Disclaimer : Les personnages de Saint Seiya ne m'appartiennent pas, mais l'histoire, si !

Couple : DM/Camus.

Rating : M.

Joyeux Noël à tous ! Plein de chocolat, de champagne, de maracarons...

Lys : De champagnes, de cadeaux...

Et plein de bonnes choses !

Lys : Tout plein !

Voici une fic pour Noël de plusieurs chapitre (que j'ai presque finie de taper). J'ai voulu tester un nouveau genre, je trouve que ça fait un peu film...

Lys : Et t'es pas la seule à le penser :p

C'est une sorte d'UA. J'espère que ça vous plaira !

Lys : C'est une fic cadeau à Phebe83a !

Joyeux Noël grand soeur :-)

Bonne lecture !


Chapitre 1

Il neigeait, dehors. Les petits flocons blancs s'amoncelaient sur les voitures, les bords de fenêtre, les trottoirs où on marchait encore activement à cette heure de la soirée. Cependant, un manteau épais commençait à se former, et il n'y avait aucun doute que, le lendemain matin, la population se réveillerait avec une jolie couche de neige sur toute la ville. On aurait un Noël blanc, cette année.

À travers les vitres fumées de la voitures, l'homme regardait avec indifférence toutes ces personnes au visage inconnu passer plus ou moins vite sur le côté. Il y avait des femmes, des hommes des enfants. Des êtres qui lui étaient indifférents, en somme. Ils auraient pu tous disparaître, ça ne lui aurait pas fait grand-chose.

Il soupira et ferma les yeux, écoutant vaguement le vrombissement léger du moteur. La voiture s'arrêta à un feu rouge, le chauffeur en profita pour tourner la tête à l'arrière. Pendant quelques instants, il admira l'homme superbe assis sur le siège en cuir crème.

C'était un sacré gaillard. Son élégant costume gris moulait son corps musclé, et sa chemise blanche cachait son torse qu'il devinait bien sculpté. C'était quelqu'un d'une élégance presque naturelle. Il avait un visage viril naturellement bronzé mais qui ne connaissait pas le sourire, à part celui sadique ou ironique qu'il affichait par moments. Ses yeux froids et perçants s'allumaient parfois d'une flamme de prédateur qui donnait des frissons dans le dos. Quant à ses cheveux, ils étaient courts et bleus, partant un peu dans tous les sens, mais ça lui donnait un certain charme.

Cet homme était quelqu'un de dangereux, il suffisait de le voir pour le comprendre. Pourtant, le chauffeur ne pouvait s'empêcher d'être attiré par cet être froid et sans scrupule, qui s'appelait Angelo Médicis. Un bel italien qui en avait dans la tête. Son prénom était trompeur, cet homme était loin d'être un ange. Dans le monde des affaires, beaucoup s'étaient frottés à lui, et beaucoup n'en étaient pas sortis indemnes.

« Monsieur ? Vous avez l'air épuisé. Il vaudrait peut-être mieux annuler votre rendez-vous, vous ne croyez pas ?

- Non. Le feu est vert. »

Surpris, le chauffeur tourna la tête, et vit qu'en effet, le feu rouge avait viré au vert. Confus, il redémarra en silence.

À l'arrière, Angelo regardait par la fenêtre les rues animées. Noël approchait à grands pas, nous étions début novembre. La veille, il n'avait pas travaillé, c'était la Toussaint. Nullement croyant, il s'était simplement prit un petit jour de congé, durant lequel il s'était reposé, lisant ou regardant la télévision de temps à autre. Rien de bien passionnant.

Mais sa vie n'était pas passionnante. Voici plus d'un an qu'il était revenu sur Terre, après avoir erré une éternité dans les ténèbres. C'est à Rome qu'il avait atterri. Pendant un mois, il eut une vie misérable. Puis, un jour, il rencontra un homme. Ce dernier se faisait agresser, dans la rue. Sans savoir pourquoi, l'ancien chevalier l'aida. Pour le remercier, l'homme l'invita à déjeuner avec lui. Son sauveur ne refusa pas, il n'avait rien à perdre ni à gagner, à part un bon repas.

Il fallait croire que l'homme fut charmé par son esprit lucide et calculateur. Don Andreo, originaire d'Espagne précisait-il, se révéla être un riche homme d'affaire, qui passait dans cette rue mal famée pour rendre visite à un de ses amis qui avait sombré dans l'alcool. À la fin du repas, il exigea les coordonnées et le nom de ce parfait étranger. Il voulut répondre « Masque de Mort » avec ironie, mais il donna son prénom et son nom de famille, ou du moins ceux qu'il avait portés à une époque, tout en ajoutant qu'il n'avait aucun papier. Ce qui ne gêna nullement Don Andreo.

Le mois suivant, Masque de Mort devint bras droit de Don Andreo, apprenant vite et bien à ses côtés, jusqu'au jour où il ne put plus se passer de lui. Trois mois plus tard, il quitta son patron pour monter ses, propres affaires. Au bout d'à peine deux mois Angelo le descendait plus bas que terre, le détruisant sans scrupules. L'italien avait moyennement apprécié que cet homme aux airs faussement angéliques lui envoie deux gosses pour se détendre, quelques mois plus tôt. Le trafic d'enfants et d'organes qui se faisait dans l'ombre durait depuis trop longtemps.

C'est à partir de ce moment-là qu'Angelo Médicis devint une menace pour les autres hommes d'affaires. Bien que n'ayant fait d'études par le passé, cet étranger italien connaissait très bien ce monde, pour avoir appris aux côtés de Don Andreo. Il tenait aussi son savoir de toutes les recherches qu'il avait faites, travaillant comme un acharné pour rattraper son retard. Bientôt, il devint un homme d'affaires redoutables. Il avait cessé de regarder ses livrets de compte.

Au début, c'était jouissant de gagner autant d'argent et de pousser des entreprises à la faillite, mais Angelo finit par se lasser. Il pouvait se payer tout ce qu'il souhaitait, avoir les plus belles femmes et les plus charmants jeunes hommes dans son lit. Mais ce plaisir ne dura qu'un temps. Il avait réussi sa vie là où les autres avaient peut-être échoués. Il pensait à eux, parfois, mais il ne songeait pas à les chercher. Chacun sa merde.

