- Vince, qu'est-ce tu veux récupérer ici ? C'est qu'une baraque en ruine.
Sans se préoccuper de Cid, l'ancien turk évoluait avec aisance dans la pièce. Comme s'il connaissait les lieux.
- Tu sais ce que tu fais au moins ? continuait le pilote en grommelant, la fumée de sa cigarette se mêlant à la poussière, qui flottait en un nuage compact et léger dans les rayons perçants et limpides du soleil qui filtraient à travers les fenêtres barricadées. Le regard bleu acier scruta la pièce, et s'arrêta sur un magnifique érable. Son dôme de feuilles captait la moindre parcelle de lumière, le faisant se revêtir d'une inimaginable gamme de verts. Captivé, Cid ne pouvait détacher son regard de la cime de l'arbre, qui crevait le toit de la salle à manger, et par extension de la pièce située au premier étage. Il cligna en voyant une tache rouge éclater dans son champ de vision, tranchant nettement sur le vert.
- Putain s'tu fous Vince ? grogna Cid en rattrapant de justesse sa clope, surpris dans sa contemplation.
Sans s'arrêter, le brun répondit d'une voix inhabituellement atone.
- L'escalier s'est effondré, c'est le seul moyen d'accéder à l'étage.
Et il disparut dans un recoin de mur.
- Bordel de dieu attends moi !
Le blond se hissa péniblement sur le palier. Devant lui, cinq portes en éventail, faiblement éclairée par le toit éventré. L'une d'elle s'entrebâilla sous l'effet du vent. Si Jésus commençait à décider pour lui ... A l'intérieur, se tenait Vincent, debout au milieu de la pièce, complètement immobile. Le pilote effectua quelques pas dans la pièce, en insistant pour gagner son attention. En vain. Le brun gardait le regard fixe à travers la fenêtre baignée de lumière poussiéreuse. Statue de porcelaine inexpressive, teintée de sépia.
- Vince, ça va ?
En entendant ronronner la voix râpée par le tabagisme de son ami, les pupilles de Vincent se rétractèrent en un battement de cils. Il sembla reprendre vie, et son regard fit le tour de la pièce. Il s'arrêta sur une imposante malle au cuir raclé par les années. Ses charnières geignirent en s'ouvrant, et de ses entrailles il révéla au monde un étui de guitare.
- T'es zicos ?
A nouveau, la question s'évapora à travers la poussière en suspension. Un léger sourire passa en ombre sur les lèvres de l'ex-turk, qui posa soigneusement l'étui au sol dans un son mat. D'un geste dans lequel seuls ses proches auraient pu distinguer une certaine émotion, il dépoussiéra le blanc en lambeaux du logo Epiphone, avant de défaire les attaches. Elles cliquetèrent compassivement, et le couvercle s'ouvrit dans un doux grincement. Le sourire disparut du visage de Vincent.
- Ce n'est pas le bon.
Intrigué, Cid se pencha au-dessus du brun. Une impressionante collection d'armes à feu s'étalait sur un volet, sous lequel reposait un honorable fusil à lunettes. L'allemand referma sèchement l'étui, et continua à fouiller la pièce sans même prendre la peine de le boucler.
Enfin, sous un bureau, il tira un autre étui, identique au premier. Il l'ouvrit selon le même rituel. Un reflet métallique éclaira pleinement ses traits radieux, les yeux brillants.
- Voilà, fit-il avec une petite pointe de fierté dans la voix. Gibson Les Paul Standard. 1952.
