C'était enfin sa septième année. Il en voyait enfin le bout. 7 ans qu'Alexander avait vu passer très lentement. Trop lentement.

Non, il n'avait pas sauté d'impatience en découvrant sa lettre de Poudlard à l'âge de 11 ans. Il n'avait pas, non plus, était émerveillé devant le Poudlard express. Il n'avait pas eu ces étoiles dans les yeux comme Jace, Izzy et Max, ses deux frères et sa sœur. Il s'était contenté de hausser les épaules. Et sa sœur n'avait pu s'empêcher de lui faire remarquer que rien n'arrivait à le faire sourire. Peut-être avait-elle raison, il en était certainement incapable.

Le train émit un sifflement avant de s'engouffrer dans un tunnel. Quand il en arriva à bout, le paysage avait changé. De longues plaines et collines avaient pris place. La brume rendait le décor mystérieux. Pourtant plus rien ne semblait mystérieux et « magique » pour Alec. Ou pour être plus exact, encore moins que lorsque pour la première fois, il avait tenu une baguette. Désillusion.

Pourtant, il avait fait de belles rencontres pendant sa scolarité. Clary notamment. Avec Isa, Jace et Max, ils étaient le quintette des Poufsouffles. Loyaux, paraissait-il. Alec se demandait encore pourquoi il avait été ainsi choisi. Il ne lui semblait pas faire des efforts pour les autres. Peut-être pour ses amis, si. Le plus marrant avait été le visage en décomposition de Jace en découvrant que son frère allait à Poufsouffle. Lui, qui était prédestiné à atteindre les sommets du courage chez les Gryffondors. Il l'avait suivi. En priant pour que le choixpeau magique lui accorde cette déviance. Isabelle avait fait pareil et Max également. Il était impensable de séparer les enfants Lightwood. C'était peut-être ça qui les rendait si loyaux.

Une bourrasque amicale vint le sortir de ces pensées. Jace.

« Alors, tu es, comme chaque année, pressé d'aller retrouver tes loges à Poudlard ! »

« Je suis au maximum de l'euphorie, là, tel que tu me vois »

Jace lâcha un rire puissant et sonore. Suivit à son tour par Max et Isabelle qui referma le livre qu'elle était en train de feuilleter. La porte du compartiment s'ouvrit à la volée, laissant apparaître une crinière rousse et ondulée. Une lueur de bonheur dans les yeux.

« J'ai bien cru que je n'aurais jamais le train ! »

Alec n'était pas fou. Les yeux de Clary pétillaient uniquement lorsque Jace était là. Et il connaissait assez son frère pour savoir que c'était réciproque. Il se demandait seulement si un jour les deux oseraient se l'avouer. Cela lui était égal, mais il n'arrivait pas à comprendre pourquoi il était impossible pour eux de juste se le dire. Il haussa les épaules. Après tout, ils faisaient comme ils l'entendaient. Il y eut des étreintes entre les deux seules filles du groupe. Entre les deux meilleures amies du groupe.

« Vous m'avez manqué cette été… Mais je sens que cette année va être incroyable ! » déclara-t-elle aux 4 Lightwood.

« Toi aussi » dirent à l'unisson Isa et Alec.

Les yeux de Jace brillaient de mille feux et un sourire béat était peint sur son visage. Il reprit contenance, en se souvenant de son statut – très important pour lui – de capitaine de l'équipe.

« Il faut à tout prix, cette année, que l'on gagne la coupe de Quidditch ! Je vous ai préparé un petit programme aux oignons, vous m'en direz des nouvelles ! »

Max poussa un long soupir.

« Et moi alors ? Je pourrais intégrer l'équipe quand ? Tout le monde m'oublie tout le temps ! » Il fit une moue boudeuse digne d'un enfant capricieux en attendant une réponse de ses amis.

« Toi, tu pourras rejoindre notre équipe quand tu ne tomberas plus de ton balai ! »

La remarque d'Izzy fit rire l'ensemble du groupe. Sauf le concerné qui essaya pendant le reste du trajet de montrer à quel point il était indispensable au groupe. Jace finit par clore cette conversation par un « On verra » suivit d'un ébouriffage de cheveux coutumier.

Après plusieurs heures, le train s'arrêta enfin à la gare de Pré-au-Lard. La nuit était déjà tombée, et les rues étaient totalement désertes. Seules les chouettes commençaient leur journée en s'échangeant de longs poèmes incompréhensibles pour les sorciers qui se bousculaient pour sortir du Poudlard Express. Le groupe d'amis s'empressa de monter sur un chariot pour rejoindre Poudlard.