« Nous arriverons dans une vingtaine de minutes, Monsieur. »

Angelo ne prit même pas la peine de répondre. Voici bien quatre mois qu'il n'avait pas changé de chauffeur. Celui-là s'appelait Morris, il devait avoir son âge, ou un peu moins. D'habitude, il changeait à peu près toutes les semaines, mais Angelo était las, et celui-là ne semblait pas être attiré par l'argent des paparazzis. Il était déjà tombé sur de sacrés phénomènes.

Un léger soupir passa entre ses lèvres en pensant à tous ces types qui étaient passés dans ses voitures. Mais aussi à tous les voyages qu'il avait fait. Angelo était allé dans de nombreux pays, et maintenant, le voilà en France. À cause de ses affaires, il allait passer Noël à Paris, sûrement à une réception, ou alors tout seul chez lui. Il n'avait jamais aimé Noël, c'était une fête ridicule mais bonne pour les affaires.

Angelo avait envie de dormir. Sa journée avait été chargée, et il avait encore un rendez-vous chez un ami, ou plutôt quelqu'un qui se considérait comme tel. Bah, il n'allait pas s'en plaindre, c'était toujours une table où il pouvait dîner tranquille sans rien payer.

« Putain de merde ! »

Angelo sursauta. Soudain, la voiture sembla percuter quelque chose. Il fut propulser vers l'avant, tout comme le chauffeur. Les yeux écarquillés et le cœur battant, l'italien sentait la ceinture qui lui serrait le torse, conscient qu'il venait de manquer de se prendre le siège avant en pleine tête. Le chauffeur, à moitié étouffé par l'airbag, jurait de plus belle. Sans réfléchir, Angelo retira sa ceinture et sortit de la voiture.

Toujours sonné, l'ancien chevalier se tint à la voiture pour marcher. Tous les regards étaient tournés vers la voiture, un attroupement ne tarda pas à se former autour d'eux. Ignorant les cris de panique, Angelo avançait. Ses yeux rencontrèrent un corps ensanglanté projeté plus loin. Inerte. Sur le goudron de la route.

Angelo, comme dans un état second, s'avança encore, ignorant les cris du chauffeur qui ne savait plus ou se mettre ni que faire. La surprise se lut sur le visage blanc de l'homme d'affaire, quand il vit le visage de la victime. Les souvenirs explosèrent. Deux larmes coulèrent sur ses joues. Camus était allongé sur le sol.

Il parait que, quoi qu'on fasse, le passé nous rattrape toujours. À un moment ou à un autre.

OoO

« S'en remettra-t-il ?

- Il y a de fortes chances ! Nous devons le garder un moment chez nous, mais…

- Monsieur ! Nous devons y aller, nous allons être en retard ! »

Angelo soupira et jeta un regard froid à son chauffeur qui frissonna de peur. Décidément, il allait devoir changer d'employé, celui-là commençait à lui chauffer les oreilles. Oui, il le savait bien, il avait un rendez-vous, mais il ne pouvait décemment pas y aller avec l'autre sur la table d'opération.

L'homme d'affaires avait été choqué de voir le visage de Camus, ce jeune homme qu'il n'avait pas vu depuis si longtemps. Il n'avait jamais été particulièrement en bons termes avec lui. Pas de disputes entre eux, mais pas de conversations non plus. Ils n'avaient pas d'affinités, contrairement avec Shura. Pourtant, en le voyant allongé sur la route, le corps brisé et ensanglanté, Masque de Mort avait été choqué. Pas seulement à cause de son visage. Mais surtout par ses vêtements qui cachaient si peu son corps. Camus était habillé en pute.

Si on lui avait dit qu'un jour le fier et froid chevalier du Verseau serait réduit à jouer la catin pour gagner sa vie, il n'y aurait jamais cru. Et pourtant, le fait était là. Il avait même du rouge à lèvre. Écœurant. Alors que les pompiers arrivaient, Angelo n'avait même pas songé à être moqueur. Il avait eu pitié. Et même mal. Là où il avait réussi, Camus avait échoué. Il n'avait pas eu de chance. Pas du tout.

Le chauffeur n'était nullement responsable de l'accident. Les témoins avaient affirmés que le jeune homme s'était jeté devant le véhicule, Morris n'avait pu l'éviter. Pourtant, Angelo lui avait ordonné de le mener à l'hôpital, où il avait attendu dans la salle d'attente une bonne heure, avant qu'un médecin vienne le voir. Son chauffeur, pleins de remords, ne perdait pourtant pas le nord et n'avait en tête que ce foutu rendez-vous.

« Est-ce qu'il se droguait ?

- Je ne pense pas, il n'y aucune trace de piqûres, mais nous allons faire des analyses, si vous voulez. Cependant…

- Oui ?

- La police a interrogé ses connaissances, nous connaissons donc son nom, mais il… il n'a aucuns papiers, et… »

Évidemment, pensa Angelo. Lui non plus n'en avait pas, avant d'être embauché par Don Andreo. Camus, réduit à faire le trottoir, n'en avait pas non plus, mais Masque de Mort était étonné qu'il ait vécu si longtemps sans en avoir. Il ne devait pas être le seul « immigré », il s'était arrangé avec les autres. Quelle vie de merde.

Angelo, dans le fond, s'en foutait un peu du Verseau, qu'il n'avait jamais vraiment apprécié. Pourtant, il ne pouvait le laisser ainsi. Pas après ce qu'il avait vu. Il avait été plus traumatisé par la vue du corps de Camus qu'il ne l'avait cru. Non, il lui était impossible de laisser le français vivre son ancienne vie de catin. Il allait dépenser de l'argent pour le sortir de là. Il l'accueillerait chez lui. Camus serait obligé d'accepter. Et comme ça, ça lui ferait un peu de compagnie.

Ses pensées étaient floues, le Cancer ne savait pas exactement pourquoi il pensait à ça. Mais une chose était sûre, il ne laisserait pas cet imbécile crever sur le trottoir.

« Nous pouvons soigner ce jeune homme, mais…

- Ça pourrait vous poser pas mal de problème, puisqu'il n'a pas de papiers ni d'argent pour payer les frais.

