Fiction basée sur l'œuvre de Leroux ; écrite par For Star'rs , corrigée par kakashi. gk
« Je voulus voir le visage de la Voix et, instinctivement, par un geste dont je ne fus point la maîtresse, car je ne me possédais plus, mes doigts rapides arrachèrent le masque... »
Il y eut alors un silence. Un instant sans aucun bruit, sans aucune note de musique, qui dura à la fois une éternité et une seconde.
« Horreur !.. Horreur !.. Horreur ! » furent les seules pensées de Christine devant le spectacle hideux qu'était le visage de l'être qui fut longtemps son Ange. La face camarde ne refléta en premier lieu que de la surprise. Ses yeux trop enfoncés pour que l'on puisse clairement les distinguer étaient pourtant grands ouverts, sa bouche sans lèvres béante. La peau jaunie semblait sur le point de se briser tant elle était tendue sur le crâne parsemé de fins cheveux noirs.
La Voix avait l'apparence d'un cadavre en décomposition, immobile et terrible.
Puis, brusquement, le macchabée assis sur le banc se mit à vivre. Un grondement sourd, puissant et animal s'échappa de sa gorge. Il se leva d'un bond, en sifflant et profanant des mots incohérents en direction de celle qui l'avait mis à nu. Ses immondes traits n'exprimaient à présent que haine et mépris.
Voir un mort vivant est quelque chose d'horrible.
Christine se colla instinctivement contre le mur,à la recherche de soutien, ses genoux vacillants la faisant glisser au sol. Erik s'avança vers elle jusqu'à la dominer totalement , son immense carcasse planant au dessus de la fille apeurée.
« Regarde! » s'écria-t-il. « Tu as voulu voir ! Vois ! Repais tes yeux, soûle ton âme de ma laideur maudite ! Regarde le visage d'Erik ! Maintenant tu connais le visage de la Voix ! Cela ne te suffisait pas, dis, de m'entendre ? Tu as voulu savoir comment j'étais fait. Vous êtes si curieuses, vous autres, les femmes ! »
Il se mit à rire, une mélodie macabre et sombre, tout en dandinant sur ses épaules la chose hideuse qui était sa tête.
Erik répétait inlassablement des propos étranges alors que Christine porta ses petites mains sur son visage afin de se protéger de l'atrocité de son physique. A peine ses yeux furent-ils fermés que de longs doigts squelettiques s'enroulèrent autour de ses poignets.
Le Monstre tira la fille vers lui, et la força à lui faire face en tirant sur ses longs cheveux blonds.
« Quoi ? Je te fais peur ? C'est possible !... Tu crois peut être que j'ai encore un masque, hein ? Et que ça...ça ! » Il approcha son visage plus près de celui de la fille et continua, « Que ma tête est un masque ? Eh bien, mais ! Arrache-le comme l'autre ! Allons ! Allons ! Encore ! Encore ! Je le veux !Tes mains ! Tes mains !... Donne tes mains..Si elles ne te suffisent pas , je te prêterais les miennes.. Et nous nous y mettrons à deux pour arracher le masque. » La Voix n'était plus. Les hurlements d'Erik résonnaient dans la pièce comme les cris d'une bête enragée.
Il prit les paumes de la jeune Daaé et les mis sur son horrible visage. Il obligea Christine à enfoncer ses ongles dans la chair morte; le sang coulait abondamment mais il ne semblait pas s'en rendre compte, entièrement possédé par la folie .
Et tout à coup, il la libéra et retourna vers l'imposant instrument de musique sur lequel jonchaient partitions, notes, dessins et bougies -pour la plupart fondues.
Le Fantôme s'arrêta devant le clavier et son corps, dorénavant secoué par de silencieux sanglots, se courba au dessus des touches de l'orgue. Son dos étant tourné vers Christine, elle ne put voir les gouttes de sang et de larmes tomber sur les papiers barbouillés d'encre rouge.
« Oui ! C'est un cadavre qui t'aime, qui t'adore et qui ne te quittera plus jamais ! Jamais !.. Je vais faire agrandir le cercueil, Christine, pour plus tard, quand nous serons au bout de nos amours !... Vois, je ne ris plus, je pleure... Je pleure pour toi, Christine, toi qui m'as arraché le masque, et qui, à cause de cela, ne pourra plus me quitter, jamais !.. Tant que tu pouvais me croire beau, Christine, tu pouvais revenir !... Je sais que tu serais revenue... Mais maintenant que tu connais ma hideur, tu t'enfuiras pour toujours... Je te garde ! ! ! » pleura-t-il hargneusement « Ô Christine.. Insensée, folle Christine... »
Cette dernière n'osait plus bouger. Elle restait figée telle une statue, seul un léger mouvement provenant de sa cage thoracique prouvait qu'elle était bien vivante.
Son regard bleu azur, toujours posé fixement sur le dos d'Erik -cette créature grotesque avait-elle vraiment pu être son Ange ?- ne reflétait que peur et appréhension.
L'atmosphère des sous-sols de l'Opéra était, comme toujours, lourde et humide mais les lamentations incessantes d'Erik rendaient l'air irrespirable. Christine, se sentant peu à peu défaillir, prit l'initiative de s'appuyer contre le pied d'un meuble, maintenant qu'il ne l'empêchait plus de se recroqueviller à terre. Jamais elle ne détourna ses pupilles de la longue silhouette devant elle.
Et soudain, alors que la soprano ramenait ses jambes contre sa poitrine dans un geste enfantin mais réconfortant , la Bête se retourna pour regarder sa proie. Erik traversa l'espace qui les séparait à une vitesse presque surnaturelle et s'agenouilla face à Christine.
Sans doute ses yeux devaient-ils l'observer, mais elle, elle ne voyait rien. Juste deux trous vides qui entouraient les autres deux trous qui lui faisaient office de nez.
« Erik regrette d'avoir fait confiance à Christine. » murmura-t-il calmement, doucement. Il était redevenu la Voix, et durant un instant, l'enfant se retrouva encore une fois envoutée par le divin ténor.
« Je- »
« Pandore ! Vos défauts sont les mêmes ! La curiosité , la sottise !.. Mais ton sort sera différent, tu seras ma Perséphone et ,moi, je serai Hadès ! » reprit-il avec la rage souveraine d'un démon tout droit sortit des Enfers.
Il repartit en direction de son domaine de création et prit une chandelle entre ses doigts agiles. Il la mena vers son visage un instant, comme à la recherche d'un indice qui l'aiderait à résoudre une énigme inconnue.
Il chuchota un chapelet de mots ne voulant rien dire, tandis que Christine tentait de le contourner en rampant à terre. Elle ne pouvait plus supporter de passer une minute de plus en sa compagnie. Sa présence l'étouffait trop.
Une poigne glaciale, moite, putride attrapa soudainement son bras avant même qu'elle ne l'ait entendu arriver derrière elle. Il agrippa sauvagement sa douce peau et l'approcha de la flamme qui dansait devant son visage de mort. Elle ferma les yeux pour ne pas en voir davantage.
« Si Christine a vu Erik, alors elle ne doit plus jamais rien voir d'autre. »
Et sur ces quelques mots décisifs , il scella les paupières de la diva à la cire brûlante.
Un hurlement sans fin résonna dans tout le palais Garnier,
Christine Daaé ne verra plus jamais quoi que ce soit.
