Titre : La toile des souvenirs

Auteur: Suzan

Note : Les personnages, les lieux et autres appartiennent tous à la grande prêtresse, j'ai nommé JK. Rowling - sauf mention contraire.

Avertissement : Ce texte mets en évidence des relations entre adultes. Sans compter que nous allons explorer un passé pas forcément très joyeux, donc âmes (très) sensibles s'abstenir.

Résumé : Hermione Granger a trente ans, divorcée, à peine remise de la Guerre, épaulée par son meilleur ami, elle est devenue Sorcière-Peintre. Elle réalise les toiles emprisonnant des souvenirs pour constituer des portraits, des photographies… Elle adore son travail jusqu'à ce qu'un beau jour un client particulier passe le seuil de sa boutique.

NDA : Bonjour à tous et bienvenue dans La toile des souvenirs =°)

Me revoilà avec une nouvelle histoire... Ce qu'il faut en savoir ? Elle est entièrement dédicacée à ma meilleure amie, historienne de l'art et conservatrice qui lors de l'une de nos discussions a mis en avant qu'il y avait, je cite "une importante notion de patrimoine dans Harry Potter. Dans le tome 3, il a bien fallu restaurer le tableau de la Grosse Dame, d'ailleurs on n'a jamais vraiment su comment ils faisaient pour faire des tableaux vivants..." Donc après quelques recherches sur la manière de peindre une toile et une grosse invention sur la façon de les rendre "vivants", nous voici avec une nouvelle fiction qui pourrait répondre à cette question cruciale, qui vous a certainement tenu éveillés toutes les nuits depuis la parution du tome 7 (rires).

Je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir ce premier chapitre. Bonne lecture à tous !


La toile des souvenirs
Chapitre 1 : Apprendre à choisir


Hermione se retourna et sourit. La façade était parfaite. Elle s'intégrait fort bien sur le Chemin de Traverse tout en se démarquant subtilement. La peinture couleur lie de vin faisait ressortir les moulures de l'encadrement et de la porte. Son nom, Granger, s'étendait dans une écriture élégante juste au-dessus de la vitrine. Cette dernière avait le design des vitrines d'ateliers et présentaient certains objets qu'elle avait restaurés pour le plaisir. Une porte en bois, solide et munie d'une clochette et d'une vitre, permettait d'accéder à la boutique. Le slogan suivait, Faites revivre vos souvenirs. Il avait nécessité de nombreuses journées de réflexion. Hermione avait opté pour une formulation simple, indiquant clairement les possibilités aux passants.

Ravie de l'effet produit, elle entra dans sa petite boutique. Un comptoir en bois clair accueillait les clients. Derrière une porte dérobée permettait d'accéder à son atelier. La porte visible depuis l'entrée était une salle de démonstration où elle avait soigneusement classé des modèles de toiles, de peintures et de cadres. Le reste de la boutique était occupé par un petit salon d'attente dans la partie la plus lumineuse. Composé de deux canapés se faisant face, cosy et chaleureux. Le reste de l'espace était structuré par des étagères en bois clair présentant la nouvelle gamme d'appareils photographiques magiques dernier cri. D'autres, plus anciens, reposaient sur les niveaux inférieurs, avec les différentes pièces de rechanges et accessoires.

Des photographies mouvantes de paysage étaient accrochées, ajoutant une dernière touche à la décoration. Sa préférée était celle qu'elle avait prise juste après la restauration de Poudlard. Le château était magnifique tout comme les jardins. L'été écossais lui avait permis de capturer un moment quotidien, sublimé par une lumière magique.

Laissant la porte de l'atelier ouverte pour être certaine qu'elle entendrait entrer un nouveau client, elle se plongea dans son art avec un sourire passionné et un air de contentement.


Hermione effleura la substance mémorielle de sa baguette et fut aspirée dans la Pensine. Elle se vit, dix ans plus jeune, contempler Poudlard juste après la chute de Voldemort. Le château est partiellement détruit, les jardins où les élèves aimaient réviser sont rasés, les arbres abattus. Ce spectacle de désolation est contrebalancé par une lumière rasante qu'apporte le jour qui se lève. En voyant la poitrine de son homonyme se soulever sur une inspiration brusque, la sorcière ressentit encore une fois ce formidable sentiment d'apaisement une fois que tout est fini, qu'il n'y a plus rien à craindre. Dans quelques heures, les larmes et l'incompréhension reprendraient le dessus – Pourquoi tant de morts ? Pourquoi ces gens qu'elle avait aimé ? Pourquoi avaient-ils du mener cette guerre alors qu'ils n'étaient que des adolescents ? Comment vivre maintenant ? – mais pour le moment, elle était en paix.