- Vous avez compris. »

Le médecin semblait torturé à l'idée d'abandonner ainsi un de ses malades, mais il avait la police sur le dos. On ne savait rien de ce prostitué qui avait tenté de se suicider, mais en vain. Le médecin aurait presque souhaité qu'il en meure, à cause des possibles séquelles et la souffrance qu'il allait subir.

« Faites le maximum. Je le prends en charge.

- Pardon ?

- Je prends en charge tous ses frais. Appelez ma secrétaire, elle réglera tout ça. »

Angelo prit un prospectus, attrapa son stylo et griffonna le numéro de la jeune femme. Le médecin, les yeux brillants de joie, était heureux à cette perspective, mais il s'assombrit, en pensant que son patient n'avait pas de papiers, et que cet homme pouvait abuser de lui. Semblant lire dans ses pensées, Angelo s'expliqua.

« Je connais cet homme. Il s'appelle Camus, n'est-ce pas ? J'ignore ce qui lui est arrivé pour qu'il en arrive là, mais je me dois de l'aider. Nous travaillions pour la même cause, autrefois. »

Le médecin attrapa le papier et sembla accepter ces explications, mais il préférait attendre le réveil de son patient pour être sûr des propos de cet homme trop élégant qui puait le fric. Il fut tout de même étonné de ne pas le voir sourire, ni se moquer. Il semblait juste un peu préoccupé, mais sans plus. Le médecin ne chercha pas plus loin, pour le moment, et s'informa pour les papiers. L'homme d'affaire lui assura qu'il s'occuperait de ça plus tard.

Ces affaires étant réglées, Angelo daigna enfin s'intéresser à Morris, qui buvait son café à petites gorgées, regardant sa montre toutes les dix secondes. Exaspéré, l'ancien chevalier s'avança vers lui, ce qui sembla rassurer le chauffeur, ils allaient pouvoir y aller. Le voyant déjà lui bassiner les oreilles parce qu'ils étaient très en retard à son rendez-vous, Angelo le devança.

« On rentre. J'appellerai pour annuler. »

Le chauffeur voulut protester, mais Angelo se dirigeait déjà vers la sortie de l'hôpital pour regagner sa voiture. Une belle Mercedes gris métallisé. Il entendait déjà sa secrétaire lui reprocher de lui donner trop de travail et qu'elle n'était pas sa boniche, comme il avait tendance à le croire. Cette garce-là, par contre, il ne l'échangerait pour rien au monde.

OoO

Un bruit régulier revenait. Toujours le même, stressant, bref, répétitif. Ce brui le gênait. Il aurait voulu tendre la main et l'arrêter pour qu'il arrête de l'embêter. Mais son corps ne voulait pas bouger, et lui-même n'avait pas la force de le faire. Il entendait vaguement des voix autour de lui. Des voix qu'il ne connaissait pas. Cela ne l'angoissa pas, ça lui arrivait souvent. Mais en général, on le touchait pour le réveiller. Mais, là, on ne le faisait pas. Et il n'arrivait plus à bouger. Il était étonné.

Lentement, il ouvrit les yeux. Il avait déjà envie de les refermer. Les voix se firent plus fortes, on se pressa autour de lui. Il ne comprit pas pourquoi. Et il ne chercha même pas. Il était fatigué. Il avait envie de dormir. Soudain, on cria. Une voix claire de femme qui hurlait presque. Il ne comprit pas ce qu'elle disait. Mais il la remercia intérieurement. Pour se rendormir.

OoO

Angelo enfila sa montre argentée au poignet, puis se regarda dans la glace pour nouer sa cravate sombre.

« Programme d'aujourd'hui ?

- Regarde sur la feuille.

- Tu sais que je pourrais te renvoyer ?

- Nan, t'oserais pas. Te connais assez. Bon, tu te dépêches, oui ?

- Pourquoi, t'es pressée ?

- Moi, non, mais toi, oui ! Morris va nous faire une crise de nerfs, t'es en retard.

- Ça fait quelques jours qu'il est comme ça.

- Depuis l'accident, en fait.

- Comment va Camus ? »

Masque de Mort cessa de se regarder dans la glace et se tourna vers sa secrétaire. C'était une jolie femme aux jolies formes. Ses cheveux plutôt longs et bruns étaient rassemblés en chignon. Comme d'habitude, elle était bien habillée, et son tailleur bleu foncé lui allait bien.

Bien que séduisante, Angelo n'avait jamais envisagé d'avoir une relation avec elle. En fait, il la considérait un peu comme une amie. C'était la seule personne en qui il avait vraiment confiance, jamais elle ne le trahirait. Il l'avait embauchée au tout début de sa carrière, et il ne l'avait jamais regretté, malgré son mauvais caractère, par moments. Mais il devait avouer que le sien n'était guère mieux, et qu'elle était même trop gentille avec lui. Il s'était déjà mis dans des situations périlleuses, elle te l'avait engueulé comme personne ne l'avait fait jusque là. Mais bon, c'était sa chieuse à lui, on n'y touche pas.

« Il va pas trop mal. Il s'est réveillé, hier.

- Et les papiers ?

- Ça devrait vite s'arranger ! Mais il me faut des infos que seul lui peur me donner !

- Comme ?

- Angelo, si tu regardes ta montre, tu verras que tu as vingt minutes de retard sur l'horaire convenu et que, si nous avons de la chance, notre chauffeur adoré ne s'est pas encore pendu avec sa cravate.

- Ok, j'ai compris, j'y vais.

- T'aimes embêter Morris, pas vrai ?

- C'est si facile à voir ? »

Avec un sourire ironique, Angelo attrapa sa chemise et sortit de son appartement, suivi par sa secrétaire qui ferma la porte à clé alors qu'il appelait l'ascenseur. Ils y rentrèrent tous les deux, et ne se quittèrent qu'à l'entrée. Angelo partit dans sa voiture, Morris démarra brusquement et partit ventre à terre. Il allait bien provoquer un accident, à rouler à cette allure.

