balle en mousse à une petite silhouette toute blanche, assise devant lui sur le sol.

Serre ça. Tu comprends ce que ça veut dire ? Regarde, je te montre : ça, c'est « serrer », expliqua le grand en joignant le geste à la parole, avant de lui retendre la balle.

L'autre la regardait en penchant la tête sur le côté, comme s'il en voyait une pour la première fois et qu'il était bien incapable de savoir quoi en faire. Il ne bougea même pas quand les nouveaux arrivants se plantèrent près d'eux, alors que le grand bonhomme se redressa face à eux, s'étirant pour se dérouiller.

Salut Sakura, la forme ? demanda Yukki, content de le voir.

Ouais… Et vous ?

On fait aller… Salut, Hyde, murmura Ken en s'agenouillant devant la plus petite personne.