Le souvenir du château avait été un de ses plus beaux tableaux. En le contemplant une nouvelle fois, elle comprit que moins que la représentation et les mouvements qu'elle avait réalisé c'était ce sentiment fort d'espoir et de calme qui avait transpercé la toile.

Les souvenirs se brouillèrent devenant une masse indéfinie devant ses yeux et elle se retrouva entourée d'Harry et Ron à Square Grimmaurd. Ils y avaient installé une espèce de colocation après la guerre, après les larmes, après le Terrier. Molly les avait recueilli dans un premier temps mais son deuil était tellement important qu'elle semblait s'être changée en Détraqueur – chose que personne ne songerait jamais à lui reprocher. Ne pouvant reprendre immédiatement des études – Poudlard devait être reconstruit – ils avaient décidé de panser leurs blessures, de se reposer et pour Ron, d'avaler son propre poids en chocolat divers. Et puis, il y avait eu un soir, un soir d'autonome particulièrement triste. Harry avait lancé une question autour d'un thé pris sur la table de la cuisine :

- Qu'est-ce que vous voulez faire ?

Hermione plissa légèrement les yeux mais Ron répondit assez vivement.

- Je mangerai bien une part de tarte à la mélasse. Fleur nous en a envoyé, non ?

Personne ne prit la peine de lui répondre. Harry touilla l'eau chaude dans sa tasse avant de reprendre.

- Non, je voulais dire, après. Qu'est-ce que vous voulez faire après ?

Cette question sembla lui avoir coûté toute son énergie et ses épaules s'affaissèrent légèrement.

- Finir nos études, j'imagine, répondit Ron après un instant de réflexion. Avoir un métier, se marier… La vie, quoi.

La vie, quoi. L'expression avait choqué l'Hermione de l'époque et la ligne de ses épaules le démontrait. La vie ? Depuis quand avaient-ils vraiment vécu ? Harry savait-il ce que cela faisait de simplement vivre ? Pas survivre ? Pas se battre ? Et elle ? N'avait-elle pas tout perdu ?

L'abattement qu'elle ressentit était profond et une main se posa sur son avant-bras. Chaude. Aimante. Elle leva les yeux et fut confronté aux émeraudes d'Harry. Elle lui sourit. Non, elle n'avait pas tout perdu.

- Je ne sais pas, répondit-elle à son tour. Le plan de Ron semble bien… Mais je… Peut-être que je vais essayer de voyager un peu avant tout ça. Nous avons un an d'arrêt contraints et forcés, peut-être que voir autre chose…

Une étincelle s'alluma dans les yeux de son meilleur ami. Ron sentit le danger arriver et précisa très vite :

- Je n'habiterai plus jamais dans une tente. Voyager d'accord mais confortablement.

Un frisson les parcourut au mot « tente ». Ils avaient largement assez fait de camping pour toutes leurs futures années à vivre. L'idée du voyage les avait saisi et Harry partit chercher un atlas dans la bibliothèque des Black. Ils avaient déterminé un itinéraire en fonction de trois critères : la nourriture, le patrimoine culturel et la possibilité d'incognito. Voyager sans que personne ne sache qui ils étaient. Voyager en étant trois jeunes étudiants lambda.

Trois semaines de préparation, une colère d'Arthur, de nombreux retraits sur les comptes d'Harry et Hermione et ils s'envolaient de l'aéroport de Londres.

Hermione sourit de se revoir si vive, si heureuse de préparer une nouvelle page de sa vie avec ses amis. Elle n'avait craint qu'une fois la guerre terminée, une fois Poudlard fini, ils n'aient plus rien à partager. Ce voyage de huit mois autour du monde, à aller au gré de leurs envies, à visiter toutes les plus belles merveilles, avait cimenté leurs rapports.

Le tableau inanimé qu'elle avait produit d'eux trois dans la cuisine du Square, mal éclairés par des bougies, était accroché au-dessus de la cheminée du Manoir Potter.