« Dépêchons-nous et faisons couler le jus de citrouille à flot ! »

« Si ce n'est que ça, ça va mais je te rappelle que ce n'est que ta deuxième année ! »

« Oh mon papa Jace s'inquiète ! Promis pas de bêtise cette année, permission quelle heure ? »

Pour toute réponse, on entendit le rire de Clary et Izzy. Jace ne put s'empêcher de sourire et d'ébouriffer les cheveux de son petit frère.

Alec regardait mélancoliquement les sombrals qui tiraient la carriole. Contrairement à Clary, il ne sentait pas cette année. Mais alors pas du tout. À tous les coups, les profs allaient être horribles pour leurs ASPIC. Alec n'avait jamais été un bon élève. « Ni doué, ni mauvais » répétaient souvent ses professeurs. Disons qu'aucun cours ne l'avait vraiment intéressé. Hormis le Quidditch, évidemment. La réalité était qu'il ne s'était jamais senti aussi libre que sur un balai. Voir le monde de haut était impressionnant et vertigineux. Il sentait l'adrénaline monter à chaque fois qu'il piquait vers le sol pour attraper le vif d'or. Il se souvenait encore de ses débuts quand Bibine avait enfin découvert une matière où il était doué. Plus que ça, une matière où il était doué ET où il s'investissait. Il se souvenait l'entendre dire « Miracle ! Quelque chose vous intéresse ! » Puis cela s'était transformé en passion commune pour le groupe. Il avait passé la première année à admirer secrètement tous les joueurs de l'équipe de leur maison. Mais c'était surtout la complicité qui liait les Clary et Izzy qui avait retenu l'attention de l'ancienne capitaine. Deux batteuses hors-pair qui s'entendaient à merveille ne pouvait que faire des miracles. Ce ne fut que lors de la troisième année que des places se libérèrent dans l'équipe. Ania, l'ex leader de Poufsouffle avait décidé de passer le flambeau à Jace.

La coupe représentait beaucoup aux yeux du groupe.

« Oui c'est sûr, on va gagner la coupe. »

Alec ne se rendit pas tout de suite compte qu'il s'était exprimé à voix haute. Et les autres ne comprirent pas que cette phrase était, à l'origine, destinée à lui seul.

« Je te le promets »

Joignant la parole aux mots, Jace lui serra la main.

« Humm, hummm. Tu voulais dire, ON te le promet ? »

Jeux de regards entre Izzy et son frère.

Regard entendu.

Hochement de tête vertical.

Sourires victorieux.

Le château se dressa enfin devant eux. Ils arrivèrent dans la grande salle après environ « un millier de marches ».

Quand ils s'installèrent autour de la table de leur maison et que le brouhaha incessant de la salle s'affaiblit, Dumbledore prit la parole.

« Bienvenue !

Bienvenue à Poudlard pour cette nouvelle année, je compte sur chacun de vous pour accueillir comme il se doit les premières années ! Nous allons d'abord procéder… »

Alec n'écoutait plus. Dumbledore avait beau être une des rares personnes qu'il respectait dans l'enceinte du château, cela ne rendait pas ses propos plus intéressants. Surtout qu'au fil des années, il n'y avait plus la même magie autour du directeur et de son discours spectaculaire. Son regard errait dans la Grande Salle. Quand Izzy applaudissait à côté de lui, il l'imitait sans comprendre le pourquoi du comment. Il regardait les premières années se diriger un à un vers leur nouvelle maison respective. Applaudissait encore quand un élève s'approchait de la table des Poufsouffles, tout en sachant pertinemment qu'il ne prendrait jamais le temps de le connaître. Que de tout façon c'était sa dernière année dans le château. Et que personne ne ferait non plus attention à lui.

Un Serpentard. Ensuite un Gryffondor, un autre. Un Serdaigle. Mon Dieu, ce qu'il s'ennuyait. Les assiettes étaient encore vides et il se mit à les fixer, croyant fermement que celles-ci allaient se remplir comme par magie. D'accord, elles allaient se remplir d'elles-mêmes mais pas avant que toutes les nouvelles années ne soient passés. Quand ce fut enfin le cas, Dumbledore prit à nouveau la parole.

« Pitié, tuez-moi maintenant ! » pensa Alec.

Puis il le vit. Et tout se stoppa. Il oublia tout. Qui il était. Où il était. Pourquoi ? Comment ? Derrière la table des professeurs, il s'était levé. Il n'était pas vraiment musclé, mais il dégageait un charme comme rarement Alexander n'en avait vu. Ses yeux étaient soulignés par un trait de crayon noir rendant son regard d'autant plus profond. Il était vêtu d'un uniforme asiatique accordé à ses traits de visage. Quand Alec se rendit compte qu'il le fixait depuis plusieurs minutes il secoua la tête se concentrant à nouveau sur ce que racontait le directeur.