La secrétaire prit sa propre voiture et, ayant sa matinée de libre, partit à l'hôpital pour voir ce mystérieux jeune homme que son patron avait gentiment pris sous son aile. Elle avait été stupéfaite en apprenant cette nouvelle. Ce n'était pas du tout le genre d'Angelo. Tel qu'elle le connaissait, il aurait laissé un peu d'argent pour les soins, mais il n'aurait pas désiré faire des démarches pour donner des papiers à cet homme. Un prostitué, en plus… Elle n'avait rien contre eux, mais on ne pouvait pas dire que son patron soit très porté sur cette catégorie de personne.

Après une petite explication avec Angelo, qui s'était terminé en dispute d'ailleurs, elle avait réussi à lui arracher les vers du nez. Ce Camus était une de ses connaissances, et il n'avait pu le laisser dans cet état là à l'hôpital et l'abandonner aux autorités. Bien sûr, la jeune femme n'avait aucun doute sur le fait que son patron « taquinerait » son nouveau protégé. Au tout début, Angelo la traitait comme son chien, jusqu'à ce qu'elle lui fasse comprendre qu'elle méritait un peu de respect. Un coup de dents dans le bras, ça ne fait de mal à personne. Ç'allait être du joli avec ce gars-là.

Enfin, elle avait fait ce qu'il fallait. Elle trouvait ce garçon plutôt joli, et étant donné qu'elle allait l'avoir à la maison pour un petit bout de temps, autant faire vite connaissance. Car en plus d'être secrétaire, et taxi à ses heures, la jeune femme mettait de l'ordre dans la chambre de son patron, qui détestait avoir quelqu'un pour nettoyer son chez-lui. Il n'aimait pas qu'on touche à ses affaires. Sa secrétaire était la seule à en avoir le droit, il avait renvoyé les femmes de ménage de l'hôtel. Ou plutôt, disons qu'il n'avait pas eu le choix, elle avait fait prit de force un double des clés pour faire un tour de temps en temps dans l'appartement de ce célibataire endurci.

Ils se connaissaient bien, ça faisait près d'un an qu'ils travaillaient ensemble, et ils n'avaient plus aucun secret d'un pour l'autre. Elle devait reconnaître qu'Angelo Médicis était un homme dangereux et près à tout pour ses profits, mais pourtant, elle ne l'avait jamais craint. Peut-être parce qu'il avait vite compris qu'elle ne le trahirait jamais. Peut-être parce qu'elle connaissait sa face cachée. Et puis, ils étaient cancers tous les deux, c'était peut-être un signe.

L'hôpital était en vue. La secrétaire se gara dans le parking déjà encombré, puis rentra dans l'établissement, et monta dans les étages à la recherche de la chambre de Camus, qu'elle trouva sans difficultés. Elle toqua, puis entra dans la pièce.

Camus était réveillé. Allongé sur le lit, il semblait incapable de bouger, et en un sens, ce n'était pas faux. Son corps était bandé, des fils partaient de certains endroits, deux tubes s'échappaient de ces narines. Il était mal en point. Son visage était pâle, mais pourtant, il gardait une certaine beauté, avec ses traits fins mais sévères, et sa longue chevelure océan qui encadraient sa figure.

Il tourna lentement la tête vers sa visiteuse qu'il ne reconnut pas. Il se rendormait quand elle était entrée dans la pièce, la veille. Elle lui fit un sourire, auquel il ne répondit pas. Il était fatigué et ne la connaissait pas. La secrétaire s'avança vers lui et s'assit sur une chaise près du lit. Il la détailla des yeux, la trouvant très élégante. Qu'est-ce qu'une femme comme ça venait faire ici ?

« Bonjour. Je m'appelle Aurélia Ferraris.

- Bonjour.

- Vous vous appelez Camus, n'est-ce pas ? Je peux vous appeler par votre prénom ?

- Bien sûr.

- Vous a-t-on parlé de votre accident ?

- Très peu.

- Vous avez mal à la gorge, n'est-ce pas ?

- Oui, j'ai une gêne. »

Elle se dit qu'avoir un tube qui vous traverse la gorge n'était pas ce qu'il y avait de plus agréable. On avait changé pour des tubes dans le nez, ce n'était guère mieux. Enfin, elle n'allait pas critiquer les médecins, elle n'était pas là pour ça.

Rapidement, elle lui résuma l'affaire. C'était la voiture de M. Médicis qu'il avait percutée. Elle fut étonnée que Camus ne réagisse pas à ce nom, et pas plus à son prénom. Peut-être que son patron s'était joué d'elle une fois encore, car elle voyait bien que Camus ne savait pas de qui elle parlait. Elle lui décrit rapidement le personnage, et il ouvrit de grands yeux en criant presque « Masque de Mort », ce qui irrita la jeune femme. Le français s'excusa, c'était sortit tout seul.

Ce surnom intrigua Aurélia, qui ne put tirer grand-chose de Camus. La vie passée de son patron l'avait toujours intéressée, mais il n'en parlait jamais, répliquant qu'elle était banale. Mais quand on porte un surnom pareil au point que personne ne sache son vrai nom, on ne pouvait pas dire que c'était commun. Mais le français se taisait, elle se promit d'en parler plus tard.

La secrétaire lui expliqua qu'on allait lui faire des papiers pour qu'il puisse vivre en France, et que, dorénavant, Angelo le prenait sous son aile, ce qui stupéfia Camus, qui demanda si on parlait du même homme. En quittant la chambre d'hôpital, après s'être fait jetée dehors pas les médecins, Aurélia se jura de demander des explications sérieuses à son patron. D'ailleurs, si cet imbécile n'était pas en réunion, elle l'aurait bien appelé !

« Mais je vais l'appeler ! »

Avec un sourire conspirateur, Aurélia sortit son portable de son sac à main et composa le numéro. Elle attendit. Un petit moment. On ne répondit pas. Elle recomposa le numéro. Sonnerie. Messagerie. À nouveau, elle composa le numéro. Bip. Bip. Bip. Et puis…

« Merde, qu'est-ce qui t'arrive ?

- Ah bah enfin !

- Ça va pas de m'appeler maintenant ?

- Ils ont pas aimé la sonnerie de ton portable ?

- Accouche !

- Suis pas enceinte.

- Joue pas avec les mots ! Qu'est-ce qui t'arrive ?

- Y'a Camus qui comprend pas comment un type comme toi peut l'aider. Et c'est quoi ce surnom de « Masque de Mort » ? »

Il y eut un silence à l'autre bout de la ligne. La secrétaire s'impatientait.