Le prochain souvenir était une déchirure. La première étape de leur voyage les avait bien évidemment mené en Australie. Revoir ses parents, les retrouver avait été un sentiment merveilleux et absolument affreux. Lorsqu'elle avait lancé ce sortilège, effaçant d'un coup de baguette magique toute trace de sa présence dans la vie et l'esprit de ses parents, elle savait qu'il serait quasiment irréversible. Un mince espoir lui avait vrillé le cœur en sortant pour la dernière fois de leur petite maison de banlieue.

En les voyant, main dans la main sur l'une des plages de Sydney, les pieds dans l'eau et le sourire aux lèvres, elle sut au plus profond d'elle-même qu'elle avait eu raison. La guerre avait été trop horrible, trop marquante pour eux. Ses parents auraient été les premières victimes, ne pouvant se défendre. Elle leur avait sauvé la vie en la modifiant. Le prix à payer pour elle était exorbitant mais elle avait fait un choix. Le choix de soutenir la communauté dont elle faisait partie. Le choix de se battre.

Ron la prit sous son bras et Harry lui serra la main, silencieux et respectueux de sa douleur. Elle savait qu'elle avait eu raison, ce n'était pas pour cela qu'elle n'avait pas mal, qu'elle ne se sentait pas malheureuse. Elle était consciente d'avoir amputé ses parents d'une partie de leurs âmes comme elle avait amputé la sienne en les éloignant. Malgré leurs chemises aux couleurs criardes, leurs bermudas et le sable dans leurs cheveux, cette première escale ne pouvait être désignée comme faisant partie de leurs vacances. Elle avait un goût de larmes, salée et amère.

Hermione revit cet incroyable océan, la plage de sable fin et les deux silhouettes se promenant dans l'eau. Elle se vit pleurer silencieusement, évacuant sa douleur en perles salées. Elle vit ses amis l'enlacer, la serrer pour la soutenir. Elle sentit alors une petite larme glisser sur sa joue. Elle n'avait jamais pu faire un tableau de ce souvenir. Pourtant, tout avait commencé à ce moment-là.


Une alarme vibra contre sa peau. Un client venait d'entrer dans le magasin. Hermione s'extirpa de ses souvenirs. Elle courut quasiment jusqu'à la porte de la boutique, reprenant une allure sereine devant la silhouette qui se dessinait. Un homme dans la soixantaine se tenait devant le comptoir avec à ses côtés, un enfant encore petit qui ne dépassait pas le meuble.

- Bonjour, les salua-t-elle avec un grand sourire. Que puis-je faire pour vous ?

- Bonjour Miss Granger, je suis Greg Creevey, annonça-t-il avec un sourire.

Le cœur d'Hermione plongea. Cela lui arrivait régulièrement. Un parent de ses anciens amis, camarades de dortoir ou de Poudlard passait la voir, lui parlait. Elle avait abandonné toutes les propositions d'emplois au Ministère pour ce seul motif : elle ne voulait plus qu'on lui parle de la guerre.

- Oui ? Relança-t-elle avec un sourire crispé.

- Voici Martin, mon petit-fils. Il rentre à Poudlard à la rentrée prochaine et nous voudrions acquérir un appareil photo pour qu'il puisse faire un reportage de sa vie là-bas.

Petit fils ? La sorcière fit rapidement le calcul. Dennis n'avait que deux ans de moins qu'elle mais la guerre avait précipité nombre de choses : des mariages, des naissances, des décès. Le nombre d'union avait explosé après la chute de Voldemort et nombre de naissances avaient eu lieu. Martin devait être un de ceux-là. Hermione retrouva le sourire et acquiesça. Endossant son rôle de conseillère, elle les mena vers les différents appareils et leur présenta. Martin put même en essayer deux et se décida pour le modèle le plus récent. Son grand-père sourit à son enthousiasme et le cœur d'Hermione se serra face à ce regard empli d'amour paternel.

- Merci, Miss Granger pour vos conseils, conclut Greg Creevey après lui avoir tendu une bourse de gallions pour payer son achat.

Elle lui sourit et les remercia d'être venus. Martin lui demanda une photographie, sa première. Elle n'eut pas le cœur de refuser et exigea que Greg soit avec eux. Deux clients satisfaits sortirent de la boutique et Hermione récupéra un souffle normal.

La boutique allait marcher, tout allait bien se passer.