« … Je tiens à ce que vous l'accueilliez avec toute la chaleur dont savent faire preuve les élèves de Poudlard. Il sera votre professeur de Défense contre les Forces du Mal… »

Alec tapota l'épaule d'Isa qui sorti de son émerveillement pour Dumbledore, énervée.

« Quoi ?! » vociféra-t-elle.

« Comment s'appelle ce professeur ? » demanda-t-il, sans relever le ton aigri de sa sœur.

« Ce mec, avec ses cheveux hérissés et son air hautain et précieux ? M. Bane. »

Je suis sûr que vous avez déjà connu ça. Un blocage sur une personne qui fait quelque chose de bizarre, ou qui a quelque chose de coincé entre les dents. Alec dévisageait son nouveau professeur comme jamais quelqu'un ne l'avait fait. Un sourire se fraya un passage jusqu'à ses lèvres. Il se surprit lui-même. Il avait souri ? Il avait vraiment souri ? A tous les coups, il aurait cours avec lui en première heure demain. Il allait devoir passer la nuit à y faire face. L'année commençait effectivement très mal.

Avant de rejoindre tout le monde dans les dortoirs, Alec s'éclipsa, tel un chat, jusqu'à la bibliothèque. Mme Pince, la bibliothécaire, avait la réputation d'allier la rigueur et l'intransigeance. Mais Alec et elle s'entendaient très bien. Le même besoin vital de silence. Le plaisir de sentir l'odeur agréable d'un vieux bouquin. Et le bruit délicat d'une page qui se tourne.

Quand il arriva devant la bibliothèque, celle-ci était fermée. En tout cas, c'était ce qu'indiquait la petite pancarte suspendue à la porte vitrée. En même temps, qui serait assez fou pour venir à la bibliothèque le premier jour de la rentrée ? Un Serdaigle peut-être. Et encore.

Il toqua doucement à la porte. Mme Pince oublia un instant le livre qu'elle dévorait pour lever les yeux en direction du bruit.

Sourire.

Elle se dirigea rapidement vers l'entrée pour l'ouvrir puis serra affectueusement Alec dans ses bras. Mal à l'aise, il s'extirpa doucement de cette étreinte.

« Tu as passé de bonnes vacances, mon chou ? » s'empressa-t-elle de demander.

Alec haussa les épaules.

« Comme d'habitude. Un peu ennuyeuses. »

Mme Pince parut toute excitée. Elle le prit par le bras et l'entraîna derrière le comptoir. Elle désigna trois livres parfaitement empilés – certainement par ses soins – et lui expliqua.

« Je t'ai fait une sélection spéciale dernière année à Poudlard. Toi, c'est sûr, tu vas me manquer l'année prochaine. »

Elle avait pris une pose totalement théâtrale genre tragique et Alec ne put s'empêcher de rire.

« Vous aussi, et puis les générations d'élèves qui arrivent sont particulièrement bruyantes. »

Elle fit un grand O avec sa bouche, encore une fois, beaucoup trop exagéré.

« Ne m'en parle pas ! Au conseil des professeurs, ils ont eu l'idée stupide d'ajouter une autre heure d'étude aux premières années. »

Son regard en disait long. Ainsi que la veine colérique qui partait de la naissance de son cou jusqu'au début de son menton. L'heure d'étude était destinée à tous les élèves. Une heure obligatoire qui se déroulait à la bibliothèque. Souvent – pour ne pas dire tout le temps – les étudiants s'en fichaient totalement. Ils passaient donc le moment en se racontant des blagues hilarantes ou autres anecdotes bruyantes, et donc non appréciées par la bibliothécaire.

Après plusieurs minutes d'échange, Alec décida qu'il était temps de retourner dans ses quartiers. Il récupéra les bouquins fraîchement conseillés et dit « au revoir » à Mme Pince qui lui fit une courbette en guise d'adieu.

L'année commençait mal. Mais malgré les ASPICS, les heures d'étude et le professeur Rogue, Alec avait une bibliothèque remplie de livres à sa disposition qui ne demandaient qu'à être lus. Et ça, ça n'avait pas de prix.

Ses quatre amis étaient installés sur leur canapé. Personne ne l'interrogea sur sa disparition. C'était le prix à payer quand on était ami avec Alec. À tout moment, il pouvait s'échapper et ne revenir qu'à la tombée de la nuit. C'est pourquoi quand il arriva, il se glissa dans la conversation comme s'il avait toujours été là.

« Dis-moi que tu l'as remarqué, C ! » demanda Izzy.

« Que Rogue a pris quelques kilos et que Mcgonagall en a perdu ? » se mit à rire Clary.