« Je ne veux pas en parler. On se voit plus tard. »

Il raccrocha.

OoO

Ça faisait maintenant trois jours que Camus était à l'hôpital. Étrangement, le français était serein, alors qu'il n'avait pas vraiment de raisons de l'être. Pourtant, dans cette petite chambre ou une infirmière allait et venait de temps à autre, avec des repas équilibrés le matin, le midi et le soir, sans l'angoisse du futur clients à qui se donner, Camus se sentait bien. Presque à l'abris. Et c'était à Masque de Mort qu'il le devait.

Si quelqu'un lui avait dit qu'un jour cet homme le sauverait de la misère, il ne l'aurait pas cru. Car, oui, Masque de Mort, ou plutôt Angelo Médicis, l'avait sauvé en payant ses soins et en faisant des démarches pour lui faire des papiers. Bon, certes, c'était sa secrétaire qui avait tout fait, lui rendant visite tous les jours, mais c'était sous les ordres du Cancer. Cancer à qui il devait la vie. Ce qui ne l'enchantait pas des masses.

Il se doutait que, pour avoir fait de ce genre de chose, qui n'était pas trop dans ses habitudes, Camus allait en subir les conséquences. Et il ne pourrait pas trop protester, pas après ce qu'il avait vécu auparavant. Une vie de merde. Où il avait été traité comme tel. Mais il ne préférait pas y penser. Il avait honte de ce qu'il était, pire encore, il avait honte de l'image qu'il avait donnée de lui au Cancer. Le chevalier du Verseau était tombé de haut. C'était pourtant pas faute d'avoir essayé de se hisser un peu plus haut. Il n'avait pas eu la chance du Cancer.

D'ailleurs, il ne l'avait toujours pas vu, cet oiseau-là. Apparemment, il était trop occupé. Aurélia semblait être en colère contre lui, il l'évitait. Elle le questionna beaucoup à propos de leur passé, mais il ne lui révéla rien, s'obstinant à se taire. Il ne pouvait pas lui dire qu'ils avaient été des chevaliers capables de se déplacer à la vitesse de la lumière, tout de même. Et c'était afin d'éviter ce genre d'explication que le Cancer l'évitait comme la peste, enchaînant les rendez-vous et les dîners, raccrochant au téléphone quand elle arrivait au sujet sensible.

Camus demanda quelques informations à la secrétaire qu'il appréciait déjà. Apparemment, Angelo était un homme d'affaire très riche, le mot était faible, que beaucoup craignaient pour son sens des affaires, mais surtout car il était capable de beaucoup de choses, plus ou moins dangereuses. Et Aurélia était toujours là pour l'aider, car en plus d'être secrétaire, elle jouait à l'avocate, connaissant le droit comme sa poche. Elle lui raconta certaines affaires, notamment celle de Don Andreo.

Le français n'était pas vraiment étonné, c'était tout à fait le genre de Masque de Mort, en fait. Ce n'était pas quelqu'un de trouillard, et avec son intelligence, il ne pouvait faire qu'un excellent homme d'affaires. Alors que lui, Camus, était devenu une catin. Il n'avait pas eu le choix. Mais c'était déshonorant. Son corps était sale, et il le serait toujours.

On toqua à la porte qui s'ouvrit sans qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit. Surpris, il vit Masque de Mort entrer dans la petite chambre d'hôpital, élégamment vêtu d'un costume taillé sur mesure d'un bleu sombre. Ce n'était plus vraiment Masque de Mort qu'il avait devant lui, malgré ses yeux perçant et son petit sourire en coin. Et lui non plus, il n'était plus vraiment Camus, malgré ses yeux froid et son visage neutre. Deux anciens chevaliers. Deux rescapés.

Masque de Mort s'avança et s'assit sur la chaise, la même où sa secrétaire prenait place à chaque fois qu'elle venait lui rendre visite.

« Alors, Camus, comment tu te sens ?

- Pas trop mal.

- J'aurais voulu venir plus tôt, mais je voulais pas voir l'autre excitée et je suis pris tous les après-midi.

- C'est pas grave. Merci pour ce que tu as fait.

- Oh, tu me remercies ? »

Il lui fit un sourire ironique. Camus voulut soupirer, exaspéré. Il lisait dans ses yeux comme dans un livre ouvert. Oui, il était à sa merci, il en avait conscience. Mais Camus ne voulait pas penser à ça, pas maintenant.

Masque de Mort détaillait Camus, qui fut gêné par ses yeux scrutateurs, qui n'avaient pourtant rien de méchant. Les bras de Camus étaient bandés, tout comme son torse et sa tête. Il était maigre et pâle. Rien à voir avec celui qu'il avait connu. Il le revit sur la route goudronnée, les jambes nues, des chaussures abîmées, un petit short en jean, un haut à moitié déchiré, des gants en résille. Un clope que ses lèvres avaient lâché. Un peu de maquillages sur son visage.

« Pourquoi tu t'as voulu mourir ?

- Question bête.

- Tu te drogues ?

- T'es fou ?

- Tu me rassures.

- Tu es inquiet pour moi ? »

Masque de Mort lui jeta un regard noir, Camus s'autorisa un sourire ironique. C'était son tour. Oui, Camus le remerciait. Oui, Masque de Mort était inquiet. C'était comme ça. Y'avait pas d'explications.

Un silence tendu suivi ces quelques mots. Ce fut Camus qui le brisa.

« Que veux-tu de moi ?

- Rien.

- Alors pourquoi m'aides-tu ?

- J'en sais rien. Je dois t'aider, c'est tout.

- T'es pas obligé.

- Tu m'en veux de t'aider ?

- Je ne te comprends pas.

- Essaie pas de comprendre. Pour l'instant, je ne te demande rien. Guéris vite, c'est tout. On verra plus tard. »

Camus acquiesça. Masque de Mort n'était pas assez salaud pour profiter de lui. Malgré ce qu'il avait fait dans le passé. Tout avait changé.

