Avec Toi
Première partie
L'académie Black Order se trouvait au fin fond d'une immense forêt. Ce n'était pas le genre d'endroit dans lequel on s'aventurait librement, et surtout sans défense. La forêt était réputée pour être dangereuse : peu de personnes en revenaient. Les villages du voisinage étaient de véritables forteresses, totalement inaccessibles sans autorisation, sauf pour les élèves du Black Order, évidemment. A peine apercevait-on l'uniforme rouge et noir, qu'on commençait à ouvrir les lourdes portes de bois.
Les membres du Black Order étaient très bien vus par leurs voisins. Ils avaient parfois une allure étrange, mais ils étaient très bien élevés. L'école avait veillé à ce que ses élèves reçoivent une éducation de premier ordre, malgré le fait que la majorité des pensionnaires soient orphelins. Ceux-ci n'avaient aucun frais à payer pour leurs études, l'administration centrale du gouvernement s'occupait de tout. De plus, les autorités avaient jugé bon de les former au combat : la forêt n'était pas remplie que de papillons, comme l'avait un jour judicieusement fait remarquer le directeur Lee. Les monstres rodaient, même aux abords de l'académie. On avait même parfois remarqué la présence de certains individus peu agréables… zombies, loups garous, et même parfois, paraissait-il, des vampires.
On n'aimait pas trop les vampires, dans le coin. Ceux-ci avaient acquis une réputation morbide après la guerre de territoire qui avait dévasté la région dix ans plus tôt. Vampires et êtres humains s'étaient quasiment entre-tués. Peu après, l'école Black Order avait été créée, dans le but de recueillir les orphelins rescapés de la bataille.
Mais, les plus dangereux et les plus fréquents étaient les akumas. Des monstres pullulant depuis la fin de la guerre, qui ne cessaient de s'attaquer aux premiers humains en vue, et pas seulement aux humains. Les akumas ne faisaient aucune distinction entre les races : ils éliminaient tout. Et les membres du Black Order avaient toute une gamme d'entrainements spécialement pour les neutraliser. Les élèves, même les moins doués, étaient capables d'anéantir les niveaux 2, d'où une certaine popularité.
Néanmoins, depuis quelques temps, on apercevait beaucoup d'étrangers s'aventurer dans la forêt, et surtout en revenir…les maires des différentes villes bordant la forêt en avaient informé l'école, qui avait immédiatement pris des dispositions. Les défenses du Black Order avaient considérablement augmenté. Les élèves n'avaient l'autorisation de quitter l'école que sous la surveillance de leurs professeurs, même les week-ends, d'ordinaire réservés comme temps libre.
Et pour cause. Tout portait à croire que les étrangers étaient des vampires. A l'approche d'Halloween, cela devenait suspect…
Enfin le week-end, se dit Lenalee avec joie. Une petite journée à l'extérieur de l'école ne leur ferait aucun mal ! Elle avançait tranquillement dans le rang des élèves qui suivaient leur professeur, Cloud Nine, alors assignée à leur surveillance. La femme semblait en alerte, fixant avec dureté les ténèbres entre les arbres.
De loin, un homme, allongé dans un arbre, les regarda passer. Il lança un sourire carnassier à Cloud, découvrant des canines plus pointues que nécessaires. Lenalee donna un coup de coude au garçon qui l'accompagnait.
-En voilà un autre, murmura-t-elle.
-Encore ? s'étonna Allen. Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien faire ici ?
-Aucune idée. Mon frère ne m'a rien dit. Je pense qu'il…
-Hé !
Une main attrapa le manteau noir d'Allen et tira dessus. Un garçon bien plus petit qu'eux réussi à se frayer un chemin pour se faufiler jusqu'à eux.
-Timothy ! s'exclama Lenalee. Mais qu'est-ce que tu fais là ?
-Je vais en ville, quelle question !
Le petit garçon lança un regard rempli de larmes à la jeune fille qui détourna aussitôt les yeux.
-Si Cloud te voit, dit-elle, tu vas avoir de sérieux problèmes. Seuls les lycéens et les étudiants ont le droit de sortir tant qu'il y aura des vampires dans le coin ! Tu as bien écouté Komui ?
-J'ai une super excuse !
-Et on peut savoir ce que c'est ? demanda Allen. Parce que la dernière fois, c'était légèrement…foireux, ton excuse.