« Oui, bon ok, ça aussi, mais le jeune Serpentard nommé Raphaël ! »

« Pourquoi cela ne m'étonne pas... »

Clary se mit à sourire. Izzy avait eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de relations lors de sa scolarité à Poudlard. Trop selon Clary mais elle la respectait tellement de pouvoir sortir avec la personne qu'elle voulait. Clary était incapable de faire ça. Et ça la rendait folle.

« Nos regards se sont croisés, c'était tellement intense. »

« Attends, est-ce que tu es sérieusement en train de parler de cet élève de première année ?! Tu débloques, Iz' ! »

Clary, réalisant qu'il s'agissait du garçon désigné à Serpentard, se leva brusquement du sofa. Elle fit les cent pas autour de la table avant de continuer, une main malaxant son crâne.

« Raphaël… Il a genre 6 ans de moins que toi ? »

« L'amour est aveugle très cher ! »

Ses mains s'animèrent avec vigueur pour rendre ses propos le plus crédible possible. Cependant le fait qu'elle soit en pyjama, n'allait pas dans son sens.

Cela faisait un petit moment qu'Alec n'écoutait plus, il était bien trop occupé à lire dans les flammes de la cheminée. Ou était-il juste perdu dans ses pensées ? Personne ne put le dire, pas même lui.

« Tu es irrécupérable… Alexander ? » Clary posa un regard surpris sur l'interpellé.

« Mmmmh ? »

« Est-ce que tu es avec nous ? Clary appelle Alec ! Allô, la Terre, vous me recevez ? »

« Ça se voit tant que ça que ça ne m'intéresse pas ce que vous dîtes ? »

Clary fit une moue boudeuse. Elle croisa ses bras et se retourna en faisant en sorte d'être dos à Alec. Cela ne dura que quelques minutes avant que celle-ci ne sente des bras musclés entourer son cou, la rancœur était oubliée. Sa sœur Izzy lâcha un soupir face à l'éternelle taquinerie que partageaient son frère et sa meilleure amie.

« Tu sais bien que tout ce que tu dis est parfait. Boude pas. »

« Ne crois surtout pas que tu es pardonné. Tu devras répondre de tes actes pendant les révisions hebdomadaires ! »

Clary avait pointé sur lui son index provocateur. Elle avait pris le statut OREO : « Organisatrice des Révisions pour Espérer onze Optimal ». C'était un rôle qui lui tenait à cœur, et personne n'avait osé l'en empêcher. De tout le groupe, elle était la seule à penser aux études.

« Ça, c'est une très bonne idée C. Je veillerai à ce qu'il soit interdit de dessin et de lecture. »

Izzy se leva pour attraper un paquet de Bertie Crochue qui se trouvait sur la table et en avala une grande partie.

« Tu es trop dur avec moi… Accorde-moi au moins un croquis par révision sinon c'est le décès assuré. »

Clary secoua sa crinière l'air de dire « Tu n'avais qu'à pas être méchant », elle s'enfonça davantage dans le canapé avant de se tourner vers Jace.

« Fait attention à toi, Alec a été condamné, tu peux l'être tout aussi bien ! »

Dans les yeux de Clary il n'y avait aucune pitié. Il aurait été idiot d'aller en chercher d'ailleurs. Jace sourit. Il n'avait aucune intention de la blesser mais il ne put s'empêcher de sortir :

« Oulala j'ai peur. »

Une bataille visuelle débuta. Et les deux tourtereaux partirent dans un monde qui leur était propre.

« Ça a toujours été comme ça ? Ou plus le temps passe et plus ils forment un vieux couple ? »

Les concernés n'entendirent même pas la réplique. Pourtant Izzy et Alexander ne purent s'empêcher de rire. A défaut de Jace, Alec ébouriffa les cheveux de son frère. Il se dégagea, vexé.

« Ça va j'ai plus 8 ans ! », boudeur, il se dirigea vers les escaliers, se retourna et tira la langue – bien que ce geste paraisse grossier, il l'exécuta avec tout l'amour dont il était capable–. « Vais me coucher, il y a que des vieux ici ! »

Il désigna aussi bien Clary et Jace qu'Alec et Izzy. Alec s'étira et bâilla bruyamment. Cela n'échappa pas à Clary qui posa une main amicale sur son épaule.

« Et bah alors ? On commence à fatiguer ? Demain c'est le premier jour d'école ? » il lui lança une grimace des plus délicieuses.

« Tu ne devrais pas être la seule à mettre des pénalités au gens, je crie à l'injustice ! »

Il la repoussa violemment sur le canapé et commença à trouver le meilleur angle d'attaque pour lui infliger la pire des tortures : des guilis. Clary se plia en deux, prise dans un fou rire interminable, qui ne s'acheva que lorsqu'elle demanda enfin grâce.