OoO

Il était minuit passé. Pourtant, la lumière était toujours allumée dans la spacieuse chambre du quatrième étage. Plus particulièrement dans le salon, où Angelo travaillait, assis devant sa table basse de verre, portant toujours ses vêtements de la journée. Sa chemise était ouverte, il avait un peu chaud, et l'idée d'ouvrir un peu une fenêtre ne lui était même pas venue.

Penché sur ses papiers éparpilles sur la table, Angelo essayait de les comprendre, mais il était tard, et il avait un peu de mal à se concentrer. Il eut l'idée d'aller se coucher, mais il n'en avait pas envie. Bien qu'il sache qu'il devrait se lever à sept heures le lendemain matin. En fait, on était déjà le lendemain.

L'homme d'affaires soupira et se pencha en arrière, touchant avec son dos le canapé de cuir crème. Il ferma les yeux, cédant à ses préoccupations.

Il se savait vu comme un homme machiavélique, et il était fier de sa réputation. À bien y réfléchir, il n'avait pas vraiment de but dans la vie, et tout l'argent qu'il amassait, il ne lui servait à rien, puisqu'il n'avait ni femme ni enfant, ni maîtresse ni amant. En fait, il n'avait rien. Il pouvait presque dire que son travail était un passe-temps. Un moyen de passer sa vie sans trop s'ennuyer, et sans manquer de rien. Même s'il savait que quelque chose lui manquait. Il avait un vide, mais ignorait comment le combler. C'est pas comme s'il cherchait, aussi.

Ses pensées dérivèrent, Angelo pensa à sa journée lassante et à un jeune homme particulier qui devait dormir à cette heure-là. Dans le fond, Masque de Mort était content de l'avoir vu, il ne regrettait pas sa visite du matin. Par chance, il n'était pas tombé sur sa secrétaire qui le harcelait presque par téléphone pour en savoir plus sur son passé. Il savait bien qu'il ne pourrait pas le lui cacher bien longtemps, mais pourtant, il n'arrivait pas à se décider. Angelo la connaissait assez pour savoir qu'elle ne se moquerait pas de lui, mais quelle serait sa réaction ?

Ce n'était même pas ça qui l'ennuyait. Le fait de parler, de se confier à quelqu'un le gênait. Il avait l'impression de passer pour un faible, et de toute façon, il n'avait pas besoin de vider son sac. Il demeurait sur son cœur et ne quitterait sans doute jamais sa poitrine. Masque de Mort ne s'en plaignait pas, il avait appris à vivre avec, et ce n'était pas ses regrets qui allaient lui pourrir la vie. Elle l'était déjà, pas besoin d'en rajouter.

L'homme d'affaire songea qu'il n'allait pas pouvoir fuir longtemps la petite Aurélia qui allait bien réussir à mettre la main sur lui. Mais il ne préférait ne pas y penser. Angelo revoyait Camus, malade dans son lit, avec ses bandages. Il n'avait plus de tube dans la bouche, c'était qu'il allait mieux. Il allait vite guérir, et bientôt, il viendrait vivre. Ç'allait lui faire un peu de compagnie. L'idée que le Verseau vienne vivre dans son appartement lui faisait bizarre, mais ce n'était pas aussi désagréable qu'il l'aurait pensé. Et puis, de toute façon, il n'allait pas le voir beaucoup.

Le téléphone sonna. Angelo grogna, énervé qu'on l'appelle à une heure pareille. Et s'il dormait, hein ? Il ne voulut pas décrocher. Puis, il se dit qu'une seule personne pouvait l'appeler à une heure pareille, en sachant qu'il serait réveillé pour répondre. Et si elle faisait sonner le téléphone à cette heure-là, c'était qu'elle avait quelque chose d'important à lui dire. Malgré lui, Angelo se leva et attrapa son téléphone.

« Ouais, allô ?

- Angelo, c'est Aurélia.

- Oui, j'avais deviné. Qu'est-ce que tu me veux ?

- Écoute… Je suis passée dans la soirée à l'hôpital, et…

- Il se passe quelque chose de grave ? Aurélia !

- Camus a les jambes paralysées, il ne pourra sans doute plus marcher. »

C'est comme si un poignard venait de s'enfoncer dans son cœur. Long et aiguisé, le poignard. Qui s'enfonce profondément. Angelo voulait parler, dire quelque chose, mais il était sans voix.

« Je ne pouvais pas attendre demain pour te le dire… Camus n'est pas bien, tu sais… J'ai cru qu'il allait pleurer… »

Dans sa petite chambre blanche puant le médicament, Angelo le voyait avec son visage pâle et fatigué, des larmes coulant le long de ses joues. Camus était maintenant incapable d'utiliser ses jambes. Il était vraiment tombé bien bas. Malgré lui, blessé de savoir son ancien compagnon d'arme ainsi déchu, Masque de Mort pensa qu'il aurait mieux fait de mourir. Et il était certain que, là-bas, le Verseau devait penser de même.

À l'autre bout du fil, la secrétaire, assise dans son fauteuil, écoutait le silence angoissant du combiné. Angelo semblait choqué par la nouvelle, et elle-même en avait été très attristée. Les médecins n'avaient pas osé le leur avouer, Camus avait donc espéré sortir indemne de l'hôpital. Aurélia avait crié à la place de Camus qui se retenait de pleurer de rage et de tristesse.

« Angelo… On ne change rien, n'est-ce pas ? »

C'était sa plus grande peur. Que son patron l'abandonne à cause de nouvel handicap.

« Non. J'irai le voir demain. Rien de change.

- Merci… Mais il va falloir embaucher quelqu'un pour s'occuper de lui, il ne pourra pas se débrouiller tout seul. Tu sais, il guérit à une vitesse fulgurante, les médecins n'ont jamais vu ça. Mais malgré tout… Il reste handicapé…

- T'as quelqu'un à me proposer, je suppose ?

- Oui, j'ai discuté avec une de mes amies, et elle est d'accord pour s'occuper de lui. Elle n'est pas infirmière, mais je suis sûre qu'elle saura s'en sortir.

- Elle travaille pas ?

- Elle est écrivain.

- Ok. Amène-la moi demain matin, à sept heures et demi. Quand Camus pourra sortir de l'hôpital ?

- Si on insiste, il pourra sortir dans deux ou trois jours. Il s'est vraiment bien remis, tu verrais ça !

- D'accord.