-Je suis à l'abri de toutes responsabilités ! C'est un des grands qui m'a demandé de venir.
-Qui pourrait bien être assez irresponsable pour…commença Lenalee.
Elle se tut, et lança un regard suspicieux à Timothy.
-Non…ce n'est quand même pas…
-Allen, dit le garçon, puisque Lavi est en retenue avec Bookman, il m'a dit de te donner ça. C'est la liste des livres qu'il voulait acheter cette semaine.
Allen et Lenalee jetèrent des regards suspicieux au papier que leur tendait Timothy. Fébrilement, Allen le déplia…puis l'écrasa dans son poing.
-Il a ajouté qu'il te rembourserait très bientôt.
Komui Lee analysa rapidement le rapport, puis il lut de nouveau la lettre qui lui était parvenue quelques jours plus tôt.
-C'est assez osé, comme requête.
-Que disent-ils ? demanda le vice-directeur, Reever Wenham .
-Apparemment, leur prince va accéder à la couronne le soir d'Halloween, dans une semaine. Et il devra se lier définitivement à son âme sœur pour l'occasion. Sauf que l'âme sœur en question est humaine, et qu'il s'agit d'un de nos élèves.
Reever n'en croyait pas ses oreilles.
-Vous n'allez pas accepter, tout de même !
-Bien sûr que non. Le problème c'est que c'est un ultimatum, pas une demande. Ils nous donnent jusqu'à la veille d'Halloween au soir pour leur livrer « le jeune maître », comme ils l'appellent, et si ce n'est pas fait, ils envahiront l'école et l'emmènerons de force.
Komui étouffa un rire ironique.
-Ils ont tout de même eu la gentillesse de préciser qu'en attendant, ils se contenteraient de le surveiller au cas où notre système de défense faillirait. Fort aimable de leur part.
-De quel élève s'agit-il ?
Cloud lança un regard sévère à Timothy.
-Tu vas avoir des ennuis, mon garçon. Beaucoup d'ennuis.
Elle se tourna vers le reste des élèves et annonça d'une voix grave :
-Vous pouvez y aller. En cas de problème, vous savez où me trouver. Rendez-vous ici à seize heures. S'il y a le moindre retardataire, je lui promets une retenue avec moi qu'il n'est pas prêt d'oublier. Quant à toi, petit malin…
Peu désireux de voir le châtiment réservé à Timothy, les élèves se dispersèrent dans la ville. Allen et Lenalee se rendirent directement à la librairie où avait l'habitude d'aller Lavi. Lorsqu'ils entrèrent, le libraire leur sauta dessus.
-Ah ! Mes clients préférés ! Allen Walker et Lenalee Lee ! Comment allez-vous ?
En entendant les noms, les autres clients levèrent des yeux brillants vers eux, et plus particulièrement sur Allen.
-Bien, et vous ?
-Ah, mais je me porte parfaitement bien ! J'ai une montagne de clients, ces derniers jours. Il a longtemps qu'on ne vous avait pas vu ! Le petit Lavi n'est pas avec vous.
Lenalee tenta de réfréner un fou rire, laissant la parole à son ami.
-Le petit Lavi est en retenue, annonça-t-il en souriant. Et si vous ne nous avez pas vus ces dernières semaines, c'est parce que nous étions en pleine période d'examens.
-Ah, oui, les examens ! Monsieur Bookman m'en a parlé, figurez-vous ! Il m'a dit que cette année, certaines épreuves étaient beaucoup plus difficiles.
-C'est aussi ce que nous ont dit les élèves des autres classes. Nous devrions avoir les résultats aujourd'hui.
-Et bien vous me donnerez des nouvelles ! Oh, mais je ne fais que discuter, moi ! Vous n'êtes pas venus ici pour bavarder ! Que puis-je faire pour vous ?
-Et bien voilà, Lavi nous a donné une liste…
Pendant qu'Allen et le bibliothécaire cherchaient les livres de la liste, Lenalee jeta un coup d'œil aux autres clients, puis elle le rabaissa aussitôt. Ils les regardaient tous. Ou plutôt, ils avaient tous les rivés sur Allen, des étincelles dans les yeux. Les gens nouveaux en ville jetaient souvent des regards étonnés en voyant Allen. Il n'était pas une personne très ordinaire : cheveux blancs, et une longue cicatrice sur une moitié de visage, donc le sommet se terminait par une espèce de pentacle. Mais jamais on ne l'avait regardé avec autant d'intensité…
-Lenalee ?