Jace regardait la scène, impuissant. Pourquoi les gestes qu'avaient Alexander envers Clary étaient aussi juste et que lui était incapable de tendre la main à son visage rouquin ? Son cœur rata un battement quand celle-ci se retourna et planta son regard dans le sien. Touché.

Il était faible, face à elle. Il baissa les yeux. Se leva précipitamment et prit son frère par la manche.

« On va se coucher avec Alec. Bonne nuit. »

« Mais… » il n'eut pas le temps de finir sa phrase, Jace l'embarquait déjà en direction de leur chambre.

Deux ombres disparurent dans les escaliers.

« Toujours aussi loquaces ces deux-là ! »

Izzy se tut quand son regard se posa sur son amie qui fixait encore l'escalier où Jace avait pris la fuite.

« Tu n'as pas encore trouvé l'occasion de lui dire ? »

Clary secoua la tête. Elle n'arrivait pas encore à parler. Elle se maudissait intérieurement de ne pouvoir tendre la main à Jace.

« Tu sais, c'est sûr qu'il t'aime beaucoup. Tu ne devrais pas avoir peur. »

« Je n'ai pas peur ! Je n'y arrive simplement pas. Ça reste bloqué, là. »

Elle désigna sa poitrine et soudain tout jaillit. Les pleurs, les révélations. Révélations qu'Izzy avaient déjà entendues mille et une fois. Izzy aurait tellement aimé prendre les rennes et faire en sorte que sa meilleure amie et son frère sortent ensemble. Elle n'avait jamais voulu. Clary n'aurait jamais voulu.

« Je sais, je sais. Là, calme-toi. On va aller se coucher. »

Elle la porta comme elle put pour rejoindre leur dortoir, la déshabilla et la coucha. La nuit ferma les yeux pour elle.

Morphée décida de lui faire revivre leur première rencontre. Une rencontre au parfum sucré.

Elle est nerveuse. Elle a déjà rongé l'entièreté de ses dix ongles. Deux fois. Elle s'est retrouvée avec des élèves turbulents dans le train. Et les mêmes sur la barque menant au château. Et maintenant, elle est là, entourée de toutes ces nouvelles années, attendant désespérément le verdict d'un stupide chapeau rapiécé. Elle a peur. Peur de ne pas savoir comment se faire des amis. Et si, comme sa mère, on lui jetait des pierres à cause de sa foutue chevelure flamboyante ? Qu'on lui vole ses notes avant de les jeter dans les toilettes ? Qu'on déchire la jolie serviette brodée main que lui ont offert ses parents avant de partir ? Elle se met à regretter. Elle aurait dû apprendre ce stupide sortilège de teinture de cheveux. Ces questions n'auraient plus lieu d'être.

Et puis le premier fils Lightwood va en direction de la chaise. Aucune angoisse n'est peinte sur son visage. Ni excitation. Juste un profond ennui. Et d'un coup, elle va mieux. Elle est apaisée. Presque souriante. Elle croit qu'il va devenir son ami. Non, elle veut qu'il devienne son ami. Quand le choixpeau annonce un puissant « Poufsouffle ». Aucune expression ne se profile sur le visage de l'enfant. Il rejoint sa maison dans le plus parfait des calmes et s'assoit au milieu des élèves. Son regard est vissé sur la chaise sur laquelle il était assis, quelques secondes plus tôt. Clary continue de le regarder, intriguée.

Et puis le nom de famille Lightwood est à nouveau prononcé. Clary croit à une erreur, sent la panique revenir se loger au creux de son ventre. Regarde à droite et à gauche. Puis s'immobilise. Une crinière noire s'avance jusqu'au choixpeau. Un noir de jais si intense que Clary est persuadée qu'il s'agit d'une teinture. Elle l'admire un instant. « Elle a eu le courage, elle. » se chuchote-t-elle. Mcgonagall lui pose le chapeau sur sa tête. Ses cheveux ne bougent pas, impeccables. Quand la jeune fille est désignée également à Poufsouffle, Clary la suit du regard. Elle s'installe à côté de l'autre Lightwood. Ils se font une accolade et regardent tous les deux l'élève suivant qui est monté sur l'estrade. Dans sa curiosité, Clary se tourne en direction du choixpeau.

Il a l'air déçu. Boudeur. Mais qu'est-ce qu'il est beau. Un peu petit pour la moyenne, mais déjà si trapu. Ses cheveux blonds en bataille sont aplatis de part et d'autre du chapeau. Ses yeux bleus semblent implorer quelque chose qu'elle ne comprend pas. Et elle se perd dans ce vaste océan. Elle veut juste rester comme ça. Sans peur. Sans lendemain. Mais avec, face à elle, les plus beaux yeux qu'elle a vu de toute sa vie. Et il est stupide. Parce qu'il se lève beaucoup trop vite pour rejoindre sa maison. Et elle est triste. Parce qu'elle n'a pas eu assez le temps de l'admirer.