- À demain !

- Ouais, à demain. »

Angelo raccrocha. Son cœur battait vite dans sa poitrine. Cette nouvelle le touchait plus qu'il ne l'aurait cru, il était presque triste pour le français. Décidément, il n'avait vraiment pas de chance. Le voilà réduit à vivre en fauteuil roulant. Et Angelo était obligé d'embaucher une aide… Ça allait être joli chez lui, maintenant. Un ancien chevalier froid comme s'était pas permis et handicapé de surcroît avec une nana aussi louche que sa secrétaire pour l'aider à se déplacer. Il ne le sentait pas trop, ce coup-là.

Enfin, ce n'était pas comme s'il avait le choix. Il avait décidé de prendre Camus chez lui, le Cancer n'allait pas revenir sur sa décision. Ce n'était même pas une question de principe. Aussi étrange que cela lui puisse paraître, il voulait que le français vienne chez lui. Il voulait qu'il vive dans son appartement, loin de ces rues de débauchés, à l'abri de ces regards qui le dévoraient vivant.

C'était bizarre.

OoO

« Nan, franchement, je ne le sens pas du tout.

- Ne t'inquiète pas comme ça, il ne va pas te manger.

- Si, on dirait un requin, avec son sourire en coin ! Dans quoi tu m'as embarquée, encore ?

- Ne te plains pas, tu ne peux rien me refuser.

- Profiteuse ! »

Les deux jeunes femmes se sourirent. Aurélia était amusée par l'angoisse de son amie qui se demandait sérieusement ce qu'elle faisait dans cette jolie voiture. Ce gars pour qui Aurélia travaillait lui avait toujours foutu les jetons, mais connaissant son amie, cette dernière ne devait être nullement impressionné par ce grand italien riche comme Crésus.

Elles arrivèrent bientôt devant l'immeuble où vivait M. Médicis. Enfin, plutôt devant le bel hôtel où il séjournait actuellement, avec vue sur la Tour Eiffel… La secrétaire ne put retenir un petit rire en voyant la mine stupéfaite de la future infirmière. Elle se dit que ça n'allait pas être évident pour elle, mais elle s'en sortirait. Ce n'était pas vraiment Camus qui posait un problème, c'était surtout son foutu patron qui allait bien la taquiner. D'ailleurs, à ce propos…

« Au fait ! Si jamais il te taquine trop, n'hésite pas à m'appeler.

- D'accord. »

Cela ne la rassura pas tant que ça, elle se doutait bien que le Patron allait l'embêter. Elles rentrèrent dans l'hôtel. Des gens les regardèrent, ce qui gêna beaucoup l'écrivain. Elle avait horreur qu'on la regarde avec insistance, mais ce n'était pas de sa faute si elle n'était pas habillée aussi chic que la secrétaire. Les tailleurs, pas trop pour elle, non merci.

Elles prirent l'ascenseur. Aurélia vit son amie tourner la tête vers un des murs pour cacher son sourire. La secrétaire voulut lui dire que, oui, dans certains hôtels, il y avait des gens dans les ascenseurs qui les accueillaient et les accompagnaient pendant ce si long trajet. Aurélia trouvait cela un peu ridicule, mais après tout, pourquoi pas, si ça faisait plaisir aux riches.

Les deux jeunes femmes sortirent de l'ascenseur et tapèrent à la porte de la chambre d'Angelo, qui les autorisa à ouvrir. Les deux filles entrèrent, l'italien était près à sortir, impeccablement habillé. Dès son arrivée, il détailla sa nouvelle infirmière, qui rougit de gêne.

Il fut très étonné, même s'il ne le montra pas. Contrairement à sa secrétaire qui était toujours en tailleur, impeccablement habillée, celle-là était bien moins féminine. Comme son amie, elle était toute en noire, mais portait un jean, une veste avec un tee-shirt en dessous et des bottines. Elle semblait avoir pensé aux anneaux des oreilles, mais pas du tout au maquillage qui était inexistant. Ses cheveux blonds tombaient dans son dos, deux mèches reposaient de chaque côté de sa poitrine. Cette fille avait un visage rond, un peu enfantin, mais elle avait des jolis yeux bleus. Cette gamine n'était pas trop mal, mais rien à voir à côté d'Aurélia, c'était le jour et la nuit.

« Je te présente Ludivine. Comme je te l'ai dit, elle est écrivain. Ludivine, je te présente mon patron, Angelo Médicis.

- Bonjours, Monsieur.

- Enchanté. Comment tu l'as trouvée, cette nana ?

- Internet, tu connais ?

- Ouais, un peu.

- Dites tout de suite que je suis à vomir.

- Je n'irai pas jusque là.

- Bon, elle te plait ou pas ?

- Ouais, ça va.

- Parfait. Allons voir Camus, maintenant ! »

Sur ces mots, elle attrapa Ludivine et s'apprêta à sortir, mais elle tourna les talons et regarda son patron qui les comparait toutes les deux, toujours aussi étonné de leur différence. Aurélia était brune et élégante, Ludivine blonde et décontractée.

« Demande un double des clés pour elle, tu seras gentil ! »

Et sur ces mots, elle sortit de la pièce.

OoO

Il neigeait. À travers la fenêtre, là-bas, il la voyait tomber lentement, avec paresse. Il n'y en avait pas encore assez pour qu'elle puisse s'amonceler sur les trottoirs, mais pourtant, il était content. La neige l'avait toujours fasciné, il adorait ça. C'était l'une des rares choses qu'il chérissait. Son esprit dérivait vers les lointains paysages de Sibérie, son pays, celui dans lequel il avait grandi. Un endroit si froid, mais si beau…

On toqua à la porte, l'arrachant à ses douces pensées. Une infirmière entra et déposa son repas sur ses genoux, lui posa quelques questions, auxquelles il ne répondit pas, puis elle partit sans un mot de plus. Camus ferma les yeux, fatigué. Aussi bien mentalement que physiquement. Ses yeux tombèrent sur le siège roulant posé dans un coin de la pièce. Cette chose l'écœurait.