Elle releva brusquement les yeux sur son ami, qui attendait patiemment qu'elle sorte de sa rêverie.
-On y va ? demanda-t-il doucement.
Elle hocha nerveusement la tête, puis le suivit dans la rue.
-J'ai pris quelques livres en plus, pour moi, continua-t-il, ça commence à m'ennuyer de lire toujours les mêmes.
La porte de la bibliothèque ne claqua pas derrière eux. Au contraire, ils entendirent même des pas résonner tranquillement à leur suite.
-Allen, murmura nerveusement la jeune fille.
-Je sais, répondit-il doucement.
Puis ils s'arrêtèrent au coin d'une ruelle. Allen pointa un magasin du doigt.
-Tu m'as dit que tu avais des problèmes avec ton golem. On pourrait profiter d'être en ville pour le vérifier.
Sa compagne se contenta d'acquiescer et le suivit jusqu'au bâtiment. La boutique de golems était décorée par l'emblème du Black Order. Elle était réservée aux élèves et professeurs de l'école : personne ne les suivrait à l'intérieur. Une fois entrés, ils soupirèrent de soulagement.
-Bonjour ! lança la voix chaleureuse de l'employée.
Allen et Lenalee lui répondirent d'un signe de tête. Ils commençaient à monter l'escalier menant au premier étage lorsque la porte s'ouvrit peu après eux. La voix de l'employée résonna à nouveau dans leur dos. Allen ne s'arrêta pas pour autant, mais Lenalee, elle, ne résista pas à l'envie de vérifier s'il s'agissait toujours des mêmes personnes qui les suivaient.
-Excusez-moi monsieur, dit l'employée, mais cet endroit est réservé aux élèves du Black Order ainsi qu'aux professeurs.
-Ah, je ne savais pas ! Pardonnez-moi, mademoiselle, je n'ai pas lu la pancarte dehors.
-Ce n'est rien, monsieur, je vous en prie.
L'homme, si c'en était un, et Lenalee en doutait, était très élégant. Il était vêtu de noir, avait des cheveux courts, bruns. Lorsqu'il croisa le regard de la jeune fille, il lui lança un sourire charmeur et lui fit un clin d'œil. Cela provoqua les gloussements d'autres élèves restées au rez-de-chaussée. Lenalee se sentit rougir, et monta l'escalier à toute vitesse, fonçant droit devant comme une boule de bowling.
A l'étage, Allen avait connecté son golem doré, Timcampy, à l'un des téléphones.
-J'essaie de joindre Cloud, dit-il.
La jeune fille hocha la tête.
-Excusez-moi de vous déranger, professeur, c'est Allen Walker. Je suis avec Lenalee Lee, et nous avons remarqué que depuis notre arrivée, nous sommes suivis par plusieurs personnes…Oui…C'est ça…Vous êtes sure ? D'accord. On arrive.
Il raccrocha le combiné et débrancha le câble connecté à Timcanpy.
-Elle est occupée au poste de surveillance sur les remparts. Il faut qu'on la rejoigne.
-Quoi ? Ils nous suivent depuis tout à l'heure, et elle nous dit de nous débrouiller pour la trouver ?
-Elle n'avait pas l'air très surprise. Elle m'a dit que nous n'avions rien à craindre.
-Qu'est-ce qu'elle en sait ?
Allen haussa les épaules. Ça semblait bien mystérieux, tout ça.
Lorsqu'ils arrivèrent sur les gradins, Cloud Nine était en pleine discussion- une discussion assez agitée, vu le ton employé-avec quatre individus, dont un de ceux qui étaient à la bibliothèque, et ils attendirent patiemment sur le côté. Soudain, l'un d'eux les aperçut. Il le signala d'un bref mouvement de la tête à ses compagnons, qui se retournèrent automatiquement vers eux. Ils les fixèrent quelques secondes, puis d'un commun accord s'éloignèrent dans la direction opposée, sans même daigner dire un mot à Cloud. Elle les invita à la suivre, et ils montèrent sur une tourelle, où se trouvait Timothy, ligoté comme un saucisson et jeté négligemment dans un coin.
-Allen, Lenalee ! Mes sauveurs ! Emmenez -moi loin de cette sorciaaargh ! S'cours !