En rentrant chez elle, Hermione sourit. Elle retrouva avec grand plaisir son petit appartement contigu à l'allée de Traverse dans le célèbre quartier sorcier de Londres. Elle avait du ruser pour l'avoir mais en réalité, sa célébrité le lui avait déjà accordé avant même qu'elle ne puisse visiter le bien. Se débarrassant de ses chaussures avec un soupir d'aise, elle sourit devant le pêle-mêle accroché au mur.

Chaque photographie les montrait, Harry, Ron ou elle, dans des voyages ou des lieux ensemble. Ici à Singapour, là en Californie, Ron face à une montagne de frites ou de pancakes, Harry dans la jungle… Puis les photos d'après : leur retour à Poudlard, la sensation d'être complètement déphasés par rapport à la réalité estudiantine, l'obtention de leurs diplômes, la crémaillère de Square Grimmaurd, leurs réussites personnelles à chacun…

Elle avait ôté toutes les photographies de couple, ne souhaitant pas avoir un rappel permanent de ce qu'elle n'avait plus. Ron, toujours lui…

Elle passa dans la cuisine et fit jouer sa baguette se composant une salade en trois mouvements – littéralement. Molly et les livres ménagers avaient été d'une utilité exemplaire lors de son installation. Après leur rupture, la colocation n'était plus vraiment vivable. Après celle d'Harry et Ginny se fut l'enfer. Elle s'installa dans le salon et lança l'ordinateur. Importation moldue, réinventée à la sauce sorcière. Elle avait mis des mois pour obtenir un tel résultat et il ne fallait pas compter obtenir du réseau pour se brancher à Internet par ici, mais elle pouvait écrire, regarder des films, lire des livres, retoucher des photographies, des vidéos… Elle lança une captation d'une pièce de théâtre et ouvrit l'un des fenêtres pour rafraîchir son intérieur. Elle mangea calmement et se coucha, une boule sourde de douleur au creux du ventre.

« Tu n'as jamais vu en moi qu'un faire-valoir. »

La phrase jaillit dans le silence. Hermione repoussa les draps et tenta de se calmer en respirant calmement.

« Je veux quelqu'un qui comprenne ce que je suis et qui aime ce que je suis. Je ne suis pas comme toi… Tu as l'air de penser que c'est mal. »

La voix de Ron emplit les oreilles de la sorcière. Cela faisait presque trois ans mais les mots l'atteignaient toujours. Pourtant lorsqu'elle était avec lui, ou lorsqu'ils étaient avec Harry, leurs relations étaient presque redevenues normales. Ils se parlaient – jamais de choses importantes. Ils évoquaient le passé et s'entretenaient de sujets – superficiellement. Chacun y trouvait son équilibre.

« J'aime ma normalité et je ne supporte plus que tu me regardes avec ce truc dans les yeux, on dirait Malefoy. »

Ce truc, Ron n'avait pas le vocabulaire pour le dire. Elle avait fini par comprendre que cela signifiait du mépris. Le regardait-elle vraiment avec mépris toutes ces années ? Après deux ou trois allers retours le drap finit par tomber du lit et Hermione céda. Elle se leva et atteignit le salon, sortant ses archives. Elle regarda chaque photographie qu'elle avait prise ou fait prendre en se posant la question.

L'avait-elle vraiment méprisé ?


Comme à chaque insomnie, Hermione se trouvait une obsession. C'est une insomnie qui l'avait amenée à déclencher cette lubie pour les souvenirs. Les souvenirs qu'elle avait effacé, qu'elle avait oublié, dont elle voulait se rappeler… Si elle était seule à se remémorer ses moments avec ses parents comment faire pour qu'ils gardent cette clarté ? Elle n'avait qu'une peur : oublier, que ses souvenirs fanent et qu'elle ne puisse plus se rappeler.

Cette idée la rongeait tellement, qu'un matin d'insomnie, elle s'était rendue dans la cuisine du Square Grimmaurd. Lorsqu'Harry s'était levé, ils avaient pu en parler et il lui avait confié la Pensine de Dumbledore et les fioles à souvenirs. Cela avait été une grande partie de son occupation cette année-là. Ne sachant trop ce qu'elle voulait faire avec dix ASPICS en poche, ne trouvant aucune voie réellement inspirante, Hermione avait fini par entrer dans une faculté moldue. Les papiers avaient été difficiles à obtenir – elle en avait falsifié la plupart – mais elle avait réussi à intégrer un cursus mêlant littérature, chimie, psychologie et histoire de l'art.