Il regarda son assiette, où était posé un steak haché avec des haricots verts. Ces légumes lui donnaient la nausée. Il attrapa ses couverts et mangea sa viande, puis son yaourt, sans même toucher aux haricots qu'il n'avait jamais pu avaler sans avoir envie de vomir. Il avait encore un peu faim, mais il l'ignora. Il était habitué.

Camus sentait qu'il avait vraiment touché le fond. Et, étrangement, cette idée ne l'angoissait pas. Il était juste blessé et peu soucieux du futur. Moins qu'avant encore. Il n'avait plus de jambes. Ce n'était que deux morceaux de chair molle et inutiles qui serraient plus un handicap qu'autre chose. Masque de Mort allait le garder, il le lui avait promit la veille, quand il était passé le voir un peu avant la fin des visites, avant d'aller à un dîner. Il avait été rassuré, mais dans le fond, sans plus. Car il ne savait pas combien de temps ç'allait durer.

Il avait eu une autre visite, aussi. Tôt le matin, la secrétaire et une de ses amies, celle qui allait s'occuper de lui quand il sortirait de l'hôpital, étaient venues. Camus avait été un peu étonné de la différence frappant entre les deux jeunes femmes, mais il s'en fichait un peu, car la blonde n'était pas désagréable. Elle était restée un peu, puis elle était partie, pour revenir dans l'après-midi. Ils avaient parlé un peu, sans plus. Mais c'était agréable.

La seule réjouissance de Camus était le fait que, pendant un moment, personne ne le toucherait. Combien de temps ? Il ne préférait pas y penser. Ne pas penser au futur. À ce qui pourrait arriver.

À nouveau, quelqu'un frappa à la porte. C'était encore l'infirmière, qui prit le plateau, tout en pestant car il ne voulait pas manger ses légumes. Une blonde entra à son tour, Camus la reconnut. Elle s'appelait Ludivine, il se rappelait de son prénom peu commun. Elle semblait cacher quelque chose derrière son dos et elle attendit que l'infirmière parte pour fermer la porte et lui montrer avec un sourire une petite boite de gâteaux. Camus ne cacha pas sa surprise.

« Toi non plus, t'aimes pas les haricots verts ? On est deux ! T'aimes les fraises, au moins ? »

Camus acquiesça lentement de la tête, alors que la blonde s'asseyait sur la chaise et ouvrait la boite de gâteau. Elle prit un macaron à la pistache et donna le carton au français, qui découvrit avec bonheur une tartelette à la fraise.

« Merci, c'est gentil.

- Y'a pas de quoi ! Je savais pas quoi te prendre. Bon appétit ! »

Et elle mordit dans sa pâtisserie. Amusé, un léger sourire sur les lèvres, Camus dégusta son gâteau. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas mangé quelque chose d'aussi bon, il ne se rappelait même plus le goût des fraises. Il en avait presque les larmes aux yeux. Si un jour il avait pensé qu'il n'aurait même plus les moyens de s'acheter ce genre de gâteau…

Ludivine, tout en mangeant son macaron, se leva et se dirigea vers la fenêtre. Elle regarda vaguement la neige tomber. Elle finit sa pâtisserie et se tourna vers le français qui en avait à peine mangé la moitié, savourant la tartelette. Il lui retourna faiblement son sourire, alors qu'elle venait reprendre sa place. Elle attrapa sa serviette en papier et s'essuya les mains.

« Tu sais, tes papiers sont presque réglés. Et puis on a déménagé le Patron pour que t'ais un lit pour toi tout seul. Il était pas très content, mais t'aurais vu Aurélia le remettre à sa place ! J'étais morte de rire.

- Et toi, comment ça va se passer ?

- Je viendrai le matin vers neuf heures, neuf heures et demie et je te laisserai vers vingt heures, vingt-et-une heure. Ça te va ?

- Mais tu ne vas pas passer toutes tes journées avec moi ?

- T'inquiète pas ! On va se promener un peu…

- Je suis handicapé.

- Ça ne va pas m'empêcher d'aller me balader. Et puis je trouverai bien de quoi m'occuper dans la journée. Je suis écrivain et j'adore lire. Dans ces conditions-là, on ne peut que trouver une occupation.

- Mais tu n'as pas une vie, une famille ?

- Je suis célibataire. Dis-le tout de suite si je t'ennuie.

- Ce n'est pas ça, mais tu vas te lasser avec moi.

- C'est toi qui vas vite te lasse de moi. »

Ludivine lui fit un sourire.

« En ce qui concerne tes… disons, tes « besoins »… Hésite pas à me demander, t'as pas à avoir honte de quoi que ce soit ! Voir un gars à poil ne me fait ni chaud ni froid.

- J'aime ta franchise.

- C'est de l'ironie ?

- À ton avis ?

- On va bien s'entendre. »

La blonde lui tira intelligemment la langue, Camus poussa un soupir faussement exaspéré.

« Et je sors quand ?

- Demain, normalement. Tu t'es vraiment bien remis, c'est fou, quand même !

- À part mes jambes.

- Ça, t'y peux rien ! On peut toujours tenter la rééducation…

- Je ne remarcherai plus jamais. Les médecins sont catégoriques là-dessus.

- Qui ne tente rien n'a rien ! Ça nous fera une occupation ! »

Elle gardait toujours son sourire sur les lèvres, et surtout son optimisme. Camus finit sa pâtisserie et s'essuya les mains. La blonde le regardait fixement, il l'interrogea du regard, levant un sourcil interrogateur.

« C'est fou ce que t'es méticuleux quand tu manges. On dirait ma sœur. Sauf que elle, elle en fout partout, même si elle mange avec le petit doigt levé.

- Je mange, moi, je ne dévore pas.

- Ça fait toujours plaisir.

- Vexée ? »

Elle fit non de la tête, un sourire au coin de lèvres. Son portable sonna, elle le dégaina, fit « Oui, allô ? » et se mit à parler comme une pie. Étrangement, Camus n'eut pas envie de la mettre dehors. Les yeux dans le vague, il l'écouta parler joyeusement. Sa voix emplissait la pièce, la rendant presque moins triste. Il sourit à certaines expressions, certaines petites colères, certaines exclamations scandalisées. Camus se laissa bercer par sa voix, et finit par s'endormir, le goût des fraises encore sur les lèvres.


Merci de m'avoir lue ! J'espère que ça vous a plu !