Ils passèrent le reste de la journée dans la tourelle, leur professeur regardant d'un air méfiant, non plus les abords de la forêt, mais désormais le bas de la rue. Lorsqu'il fut quatre heures de l'après-midi, ils rentrèrent au Black Order.
Enfin rentrés à l'école, ils aperçurent Lavi et Miranda qui leur faisaient signe d'une des fenêtres. Ils avaient l'air pressé, et les encourageait de loin à se dépêcher de les retrouver.
Dans le hall d'entrée, il y avait tout un attroupement. Allen et Lenalee réussirent à se faufiler et à retrouver Lavi et Miranda, qui se rongeait les ongles.
-Tiens, tes livres, Lavi. Miranda, tu n'étais pas censée être à l'infirmerie ?
-Si, marmonna-t-elle, mais il y avait tellement de bruit que je suis venue voir…
-Venez ! s'exclama Lavi. Il y a une bande de vampires qui est entrée dans l'école pour parler à Komui, mais ils ont refusé de se rendre dans son bureau, et ils ont menacé de passer à l'acte.
-Quel acte ?
-Aucune idée ! Tout ce que je sais, c'est que les profs essaient de les faire sortir de l'école. Ils ont fait évacuer les élèves, sauf que maintenant la sortie est bloquée. On devrait pouvoir voir ce qui se passe d'un escalier.
Ils grimpèrent les marches et s'arrêtèrent à un endroit d'où ils pouvaient assister à la scène.
-On ne voit rien, dit Allen.
-J'espère que grand-frère n'a rien.
-Pour l'instant ils se font face, c'est tout.
-Taisez-vous, où on ne va rien entendre.
Ils cessèrent de discuter, tentant de saisi quelque chose d'audible. Ils furent bientôt rejoints par plusieurs autres élèves, puis par Timothy et Cloud.
-Nous vous avons déjà donné notre réponse, réussirent-ils à entendre.
C'était la voix de Komui. Une autre, plus grave et plus profonde, assez basse, aussi, répondit :
-Je me suis dit qu'un temps de réflexion vous serait d'une grande aide. Vous nous avez répondu un peu rapidement à mon goût.
-Nous ne changerons pas d'avis. Nous refusons catégoriquement de vous livrer un de nos élèves.
-Il n'a jamais été question de livrer quelqu'un. Ce n'est pas comme si je lui voulais du mal.
-Vous ne l'aurez pas, siffla Komui.
-Bien, continua la voix. Comme convenu, vous avez jusqu'à Halloween. Inutile de vous préciser que j'aurais beau attendre, je n'ai jamais dit que je ne tenterais rien auprès de lui.
-Vous…
-Attention à ce que vous dites. Nous ne sommes pas les seuls à suivre cette conversation avec intérêt.
Komui détourna les yeux. Effectivement, tous les escaliers qui entouraient la salle étaient bondés d'élèves.
-Nous allons nous retirer, maintenant. Au fait, je pense que vous devriez lui en parler. Le principal intéressé a certainement son mot à dire.
-Les méchants disent toujours ça quand ils se fichent de l'avis du typa, marmonna Lavi.
Les vampires tournèrent les talons à la suite de leur chef. Celui, au lieu de sortir directement par le couloir principal, décida de prendre une porte adjacente, située juste en-dessous de l'escalier où se situait la petite bande.
-Il se rapproche, souffla Timothy.
-Bon sang, dit une fille derrière eux, ce qu'il est canon !
Effectivement, l'homme n'était pas désagréable à regarder, loin de là. Il était plutôt pâle, et ses cheveux de jais étaient noués en une délicate queue de cheval. Il leva les yeux vers les élèves qui l'observaient en silence (mis à part les quelques filles qui gloussaient, une mauvaise habitude d'après moi), et tout de suite, il trouva les yeux qu'il cherchait. Allen sentit son corps se raidir lorsqu'il rencontra le regard de l'homme. Ses yeux étaient bleus, d'un bleu froid comme l'acier, mais e n'était pas tout…il y avait quelque chose en plus…mais quoi ? Allen aurait certainement pu se perdre dans ces yeux, s'y noyer au plus profond. Mais heureusement, et Allen en fut rassuré, il réussit assez vite à se dégager de l'emprise du vampire. Son entrainement lui avait permis de ne pas se faire tromper par « le charme » dont ces êtres se servaient pour capturer leurs victimes.
L'inconnu eut un mince sourire face à cette résistance inattendue. Il baissa finalement le regard, et quitta l'école. Du moins, ne put s'empêcher de penser Allen, jusqu'à la prochaine fois.