Harry et Ron n'avaient pas vraiment compris la démarche jusqu'à ce qu'elle clame haut et fort qu'elle souhaitait ne pas se couper avec la culture moldue. A partir de ce moment-là, ils l'avaient laissé tranquille. Sans lui poser de questions. Lorsque la Pensine avait élu domicile dans sa chambre, elle n'avait plus quitté celle-ci pendant presque une semaine. Obnubilée par cette idée, elle avait déclenché l'inquiétude des deux hommes de sa vie. Harry l'avait finalement forcée à descendre et lui avait donné une adresse. Elle saurait plus tard qu'elle lui avait été conseillée par Daphné.

Techneus Radford (1), 9 Impasse de l'Ecume, Londres.


Maître Radford était un homme vieux, incroyablement sec et dont le corps sinueux semblait vouloir se casser à tout moment. C'était aussi un homme grincheux, un poil acariâtre et entièrement passionné par son art. Lorsqu'Hermione le rencontra pour la première fois, il lui fit une impression saisissante.

- Que voulez-vous ? S'enquit-il en la voyant passer la porte, la robe quelque peu élimée et la mine radieuse.

- Apprendre, lui répondit-elle avec un sourire.

Bien sûr, le vieil homme avait refusé. Evidemment, Hermione avait insisté. Elle ne lui avait pas demandé des cours de dessin comme tous les autres. Elle était intéressée par les souvenirs et Techneus Radford avait fait de ceux-ci sa spécialité.

- Une toile comme une photographie est un secret dans un secret (2), lui avait-il enseigné. Ce que vous voyez n'est jamais la même chose pour tout le monde et ce que l'artiste a imprégné n'est pas ce que vous ressentirez.

Maître Radford était Sorcier-Peintre. Il restaurait les anciennes toiles trop abîmées, en créait des nouvelles, y implantaient les souvenirs laissés par les morts et les faisaient renaître pour leurs proches dans une espèce de fac-similé d'eux-mêmes. Il peignait énormément de paysages mouvants mais sa spécialité était les portraits. Capter l'essence même d'une personne était particulièrement difficile mais Techneus Radford avait fait ça pendant presque quarante ans. Ses toiles étaient des chefs d'œuvre.

- Tu vas commencer par apprendre à photographier, lui avait-il ordonné lors de leurs premières leçons.

- C'est facile, avait rétorqué Hermione en fronçant les sourcils.

L'homme l'avait fusillé du regard.

- Rien n'est facile, avait-il asséné. Tu apprendras le cadre, le mouvement, la composition. Pour la suite, on verra.

Et elle avait vu. Elle avait été formée à composer ses œuvres, à leur donner un mouvement et à y insuffler la quantité de magie nécessaire. Elle avait appris à brasser des potions permettant le développement de la pellicule photo-sensible pour que le résultat bouge. Elle avait appris le montage et le démontage d'un appareil photo magique. Elle avait appris à prendre soin de tout son matériel. Et de ses souvenirs.

- Un souvenir est une pensée magique. Elle est la peau morte d'émotions que tu as ressenti, de situation que tu as vécu. On ne peut faire une toile qu'à partir de souvenirs. Les autres formes de pensées ne sont pas aussi puissantes.

Son apprentissage avait pris des allures officielles à la fin de sa première année de faculté moldue. Ron et elle filaient le parfait amour et elle avait trouvé sa voie. Harry s'était intéressé – enfin – au patrimoine familial et avait relancé l'exploitation de différentes entreprises – dont une de potions puisque son arrière-grand-père avait inventé la Lissenplis. Ron avait accepté un emploi au magasin de farces et attrapes, comblant l'absence de Fred comme il le pouvait.