Puis il se passe quelque chose d'incroyable. Contact visuel. Blond, bleu rencontre rousse, noisette. Et le lien se crée. L'élève la fixe et rate la marche.

Chute.

Rires.

Clary rigole doucement en positionnant ses mains devant sa bouche. L'élève s'enfuit, honteux, et va rejoindre l'ennuyé et la noire de jais. Soudain, elle se raidit. Son nom vient d'être prononcé.

Respire.

Expire.

Elle rejoint McGonagall. Elle n'a plus peur. Il y a quelques minutes ; elle a nagé dans un océan infini. Elle lui sourit avant de s'asseoir.

Nouveau contact. Avec les trois Lightwood.

Et d'un seul coup, elle crée une histoire.

Bêtises dans les couloirs.

Rires dans les cours.

Echange de petits mots.

Passage de serpillère pendant les heures de colle.

Sortilèges à apprendre dans les dortoirs.

Amitié.

Et rire… et amour.

Dans la chambre des garçons, la situation était plus tendue. Chacun dans leur lit, Jace et Alec s'envoyaient des piques. Il était rare qu'ils ne se comprennent pas. Rare, pas impossible.

« T'abuses ! » commença Jace.

« Tu aurais dû la prendre dans tes bras à ma place ! »

« Non ! »

« Pourquoi ?! »

« J'en suis incapable ! »

« Arrête ! T'es juste mauvais là ! »

« Quoi ?! »

« Tu le fais exprès ! »

« Très bien, bonne nuit ! »

« Bonne nuit ! »

« Parfait. »

« Parfait. »

« Parfait. »

Alec attrapa son livre préféré qui traînait sur le bord de sa table de nuit. La relation de son frère et de Clary était tout simplement ridicule. Il ne les avait jamais compris et ne les comprendrait jamais. Ses pensées le conduisirent à leur rencontre. Essayant de se remémorer le moindre petit détail de leur histoire, le moindre geste. Plus il s'enfonçait loin dans ses souvenirs, plus il tournait de manière désordonnée les pages de son bouquin en oubliant de prétendre qu'il le lisait. « Stupide frère, incapable » se dit-il avait d'éteindre la lumière.

Alec ne comprit que quelques mois plus tard à quel point il avait été injuste avec son frère.

Quand Alec se réveilla le lendemain, Jace avait pris la fuite et était certainement allé manger dans la grande salle pour le petit-déjeuner. Tant pis, ils en discuteraient plus tard. Ne se sentant pas prêt à affronter de bon matin son frère, il opta pour s'habiller rapidement et se balader dans les couloirs du château. Balader ? Non, Il déambulait, plutôt, dans le plus total des hasards. Il est quasiment sûr de ne jamais être aller dans cette aile du château. Plus il y réfléchit, plus il se dit qu'il n'a jamais pris le temps de visiter entièrement Poudlard. Et il ne lui restait plus qu'un an pour le faire.

Une vision paradisiaque se matérialisa devant lui. Un banc était situé dans une cour intérieure. Cet espace était assez confiné néanmoins un arbre centenaire avait pris racine dans un des coins. Les feuilles de ce chêne bruissaient légèrement, cela l'apaisa immédiatement. Il s'avança, l'herbe au sol n'avait pas l'air d'avoir souffert de la chaleur de l'été. Les nombreuses touffes fraîches du matin étaient d'un vert profond. Il hésita quelques instants puis s'approcha du banc avant de s'asseoir dessus. Puis il ferma les yeux et un souvenir sucré vint se glisser contre lui.

Lui, à 8 ans. Encore une fois plongé dans le noir de sa chambre. Seul. Et il l'apprécie cette solitude. Il l'attend pendant tous les jours d'école. Et quand, l'heure est venue, il court sur le chemin du retour, le bonheur est peint sur son visage. Pas parce qu'il n'aime pas travailler. Non. Mais parce que tous les enfants font trop de bruit. Et la maîtresse lui dit ce qu'il doit faire. Et ça l'énerve. Lui, il a juste envie qu'on lui fiche la paix. Il est comme ça et il ne sait pas pourquoi personne ne peut le comprendre. Alors il reste dans la classe pendant la récré. Il dessine calmement. Personne ne trouve rien à redire là-dessus.