Dans la petite chambre qu'il partageait avec Lavi, Allen, regardait la pluie tomber, les yeux dans le vague.
-La Terre à Allen, souffla quelqu'un à son oreille, comment se passe la mission, capitaine Walker ?
-Très bien, General Bookman. Cependant, je dois vous signaler que nous sommes à court de sel, cela est inadmissible !
Allen et Lavi éclatèrent de rire.
-Tu m'as l'air rêveur, mon petit Al, commenta Lavi. C'est le vampire qui t'a fait cet effet-là ?
-Non. C'est juste que…aujourd'hui, en ville…
-Ouais ouais, Lenalee m'a raconté. Vous avez été suivi par des vampires.
-Oui. Mais ce n'est pas tout. Le vampire, tout à l'heure, il…
-Quoi ?
-Et bien, il a utilisé son « charme » sur moi.
Lavi le regarda pendant au moins trente secondes sans cligner des yeux. Puis un sourire taquin se dessina sur son visage.
-Pitié, Lavi, ne commence pas…
-Oooooooooooh ! Oh oh oh !
-On dirait le père Noël, dit Allen.
Ils éclatèrent à nouveau de rire.
-C'est peut-être toi qu'ils sont venus chercher.
Allen se figea. Toute trace de joie disparut de son visage.
-Je n'ai rien à voir avec eux. Je veux dire, je n'ai rien contre les vampires, c'est aussi la faute des humains, ce qui est arrivé il y a dix ans. Mais…à chaque fois, Lenalee était avec moi ! J'ai dû me tromper, c'est Lenalee qu'il regardait !
-A mon humble avis, déclara gravement Lavi, si c'était Lenalee, Komui l'aurait passé à tabac depuis un bon moment. Bah, t'inquiète pas ! Ton bon vieux copain ne va pas te quitter d'une semelle jusqu'à ce que cette histoire soit terminée.
Lavi lui sourit d'un air confiant. Allen, plus que touché par les inquiétudes de son ami, le lui rendit.
Ils se couchèrent dans leurs lits respectifs, et éteignirent la lumière.
-Bonne nuit, Lavi.
-B'nuit, Allen.
L'homme semblait souffrir. Il était agité de tremblements, et du sang coulait à flot de sa blessure, formant une mare de sang à ses pieds.
Allen prit son courage à deux mains et avança. Il ne pouvait tout de même pas laisser cet homme se vider de son sang sans rien faire ! C'était inhumain ! Oui, se disait-il, inhumain…
-Monsieur, murmura-t-il.
L'inconnu releva subitement la tête, et voyant le petit garçon, il s'exclama :
-Qu'est-ce que tu fiches là, morveux ? Tu es sur le champ de bataille ! Ne me dis pas qu'on engage des pousses de soja comme toi dans votre camp !
-Je soigne les blessés. C'est pour aider Mana, murmura Allen.
-Toi ?
-Je vais vous faire un bandage, dit courageusement le petit garçon. Sinon le sang va…
-Je suis un vampire, cracha l'autre, tu ne le vois donc pas ?
Vexé, Allen répondit :
-Je ne suis pas aveugle. Je sais me servir de mes yeux, figurez-vous. Et je sais aussi faire des bandages, alors arrêtez un peu de crier.
-Tu soignes ton ennemi ? déclara gravement l'inconnu.
-C'est mal ? demanda Allen, prenant avec résolution le bras du blessé.
Celui-ci ne répondit rien, se contentant de regarder l'enfant. Allen fit tout son possible pour ne surtout pas le regarder dans les yeux. Il se concentrait autant qu'il le pouvait sur son torse, ouvert. Sans tenir compte du sang qui le salissait, Allen nettoya tout d'abord la coupure, plutôt profonde, avec des herbes que Mana avait lui-même mélangées puis il entreprit de poser des bandages dessus le plus délicatement possible. A aucun moment le vampire ne cilla, ni le réagit à la douleur.
Lorsqu'Allen eut terminé, il dit :
-Normalement, il ne devrait pas y avoir de marque. Il faut juste attendre que ça cicatrise. Je suppose que ça a le même effet sur les humains et les vampires.
Le garçon commença à s'éloigner, mais quelque chose lui agrippa fermement le poignet. Il se retourna vers le vampire.
-Où vas-tu ? demanda-t-il.