La journée avait été particulièrement calme à la boutique. Hermione avait pu passer quelques heures sur la commande d'un client qu'elle commençait à connaître. Théodore Nott avait été un camarade de classe, un Serpentard et un homme discret, dont elle n'avait pratiquement aucun souvenir alors qu'ils avaient passé presque sept ans de leur vie dans la même école, dans la même promotion. A la fin de son apprentissage, Techneus Radford avait divisé son carnet d'adresse en deux et lui avait remis une moitié. Théodore l'avait contacté une semaine après ; il voulait un portait. Un portrait de sa mère. Il lui faudrait presqu'une année pour le finir, y intégrer les souvenirs laissées par elle, donnés par son mari avant son incarcération, en imprégner chaque millimètre carré et y insuffler suffisamment de magie pour que le tout soit cohérent. C'était un travail de longue haleine qui passionnait la sorcière. Les recherches, la rigueur et la patience nécessaires à son travail en composaient selon elle tout son charme. De surcroît, Anthéa Nott était un sujet magnifique. L'alarme vibra contre sa peau juste avant la fermeture.

Elle se déplaça jusqu'au comptoir, la silhouette de son client se dessinant petit à petit en contre jour. Lorsqu'elle eut dépassé le rai de soleil qui l'éblouissait, elle découvrit avec une certaine stupeur un sorcier blond de sa connaissance. Drago Malefoy était restait sensiblement le même : même regard, même nez, même bouche, même garde robe impeccable.

- Granger, la salua-t-il en s'approchant du comptoir.

Ses angles s'étaient arrondis avec le temps, ses cheveux blonds n'étaient plus aussi longs – comme le voulait la mode – et elle put même noter que sa voix avait changé en perdant deux octaves. Elle retint une grimace en lui répondant d'un signe de tête. Elle lui fit signe de poursuivre avec sa main, n'étant pas entièrement sûre qu'elle pourrait parler sans crier ou pleurer. Leur ancien ennemi avait toujours une espèce de pouvoir particulier sur elle, qui en l'occurrence la rendait muette. Peut être pas une mauvaise chose.

- Je souhaiterais que tu réalises un portrait.

La demande la prit entièrement de court. Elle s'attendait à une attaque, une pique méchante ou une remarque mesquine. Certainement pas à une demande de portrait. Elle n'était pas la seule Portraitiste du territoire, pourquoi s'adresser particulièrement à elle, au vu de leur histoire commune ? Son choc s'imprima sur son visage et Malefoy reprit d'un ton égal.

- Je voudrais un tableau de mon père.

La réponse fusa, nette et définitive.

- Non.

Un silence s'installa entre les deux sorciers. Le visage de Drago était parfaitement impassible en dehors de la légère crispation de la mâchoire. Celui d'Hermione se remettait doucement de cet air halluciné qu'avait suscité la demande.

- Pourquoi venir le commander chez moi ? S'enquit-elle d'une voix trouble.

La question lui semblait parfaitement légitime. Etait-il venu pour se moquer d'elle ? Lui sous-entendre qu'elle – femme et Née-Moldue de surcroît – n'était aucunement la bienvenue dans ce monde masculin issue de la tradition Sang-Pure ? Un fin sourire s'esquissa sur le visage parfait de Malefoy. Pour une fois, elle n'eut pas tout à fait l'impression qu'il se moquait d'elle.

- Il n'y a que toi pour accepter, lâcha-t-il avec son habituel ton traînant.

Une multitude de pensées envahirent son esprit, dont la plupart était une déclinaison polie de « Va voir ailleurs si j'y suis ». Drago lui sourit et se retourna. Sur le seuil de la porte, il lâcha, nonchalant :

- Je repasserai demain.

Et il disparut. Hermione se mordit les lèvres quasiment jusqu'au sang. Quel abruti. Où n'avait-elle pas été parfaitement claire ?


(1) : Alors pour le nom du Sorcier-Peintre j'ai repris celui accordé à la première Oubliator par JKR, Mnémone Radford, en partant du principe qu'elle était une lointaine ancêtre de Techneus. Son nom vient de Technè : personnification des arts et des compétences pour les grecs.

(2) : Citation remaniée de Diane Arbus.


Bavardage et autres moyens de tromper son stress

Bon, je vous avoue que je suis carrément stressée de vous présenter ce premier chapitre. J'adore cette histoire, j'aime beaucoup l'écrire, on fouille le passé des personnages, ce qu'ils sont devenus... Pour le moment cette fiction est la moins avancée de celles qui sont publiées, avec seulement quatre chapitres en réserve. Je pensais donc établir une publication mensuelle mais j'attends vos retours avec impatience pour savoir si cela serait judicieux... Qu'avez-vous pensé de cette mise en bouche ? De l'idée d'Hermione en tant que Portraitiste ? Du grand voyage de notre trio d'or ?