Et d'un coup tout va changer. Parce qu'un jour, à 8 ans, sa mère rentre dans sa chambre. Elle resplendit. Encore plus que d'habitude. Alors forcément, Alec ne voit pas ce petit bout d'être qui se tient derrière elle. Ses cheveux blonds en bataille cachent ses yeux. Puis il y a du mouvement, des explications. Et tout devient plus clair. Le mot « adoption » est employé. Alec ignore ce que ça veut dire. Même ses précieux bouquins ne lui ont jamais appris ce mot. Mais l'attitude de sa mère et de son nouveau frère pendant les jours qui suivent lui donne un sens. « Adoption », ça veut dire beaucoup d'amour. Beaucoup de tendresse. Et surtout quelqu'un d'exceptionnel qui rentre dans nos vies. Izzy n'a aucun mal à l'accepter, mais c'est avec Alec qu'il se sent le mieux. Et un miracle naît. Et de deux êtres de solitude naît un être de complicité. Jace le sait. Alec en est sûr. Pourtant, il ne lui a jamais dit qu'il a transformé l'ombre en lumière.

Alec était désormais serein. Il ouvrit les yeux. Inspira un grand coup. Le regard fixé sur les feuilles de l'arbre qui se balançaient légèrement. Il fouilla alors dans son sac à la recherche d'un livre particulier. Quand il l'eut trouvé, il l'ouvrit au hasard. « Juste un paragraphe, après j'y vais » se promit-il. Pas besoin de chercher où il s'était arrêté la veille, il l'avait lu un nombre incalculable de fois. Parfois, il se demandait s'il était capable de le réciter.

Les cloches se mirent à sonner. Dans un effort de volonté, il referma le bouquin en soupirant, puis le rangea méticuleusement dans son sac. Il se promit de revenir dans ce lieu, lors d'une prochaine matinée. Il reprit sa déambulation dans les couloirs de Poudlard.

Avec tout ce qui s'était passé la veille, Alec avait totalement oublié ce qu'il avait ressenti à la vue de M. Bane. C'est pourquoi, quand il croisa le regard de son professeur, il perdit tout contrôle de sa personne.

Le haut, le bas, la douleur, la joie, la peine, la colère. Plus rien n'avait de sens. Il se demandait même s'il n'allait pas finir par tomber dans son regard. Sa surprise s'intensifia quand celui-ci lui sourit. Mon Dieu, est ce qu'il pourrait un jour arrêter de le regarder ? Alexander en doutait. Il se reprit avec un « bonjour » timide, faible et insignifiant. M. Bane sourit derechef.

« Bonjour, tu es un de mes étudiants de septième année, non ? »

« Je suis… Je devais aller… Pardon, professeur… Oui en septième année… » bredouilla-t-il péniblement.

« Es-tu toujours aussi loquace ? » son sourire était devenu moqueur.

« Je le suis moins d'ordinaire. »

Ayant retrouvé un peu de son aplomb, il réussit à faire rire son professeur. Il y eut un petit silence pendant lequel le professeur Bane chercha à capter le regard d'Alec. Comme captivé. Le concerné eut un frisson.

« Eh bien, je suis Magnus Bane, ton professeur. Et à qui ai-je l'honneur ? Si bien entendu tu n'as pas dépassé ton quota de mots pour aujourd'hui. »

Alec ne put s'empêcher de sourire. Sourire ? Encore ? Était-ce le diable en personne qui se trouvait face à lui ? Sinon comment parvenait-il à produire cet effet sur lui sans qu'ils ne se connaissent ? Il s'appliqua à lui répondre de la manière la plus détachée possible.

« Alexander Lightwood. »

« Aïe, j'ai bien peur de ne plus pouvoir entendre le son de ta voix pendant mon cours... Je savais bien que j'aurais dû attendre de faire l'appel pour connaître ton nom »

Il prit sa tête entre ses mains théâtralement. Alec ne put s'empêcher de faire le parallèle entre ce geste et les manières exagérées de Mme Pince. M. Bane reprit :

« Trêve de plaisanterie, suis-moi, le cours va commencer. »

Ce professeur était si peu conventionnel. L'année risquait de mieux se passer que prévu. Quand Magnus ouvrit la voie, Alec se surprit à le détailler de bas en haut. Il était beau. Il n'y avait aucun doute là-dessus. Mais Alexander était persuadé que c'était plus que ça. Il avait quelque chose d'irréel. Un être parfait. Ou tout du moins pour lui. Il semblait incarner un modèle qu'Alec avait toujours cherché.

Quand il fut devant la salle, M. Bane se tourna gracieusement en direction d'Alec. On aurait pu croire à une chorégraphie. Le professeur posa délicatement son index contre la bouche de son élève et lui murmura.