-Vous n'êtes pas le seul blessé du coin, vous savez.
L'adulte sourit sadiquement.
-Reste un peu avec moi, petit.
-Mais…
Allen n'eut même pas le temps de protester, le vampire l'avait pris dans ses bras.
-Qu'est-ce que je vais faire de toi ? souffla-t-il dans son oreille.
Allen sentit la peur commencer à poindre le bout de son nez dans sa tête.
-Vous allez tuer une personne qui vous est venue en aide ?
-J'aurais guéri de toute façon. Je suis immortel, et ce n'est certainement pas une blessure comme celle-là qui va m'achever. Ce que tu as fait va juste permettre au processus de guérison d'accélérer.
-Vous auriez pu le dire plus tôt, marmonna Allen.
-Tu m'aurais abandonné dans mon état ?
Allen se sentit vexé. Ce type se moquait de lui ! Il tenta de se dégager de l'étreinte, mais elle était trop forte, il ne pouvait plus se dégager. Le vampire tenait fermement son poignet, au poing d'arrêter la circulation de son sang…
-Vous me faites mal.
A sa grande surprise, l'emprise se desserra.
-Regardes moi.
Il colla son front contre celui du garçon, et le fixa intensément.
-Regardes moi bien, petit.
Allen obéit. Il n'avait pas tellement le choix, il faut dire. Il plongea ses yeux argent dans les deux saphirs qui le transperçaient…et il s'y noya complètement.
-Bon garçon, entendit-il dans sa tête. Maintenant donnes-moi ton nom.
-Allen. Allen Walker.
-Quel âge as-tu ?
-Six ans.
-Hum…Tu es bien plus jeune que je le pensais. Bien, Allen…
Le garçon se sentit frissonner en entendant son nom.
-Tu as des cheveux blancs, et une cicatrice qui se termine en pentacle sur le visage. Je ne pensais pas te trouver aussi tôt. Alors…voyons, dix ans me semblent convenir. Oui, ce sera parfait. D'ici là…
Le vampire se mordit le bras, et lécha le sang qui dégoulinait sur sa peau blanche. Puis, sans que quoi que ce soit le laisse prévenir, il embrassa le garçon, déversant dans sa bouche le liquide. Il l'aplatit ensuite au sol et lui tint fermement le visage pour l'empêcher de recracher.
-Avale, dit-il.
Toujours perdu dans un océan bleu, le petit garçon ne put qu'obéir. L'inconnu le redressa ensuite, le colla au mur et ouvrit le haut de sa chemise. Il regarda au moment le petit cou blanc, caressa un instant la peau pâle du bout des doigts, puis le mordit à pleines dents.
Allen sembla alors se réveiller, il commença à se débattre sous l'effet de la douleur. Il tenta de se rebeller, de s'échapper, mais l'adulte était beaucoup trop fort.
-Arrêtez, dit-il, ça fait mal ! Arrêtez, arrêtez-ça tout de suite !
Les larmes commencèrent à tomber sur sa joue.
Le vampire retira ses crocs de la chaire, lécha le sang qui continuait à s'écouler, puis les larmes qui coulaient des yeux désespérés de l'enfant.
-Je n'épargne jamais mes ennemis. Pas même les enfants, dit-il, mais pour toi, Allen Walker, je vais faire une exception. A partir d'aujourd'hui, tu es mon compagnon de cœur. Je te donne dix ans avant de revenir te chercher. D'ici là, la guerre devrait être terminée. Profites en bien. Parce que dans dix ans, murmura-t-il, tu seras à moi, et rien qu'à moi. Je ne te cèderai à personne, c'est bien compris ?
Il attrapa délicatement le menton du garçon, et le fixa à nouveau dans les yeux.
-Retiens bien mon nom, Allen. Je suis Yu Kanda. Répète-le. Fais ce que je te dis.
-Yu Kanda, murmura Allen.
-Bien.
Un sourire satisfait apparut sur son visage.
-Maintenant, tu peux oublier jusqu'à notre prochaine rencontre.
Allen se réveilla en sueur. Il le savait. Il en était certain. Il avait déjà vu ce regard. Maintenant, il savait ce qu'il y avait de plus dans ces yeux-là. Ils étaient animés par un désir profond, intense, et par une volonté de possession à toute épreuve. Et Allen réalisa quelque chose.
Yu Kanda était prêt à tout pour l'obtenir.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