« Surtout, que ça reste entre nous. Je ne veux pas que mes élèves pensent que j'étais en retard. »

Sa main gauche posée sur sa poitrine et son regard planté dans les yeux d'Alec imploraient le silence. Imploraient faussement de silence. Alec sourit à demi. Et ne put s'empêcher d'ajouter.

« Bien sûr, je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose, professeur. »

Sourire complice.

Contact visuel.

5 secondes.

10 secondes.

30 secondes.

Contact visuel rompu.

Le cours se déroula rapidement, ce qui surprit Alec. Il s'autorisa à regarder une petite minute son professeur et les élèves qui rangeaient leurs affaires afin d'être sûr que l'heure de cours était réellement finie. Puis, il prit soin de caser les notes du jour précautionneusement dans son sac.

« Magne-toi, Alec ! On va être en retard pour le cours de potion ! Tu veux mourir ou quoi ? »

Surprit par cette interpellation, il releva brusquement la tête. La salle de classe était entièrement vide. Clary l'attendait dans l'entrebâillement de la porte. Il jeta un rapide coup d'œil à son professeur qui le regardait, curieusement. La gêne commença à se peindre sur son visage, il se leva précipitamment et fonça en direction de sa meilleure amie. Il lui agrippa le bras férocement et la tira dans les couloirs, en direction de son prochain cours, sans un mot pour M. Bane. Ce n'est que bien plus loin qu'il prit Clary à part.

« Tu penses que je débloque ? Je crois que le professeur de Défense me plait… »

La bouche de Clary forma un grand O. Elle ne prit pas immédiatement la parole. Il lui fallut quelques minutes pour trouver les mots.

« Je pense que c'est une très mauvaise idée, on en parle à midi ? »

« T'as raison, ça serait con de mourir par la main de Rogue avant d'avoir pu vivre mon idylle ! »

Ils éclatèrent de rire et se précipitèrent pour être à l'heure au cours de potion non sans continuer de parler.

Contre toute attente, Jace accueillit Alec par une grande accolade. Leur stupide dispute de la veille était partie en un éclair et il s'installa tranquillement pour profiter lui aussi du merveilleux repas qui se trouvaient face à lui. Le brouhaha qui régnait dans la grande salle n'empêchait pas les jeunes gens de discuter activement.

« Cette semaine, je vais avoir le cours de vol me permettant d'être dans l'équipe de Quidditch ! » expliqua Max rempli d'impatience. Pas plus haut que 3 pommes mais déjà prêt à en découdre sur le terrain.

« Tu es sûr que tu seras capable de tenir sur ton balai ? Et surtout d'éviter les cognards ? » demanda Clary dubitative.

Elle le connaissait depuis moins de temps que tout le reste de la troupe mais elle avait développé un instinct maternel pour lui. Jace se mit à rire et asséna une grande tape dans le dos de son petit frère.

« Tu rigoles ? Tu ne l'as pas vu s'entraîner tout cet été avec nous ! Une vraie tête brûlée, je pense qu'il ferait un excellent gardien. »

Jace avait les yeux remplis de fierté. Clary soupira à demi rassurée. Depuis qu'il était arrivé l'année dernière, ses frères et sa sœur n'avaient cessé d'entraîner leur petit frère, Max, dans les pires coups. Elle ne se rappelait pas avoir fait autant de bêtises lors de sa première année à Poudlard. Elle finit par se résigner et hausser les épaules. Après tout, ils connaissaient assez leur petit frère pour s'assurer qu'il ne lui arrive rien. Izzy posa sa main sur la sienne comme pour lui dire : « Pas de panique, je m'occupe de le surveiller ». Pour toute réponse, Clary lui sourit.

« Cette année, on a intérêt à finir en beauté, c'est la dernière pour nous quatre ! Si jamais nous ne gagnons pas la coupe de fin d'année de Quidditch, je démissionne. »

« T'inquiète, je m'occupe de ce vif d'or. »

La même lueur brillait dans les yeux d'Alec et de son frère.

Voilà pourquoi, ils s'entendaient si bien tous les cinq. Le même sport les liait.

« Bon allons affronter les terribles cours de cette aprèm… » Izzy se racla la gorge avant de prendre une voix d'étudiante parfaite et lança « Les ASPICS, c'est toute ma vie »

Dans l'après-midi, Alec se mit à penser : « Pourquoi tous les cours ne passent pas aussi vite que celui de M. Bane ? Je ne ferais qu'une bouchée de mon année… ». Clary et lui n'avaient pas eu le temps de discuter du professeur mais les paroles de sa meilleure amie s'étaient frayées un chemin jusqu'à son esprit. Il semblait plus convenable, en effet, de garder la distance entre lui et son professeur. Oui cela semblait juste, mais pourquoi ce qui paraissait juste était si douloureux pour lui ?